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Rentrée littéraire 2021 #20

Trois phrases monstrueuses prononcées par le grand-père de l'auteur : «  ton père, pendant la guerre, il était du mauvais côté », «  je l'ai vu habillé en Allemand, place Bellecour », tu es " un enfant de salaud ". En 1962, Sorj Chalandon a 10 ans et se voit ainsi transmettre la charge de la honte. Mais ce n'est qu'en 2020 qu'il saura ce qu'a réellement fait son père durant la Deuxième guerre mondiale, après avoir retrouvé un extrait de casier judiciaire mentionnant son emprisonnement à Lille en 1945 en pleine épuration pour indignité nationale, puis le dossier complet aux archives départementales du Nord.

La magnifique idée de Sorj Chalandon est, sans changer les faits, d'avoir antidaté sa découverte pour la décaler en 1987 pendant le procès de Klaus Barbie. Lorsque celui-ci démarre, le narrateur, son double romanesque, a le dossier, il sait tout de ce père qui a revêtu cinq uniformes différents, de la SS aux Francs-tireurs et partisans, à chaque fois vers les bottes les plus reluisantes du moment, avec un instinct de survie et une inconscience absolument insensées. En même temps que s'ouvre le procès du criminel nazi, s'ouvre celui du père qui y assiste en même temps que son fils ( Sorj Chalandon a couvert le procès Barbie pour Libération et obtenu le Prix Albert Londres pour ce travail ).

La mise en abyme est vertigineuse, entre immense sincérité et écriture incisive. Durant les sept semaines du procès, le narrateur attend que le père s'effondre, espérant qu'il quittera «  chaque audience comme au sortir d'un ring, titubant sous les coups d'une histoire qui ne fut pas la (sienne). » Les scènes d'interstices judiciaires sont superbement rendues. Au delà du compte-rendu douloureux des témoignages évoquant la rafle des 44 enfants d'Izieu ou celle de la rue Sainte-Catherine, c'est bouleversant de voir le fils se retourner pour « espionner » son père, puis vaciller en le voyant ricaner, bailler ou soupirer lorsque les survivants racontent.

C'est toute la force de ce roman que de parvenir à partager avec sensibilité et pudeur le cri de désespoir d'un fils dont on ressent toute l'émotion et la colère. Car le père est son premier traître, c'est son fils qu'il a en premier trahi, pas son pays car ils ont été nombreux à se fourvoyer durant cette période. Ce fils qui a été privé de lumière par ce père qui a refusé de lui raconter sa guerre, même avec ses ombres. Ce fils qui, malgré une quête légitime de vérité, est toujours assailli par la culpabilité d'avoir profané le passé de son père.

Après avoir dit à son père qu'il savait tout : «  Je m'étais cru lumineux mais c'était de l'orgueil. J'avais voulu te soustraire à la folie et j'étais en train de t'arracher à tes rêves. Je t'espérais purifié, nouveau-né à la peau et au regard d'enfant, mais j'écorchais seulement ton vieux cuir de père et tes yeux hurlaient d'effroi. J'avais tort. Je n'étais pas en train de te sauver, mais de te perdre à jamais. Je n'avais pas réussi à te ramener du royaume des fantômes au mondes des vivants. J'étais en train de te torturer. Comme la police, j'étais en train de t'interroger. Comme la justice, j'étais en train de te condamner. Comme cette garce de vie, j'allais t'exécuter. »

