Une histoire clochemerlesque, toujours distrayante et amusante, avec malheureusement trop de personnages, de disgressions et de longueurs.
La charge contre les hommes politiques et les médicastres est extrêmement réjouissante (et fort bien vue).
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Le curé de Clochemerle ne croyait pas du tout qu’il fallût avoir sur terre une existence cafardeuse pour mériter le ciel. Il ne croyait pas que la droite de Dieu sera garnie uniquement de pisse-froid et de constipés, de vierges surannées et d’impuissants. Son naturel optimiste lui permettait de présenter la religion (souvent rebutante, il faut en convenir) sous un jour agréable. Mais pour conserver son optimisme communicatif, il avait besoin de se sentir les entrailles chaudes, conséquemment besoin de bonnes nourritures et de confort. Il voulait aussi s’offrir une 5 CV qui, en lui épargnant beaucoup de fatigues dans une région accidentée, étendrait son réseau de prospection spirituelle. Les temps ont marché depuis Tibériade ! On évangélise plus vite et plus loin quand on est mécanisé, et les missionnaires prennent l’avion pour se rendre aux frontières de leurs districts sauvages.
Ce louable programme exigeait des ressources qui allaient bien au-delà de ce qu’on pouvait normalement escompter de la religiosité avaricieuse des Clochemerlins. Sauver les âmes pour des haricots, ça n’entrait pas dans les vues du curé Patard, qui n’avait nulle envie de rivaliser avec le saint curé d’Ars. Le bon et le débile curé d’Ars se laissait tyranniser par le diable, qui remuait ses chaudrons, lui cachait ses souliers et lui tirait les cheveux. Un Patard ancien combattant l’aurait botté, le diable, ni plus ni moins qu’il bottait les Fritz à la guerre !
On conçoit qu’un homme qui avait affronté sa foi au concret le plus atroce, et commandé au feu comme caporal brancardier, n’était pas disposé à se voir relégué au rôle de simple utilité par ses ouailles. Curé clochard, comme on en voit, très peu pour lui !
Le curé Patard conçut sa grande idée de l’abonnement au ciel. Il en attendait une notable amélioration de standing. Il se dit qu’il devait choisir avec soin le sujet qui lui servirait de test. Il se décida pour Eulalie Ouille. C’était une pénitente crédule, de piété routinière, qui n’avait pas inventé la poudre et que le mariage n’avait pas dessalée. Elle était en train de rompre certaines attaches terrestres, du fait de sa ménopause, ce qui la prédisposait à entendre un langage d’ordre supérieur. Le curé l’attaqua au confessionnal, où elle se présentait souvent. Il lui débita l’histoire qu’il avait imaginée et qu’il tenait à expérimenter sur un esprit simple. La voici, résumée.
On venait d’apprendre, dans les milieux dirigeants du clergé, que le ciel s’encombrait, en raison des guerres, épidémies et révolutions qui avaient fait depuis 20 ans des millions de morts. On pouvait dès à présent prévoir que le céleste séjour serait au complet dans un avenir proche. C’était si inquiétant qu’on se demandait, dans les conseils du Très-Haut, s’il ne serait pas nécessaire d’avancer la fin du monde afin de couper court à l’embouteillage. Le pape venait d’être informé du danger par le Saint-Esprit. Se faisant l’intercesseur de la chrétienté, il avait obtenu que les places encore disponibles fussent attribuées dès ici-bas à des fidèles choisis parmi les plus méritants, fidèles à désigner dans chaque paroisse. Par chance, le département du Rhône se voyait avantagé dans la répartition parce qu’on s’était souvenu à Rome que la vieille Lugdunum de jadis avait été, avec les évêques Pothin et Irénée, et ses martyrs de l’an 177, le berceau de christianisme dans les Gaules. Clochemerle à son tour, en raison de la bonne réputation de ses vignerons, se voyait doté par Monseigneur l’archevêque de quelques-unes des places rarissimes. Le curé Patard avait la charge de les répartir lui-même par voie d’abonnements, payables par mensualités.
- Je vous confie cela sous le sceau du secret le plus absolu. Comme je ne pourrai contenter tout le monde, les privilégiés que je désignerai ne devront en parler à personne, absolument personne. C’est bien compris ?
- Oui, mon Père.
– Je vous ai inscrite sur ma liste, en raison de votre bonne conduite. Voulez-vous que je vous retienne une place au ciel, une place numérotée ? Le jour de votre mort, vous irez directement l’occuper à la droite de Dieu.
– Je vous suis bien reconnaissante, mon Père. Ça sera-ti cher ?
– Très bon marché au contraire, en comparaison de ce qui vous est assuré. Il expliqua qu’il avait obtenu des tarifs réduits pour les campagnes, compte tenu du dur labeur de la paysannerie…
- Pour savant, il l'est, dit Mouraille. Il ne demande qu'à expérimenter sa science sur vous pour se prouver qu'elle est supérieure.
- On dit qu'ils ont des méthodes, ceux d'à présent, quasiment infaillibles...
- Des méthodes à ruiner les pompes funèbres, c'est vrai! Mais je vous signale une chose: c'est un buveur d'eau.
- Alors, dirent les clochemerlins, s'il aime pas le vin, c'est lui qui est malade ?
- C'est un type à pshitt et à coca-cola. Vous voyez le régime qui vous attend. Avec du lait, bien entendu.
- Du lait, bon Dieu! Cest-y qu'il serait pas encore sevré, ce type?
- Vous, docteur, jamais vous n'avez interdit le vin à vos malades ?
- Je suis resté fidèle à la bonne vieille médecine libérale qui en appelait à la collaboration de la nature, répondit Mouraille. La mode, aujourd'hui, c'est de forcer la nature.
- ça serait pas une sorte de médecin fasciste, ce nouveau ?
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