Jouée probablement pendant la saison 1646-1647, la pièce est publiée en avril 1647. Dans son avis au lecteur et Examen, Corneille cite une seule source, qui est Baronius (déjà utilisé pour Théodore), d'autres sources sont possibles, mais difficiles à démontrer. Mais au fond peu importe, cette pièce est l'une de celle où Corneille s'est le plus éloigné de la vérité historique. Il précise lui-même dans l'avis Au lecteur :
« Voici une hardie entreprise sur l'Histoire, dont vous ne reconnaîtrez aucune chose dans cette tragédie, que l'ordre de la succession des empereurs, Tibère, Maurice, Phocas et Héraclius ».
Héraclius est au final une sorte de défi : écrire une tragédie qui n'ait plus que l'apparence d'une tragédie historique, « une pièce d'invention sous des noms véritables ». Corneille respecte quand même l'ordre de succession des empereurs, donnant ainsi une caution historique illusoire. le spectateur accepte comme croyables des événements extraordinaires, pensant voir reproduit un épisode historique. La conception du sujet invraisemblable acceptable et croyable, car historique, est un aspect important du théâtre de Corneille, depuis le Cid. Mais dans Héraclius, il franchit une limite : il produit une pièce dont il invente les péripéties extraordinaires, en essayant de susciter les mêmes effets tragiques, la pitié et la terreur, que dans les tragédies les plus historiques. Il essaie de renouveler le genre, de proposer d'autres solutions pour construire des pièces qui puissent intéresser le public. Dans son Discours sur la tragédie, il écrit, en s'appuyant surtout sur Héraclius et Nicomède :
« Il y a des choses impossibles en elles-mêmes, qui paraissent aisément possibles, et par conséquent croyables, quand on les envisage d'une autre manière. Telles sont toutes celles où nous falsifions l'histoire. Il est impossible qu'elles se soient passées comme nous les représentons, puisqu'elles se sont passées autrement, et qu'il n'est pas en pouvoir de Dieu même de rien changer au passé ; mais elles paraissent manifestement possibles, quand elles sont dans la vraisemblance générale, pourvu qu'on les regarde détachées de l'histoire, et qu'on veuille oublier pour quelque temps ce qu'elle dit de contraire à ce que nous inventons »
Pièce implexe, opposée aux pièces à a trame simple comme Cinna, Héraclius est une pièce où la question de l'identité, ou plutôt des identités, est au centre de l'action.
Phocas un simple soldat, a détrôné et fait assassiner l'empereur Maurice. Il a aussi fait tuer tous ses enfants, à l'exception d'une fille, Pulchérie. Mais Léontine, la nourrice, a substitué un de fils, Léonce, à Héraclius, fils de Maurice, le sauvant ainsi. Devenu gouvernante de Martian, le fils de Phocas, elle a ensuite substitué Héraclius à ce dernier. Ainsi, Héraclius est élevé comme Martian, fils de l'empereur Phocas et Martian, le fils de Phocas est élevé comme Léonce, le fils de Léontine. Mais Phocas veut faire épouser Pulchérie à Héraclius qu'il croit son fils. Léontine révèle son identité à ce dernier pour lui éviter l'inceste. La pièce commence à cet endroit.
Après un exposé de l'histoire, fort embrouillée, nous assistons à des scène dans lesquelles Phocas fait pression sur Héraclius et surtout sur Pulchérie pour faire aboutir le mariage projeté. Il donne à Pulchérie le choix entre ce mariage et la mort. La princesse, haïssant Phocas, et amoureuse de Martian, connu comme Léonce, ne veut pas s'y résoudre. Léontine fait croire à Martian qu'il est Héraclius, sauvé par ses soins, pour le faire agir contre Phocas en évitant tout risque au véritable Héraclius. Mais Martian ne passe pas vraiment à l'action, et il est dénoncé à Phocas comme le fils de son ennemi. le véritable Héraclius annonce son identité. Mais Phocas ne sait plus qui croire et qui est son fils véritable, qui il doit faire mourir et qui faire vivre en lui faisant épouser Pulchérie.
Corneille lui-même disait au sujet de cette intrigue « le poème est si embarrassé, qu'il demande une merveilleuse attention. J'ai vu de fort bons esprits, et des personnes des plus qualifiées de la cour, se plaindre de ce que sa représentation fatiguait autant l'esprit qu'une étude sérieuse ».
Ce n'est pas au final si terrible, Corneille en grand professionnel distille ses révélations de manière à ce qu'un lecteur un peu attentif ne s'y perde pas vraiment. le succès de la pièce à son époque montre d'ailleurs que les gens y prenait plaisir. Mais la complexité de l'intrigue elle-même fait qu'il reste peu de places aux « broderies » cornéliennes, que les personnages sont relativement peu caractérisés, et que les dialogues amoureux sont plutôt succincts. Ce n'est donc pour moi pas la pièce la plus intéressante de l'auteur, et une fois qu'on a saisi la trame, et que les effets de surprises provoqués par les retournements de situations sont connus, la pièce perd de son intérêt.
Challenge théâtre 2017-2018
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PULCHÉRIE : La lâche, il vous flattait lorsqu'il tremblait dans l'âme,
Mais tel est d'un tyran le naturel infâme :
Sa douceur n'a jamais qu'un mouvement contraint ;
S'il ne craint, il opprime ; et s'il n'opprime, il craint.
L'une et l'autre fortune en montre la faiblesse ;
L'une n'est qu'insolence, et l'autre que bassesse.
Acte V, Scène 5.
Crispe, il n'est que trop vrai, la plus belle couronne
N'a que de faux brillants dont l'éclat l'environne,
Et celui dont le ciel pour un sceptre fait choix,
Jusqu'à ce qu'il le porte, en ignore le poids.
Mille et mille douceurs y semblent attachées,
Qui ne sont qu'un amas d'amertumes cachées.
Qui croit les posséder les sent s'évanouir
Et la peur de les perdre empêche d'en jouir ;
Surtout, qui, comme moi, d'une obscure naissance
Monte par la révolte à la toute-puissance,
Qui, de simple soldat à l'empire élevé,
Ne l'a que par le crime acquis et conservé ;
Autant que sa fureur s'est immolé de têtes,
Autant dessus la sienne il croit voir de tempêtes,
Et comme il n'a semé qu'épouvante et qu'horreur,
Il n'en recueille enfin que trouble et que terreur
Tonne, menace, brave, espère en de faux bruits,
Fortifie, affermis ceux qu'ils auront séduits,
Dans ton âme à ton gré change ma destinée,
Mais choisis pour demain la mort ou l'hyménée.
Devine si tu peux, et choisis si tu l'oses.
Lecture par l'auteur
Rencontre animée par Marie-Madeleine Rigopoulos
« Ce livre est un ensemble de nouvelles autobiographiques, classées par âge de la vie, de la petite enfance à aujourd'hui. Ces nouvelles sont souvent, pas toujours, des mésaventures dans lesquelles j'éprouve peur et honte, qui me sont assez naturelles et me donnent paradoxalement l'énergie d'écrire. Scènes de gêne ou de honte, scènes de culpabilité, scènes chargées de remords et de ridicule, mais aussi scènes, plus rares forcément, de pur bonheur, comme celle qui donne son nom au livre, Célidan disparu : personnage à la fois pusillanime et enflammé d'une pièce de Corneille que j'ai jouée à mes débuts d'acteur, dont je découvris lors de l'audition pour l'obtenir, qu'il me révélait à moi-même, et faisait de moi un acteur heureux. »
Denis Podalydès
À lire – Denis Podalydès, Célidan disparu, Mercure de France, 2022.
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