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EAN : 9782918406419
204 pages
Kyklos (26/10/2018)
4.3/5   5 notes
Résumé :
Après la Commune de Paris, de nouvelles lois vont réprimer les populations potentiellement dangereuses. La politique d'épuration sociale, déjà violente sous le Second Empire, se durcit sous la IIIe République. Déportation, transportation et relégation remplissent les bagnes de métropole ou d'Outre-Mer. Les travaux forcés, vantés par d'honorables ministres républicains, doivent aboutir à une forme de rédemption laïque que les bagnards sont censés porter jusqu'aux ant... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Avez-vous déjà vu un registre de lever d'écrou ? Moi oui. Et l'on se rend compte qu'au XIXe siècle, l'on pouvait être emprisonné pour trois fois rien, deux fois zéro. Ainsi Zacharie Blondel. Une demi-douzaine de condamnation en une dizaine d'années. Pour des menus larcins : il est un "voleur de poules", pas un brigand de grand chemin. Veuf, il a trois enfants. Endetté, il a perdu sa ferme. Lors de son dernier procès, il est condamné à huit mois de prison - et à la relégation, c'est à dire à la déportation à l’île des Pins, en Nouvelle Calédonie. Oui, le rêve d'une république exemplaire n'est pas récent, disons que l'exemplarité a changé de sens. Au XIXe siècle, il s'agissait de vider les belles rues de tout ce qui pouvait faire tâche, de tout ce qui pouvait déranger, non de fermer les prisons en ouvrant les écoles, mais de déplacer le problème, et par la discipline, le travail, transformer ses hommes. Enfin, pas vraiment. Les mater, les tuer à la tache pour le développement de la colonie néo-calédonienne, faire le commerce de la chair (pas l'esclavage, rien à voir, le commandant du bateau vous le dira) et leur promettre, éventuellement, de devenir des colons libres, un jour. De revenir en France. A condition de pouvoir (se) payer le voyage de retour de quatre mois. Huit mois de voyage aller-retour pour une peine de huit mois - voilà ce que va subir Zacharie. Vous avez dit disproportion ?
Le livre est divisé en trois parties, comme les trois actes d'une tragédie. Comme dans une tragédie ordinaire, banale, quotidienne, Zacharie est impuissant à modifier son destin, d'autres ont décidé pour lui. Les recours, l'appel, rien à faire. Le voyage, qu'il faut terminer sans se rebeller et en bonne santé. Le travail au bagne - survivre sans blessure, en se rendant compte que ce que l'on fait ne sert à rien. La mort, au bout du chemin, parce que l'espoir est abandonné depuis longtemps, parce que survivre est impossible aussi.
Le livre est court, parce qu'il est sans précision inutile. Cela ne veut pas dire qu'il ne nous plonge pas, littéralement, dans les geôles des prisons, dans la puanteur du bateau, dans la flore calédonienne. La mort est là toujours, les morts sont dans les pensées, comme la femme de Zacharie, morte à 36 ans de tuberculose, ou ces morts dont il découvre les tombes en Nouvelle-Calédonie. Les annexes nous permettent de découvrir les documents d'époque, et participent à la sortie de l'oubli de ce simple voleur de poules - un parmi tant d'autres, à avoir été brisé par la justice.
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Liberté égalité fraternité la devise humaniste de la République française.
La République le plus juste des régimes politiques nous dit on, sauf que si l'on scrute son histoire française on découvre que la République, louée soit elle,a parfois relégué ses principes fondateurs aux oubliettes, n'hésitant pas à certaines époques à bafouer ses fondements.
Elle peut se targuer dans les années 1880 par exemple d'avoir accouché de l'un des mécanismes pénales les plus discriminatoire,infâme et scélérat de l'histoire de notre pays et de ses institutions politiques et judiciaires, le système de la relégation né de la loi Waldeck-Rousseau de 1885 sur les récidivistes.
Pierre Waldeck-Rousseau un des hommes politiques français majeurs de la fin du 19e siècle à l'origine de plusieurs lois d'avancées sociales, mais également celui qui formalisa l'un des grands desseins de la caste dirigeante républicaine de l'époque.
Depuis le milieu des années 1870 en effet la jeune République si elle se prévaut d'une légitimité populaire se méfie aussi d'une certaine partie de sa population, le petit peuple qui quelques années auparavant a prouvé son caractère subversif et frondeur à travers l'expérience de la Commune.
Ces gens des bas-fonds habitués des tribunaux et des prisons, pour beaucoup fréquemment récidivistes et donc irrécupérables et dangereux pour la cohésion sociale.
Une faune viciée qu'on ne pourra jamais réellement assimiler pense t'on,aussi apparaît il comme nécessaire aux dirigeants républicains d'écarter le plus possible ces êtres infâmes du territoire de la métropole.
La loi Waldeck-Rousseau prévoit sous certaines conditions ni plus ni moins que la déportation des récidivistes dans les bagnes des colonies françaises.
L'occasion rêvée pour les pouvoirs publics en s'appuyant sur ce dispositif de se débarrasser légalement des citoyens les plus disgracieux,petits voleurs, vagabonds, prostituées...
Des pauvres gens souvent assez inoffensifs qu'on affecte d'une double peine disproportionnée qui sonne bien souvent pour eux comme une condamnation à mort.
Ce roman troublant nous permet de glisser en apnée dans ce processus d'épuration sociale,de déportation et d'en mesurer le caractère absolument abjecte en suivant la descente aux enfers d'un pauvre bougre Zacharie Blondel cultivateur désoeuvré veuf et un brin oisif voleur de poules pour subsister, condamné par le tribunal de Rouen à la relégation sur l'île des Pins en Nouvelle-Calédonie pour des vols répétés.
Grâce à un travail source et très précis Philippe Cuisset nous décrit fidèlement la déconstruction progressive, la longue agonie physique et sociale d'un homme bringuebale dans un système violent et totalement inhumain véritable trafic institutionalise d'êtres humains orchestré et soutenu par le gouvernement français de l'époque dans un but de colonisation et d'exploitation des terres arides de nouvelles Calédonie.
Le cynisme,la barbarie de ce système concentrationnaire sont parfaitement restitués à travers ce récit détaillé du parcours d'un relégué,un roman sombre, malsain et pesant presque dérangeant qu'on aurait presque envie d'éluder s'il ne correspondait pas à une réalité historique sordide et aux destins brisés de milliers de citoyens français,une époque où pour un vol de poules on vous volait votre vie...
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Dans ce roman inspiré de l'histoire d'un vrai bagnard de Nouvelle-Calédonie, Philippe Cuisset rend la parole et le droit au souvenir à des hommes dont la « déchéance » servit de prétexte pour en faire des esclaves oubliés de tous, broyés en toute légalité.