Un roman bouleversant qui enjambe l'intime et l'universel avec une rare honnêteté. Comme il le dit magnifiquement, Sorj Chalandon a changé ses larmes en encre et offre aux lecteurs - sans doute - la clef pour comprendre toute son oeuvre ( notamment Profession du père ou La Légende de nos pères ). Remarquable.
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Quel livre d'Histoire ! Quel roman, comme il est noté sur la couverture !
Encore une fois, Sorj Chalandon, mon écrivain préféré, m'a captivé et beaucoup appris ou rappelé avec Enfant de salaud, titre terrible.
Cet auteur m'a régalé à chaque fois avec Une promesse, Mon traitre, La légende de nos pères, Retour à Killybegs, le Quatrième Mur, Profession du père, le jour d'avant et Une joie féroce.
Dans Enfant de salaud, il se confronte au passé de son père. Tout se passe en 1987, d'avril à juillet. Ce qui aurait pu n'être qu'une sordide histoire familiale m'a replongé dans les affres de l'Occupation et du nazisme. Avant d'aborder le côté familial de son récit, Sorj Chalandon rappelle, avec une délicatesse infinie, le drame des enfants d'Izieu, déportés par Klaus Barbie. L'auteur est là, sur les lieux, quarante-trois ans après, là où quarante-quatre enfants et sept adultes qui pensaient être en sûreté, ont été embarqués sans ménagement, après dénonciation. Seule Léa Feldblum est revenue, libérée par l'Armée Rouge, en janvier 1945.
Sorj Chalandon aurait aimé avoir son père avec lui afin de tenter une explication permettant de comprendre pourquoi son grand-père lui a dit, un jour – il avait 10 ans - qu'il était un Enfant de salaud
Remontent alors à la surface des souvenirs d'enfance, des récits extraordinaires de son père se faisant passer pour un héros. La quête de ce fils va être terrible, angoissante, émouvante et dramatique face à ce père qui ment, ce salaud qui a trahi son enfant.
Voilà qu'en cette année 1987, se tient à Lyon, le procès Barbie, le grand chef de la Gestapo dans la Capitale des Gaules. Sorj Chalandon y assiste en tant que journaliste, chroniqueur judiciaire pour Libération, journal dans lequel il a écrit pendant trente-quatre ans.
En écrivain confirmé, l'auteur réussit à faire revivre ce procès hors-normes tout en détaillant sa quête pour mettre au jour la véritable histoire de son père durant la seconde guerre mondiale.
Voilà que cet homme qui fut condamné le 18 août 1945 à un an de prison et à cinq ans de dégradation nationale parce que nuisible à la défense nationale, se met en tête d'assister au procès qui débute le 11 mai 1987 !
Depuis, le temps a passé. J'ai vu cette grande salle des pas perdus qui avait été spécialement aménagée pour le procès, visité le Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation, à Lyon. D'ailleurs, cet important espace de mémoire a été aménagé dans l'ancienne école de Santé Militaire, là où Klaus Barbie sévissait, ce qui ajoute un intérêt supplémentaire à la visite. Même si j'ai vu le film diffusant des extraits du procès, le temps passe et la mémoire se dilue. Alors, j'ai particulièrement apprécié ce rappel, ces précisions, ces indications jamais rébarbatives sur ce qui s'est passé dans ce tribunal, jusqu'au verdict prononcé dans la nuit du 3 au 4 juillet 1987.
Sorj Chalandon cite les noms des témoins et remet en avant les victimes de la barbarie nazie. Son père était là et l'auteur réussit petit à petit à réunir les preuves de son imposture allant jusqu'à la folie. Ce dossier complet qu'il a pu récupérer récemment, il s'en sert pour tenter une confrontation désespérée avec celui qui l'a trahi, faisant bien ici oeuvre de romancier avec ce talent que j'apprécie tant.
Au fil de ma lecture, j'ai été ému, angoissé espérant toujours une réconciliation entre ce père et ce fils, la mère étant très effacée et ne pouvant rien devant un homme prêt à tout pour se faire passer pour un héros.
Doublement axé sur un procès pour l'Histoire et sur l'imposture de ce père qu'il aime, avec qui il voudrait enfin s'expliquer, Enfant de salaud m'a beaucoup marqué.
J'ajoute un petit clin d'oeil au passage car j'ai relevé à au moins deux reprises l'expression « porter un sac de pierres », expression qu'adore Sorj Chalandon pour faire sentir une quantité de souffrances très dures à supporter comme ce que ce fils a vécu face à ce père incapable d'assumer sa vérité.

