Le terme " anarchisme " est utilisé pour désigner une grande variété d'idées politiques ; moi je pencherai plutôt pour l'interprétation de la gauche libertaire et , de ce point de vue , l'anarchisme peut être considéré comme une sorte de socialisme volontaire , c'est à dire socialisme libertaire ou anarcho -syndicalisme ou anarcho-communisme , dans la lignée de , disons Bakounine , Kropotkine et autres . Ces derniers avaient à l'esprit une société hautement organisée mais bâtie sur des unités organiques , des communautés organiques , qui correspondent en général au milieu du travail et au voisinage . A partir de ces deux unités de base , il y aurait par l'intermédiaire d'accords fédéraux , une forme d'organisation sociale hautement intégrée qui pourrait exister sur le plan national ou même international . Les décisions pourraient être prises à très grande échelle mais par des délégués qui feraient toujours partie de la communauté organique d'où ils viennent , à laquelle ils retournent et dans laquelle , en fait , ils vivent .
La démocratie représentative , telle qu'elle existe aux Etats-Unis ou en Grande Bretagne serait critiquée par un anarchiste de l'école que je viens d'évoquer , et ce , pour deux raisons précises . Tout d'abord parce que l'état détient le monopole d'un pouvoir qui y est centralisé , ensuite , et de façon critique , parce que la démocratie représentative se limite à la sphère politique et n'intervient d'aucune façon significative dans le domaine économique . Les anarchistes de cette lignée ont toujours pensé que le contrôle démocratique de l'activité productive est au cœur même de toute libération humaine ou , dans le même ordre d'idée , de toute pratique démocratique valable . C'est à dire que tant que les individus sont forcés de se louer sur le marché à ceux qui veulent bien les employer , tant que leur rôle dans la production est réduit à celui d'outils ancillaires , de frappants éléments de coercition et d'oppression demeurent , faisant de la démocratie une notion limitée , voire même vide de sens .
Noam Chomsky, Fabian Scheidler : La fin de la mégamachine. Une civilisation en voie d’effondrement.