En 1957,
Roland Barthes avait décrypté la France des Trente Glorieuses en en décrivant ses objets les plus familiers : la DS, le Guide bleu, l'Astra, la photo d'Harcourt ....
Jérôme Garcin avait marché sur les traces du grand sémiologue en signant récemment des "
Nouvelles mythologies".
Eve Charrin s'inscrit dans cette généalogie
Mais son ambition n'est pas la même. Elle ne démystifie pas des mythes. Les déconstructionnistes l'ont fait avant elle. Elle vise, plus modestement, mais non sans finesse, à éclairer quelques aspects du monde contemporain en présentant l'imaginaire d'une quinzaine d'objets. Elle utilise pour se faire un style très particulier, plus oral qu'écrit, allégeant les considérations les plus abstraites par les calembours les plus inattendus, qui crée avec le lecteur une connivence.
Eve Charrin est née dans les années 70 et interpelle son semblable, son frère dont l'enfance, l'adolescence et l'âge adulte ont été bercés par les mêmes objets : le tabouret Tam Tam en plastique orange, les programmes télévisés, le Pliage Longchamp, le sac monogrammé Vuitton ... Tout bien considérer, sa démarche emprunte moins à
Barthes qu'à Pérec ou à
Queneau.
Elle a le chic pour pointer les tics - et le toc - de nos comportements quotidiens : notre snobisme alimentaire, notre dédain revendiqué pour la télévision, notre addiction à notre téléphone portable ...
Quelques chapitres sont exceptionnels : on ne mangera plus un sushi du même oeil, on ne croquera plus une pomme avec la même gourmandise après avoir lu "Le sushi et la fin (imaginaire) de la classe ouvrière" ou "Les riches et les pommes". D'autres m'ont moins convaincu, qui frisaient le hors sujet, tel "le télégramme diplomatique" à la rédaction duquel j'ai (très marginalement) contribué.
Car - il n'est que temps de l'avouer -
Eve Charrin est une amie. Qui ressemble aux livres qu'elle écrit ("
L'Inde à l'assaut du monde" était déjà un objet écrit inclassable, à la frontière de l'essai et du récit de voyage). Et dont la lecture des livres nous la fait mieux connaître.