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Sorj Chalandon avait déjà consacré un roman à son père, avec Profession du père, père qui prétendait avoir été chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d'une Église pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général De Gaulle jusqu'en 1958. Il revient cette fois encore sur ce père fantasque, manipulateur, imprévisible, mythomane invétéré, hanté par les paroles qu'a prononcées son grand-père devant lui quand il n'avait que 10 ans, en 1962 : « … Ton père pendant la guerre, il était du mauvais côté. » Et lorsque sa marraine veut intervenir, disant qu'il n'est qu'un enfant, il rajoute alors ces mots terribles « Justement ! C'est un enfant de salaud, et il faut qu'il le sache ! ». Il faudra à l'auteur une vie entière pour en comprendre le sens…

Toute la singularité et la force de ce roman tiennent au fait que Sorj Chalandon, ayant pu récupérer le dossier pénal de son père aux archives départementales de Lille, raconte sa quête de la vérité au sujet de celui-ci parallèlement au procès de Klaus Barbie, qui se tient à partir du 11 mai 1987 devant la cour d'assises de Lyon, l'auteur ayant été choisi par son journal « Libération » pour le suivre, procès au cours duquel doivent être établies les responsabilités du chef de la Gestapo à Lyon.
Enfant de salaud relate ainsi deux procès instruits en parallèle, celui intime sur ce père, jeune homme de 18 ans à l'époque, qui a endossé l'uniforme allemand, collaborant trois ans avec l'ennemi, ne cessant de changer de rôle, véritable affabulateur, que l'auteur voudrait entendre s'exprimer sur ses mensonges et ce procès public, historique sur Barbie, ce barbare nazi qui va devoir répondre de ses crimes atroces.
Pour ce qui est de son père, il est difficile pour son fils de s'y retrouver tant il n'a cessé de changer de camp et lorsqu'il essaie de le pousser dans ses retranchements, le mettant face aux écrits, celui-ci continue ses affabulations et refuse toute explication. Il aurait tant voulu libérer son père, « cet homme qui a passé sa guerre, puis sa paix, puis sa vie entière à tricher et à éviter les questions des autres. Puis les miennes », de l'emprise du mensonge. Mais impossible, et pourtant cela leur aurait fait tant de bien, s'il lui avait avoué ces histoires folles « Et qu'il me l'aurait avoué. Et qu'il m'aurait dit vrai. Et que j'aurais été fier de sa confiance. Et que même s'il avait été puni par son pays, il n'aurait jamais été dégradé par son fils. Et je ne serais pas un enfant de salaud. »
Comment ne pas être bouleversé en lisant ces lignes qui sont comme un cri d'amour désespéré.
Quant au procès de Klaus Barbie, Sorj Chalandon sait en restituer au silence près toute l'atmosphère digne et plus que bouleversante de ces témoignages de rescapés. Lorsqu'il évoque la plaidoirie de Serge Klarsfeld, disant qu'il n'avait pas plaidé mais parlé avec tristesse, ses mots sont foudroyants : « Levé, droit face au box vide de l'assassin, il avait fait entrer ces enfants (d'Izieu) dans la grande salle. En file, les uns avec les autres, les petits donnant la main aux plus grands. Il les avait fait comparaître devant nous, devant toi, dans leurs shorts d'été, les chaussettes tombées sur leurs chaussures trop grandes... »
La confrontation entre la grande histoire horrible avec le rappel des atrocités de la shoah et ce personnage immonde et cynique de Barbie, véritable tortionnaire et la petite histoire avec la vie d'un opportuniste inconscient qui croyait se faire valoir davantage en mentant est menée avec un talent certain et surtout une émotion omniprésente.

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À l'instar d'Amélie NothombPremier sang »), Sorj Chalandon profite de la rentrée littéraire pour ressusciter son père d'un coup de plume.

