Politique des gouvernés paraît pour la première fois en 2004 sous le titre anglais The Politics of the Governed. Ce livre de Partha Chatterjee, anthropologue indien enseignant à l'université de Columbia (New York), est traduit en français en 2009, aux éditions Amsdertam. Cet ouvrage passionnant dédié à Edward Said est accompagné d'un sous-titre: « Réflexions sur la politique populaire dans la majeure partie du monde ». Chatterjee nous propose en effet une série de réflexions reposant sur ses expériences, ses observations et ses analyses des mobilisations populaires en Inde. En sept chapitre, il balaie des questions aussi essentielles que la Nation, la démocratie, le peuple, et particulièrement la place des religions et des minorités dans la société indienne (et les possibilités de revendiquer l' « intouchabilité » comme mode d'expression populaire), le terrorisme après et avant les évènements du 11 septembre, la déclinaison indienne de la laïcité (qui est très éloignée de la conception française), enfin les changements sociologiques des villes indiennes.
On sait combien la société indienne est hermétique à la mobilité sociale; une structure sociale caractérisée par le système des castes. Les intouchables constituent la catégorie sociale la plus pauvre, la plus dominée en Inde, alors que les Brahmanes, celle des dominants. On sait aussi que la vie des Intouchables (ou Dalits) est d'une extrême indigence, ce qui fait de la lutte contre les inégalités (de richesse) un véritable défi et un enjeu politique important pour la démocratie indienne. Alors, un homme s'est élevé contre ces inégalités et contre la domination d'une caste sur une autre, c'est Bhimrao Ramji Ambedkar (1891-1956). Ce dernier, opposant politique à Gandhi, « affirme qu'il y avait à l'origine un état d'égalité entre les brahmines, les shudras et les intouchables. Cette égalité n'est pas localisée dans quelque état de nature mythologique mais dans un moment historique précis, où tous les Indo-aryens, de toutes tribus, étaient des éleveurs nomades. » Pour d'Ambedkar, la puissance coloniale britannique a aggravé la situation des intouchables. Elle les a en quelque sorte assujettis à son ordre et à celui des castes supérieurs.
Ainsi, tout au long de son ouvrage, Chatterjee montre qu'un groupe aussi dominé que celui des Intouchables peut sortir de sa condition d'infériorité par des actes de non acceptation de ses conditions de vie. Et l'exemple du bidonville nord de la ville de Calcutta est illustratif d'une revendication populaire des populations subalternes inorganisées.
Le cas de l'Inde doit nous faire réfléchir aux relations entre gouvernants et gouvernés dans nos démocraties occidentales. En effet, en ces temps de mobilisation populaire intensive dans cette France prise entre l' « utopisme de la modernité occidentale » et la sacro-sainte croissance économique, celle des classes populaires indiennes nous donne effectivement matière à réflexion et pourrait constituer pour nous un modèle d'engagement.
Mes remerciements vont à l'équipe Babelio pour m'avoir permis de découvrir cet ouvrage dans le cadre de l'opération Masse critique.
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Voici un ouvrage (offert dans le cadre de l'opération masse critique) qui m'a fait découvrir plusieurs facettes de l'Inde que je ne connaissais pas. Il va bien au-delà des aspects politiques et économiques, contrairement à ce que l'on pourrait penser en lisant le quatrième de couverture. L'auteur y tisse de manière fort éclairée des liens entre les événements dans le monde et ceux de son pays et montre également que la société y a évolué de manière assez autonome. Ce livre, que je recommande même s'il peut être ardu sous certains abords, m'a permis de poursuivre mon cheminement dans la compréhension de la complexité de l'Inde (que j'ai côtoyée durant plusieurs années dans le cadre de mon activité professionnelle).
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Lorsque des mobilisations violentes au sein de la société politique peuvent tirer une légitimité de l'emploi cynique de la violence d'Etat par ceux qui affirment parler au nom des sociétés libres et de la modernité, les projets moins spectaculaires de transformation sociale démocratique, faisant appel à l'humanité et à la patience, s'en trouvent forcément entravés. On ne peut qu'espérer que, si les premières font aujourd'hui la une de l'actualité, ce sont en fait les secondes qui font l'histoire.
La souveraineté de l'Inde s'est payée au prix fort. Mais il n'était pas question pour nous, Indiens, même dans nos pires cauchemars, de songer ne fût-ce qu'un instant à y renoncer. Les Européens nous ont considérés avec un certain paternalisme et nous ont dit : "C'est parce que vous venez tout juste d'être indépendants que vous pensez qu'il n'y a rien de plus précieux que la souveraineté. Mais nous, nous connaissons ses bons et ses mauvais côtés. Après deux guerres mondiales, nous avons compris qu'un assouplissement de la structure de la souveraineté nationale n'est pas forcément une mauvaise idée. Cela peut même produire de grands bienfaits. Vous feriez bien d'y songer sérieusement."
Contrairement au concept de citoyen, celui de population est purement descriptif et empirique; il ne porte aucune connotation normative (...). Contrairement au concept de citoyen, qui a une connotation éthique de participation à la souveraineté de l'Etat, celui de population met à la disposition des fonctionnaires de l'Etat un ensemble d'instruments manipulables permettant d'atteindre de larges portions des habitants d'un pays définis comme les cibles de leurs "politiques" - en matière d'administration, d'économie, de justice et même de mobilisation politique.
Il n'est pas surprenant qu'au cours du XXème siècle les idées de citoyenneté participative, qui étaient une part essentielle de la politique telle que la concevaient les Lumières, aient si vite cédé face aux progrès des technologies gouvernementales, qui promettaient d'apporter le bien-être à une partie plus large de la population et à un moindre coût.
Le processus de mondialisation actuel présente en cela un trait caractéristique essentiel : le contrôle et les profits des grandes entreprises sont éminemment centralisés. En réalité, plus les différentes parties d'un bien ou d'un service marchand sont dispersés entre différents pays, plus un contrôle centralisé est nécessaire.