Liberté égalité fraternité la devise humaniste de la République française.
La République le plus juste des régimes politiques nous dit on, sauf que si l'on scrute son histoire française on découvre que la République, louée soit elle,a parfois relégué ses principes fondateurs aux oubliettes, n'hésitant pas à certaines époques à bafouer ses fondements.
Elle peut se targuer dans les années 1880 par exemple d'avoir accouché de l'un des mécanismes pénales les plus discriminatoire,infâme et scélérat de l'histoire de notre pays et de ses institutions politiques et judiciaires, le système de la relégation né de la loi Waldeck-Rousseau de 1885 sur les récidivistes.
Pierre Waldeck-Rousseau un des hommes politiques français majeurs de la fin du 19e siècle à l'origine de plusieurs lois d'avancées sociales, mais également celui qui formalisa l'un des grands desseins de la caste dirigeante républicaine de l'époque.
Depuis le milieu des années 1870 en effet la jeune République si elle se prévaut d'une légitimité populaire se méfie aussi d'une certaine partie de sa population, le petit peuple qui quelques années auparavant a prouvé son caractère subversif et frondeur à travers l'expérience de la Commune.
Ces gens des bas-fonds habitués des tribunaux et des prisons, pour beaucoup fréquemment récidivistes et donc irrécupérables et dangereux pour la cohésion sociale.
Une faune viciée qu'on ne pourra jamais réellement assimiler pense t'on,aussi apparaît il comme nécessaire aux dirigeants républicains d'écarter le plus possible ces êtres infâmes du territoire de la métropole.
La loi Waldeck-Rousseau prévoit sous certaines conditions ni plus ni moins que la déportation des récidivistes dans les bagnes des colonies françaises.
L'occasion rêvée pour les pouvoirs publics en s'appuyant sur ce dispositif de se débarrasser légalement des citoyens les plus disgracieux,petits voleurs, vagabonds, prostituées...
Des pauvres gens souvent assez inoffensifs qu'on affecte d'une double peine disproportionnée qui sonne bien souvent pour eux comme une condamnation à mort.
Ce roman troublant nous permet de glisser en apnée dans ce processus d'épuration sociale,de déportation et d'en mesurer le caractère absolument abjecte en suivant la descente aux enfers d'un pauvre bougre Zacharie Blondel cultivateur désoeuvré veuf et un brin oisif voleur de poules pour subsister, condamné par le tribunal de Rouen à la relégation sur l'île des Pins en Nouvelle-Calédonie pour des vols répétés.
Grâce à un travail source et très précis
Philippe Cuisset nous décrit fidèlement la déconstruction progressive, la longue agonie physique et sociale d'un homme bringuebale dans un système violent et totalement inhumain véritable trafic institutionalise d'êtres humains orchestré et soutenu par le gouvernement français de l'époque dans un but de colonisation et d'exploitation des terres arides de nouvelles Calédonie.
Le cynisme,la barbarie de ce système concentrationnaire sont parfaitement restitués à travers ce récit détaillé du parcours d'un relégué,un roman sombre, malsain et pesant presque dérangeant qu'on aurait presque envie d'éluder s'il ne correspondait pas à une réalité historique sordide et aux destins brisés de milliers de citoyens français,une époque où pour un vol de poules on vous volait votre vie...