Ayant couvert le procès de Klaus Barbie pour Libération en 1987, l'auteur ne s'interroge pas sur la culpabilité de celui que l'on surnommait « le Bourreau de Lyon », ce chef de la gestapo de Lyon ayant donné l'ordre d'exécuter et de déporter de nombreux Juifs et étant responsable de la rafle des 44 enfants juifs d'Izieu, car celle-ci ne fait aucun doute ! Non, il s'interroge sur la culpabilité de celui que son grand-père traite de « salaud » car il l'a aperçu en uniforme allemand lors de la seconde guerre mondiale. Son père est-il vraiment un traître ?

En invitant son père dans la salle d'audience qui jugeait Klaus Barbie, Sorj Chalandon entremêle la petite et la grande histoire au sein d'un même récit. Ayant mis la main sur le dossier judiciaire de son père, condamné le 18 août 1945 à un an de prison et cinq ans de dégradation nationale, l'auteur place son propre père dans le box des accusés pour répondre à une question qui le taraude depuis l'âge de 10 ans : « Qu'as-tu fait sous l'Occupation papa ? »

Dans l'ombre des atrocités commanditées par ce barbare nazi défendu par Jacques Vergès, Sorj Chalandon découvre les errements d'un père qui retourne constamment sa veste, passant plusieurs fois d'un camp à l'autre, résistant un jour, déserteur le suivant, tricheur tout le temps. Menteur patenté, son paternel enfilait les uniformes comme des costumes de théâtre, changeant constamment de rôle et bernant tout le monde… dont ce fils incapable de démêler le vrai du faux.

« Enfant de salaud » est d'une part un devoir de mémoire, revenant sur les atrocités de la Shoah, mais surtout le cri d'amour désespéré et bouleversant d'un homme devenu journaliste en quête de vérité, dressant ici le portrait d'un père colérique, mythomane et manipulateur, auquel il tend une dernière fois la main…

Puissant !
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Ces années ci, les ouvrages sur les collaborateurs se vendent mille fois mieux que ceux consacrés aux résistants a constaté Andrei Makine dans « Le pays du lieutenant Schreiber ».

Patrick Modiano, prix Nobel de littérature, bâtit son oeuvre sur les traces de son père Albert au passé sulfureux.
• Pascal et Alexandre Jardin sont traumatisés par le souvenir de Jean, directeur de Cabinet de Pierre Laval.
Dominique Fernandez cherche à comprendre les errements de Ramon « Je suis né de ce traître, il m'a légué son nom, son oeuvre, sa honte ».
Michel Drucker et son frère sont hantés par le fantôme d'Abraham, médecin chef du camp de Drancy.

Sorj Chalandon est aussi un « enfant de salaud » et le confinement lui a permis en 2020 de consulter le casier judiciaire de son père, qui semble un bouchon suivant les courants avec une imagination et une mythomanie assez extraordinaire, passant des jeunesses communistes à l'armée allemande puis aux FTP. En enfin termine à la case prison.

Personnage sans intérêt, mais l'écrivain a l'audace (le génie ?) de l'assoir face à Klaus Barbie, dans un tribunal, et de nous plonger au coeur du procès jugeant notamment de la déportation des enfants d'Izieu. Pages insoutenables et inoubliables … devoir de mémoire oblige ! Et Chalandon connait tout du procès qui lui valut le prix Albert-Londres en 1988. Cela suffit à immortaliser ce roman.

Mais dans l'ombre de ce « salaud », derrière ce père que Sorj a du mal à comprendre, à aimer, à respecter, se cache sa mère que nous découvrons au coeur de l'ouvrage (chapitre 14) et qui, sa vie durant, vit aux cotés de cet homme perdant progressivement la raison, traversant des explosions de violence, lui pardonnant tout en croyant ou en faisant semblant de croire l'épopée héroïque de l'ancien pseudo SS, se proclamant dernier défenseur du bunker à Berlin !

