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Critique de Woland


ISBN : 9782266207041

Commercial ... Commercial ... Commercial ... Quelques efforts qu'il entreprenne pour mettre en valeur un talent très réel, Maxime Chattham, roi du "gore" français d'autant plus justifié qu'il a étudié la criminologie aux Etats-Unis, se voit toujours accoler cet adjectif que la fin du XXème siècle et le début du XXIème auront vénéré avec autant de tendresse et de respect que les Juifs laissés (oh ! un court instant ) à eux-mêmes par Moïse se sont à nouveau précipités sur le Veau d'Or pour lui prêter allégeance. Bon, soyons impartiaux tout de même et n'oublions pas les exigences de l'éditeur. Avec son "Âme du Mal" et son "In Tenebris", Chattam avait placé la barre très haut. Mais justement, un écrivain, dans quelque genre que ce soit, capable de pareille performance obtient d'emblée le droit qu'on lui laisse la bride un peu sur le cou. Chattam, c'est évident, déborde d'idées. D'idées où il n'y a pas que des tueurs en série à la Ted Bundy mais des idées qui enveloppent précieusement l'Idée-Reine : qu'est-ce qui les fait agir ainsi ?

Le sujet a déjà été traité, me dira-t-on - Ellroy et Shane Stevens par exemple ont étudié la question ; plus fine, plus sinueuse encore, Joyce Carol Oates, américaine elle aussi, s'est plongé à l'occasion dont "Z comme Zombi" ou "Délicieuses Pourritures" dans l'examen de diverses perversions du même type - mais côté français, très sincèrement, je ne vois rien de comparable à Chattam (le style à part, bien entendu) depuis l'originalité macabre et farfelue d'un Gaston Leroux. En Europe, nous pourrions aussi citer, avec une grande dose de fantastique qui s'affirme avec plus de naturel que chez Chattam, l'écrivain espagnol d'origine cubaine José Carlos Somoza. Mais au-delà, c'est bien creux et, si Somoza nous est plus proche dans le temps, Gaston Leroux date du crépuscule littéraire policier français du début du XXème siècle.

Chattam survient là-dedans comme un chien dans un jeu de quilles. Malgré des connaissances que Leroux eût été bien incapable de posséder, malgré un sens du fantastique infiniment parfois trop forcé et certainement plus marqué au coin du gore que l'Espagnol - dont vous nous recommandons tout spécialement "L'Appât", sorti l'an dernier en format poche - il ne parvient pas à se trouver sans retomber presque tout de suite dans ses errements : sang, éviscérations de toutes sortes, folie rampante, tueur tordu, etc, etc ...

Pourtant, quand paraît, en 2010, son premier tome du "Diptyque du Temps", intitulé "Léviatemps", le lecteur fidèle peut se dire en toute bonne foi : "Ca y est : il a trouvé sa voie !"

Déjà, et d'une et bien que conservant l'idée que le temps est en quelque sorte élastique, Chattam ne se projette plus dans le futur (et même un avenir bien lointain) mais il donne la préférence au passé, avec un héros mystérieux et séduisant, Guy de Thimée dont on ne sait pas exactement pourquoi il a quitté si soudainement une bonne situation, une femme charmante et des enfants tout aussi mignons pour aller s'enterrer dans les quartiers chauds parisiens de l'époque de la Grande Exposition coloniale.

Le style s'en trouve évidemment transmué et les poussées "gores" de l'écrivain se voient contraintes de se présenter avec, disons, plus de retenue, pour ne pas dire un certain decorum. Chattam pousse aussi l'audace jusqu'à dessiner en Thymée l'un de ses "doubles" : un écrivain qui veut écrire sur le Mal plus que sur ce que l'on ne nomme pas encore (l'action se situe cependant après les méfaits de Jack the Ripper à Londres) les "tueurs en série." Très intelligent, dissimulant en lui quelque mystère sur lequel ce premier tome ne nous révèle rien si ce n'est que, pour avoir une telle intuition du Mal Absolu, il faut bien l'avoir fréquenté quelque part, Guy de Thymée séduit d'emblée le lecteur - et certainement la lectrice. Il séduit en tous cas Faustine, un "fille de maison" protégée par Julie et qui le supplie de résoudre la mort de son amie Milaine, retrouvée morte dans des conditions affreuses - un mélange entre le tétanos au dernier stade et la peur la plus épouvantable.

