Un récit tellurique, un road movie, une enquête familiale, une quête d'identité, une plongée dans l'histoire européenne du 20e siècle, tels sont les multiples visages de ce texte de
Marie Cosnay.
Le fils de Judith retrace le parcours intérieur et initiatique d'Helen, jeune femme sans passé qui a grandi recueillie par Quentin Wilmer, vieil écrivain perdant la mémoire et les mots. A la recherche de ses origines, elle reconstruit l'histoire de sa famille disparue, traverse le siècle et les frontières. 1938, 1968, 1973, le 21e siècle, l'Allemagne, la Bohême, la France sont les dates et lieux de la rupture, de l'exil pour les personnages de ce récit, tous marqués par l'histoire européenne. La quête du mystère de sa naissance conduit Helen à élaborer une architecture familiale marquée par la tragédie, la passion et la douleur où tous prennent place, père et mère retrouvés, frère inconnu, aïeul trop tardivement questionné. Une part d'ombre cependant demeure,
le fils de Judith, à la fois muette figure humaine et création littéraire dont le contenu nous demeurera inconnu.
Marie Cosnay, par une écriture épurée, brassée par les éléments naturels, montagnes, océans, forêts, feux, habitée par les corps, sang, peaux, os, rend paysages et figures liés, indissociés. Les destins humains épousent les puissances qui les outrepassent. Les tentatives d'interprétation du monde, qu'elles soient littéraires ou mathématiques apparaissent à la fois exaltantes et fragiles, menacées par l'oubli et l'usurpation.
Le livre se clôt comme il a commencé, par un portail qu'une jeune femme tente d'ouvrir. Cette fin nous donne à voir un personnage décentré, observateur, qui introduit un changement de perspective. Son regard (celui du fils de Judith ?) entoure et clôt le récit de la quête d'Helen en une bulle narrative que l'on voit s'éloigner en silence.
Par bien des aspects,
le fils de Judith semble faire référence à l'oeuvre du poète
Paul Celan dont
Nelly Sachs, citée en exergue, était proche.
"Et des nombres étaient
tissés dans
l'innombrable. Un, mille, et ce qui
devant, derrière,
était plus grand que soi, plus petit, mené
à terme, puis dans une métamorphose
à rebours et suivie,
transformé en un
jamais germinant."
Paul Celan, "Les syllabes douleur" dans
La rose de personne,
José Corti, 2002.