Comment lancer une carrière littéraire ? Avec du talent, bien sûr, mais, convenons en, cela ne suffit que très rarement. Choisir un sujet consensuel, bien dans l'air du temps, bien « politicaly correct », ça aide. Dénoncer, sans avoir peur de grossir le trait, les excès d'une époque connue sous le vocable infâmant des « années
Thatcher » était assurément une excellente idée sachant que tout ce qui maniait plumes, stylos, micros et claviers d'ordinateurs avaient la même opinion, à savoir que cette femme était le Diable, ses prétendues victimes des anges et ses électeurs des imbéciles. Dans ce style de roman en plein dans le vent de l'opinion médiatiquement dominante,
Testament à l'anglaise est assurément un « must » et Coe un écrivain très habile.
Faut être fou pour aimer J. Coe et apprécier Maggie
Thatcher. Oui, je suis fou ! Faut dire que J. Coe brouille les pistes dans ce que je considère plus comme un brillant hommage à
Agatha Christie et à ses
Dix Petits Nègres que comme le brûlot politique sur « les années
Thatcher » que beaucoup semblent ou veulent penser. Pour être plus précis, les excès caricaturaux des personnages nuisent d'autant plus à la critique politique de l'Angleterre des années 80, qu'ils sont destinés à justifier le Cluedo final qui nous renvoie à Mrs Christie. Car si le Cluedo n'était là que pour justifier les outrances de la critique politique, ce que je ne veux pas croire, alors ce roman serait à ranger sur la même étagère que celle où reposent les oeuvres du « réalisme socialiste », dans ce qu'on nommait jadis cabinet de curiosités, pour ne pas dire horreurs.
Dans l'horreur, il n'y va pas avec le dos de la cuillère, M. Coe. Derrière chacun des détestables membres de la famille Winshaw se révèle un pan entier des activités les plus coupables qu'on puisse dénoncer sans crainte de voir se lever le moindre défenseur. Inutile de chercher bien loin un mobile pour qui voudrait se débarrasser de l'un d'entre eux ou du lot. Excusez du peu :
Le trafic d'armes (sur fond de future Guerre du Golfe) incluant la fabrication de gaz toxiques, ses expérimentations in situ et les sommes colossales allant garnir les poches de ceux qui sont toujours du bon côté des canons. le pouvoir malfaisant de la presse et des médias en général, disant tout et son contraire uniquement pour faire de l'audience et gaver le public de propagande et de divertissements à but décérébrant. L'agriculture industrielle et les sévices endurés par les animaux moins bien traités que des meubles (le chapitre qui lui est concerné est la version littéraire atroce des images de L214). le politicien combinard, capable de changer de camp mais jamais de conviction (faire progresser sa carrière et s'enrichir). L'industrie du cinéma et le monde de l'art, son cortège de voyeurs et de prédateurs sexuels.
Et pour finir, le délabrement des services hospitaliers (personnel submergé, équipements faméliques, dossiers égarés, patients oubliés). La petite musique socialisante et lénifiante du manque de moyens est bien présente. Si les médicaments n'ont été administrés que trop tard, c'est parce que le médecin était épuisé. Pas un mot sur la bureaucratie, sur ses doublons, ses emplois grassement payés à ne pas faire grand-chose. Toute ressemblance avec des événements se déroulant actuellement ne serait que pure coïncidence. Saluons tout de même cette habileté pour les bureaucrates de hauts rangs, ces membres ou présidents de « hauts conseils », de »conseils supérieurs », de « hautes autorités », de « comités théodule », à toujours passer à travers les gouttes, planqués qu'ils sont derrière les petites mains qu'on applaudit chaque soir. Même chez Coe, ces nantis échappent à toute satire car ils n'existent pas. Pas vus, pas pris !
Et j'en reviens à Maggie
Thatcher, bouc émissaire idéal de toutes ces turpitudes. Pourtant, un des personnages le glisse à un moment en disant à l'autre « Tu crois pouvoir tout ramener à la politique ». Rien n'y fait. C'est tellement plus simple pour les simplistes de penser que la cupidité, le mépris, l'insensibilité, le voyeurisme, la méchanceté, le mensonge, la trahison et la convoitise n'ont rien à voir avec la nature de l'homme, et ne dépendent que de la malveillance d'une femme politique. Que la solution à tous les problèmes est le « plus de moyens », plus d'état providence, sans vouloir admettre que, les ressources étant limitées, gouverner serait choisir et que choisir, serait aussi renoncer. Qu'il n'est pas criminel de se poser la question d'un choix entre les régimes spéciaux de retraite, celui des intermittents du spectacle et les moyens humains à l'hôpital. C'est plus simple de croire qu'il y a, en politique, les gentils et les méchants, les bons et les brutes. Et que, dans la vie, fainéants, profiteurs, voleurs, charognards et assassins ne sont que la résultante des imperfections de la société « libérale », pardonnez le gros mot. On croit entendre un sketch des Inconnus ! Quand
Pierre Lemaitre décrit avec le talent qu'on lui a reconnu les ignobles trafics sur les dépouilles des poilus au lendemain de la grande guerre, il n'évoque les politiciens que par leur titre, persuadé qu'il est, me semble-t-il, que la fonction crée le travers et que le travers occupe la fonction, quelle qu'en soit l'étiquette ou l'idéologie sous-jacente.
Lisez cet excellent roman, bourré d'humour et de références cinématographiques, qui commence comme un
Robert Goddard et se termine en
Agatha Christie. C'est un jeu de piste passionnant, avec une fin et un dernier pied de nez pour le domaine que l'auteur connait le mieux, celui de l'édition et de la presse, révélateur en creux du fait que M. Coe connait parfaitement les règles du jeu.
Jonathan Coe est un excellent écrivain que j'ai toujours plaisir à lire, même si son positionnement idéologique n'est pas le mien. Ce n'est pas grave, le talent fait tout passer… mais, de grâce, laissons Mme
Thatcher reposer en paix.