Philippe Claudel évoque ses souvenirs à travers des essences. Une effluve est une image, des sensations, et devient alphabet. Des saveurs de l'enfance, de la famille, l'intimité d'une cuisine, le printemps dans le jardin, une distillerie qui gargouille et qui donne l'eau de vie… ce sont des rappels qu'il conserve précieusement.
Il est gosse, dans son énergie un peu brouillonne, sur son vélo, à aller chercher la parure des « acacias ». Les fleurs sont de la neige de juin, leur parfum est entêtant ; une liqueur douce pour des beignets que sa mère cuisinera. Et la friture rendra la bouffée de miel que les abeilles n'auront pas… de l'antre de la cuisinière, il repense à sa grand-mère avec sa gousse d' »ail ». Cette particule qui relève la viande et qui donne de la force au plat. Dans l'odeur, il y a le geste, on coupe, on écrase…
Les années ont toutes leurs fragrances, maternelles dans les premières, amoureuses dans l'adolescence. Les premiers baisers sont suaves, ils se mêlent aux odeurs de savon, de shampoing, de sic citron/orange. Au fil des
parfums, l'auteur grandit… ainsi on le voit rouler pour les copains des cigarettes de « cannabis », se comparer à son père dans une lotion d' »après-rasage », vivre Noël aux arômes de « Cannelle »… Et on lit son indépendance, sa vie d'adulte, lorsqu'il raconte ses « chambres d'hôtel » aux odeurs neutres, aseptisées, asexuées, froides comme le mégot du cendrier ou comme l'amour tarifé. Dans la lettre « c », il raconte le « cimetière » et ses fleurs coupées, de la mousse qui s'incruste et qui parle de sous-bois. Puis la « crème solaire » et la « charogne » qui faisande la mort.
« Eglise », ses cierges et son encens, « foin », « fumier », « pluie d'orage », « laine », odeurs de terre, d'eau, d'air, de vie, de mort, de liberté, de réclusion, de peaux, d'amour… tout se noue dans le voyage de sa vie. La surenchère n'est pas que pour lui. Moi, lectrice, je hume mes pensés, je cherche aussi mes
parfums. Un seul mot et tout un fumet s'en dégage. La mémoire est olfactive. On renifle et elle s'incruste en nous.
Il termine avec « vieillesse » et « voyage ». Il cite
Baudelaire qui emmagasine dans des flacons, le monde. J'imagine que ce livre est sa collection de fioles où chaque petit récipient porte un nom.
J'ai beaucoup aimé cette communion des sens. Elle me rappelle quelques conversations avec mes amies autour d'un thé, de gourmandises, de
parfums, de bonbons, où tout est prétexte pour se souvenir et échanger. Est-ce notre âge qui appelle la nostalgie ?
A celle ou celui qui lira ce billet, je pose une autre question… Pour vous, quelle est le mot, l'image, de votre parfum préféré ?
Une écriture qui nous emporte, une poésie très proche, il raconte son vécu et le nôtre.