Vient s'ajouter à cette demande celle de Martial Perotti, un jeune policier qui vient d'entrer dans la profession et qui constate, soupçonneux, que, selon toutes vraisemblances (mais pour quelle raisons ?) ses supérieurs hiérarchiques n'ont aucun désir de voir la vérité apparaître au grand jour. Bien au contraire. Voici donc constitué un club de Nouveaux Mousquetaires, à cela près qu'ils resteront trois et la partition de D'Artagnan n'est pas, ne sera jamais écrite.

Bien entendu, en cette époque où l'ésotérisme et spiritisme règnent en maîtres autour des guéridons de la bonne société parisienne, l'auteur fait intervenir un cercle qui aurait plu, n'en doutons pas, à Gaston Leroux, le "Cénacle des Séraphins", où Faustine et Guy se retrouvent plus ou moins initiés. de fait, l'assassin rôde bel et bien dans les parages. Son rythme d'action s'accélère et si force est de constater que, en règle générale, il s'attaque à des rebuts de la société (donc difficilement identifiables), il ne semble faire aucune différence entre les sexes et les méthodes criminelles utilisées. Ce qu'il lui faut, c'est tuer ... ou alors le Pouvoir, sentir le Pouvoir dans ses veines.

Patatras ! Ici Chattam paraît retomber dans ses travers habituels : le tueur en série que seul pousse l'instinct de se sentir comme Dieu ne fût-ce qu'une seconde, l'ombre d'une mère possessive et maltraitante, celle d'un père toujours absent ou alors n'ayant jamais été là, la certitude pour l'assassin qu'il ne plaira jamais aux femmes et que, d'ailleurs, les femmes sont repoussantes, etc, etc ... Seul ingrédient sortant de l'ordinaire : le Temps, sous toutes ses représentations, depuis la plus primitive, le cadran solaire, jusqu'à la plus sophistiquée (si l'on ose dire), le fameuxLéviatemps dont la fin sera l'Apocalypse du tueur et de ses dernières victimes.

Que dire d'autre sinon que, à la fin de cet ouvrage, l'amateur de polars fortement entachés de fantastique se laisserait bien tenter par le deuxième et dernier tome, "Le Requiem des Abysses" ? D'autant que, la fin se précipitant, les allusions au "Melmoth" de Maturin se précisent et s'affolent. Or, selon la Tradition d'Outre-Manche Melmoth est l'homme qui, pour le pouvoir et la jeunesse, aurait vendu son âme au Diable. Mais le roman de Maturin - dont il faudra bien que je le relise un jour ne serait-ce que pour vous en parler comme il se doit - reste lui-même une sorte d'OVNI du gothique anglo-irlandais. Melmoth, s'il s'est vendu au Mal, n'en a pas perdu toute parcelle de bien ... Même Satan et Beelzébuth, l'Idole des Mouches, sont susceptibles de voir glisser sous leurs sabots fendus, dans l'espoir de les faire déraper, des grains de sable qui créent un chef-d'oeuvre littéraire tout en rehaussant d'un panache supplémentaire leurs plans initiaux envers l'Âme Humaine ...

De là à vous dire que je vais me commander ou télécharger illico presto "Le Requiem des Abysses", ce serait beaucoup dire. Chattam m'a déjà beaucoup déçue d'une part et, d'autre part, ces temps-ci, j'ai besoin de littérature "solide", "classique", "sérieuse" - et pas plus gaie, il faut bien le dire, bien que moins gore que l'oeuvre de Chattam.

Chattam, dont je vous recommande cependant de faire la connaissance (si ce n'est déjà fait) en commençant par l'admirable "Âme du Mal" et, plus encore, de vous entêter à poursuivre son indéniable talent novateur aux fins fonds d'une oeuvre qui ne comptera certes pas que des volumes inoubliables (hélas ! ) mais qui tiendra toujours fort bien sa partie dans notre orchestre du polar français actuel, avec bien plus d'aisance et bien plus d'imagination, selon moi, que la grosse caisse Jean-Christophe Grangé et le piccolo Franck Thilliez.

Chattam ne se contente pas de vouloir faire du neuf avec du vieux : il veut - et il vaut - autre chose. Et j'espère très sincèrement pour lui qu'il finira par attendre son rêve : il le mérite. :o)
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