(Critique générale des 4 tomes de la première édition)
Les battements d'une paire d'ailes, et le bruit qu'ils font dans ce jardin de silence : grincement mécanique de plumes de métal, dures et froides. Mélodie dissonante au rythme parfait et à la danse fugitive. Langage hermétique des oiseaux automates. le secret qu'ils entourent et gardent : elle.
Des yeux du même vert que les forêts oubliées suivent leur vol, s'étonnant peut-être de la grâce de ces corps lourds mais vides. Et le regard monte, monte, monte. Monte haut vers le sommet de sa cage et de l'infime ouverture pour en sortir. Vers la douloureuse tentation et la promesse impossible; vers l'impossible tentation et la douloureuse promesse. Ah, oui, s'envoler.
Pour nulle part et vers personne.
Mais s'envoler quand même.
Alors, emmène-moi
Emmène-moi loin d'ici
Vers un ailleurs certain, loin d'ici
Avec toi, emmène-moi
Le bouton de l'appareil tourne. La voix s'élève. Et la valse erratique d'une fuite dans un dédale étourdissant commence. On suit les échos lointains d'une mélodie fredonnée dans un monde étouffé par son propre silence. Cherchant le chemin, cherchant le sens. Cherchant la vérité et se cherchant soi-même aussi. Pour mieux tout perdre, peut-être. Pas à pas, note à note. Mêlant les lignes des partitions complexes au quadrillage vertigineux de la ville. Mêlant le blanc et le noir, presque sans dégradés. Comme autant de clignements d'yeux, de battements de cils ou d'ailes. Et on suit le dessin de lignes droites qui se croisent presque par mégarde, le trait assuré des formes épurées, sans nuance aucune. On est guidé sans ménagement à travers l'enchainement des images et des actions, la lente et subtile décomposition des mouvements qui confère à l'ensemble une vie fragile mais présente. On se laisse surprendre par la disposition insolite des cases éclatées, la position et la direction improbables des titres au sein des planches, les espaces entièrement vides au milieu de chapitres gros d'une seule page.
Ici, un plan qui se focalise sur un détail infime, sans conséquence aucune sur ce qui se passe ou ce qui se dit; et là, subitement, un nouveau point de vue offert par le biais des yeux d'un(e) autre. le regard qui semble glisser et errer. Des flashs et des fragments. Des éclats de lumière et une noirceur totale – les paupières qui s'abaissent et se ferment, le temps d'une seconde ?
Déstructuration, dislocation, désarticulation. du fond comme de la forme, de la cité comme de ses habitants. Des liens étroits et invisibles qui lient les individus les uns aux autres, comme des sentiments qui les hantent tous. Et de la valeur que nous sommes capables de donner aux choses et aux êtres. Alors on ferme les yeux, juste un instant, pour ne pas se laisser étourdir. Et rien. Plus rien, ou presque. Juste des paroles susurrées, mélopée aérienne, chant prophétique. La Muse de cet étrange recueil de poèmes. La seule harmonie. La voix à suivre. Oui, la voie à suivre.
Car tel est le paradoxe de Trèfle : une chanson, particulière et tout particulièrement, est au coeur du récit principal. Un chant comme fil d'Ariane pour ne pas s'égarer trop profondément ; ni dans le labyrinthe urbain où évoluent les personnages, soprano le temps d'une aria, ni dans le lacis des images et de la narration, faisant danser les yeux d'une case à une autre. Ramenant chacun à soi et à ses émotions – un dédale pour un autre. Ramenant, inlassablement, à l'essentiel. Résonnant dans le silence de cathédrale d'une ville grouillante et morte malgré tout, vidée de toute poésie ; triste écho de ce qui a disparu, de ce qui n'est plus véritablement entendu, faute d'être écouté avec sincérité.