Cette modeste fonctionnaire, après quarante années au service de l'état, part en retraite sans un merci, sans un adieu de la hiérarchie et de la quasi totalité de ses collègues, provoquant, à juste titre, la rage de Sorg et l'écoeurement du lecteur révolté par tant d'inhumanité.

Alors, en refermant ces pages inoubliables, je me suis mis à rêver que l'auteur consacre son prochain ouvrage à sa maman tout en me souvenant que « le bien fait peu de bruit … le bruit fait peu de bien ».

PS : mon avis sur "Le pays du lieutenant Schreiber" ci dessous
Lien : https://www.babelio.com/livr..
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Ah ,l'image paternelle ! L'aura dont jouit le père dans tout regard d'enfant : le protecteur , le défenseur, le juste , la force , l'intelligence , le savoir ...On pourrait en énumérer des " choses " venues du coeur et projetées par l'intermédiaire d'yeux admiratifs pour définir ce qu'est un père...Alors , bien entendu , quand , un jour de colère, le propre père, le grand - père, donc , prononce la phrase fatidique , celle qui sape le piédestal et transforme le héros en " colosse aux pieds d'argile " , lorsque le doute s'immisce , que la confiance s'étiole , l'envie de " soulever le rideau " est irrépressible. Là où les effets du temps sont passés pour la majorité des gens , l'enfant , lui , veut , doit savoir , comprendre pour se construire , se reconstruire , reprendre un flambeau qu'on a terni . Comprendre pour vivre .C'est ainsi . Toute existence ne peut s'assumer si tout n'est que silence ou mensonge ...C'est complexe une relation filiale , à manipuler avec tact et franchise ....Et , oui , DIRE et ne jamais MENTIR.
Dans ce bouleversant roman , l'auteur met en parallèle la grande histoire avec le procès Klaus Barbie , et la petite , celle d'un homme en quête de son passé, ou plutôt celui de son père. le lien entre les deux ? La période de guerre , théâtre, à tous niveaux , des pires exactions qui soient ...Deux récits violents qui se déroulent en parallèle et dont on espère qu'ils finiront par se juxtaposer. le collectif et l'individuel ...Le récit est rendu très émouvant par les interventions des rescapés au procès, par le récit de l'arrestation des enfants d'Izieu, par ceux des enfermements dans les camps...Mais Chalandon , ce superbe écrivain , sait manier sa plume pour éviter "l'atrocité " , traduire le respect plutôt que la haine , napper les témoins dans les limbes de la dignité. C'est beau , vraiment , dur mais beau . du très bon Chalandon . Et puis , bien entendu , ce fils et ce père...C'est tragique , désespéré, désespérant, hilarant aussi , parfois , on se pince pour vérifier qu'on ne rêve pas devant tant d'incroyables péripéties, devant ce jeu qui oppose deux hommes , le père et le fils , celui qui sait mais ne veut rien dire , celui qui ne sait pas , doute et veut savoir à tout prix .
Personnellement , j'adore lire Chalandon et la " quête " des origines est un sujet qui m'est cher , de part un vécu qui m'appartient et sur lequel je ne m'étendrai pas...
Ce roman est superbement écrit, vous tient en haleine du début à la fin , pose de nombreuses questions auxquelles chacun et chacune d'entre nous apportera ses propres réponses, voire pas de réponse du tout , en fonction de son vécu, de son histoire .
Présenté comme un des " gros titres " de la rentrée, " Enfant de salaud " justifie ce propos . Un livre juste qui se savoure malgré la " sévérité " et le sérieux bouleversant du sujet .
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"Ton père portait l'uniforme allemand. Tu es un enfant de salaud ! " C'est ainsi que son grand-père avait assené au narrateur, alors âgé de dix ans, son exaspération d'entendre, une fois de plus, les soi-disant exploits de Résistant de l'intéressé. Jamais depuis, "l'enfant de salaud", devenu journaliste, n'avait osé aborder le sujet de ce passé avec son père, imprévisible et violent. Ce n'est qu'en 1987, lorsqu'il parvient à exhumer des archives le dossier judiciaire paternel, qu'il découvre l'improbable parcours d'un homme menteur et manipulateur, qui ne cessa de changer de camp tout au long de la seconde guerre mondiale. Pendant que le fils interpelle enfin son père sur ses inavouables secrets, il se retrouve aussi dans les rangs de la presse qui couvre le procès criminel de Klaus Barbie.


