Ouvrez ce livre, et retenez votre souffle. Gardez votre respiration, parce que les odeurs vont vous assaillir de toutes parts. Mais ne craignez rien ! Cela ne sera pas une agression, juste une immersion, un bain d'odeurs, de senteurs, de fragrances, de fumets, d'arômes, d'exhalaisons, bref des
parfums de toutes sortes et de toutes natures qui chatouilleront vos narines, titilleront vos papilles et remueront également vos souvenirs.
Car, en plus d'une promenade olfactive, c'est un voyage au fil du temps que nous offre
Philippe Claudel. Un voyage sans ordre chronologique, puisque les 63 textes qui composent cet ouvrage sont classés par ordre alphabétique, mais un voyage malgré tout, une odyssée aux confins de la mémoire, faisant revivre les temps anciens ou plus récents, laissant ressurgir les images du passé ou les sentiments encore à ce jour éprouvés.
Crème d'après-rasage du père ou crème solaire de la mère, savon, ail fraichement coupé, foin tout frais également, café, cheveux tout juste lavés, fumée de cigarettes ou de gros cigares du bout du monde, munster, pull over portant encore l'odeur de son propriétaire disparu, goudron ou sapins, cave froide et humide, vestiaire de gymnage, cannelle du vin chaud, feu de camp, encre qui salissait les doigts de l'écolier, ou le doux parfum d'une grand-mère, et par opposition à toutes ces odeurs répertoriées, la chambre d'hôtel, qui ne veut anonyme et inodore, ou la prison... Claudel raconte son enfance, sa famille, son pays, cette Lorraine qu'il n'a jamais vraiment quittée. Il raconte les siens et ce qui l'a construit, ses origines, il se livre plus que jamais. Et le lecteur se régale.
Les odeurs ne sont pas toutes fines et agréables, ni raffinées. Certaines sont brutes, déplaisantes même. Mais à toutes s'attache un souvenir, une anecdote, une mini histoire à raconter que nous partage l'auteur. Et le lecteur se retrouve sous le charme des odeurs, oui, mais aussi sous le charme des mots. Parce que Claudel est un grand écrivain et que ses mots sont beaux. Son style est ciselé, précis, le vocabulaire est même parfois savant, mais surtout les mots, les phrases s'enchainent avec une fluidité extrême laissant percer l'émotion, nous faisant ressentir en même temps que les
parfums décrite la musique des mots.
La madeleine de
Philippe Claudel, ce sont les
parfums, les odeurs, le lecteur l'aura vite compris. Et lui prend l'envie de relire le merveilleux roman de Süskind, le parfum, ce roman qui fait également voyager parmi les relents fangeux de la ville aussi bien que dans les fragrances les plus distinguées des grands parfumeurs. On regrette de ne pouvoir renifler le livre et ressentir nous aussi tous ces
parfums, on voudrait être un Jean-Baptiste Grenouille et entrer dans les pages, dans la vie de l'auteur pour nous aussi humer, rêver, se remémorer.
Et c'est cela qu'il nous reste, en refermant ce livre magnifique, nous plonger à notre tour dans notre passé, dans notre enfance, et même pourquoi pas faire un petit tour dans notre quotidien. Identifier les odeurs qui nous agressent ou celles qui nous font frémir, trembler, désirer, les reconnaître, se réjouir de celles qu'on aime, et apprendre à ne pas se laisser submerger par celles qui nous déplaisent. Intégrer les odeurs, qui font partie de notre vie autant que les choses, les gens, les sons.
Voici donc un livre délicieux dont il faut se délecter lentement, comme on apprivoise une odeur inconnue avant de l'avoir identifiée, un livre qu'il faut lire paisiblement pour s'en délecter, un livre de toute beauté, enivrant.
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