Au milieu de ce mutisme assourdissant, les quelques rares onomatopées qui retentissent paraissent d'autant plus extraordinaires et les paroles, alors, d'autant plus fortes, d'autant plus importantes ; dans les paroles des protagonistes, oui, comme dans celles, toujours, du chant. Chaque mot à sa place, son utilité, son principe. Les phrases sont courtes la plupart du temps, pour insulter le moins possible le silence, pour s'économiser, pour tenter de combler maladroitement le vide entre les gens. Des échanges aussi brefs que les regards croisés. Une autre sorte de fuite, tout simplement.
Mais le contexte n'est finalement qu'un prétexte au conte des émotions et des sentiments humains, avec en premier plan la solitude et la recherche du bonheur. Quoi de mieux pour les dépeindre que la rencontre avec l'Autre ? Avec tout ce que cette rencontre-confrontation peut amener d'amour et de fraternité, de jalousie et de peur, de rivalité et de compassion. Ces moments de chaleur, de contacts et de partage, sont aussi intenses qu'ils sont éphémères et le froid est d'autant plus mordant lorsque leur fugacité éclate finalement. La solitude, juste ici. Avec ce qu'elle peut avoir de si pesant et de profondément fatiguant, abîmant ceux qu'elle touche dans une caresse corrosive. Avec son parfum de fatalité et sa saveur de rêves perdus. Clouant au sol, ailes toutes déployées, même ceux capables de s'envoler.
Et cela, si les différents Trèfles l'incarnent chacun à leur manière, Suh en est le paroxysme, prisonnière d'une cagée dorée depuis le plus jeune âge par la crainte que son pouvoir tombe entre de mauvaises mains. Seule, à bien des égards : solitude par manque de la présence d'autrui, solitude par son existence unique, solitude de l'être qui n'a nulle part où aller, nul endroit où « rentrer » – d'où son désir désespéré que quelqu'un l'emmène, d'où son impérieux besoin d'un Ailleurs certain. Infusée toute entière de mélancolie, voilée de mystère, incapable de partager l'impossible fardeau de sa vie ou de seulement en communiquer la douleur. Pas avec de simples mots sans tonalité, non, mais… ah. En tendant attentivement l'oreille, il se peut bien que tout soit juste là, audible à tous en réalité.
Faisant le voeu égoïste d'être heureuse, ne serait-ce qu'un petit peu, ne serait-ce qu'une fois, elle sort de sa cage-prison et prend son envol. Dénouant le complexe panier de chat en tirant sur le fil de sa vie. Dévoilant les liens et les secrets. le trèfle à quatre feuilles, isolé et esseulé, et pourtant au centre de tout. Car Suh influence plus ou moins tous les personnages dont on suit la trame, de façon directe ou non, avec des conséquences qui sont rarement heureuses. Tel est le prix à payer pour atteindre le bonheur.
Je veux être heureuse
Je cherche le bonheur
[…]
Emmène-moi avec toi
Je veux être heureuse
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Un poème cyberpunk très esthétique, évanescent et mélancolique, dont le propos m'a par contre totalement échappé.
L'univers et l'ambiance sont très bons, envoûtants, mais sont distillés au travers de pages épurées et de tirades théâtrales qui sont difficiles à suivre.
Un traitement plus classique aurait pu faire de cette histoire un divertissement fluide, et j'ai du mal à dire si c'est moi qui suit passé à côté de quelque chose ou si l'histoire est volontairement cryptée pour la rendre plus étrange et expérimentale.
La lecture a tout de même été agréable, comme on peut apprécier un poème sans le saisir totalement.
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Emmène-moi loin d'ici, vers un ailleurs certain, loin d'ici, avec toi. Emmène-moi. Des oiseaux entonnèrent une chanson d'une langue singulière et malgré leurs ailes, ils n'atteignaient pas le ciel. Des lieux où l'on ne peut aller serein. Alors, emmène-moi vers un ailleurs certain.
Si vous trouvez un trèfle à quatre feuille, il vous portera bonheur ! Mais ne dites à personne où ses fleurs blanches s'épanouissent, ni combien de feuilles il avait.
Je veux seulement ton bonheur, sachant que je ne serai jamais à toi pour le partager.
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