Sans rien changer aux faits, Sorj Chalandon a choisi d'antidater sa découverte des actes de son père – en réalité posthume -, pour la faire coïncider avec la période du procès de Klaus Barbie. Ce sont ainsi deux procès qui entrent en résonance dans ce roman, l'un bien réel, l'autre convoqué dans l'imaginaire de l'auteur. Barbie avait refusé de paraître aux audiences, le père de répondre de ses mensonges à son fils. Dans un cas comme dans l'autre, les coupables sont restés jusqu'au bout dans le déni, rendant encore plus insupportables la souffrance et le questionnement des plaignants. Alors, pour l'auteur, torturé sa vie durant, non seulement par la conscience des crimes, mais aussi par le déni et les mensonges de son père, ce livre est en quelque sorte un procès personnel posthume, la confrontation à laquelle il n'aura jamais pu convoquer cet homme insaisissable.


Sorj Chalandon connaît parfaitement le cas et le procès Klaus Barbie, ses reportages sur le sujet lui ayant même valu à l'époque le prix Albert Londres. Sa narration est précise et significative. le lecteur revient avec émotion sur les lieux des crimes du Bourreau de Lyon, notamment sur celui de la rafle des 44 enfants juifs d'Izieu. Il se retrouve immergé dans la salle d'audience, sous le choc des faits et de l'indifférence méprisante du criminel nazi. Face à l'évidence d'une telle monstruosité, l'écrivain imagine les réactions de son père. Cet homme dont le parcours reste une énigme, tant il démontre de grotesque inconséquence dans ses multiples et opportunistes revirements, serait-il resté de marbre lui aussi, la conscience imperméable et le mensonge plus fanfaron que jamais ? Lucide, l'écrivain dresse le portrait d'un père barricadé dans sa réalité distordue, incapable de se voir dans sa vérité nue, sous peine de basculer dans une folie définitive. Et si, dans la vie réelle, ce père lui a toujours échappé, il sait sans illusion que, même si elle avait pu avoir lieu, aucune confrontation frontale, fusse-t-elle même celle d'un procès, n'y aurait rien changé.


Sorj Chalandon signe un livre sincère et bouleversant : une tentative, comme il le dit lui-même, de « changer ses larmes en encre ». Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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« J'ai passé mon enfance à croire passionnément tout ce qu'il me disait, et le reste de ma vie à comprendre que rien de tout cela n'était vrai. Il m'avait beaucoup menti. Martyrisé aussi. » Cette seule phrase résume l'enfer que fut la cohabitation d'un fils avec un père mythomane et violent, dont la vie s'achève dans un asile psychiatrique. Un père confronté à ses mensonges par son fils pendant le procès Barbie auquel il assiste en tant que journaliste alors que son père est simple « spectateur ». Dans la réalité, Sorj Chalandon a découvert le rôle de son père pendant la Seconde Guerre mondiale qu'après sa mort. À savoir que celui-ci avait été un garçon qui entre 18 et 22 ans avait revêtu cinq uniformes différents et avait déserté aussi souvent. Tantôt du bon ou du mauvais côté. En tout cas révélée dans ce livre assez poignant, une vérité arrivée trop tard pour réparer le mal fait dans le coeur d'un enfant aimant, devenu un adulte à jamais fragilisé par la violence et les mensonges de son père.
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Alors qu'il arpente les couloirs de la Maison d'Izieu, là où, le 7 avril 1944, 44 enfants et 7 adultes juifs furent arrêtés puis déportés (suite à une dénonciation ?), Sorj Chalandon s'interroge, quant à lui, sur le rôle de son père pendant la guerre. Pourquoi est-il devenu un traître ? Qu'est-ce qui a bien pu le pousser à rejoindre le camp ennemi ? ... Aujourd'hui, la terrible phrase de son grand-père, prononcée en 1962 alors que le petit Sorj n'avait que 10 ans, le hante encore : « ton père, pendant la guerre il était du mauvais côté ». Si enfant, il ne comprenait pas le sens de ces paroles, en ces jours historiques où se déroule le procès de Klaus Barbie qu'il couvre en tant que journaliste, Sorj Chalandon replonge dans le passé de son père, ses mensonges, ses faits et ses méfaits d'armes...

