Je suis amoureux, depuis le premier roman que j'ai lu de sa main, de l'écriture de
Sorj Chalandon. Et cette sixième rencontre, en ce qui me concerne, que je me suis empressé de vivre sachant la sortie prochaine d'un nouveau roman, n'a pas fait varier d'un pouce mon admiration. « Empressé » est un bien grand mot puisque j'ai laissé passé un an entre
Mon traître et
Retour à Killybegs. Aucune raison particulière, en tout cas aucune bonne. Mais une fois encore, je quitte Chalandon subjugué. C'est tendre et éprouvant, direct, coupant, taillé dans la chair de la grammaire sans jamais ôter toute sa délicatesse au verbe. Vraiment, c'est l'auteur français contemporain que j'aime le plus lire.
Et pourtant, malgré ma pâmoison, Sorj avait cette fois un défi à relever : car j'ai sur l'idée de la traîtrise, comme tout bon épargné qui se respecte, un point de vue bien tranché : je le dois en partie à une étudiante que je fréquentais plus jeune, Sihem, une femme aussi intelligente et intègre qu'elle était belle et forte et qui, sur la question des harkis, m'avait livré son coeur meurtrie d'algérienne. La guerre n'est jamais belle, et chaque camp compte ses faits de gloire et ses honteuses actions. Mais quand on est dans le camp qui est assailli, bousculé, traqué, humilié, torturé, calomnié, appauvri, dépossédé, on a un seul devoir : résister, à la hauteur de ses moyens, ne serait que par le silence si l'on n'a d'autre arme ou le courage de l'action. Mais on résiste ! On se le doit comme on le doit à sa famille, son peuple, ses amis : ce clan dans lequel on est, peut-être par le plus grand des hasards, mais qui vous fait ; on ne pense plus « je » mais « nous » ! En l'honneur de tous les siens, morts ou vivants. C'est le seul espoir d'avenir digne, c'est le respect que l'on doit aux martyres. La traîtrise est la pire des choses.
Chalandon, qui ausculte l'histoire à travers le coeur des hommes, qui l'écrit avec les maux du tourment, sur des lignes qui errent au gré des événements subis, qui flirtent avec le précipice, mais sans jamais pourtant quitter des yeux un horizon clément ; Chalandon qui soulève la poussière que laissent les idées courtes et les mots trop vite balancés pour mettre à jour les vérités secrètes, profondes, celles qui ont été enfouies, dissimulées, et qui révèle ainsi la complexité de la chose humaine, est presque parvenu à me convaincre : le traître, aussi, certains a tout le moins, est homme parmi les hommes, bataillant avec ses propres démons, plein de ses raisons et peut-être, oui peut-être, porteur d'une lumière qu'il est cruel de recouvrir sans même la regarder.
Par ce grand roman, encore, il a de toute façon rendu justice à certains d'entre eux : cette justice qui rime avec la politesse du coeur et le respect de chacun, qui accepte d'écouter et s'efforce d'entendre, qui ne toise pas mais qui regarde, au fond des yeux, celui qu'il faut tout de même juger sur ses actes les moins nobles.
Chacun se fera son idée sur le sujet. Une chose est certaine, c'est une fois encore, un texte bouleversant d'humanité.