La Peste/
Albert Camus
Publiée en 1947, cette chronique de la vie quotidienne tenue par le Dr Rieux durant une épidémie de peste à Oran au temps de l'Algérie française dans les années 40 a valu à
Albert Camus le
Prix Nobel de littérature en 1957.
J'avais vingt ans lorsque j'ai lu ce chef d'oeuvre la première fois. Je le relis cinquante ans plus tard et vois les choses beaucoup plus richement.
Tout commence par la mort massive des rats de la ville au point qu'il faille installer des zones d'incinération de tonnes de rats.
La peste étant déclarée, les autorités décident de fermer la ville en l'isolant du reste du monde.
Les images classiques du fléau reviennent en mémoire pour le Dr Rieux :
« Une tranquillité si pacifique et si indifférente niait presque sans effort les vieilles images du fléau, Athènes empestée et désertée par les oiseaux, les villes chinoises remplies d'agonisants silencieux, les bagnards de Marseille empilant dans des trous les corps dégoulinants, la construction en Provence du grand mur qui devait arrêter le vent furieux de
la peste, Jaffa et ses hideux mendiants, les lits humides et pourris collés à la terre battue de l'hôpital de Constantinople, les malades tirés avec des crochets, le carnaval des médecins masqués pendant
la Peste Noire, les accouplements des vivants dans les cimetières de Milan, les charrettes de morts dans Londres épouvanté, et les nuits et les jours remplis, partout et toujours, du cri interminable des hommes. »
Après les premiers symptômes, on va assister à la lutte avec persévérance contre le mal malgré les échecs, l'espoir suscité par le nouveau vaccin, les agonies, les enterrements, les incinérations. Rieux se livre à une analyse des comportements car dans la population les réactions sont mitigées :
« Personne n'avait encore accepté réellement la maladie. La plupart étaient surtout sensibles à ce qui dérangeait leurs habitudes ou atteignait leurs intérêts. Ils en étaient agacés ou irrités et ce ne sont pas là des sentiments qu'on puisse opposer à
la peste. Leur première réaction, par exemple, fut d'incriminer l'administration. »
L'égoïsme, la méfiance, la douleur des séparations, la critique de l'administration, l'élan vers la foi ou vers les jouissances et les tentatives d'évasion vont peu à peu se dissiper pour que naisse une belle solidarité.
« Il n'y avait plus alors de destins individuels, mais une histoire collective qui était
la peste et des sentiments partagés par tous. le plus grand était la séparation et l'exil, avec ce que cela comportait de peur et de révolte. »
« Sans mémoire et sans espoir, ils s'installaient dans le présent.
La peste avait enlevé à tous le pouvoir de l'amour et même de l'amitié. Car l'amour demande un peu d'avenir, et il n'y avait plus pour nous que des instants. »
le Dr Rieux : « il savait que pour une période dont il n'apercevait pas le terme, son rôle n'était plus de guérir. Son rôle était de diagnostiquer. Découvrir, voir, décrire, enregistrer, puis condamner, c'était sa tâche. Il n'était pas là pour donner la vie, il était là pour ordonner l'isolement »
Parmi les personnages de cette chronique j'ai retenu le père Paneloux dont l'action spirituelle resta de peu d'effets contre le fléau bien que la population assistât nombreuse aux prêches de cet homme de coeur qui s'interrogeait au pied du mur, fidèle à cet écartement dont la croix est le symbole, face à face avec la souffrance d'un enfant : « Mes frères, l'instant est venu. Il faut tout croire ou tout nier. Et qui donc, parmi vous, oserait nier ? »
Les autres personnages sont intéressants : Grand, modeste employé, héros effacé qui se comportera comme un saint, le journaliste Rambert qui ne pense qu'à sa maîtresse restée à Paris et qui pourtant renoncera à s'évader par solidarité. Il avouera : « Il peut y avoir de la honte à être heureux tout seul ! »
Et puis Tarrou, l'intellectuel qui observe, crie et se révolte devant la souffrance et va combattre le fléau avec les autres.
Et Rieux de conclure avec optimisme : « On apprend au milieu des fléaux qu'il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser. »
Il convient de dire que
Albert Camus a toujours considéré son oeuvre comme une allégorie illustrant la lutte de la résistance européenne contre le nazisme. » L'occupation allemande est
la peste qui symbolise le mal physique et moral et la ville fermée l'univers concentrationnaire.
En bref, «
La Peste » met en lumière la portée humaniste de l'oeuvre de Camus.
Question style, Camus dans son exigence de probité et avec une sobriété toute classique, accorde la première place aux idées. Son style est donc neutre, impersonnel, monotone.
Ce livre fait partie des incontournables qu'il faut lire en prenant le temps de méditer en s'imaginant soi-même dans la ville en quarantaine.
Un très beau livre.