"Enfant de salaud", des mots forts, lourds de sens, qui prononcés en 1962 feront écho, des années durant à Sorj Chalandon. Des mots qui le pousseront à tenter de comprendre, autant que faire se peut, son père. Ce menteur, cet affabulateur, ce funambule capable de jongler avec la vérité, ce transformiste qui aura enfilé tous les costumes de la guerre (de celui de SS à celui de Résistant), ce beau parleur qui aura, sans cesse, raconté des histoires à son fils. Oui, mais voilà, lorsque celui-ci met la main sur le dossier de son père, un dossier conservé aux Archives départementales du Nord, la vérité éclate enfin. Choquante. Cruelle. Froide. Une vérité que Sorj Chalandon nous dévoile au fil de ces pages, déroulant petit à petit le passé de son père alors que se tient, à Lyon, le procès de Klaus Barbie, un procès que l'auteur a couvert pour Libération. Un parallèle entre la Grande Histoire, terrible et horrifique, et la petite, atterrante, qui donne une ampleur à ce récit. Ce roman, tout aussi intime qu'universel, est bouleversant, de part les émotions et sentiments partagés, de part la sincérité, la sensibilité et l'empathie qui s'en dégagent, de part ce devoir de mémoire.
Un véritable cri du coeur, désespéré et déchirant, d'un fils envers un père qui lui aura toujours échappé...
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J'ai très rarement été assaillie par autant d'émotions lors d'une lecture. On ne sort pas indemne de ce livre. C'est vraiment ce que j'attends de la littérature: des ouvertures de portes et fenêtres autant interieures que tournées vers l'extérieur, vers l'autre.

J'ai envie de prendre l'inconsolable Sorj Chalandon dans mes vieux bras et de le remercier encore et encore.


Quelle prouesse ce livre! Quel exercice virtuose! Chroniqueur judiciaire lors du procès de Barbie, je découvre sa facon de travailler, de recevoir ce qu'il voit et entend. La page gauche du carnet pour ses émotions, la droite pour recueillir les faits, les paroles, les regards,les gestuelles. Ses larmes qu'il essaie de cacher mais qu'il accepte de dévoiler.
La justice! 40 ans après les faits, son récit du procès est précis, glaçant et terriblement émouvant.

Le père : son dernier traitre , guignol tragique insaisissable .Il a traversé cette guerre sous plusieurs uniformes, a déserté 5 fois. Cette folle histoire n'est pas crédible mais elle est réelle. Il y a du de Funès ,dans cet agité qui retrouve l'équilibre après les pires acrobaties et clôt tout débat par:
"Je suis bien placé pour le savoir!"

Jamais Chalandon n'a du mépris pour cet homme dont il reste le fils.
Il a de la colère, il a honte pour lui,pas de lui. il aurait voulu lui mettre le nez bien profond, au creux des archives officielles de son passé . Ça aurait été encore une fois, mal connaître celui qu'il continue d'appeler papa, comme un enfant.

Haut les coeurs! Laissez vous chavirer par ce livre qui mérite une constellation d'étoiles.
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