Voici encore un roman des éditions Inceptio dont j'attends toujours impatiemment de découvrir de nouvelles perles ! Soline et le mondes des rêves abandonnés fait cependant partie des premiers romans édités par cette maison mais j'ai mis du temps avant de me décider à l'acheter. Au vu du titre et du style de la première page de couverture, j'avais un peu peur que ce soit trop enfantin, et c'est la raison pour laquelle j'ai tardé à acheter ce roman. En réalité, il ne s'adresse pas en premier lieu à un public de jeunes lecteurs mais peut vraiment toucher toute une gamme hétéroclite de lecteurs, à partir du moment où nous sommes sensibles au style d'histoire racontée dans ce livre. La première de couverture montre trois personnages assez stéréotypés selon leurs vêtements : un garçon habillé totalement en noir et dont nous ne pouvons pas discerner les yeux, placé derrière une petite fille blonde et bouclée à la robe rose et au teint encore enfantin, puis une troisième fille dont le style est partagé entre le rouge et le noir, telle une coccinelle. Derrière eux se trouve l'un des lieux les plus importants du roman : l'orphelinat dans lequel est recueillie Soline et que les trois personnages semblent fuir. Ainsi, beaucoup d'éléments sont déjà présentés dès la première page, et l'aspect stéréotypé se fera ressentir dans tout le roman.
Ce livre fait partie des ouvrages que j'achète sans même lire la quatrième de couverture, en faisant tout simplement confiance à la maison d'édition. Ce n'est que lorsque j'ai eu l'objet entre mes mains que j'ai lu le résumé, et celui-ci m'a complètement séduite. Il évoque une scène de la vie quotidienne que de nombreux couples ont pu vivre : le souhait d'avoir un enfant mais la peine de ne pas y parvenir. Pour un roman présenté pour la jeunesse, j'ai trouvé cette thématique très singulière et intéressante. le ton change ensuite brutalement et le malheur tombe sur la tête de Soline. La phrase « Réceptacle de toutes les histoires inachevées, des amis imaginaires oubliés, des personnages et décors de romans jamais terminés ou de films jamais réalisés… » est celle qui m'a complètement séduite dans ce résumé. J'ai trouvé l'idée très originale (du moins, je n'avais encore jamais lu de romans en parler) et j'avais très envie de me retrouver plongée dans un univers qui en mélange plein d'autres. le conte caché dans ce roman n'est pas totalement visible dès la quatrième de couverture (si ce n'est que c'est mentionné dans la phrase d'accroche), mais nous pouvons facilement imaginer que l'univers proposé sera digne des plus fantasmatiques.
Le roman s'ouvre sur un début construit de façon très méthodique mais très efficace : le premier chapitre montre la relation entre le père et la fille Soline, puis le deuxième celle entre la mère et la fille. de cette façon, nous comprenons les liens qui unissent les trois personnages ainsi que la douleur que ressentira Soline lorsqu'elle sera rejetée par ses parents. le fait que les parents désirent un enfant n'est pas explicitement mentionné, ce sont toujours des allusions ou des gestes qui expriment le souhait. Cela rend la déchirure de Soline lorsqu'elle constate qu'elle s'éloigne de ses parents encore plus maîtrisée et touchante car le narrateur décrit ce que voit la petite fille et ne dit pas ce qu'elle ne comprend pas.
La structure de l'intrigue ressemble à celle d'un conte. La logique et les règles de notre univers n'ont pas toujours leur place au milieu de l'aspect merveilleux (au sens littéraire du terme) et irréel du roman. Plusieurs caractéristiques sont très présentes dans le récit, dont le fait d'être habillé toujours avec les mêmes vêtements (Soline avec sa robe noire, son écharpe et ses lunettes rouges par exemple) et la présence de personnages stéréotypés et utilisés selon des rôles très précis dont ils ne peuvent sortir. Les situations initiales et finales sont très clairement dessinées et les différentes péripéties s'enchaînent de façon juxtaposée, sans jamais se chevaucher ou créer une intrigue secondaire. L'intrigue est donc simple, avec un but commun à tous les protagonistes et opposé aux antagonistes.
Cependant, j'ai quelques fois été surprise de certaines péripéties. J'ai trouvé qu'un petit nombre d'entre elles étaient parfois inutiles et ne servaient pas l'intrigue, comme si ce n'était que pour faire durer le roman. À chaque fois qu'une telle péripétie arrivait, je me détachais un peu plus de l'histoire. La deuxième partie du roman est très longue, j'ai eu du mal à finir le livre à cause de cela. Il y a plusieurs incohérences avec l'apparition de personnages alors qu'ils ne sont pas censés être là. Cela provoque des facilités scénaristiques pour donner des difficultés aux personnages, qui les surmontent à leur tour bien trop facilement. Mais il faut garder en tête que ce roman reste un conte qui a pour ambition première de faire voyager dans l'imaginaire. Dans un monde tel que celui-ci, peut-être que les lois classiques ne s'appliquent pas et que des libertés peuvent être prises…
L'univers de ce roman vaut la peine de s'y pencher. Même s'il n'est pas énormément développé, il propose beaucoup de petits écosystèmes qui peuvent faire écho dans l'imagination du lecteur. Alors que le récit s'ouvre sur un village de France où des familles banales vivent, le Monde des Rêves Abandonnés regorgent de lieux fantasmés par des créateurs. Et qui dit lieux fantasmés dit place à la fantasy. J'admire l'imagination de
José Carli pour avoir créé des dizaines d'endroits à la physique très différente sans se perdre dans quelque chose d'illogique. Certains aspects fantasques m'ont rappelé Alice aux pays des Merveilles. Ainsi, le cadre spatial du roman peut aller d'une forêt en caoutchouc à un fleuve gorgé de monstres en passant par une rivière qui montre ce que les personnages craignent le plus.
Le roman se déroule dans les années 2010, ou du moins après les années 2000. Il ne me semble pas avoir vu de mention concrète de la date mais les éléments technologiques sont bien présents. Alors que la plupart des
contes que nous connaissons prennent place à la Renaissance, notamment avec ceux des frères Grimm et de
Charles Perrault, nous avons ici une modernisation du genre sans pour autant perdre la dimension merveilleuse propre aux
contes. La technologie n'est de toute façon pas présente dans le Monde des Rêves Abandonnés et cela soulève une question : est-il possible d'écrire un conte qui ne se déroule pas dans une temporalité passée, c'est-à-dire sans usage de technologie moderne ? Pour ma part je serais curieuse de lire un tel livre. Dans sa globalité, l'univers est bien pensé, il a beaucoup de potentiel même si l'auteur le met plutôt au second plan.
Alors qu'au début du roman, les personnages ne sont qu'au nombre de trois (la principale, Soline, et deux autres plutôt tertiaires, Manon et Julien, ses parents), ils se multiplient très vite une fois Soline arrivée dans le Monde de Rêves Abandonnés. Les personnages avaient beau être introduits les uns après les autres, je n'ai pas eu assez de temps pour les assimiler et retenir leur prénom. Ce n'est qu'au fil de ma lecture que j'ai pu associer le nom des personnages à leur caractère, et encore, je n'y suis pas toujours parvenue. J'ai beaucoup aimé les parents de Soline, même s'ils ne sont pas très présents dans le roman. Leur peine m'a touchée et même s'ils sont développés de façon simple, c'est ce qui les rend si touchants.
Le personnage de Soline est tout à fait le contraire. C'est l'héroïne du roman, mais si son nom n'était pas dans le titre et si les premiers chapitres n'étaient pas centrés sur sa vie de famille fictive, j'aurais eu de la peine à deviner que c'était elle le personnage principal. Elle est absente psychologiquement pendant une grande partie du roman. Au bout d'un moment, elle est même occultée par les autres personnages qui ont un caractère plus fort et donc plus intéressant pour l'intrigue. À ce moment-là, Soline est carrément mise de côté sans mention d'elle pendant plusieurs pages. C'est assez gênant sachant qu'elle est l'héroïne de cette histoire. En plus, elle n'a pas une personnalité qui la rend mémorable, c'est une petite fille banale. Parfois, elle a des réflexions assez surprenantes : elle paraît simplette pendant un certain temps et tout à coup elle se met à avoir des idées géniales qui sortent le groupe d'amis de situations complexes.
Les autres amis de l'orphelinat sont eux plus intéressants bien qu'ils soient tous stéréotypés (ce qui n'est pas tant dérangeant puisque nous sommes dans un conte). Parmi eux comptent Anna, Tuaki,
Louis-Jean, Catherine, Barbara et Pierre. le fait que les personnages ne soient pas assez développés s'est beaucoup ressenti entre eux car je confondais constamment les personnages. Ils n'ont pas une personnalité qui leur est propre (par exemple, le rôle de leader est donné à Anna mais aussi à Tuaki, voire à Pierre), et certains d'entre eux n'ont même pas de personnalité (je pense notamment à Catherine et Barbara). Cela donne l'impression que nous nous encombrons pour rien alors que ces six personnages auraient pu être résumés en deux ou trois.
Outre le manque de développement, les personnages souffrent également d'une absence d'évolution imprévisible. Dès les premières pages introduisant les personnages, je savais comment ils évolueraient au fil du récit. Malheureusement, les personnages sont globalement trop plats ce qui fait que je ne me suis attachée à aucun d'entre eux. Les
contes ont rarement des personnages très développés, mais des fois il est quand même nécessaire de leur assigner un caractère.
L'écriture de
José Carli a deux grandes qualités. La première est la richesse de son vocabulaire, sans l'utiliser excessivement, qui rend le roman très agréable à lire. Il choisit ses mots tels que nous pourrions les retrouver dans un conte classique. Il a également la manie de décrire les objets avec un grand nombre de couleurs, mais en utilisant un vocabulaire bien spécifique, sans se borner aux couleurs de l'arc-en-ciel. J'avais comme l'impression de voir un peintre choisir ses peintures pour représenter un paysage.
José Carli imagine avec précision les détails de son roman qui lui donne un aspect merveilleux. Alors que certains lecteurs pourraient penser que ces mots sont trop soutenus pour le public du roman, je trouve au contraire que c'est approprié au style des
contes qui utilisent généralement un vocabulaire peu usité.
La deuxième qualité relève davantage du style narratif. L'auteur manie très bien la distanciation entre les personnages, le narrateur et le lecteur, et en joue beaucoup pour instiller un charme à certains passages. le début du roman en est un exemple concret alors que le narrateur, sans être en focalisation interne sur Soline, décrit le monde vu et compris par elle. Il n'y a pas de prise de positions, très peu de modalités qui feraient croire que c'est la vie vue des yeux de Soline qu'il narre, mais tous les éléments se rattachent à l'interprétation que se fait Soline de ses journées.
Points positifs :
– univers très bien imaginé
– concept original
– vocabulaire développé
Points négatifs :
– personnages trop plats
– l'intrigue peine parfois à prendre de la profondeur
Lien :
https://comptoir-des-connais..