En cette fin du XIXème siècle, Zacharie Blondel rejoint le bagne en tant que « relégué » : condamné pour récidive. Récidive de braconnage et de vol de poules, alors que la ruine de sa petite ferme le condamnait au dénuement. Il est l'un de ces milliers d'hommes (et de femmes) dont la misère troublait l'ordre public et que le premier prétexte a permis d'expédier au loin pour faire d'une pierre deux coups : tout en nettoyant la métropole de ceux qu'on considérait comme sa lie, on alimentait les colonies en main d'oeuvre quasiment gratuite et corvéable à merci.


Ainsi, le bagne de Nouvelle-Calédonie sous-traitait de la main d'oeuvre aux chantiers publics, mais aussi à des sociétés privées, où les conditions de travail étaient telles que la plupart des prisonniers mouraient au bout de quelques mois. Ceux qui survivaient à leur peine devaient encore ensuite subir son doublage dans des fermes pénitentiaires, avant d'exploiter librement le lopin incultivable dont ils se voyaient attribuer la concession. Très peu avaient les moyens de quitter l'île, et quasiment tous sont morts dans l'oubli et dans des conditions épouvantables.


Le récit est sobre, plutôt rapide. J'y vois un bon exemple de « littérature maigre » : ni complaisance ni superflu, le juste choix des mots et des émotions pour faire comprendre, à travers le calvaire de Zacharie, le processus judiciaire, le fonctionnement du bagne, les conditions de vie sans espoir même après la purgation complète de la durée des peines, l'hypocrisie des administrateurs plus préoccupés de leurs carrières que du sort des détenus, les préjugés de classes allant jusqu'à la phrénologie. le style est fluide, les tournures soignées, le vocabulaire précis : l'écriture de Philippe Cuisset est très belle. Même si l'on se doute dès le début de l'issue tragique, l'on se prend à espérer que Zacharie pourra tenir le coup et une certaine émotion imprègne les dernières pages.


J'ai beaucoup apprécié cette lecture, qui rend sa dignité à Zacharie et qui fait parvenir jusqu'à nous la vague du souvenir, plus d'un siècle après sa mort.


Prolongement sur l'histoire du bagne dans la rubrique Le coin des curieux, à la fin de ma chronique sur ce livre sur mon blog :
https://leslecturesdecannetille.blogspot.com/2019/03/cuisset-philippe-zacharie-blondel.html

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Probablement le témoignage le plus à charge contre le bagne et l'injustice, érigée en principe judiciaire par la France et son gouvernement post-communard.  Entre 1890 et 1893, à partir de documents d'archives authentiques mentionnant le nom de Zacharie Blondel, Philippe Cuisset va dresser à ses lecteurs l'itinéraire de souffrance et de calvaire de ce malheureux Zacharie, réduit au numéro de matricule infamant de 1782 entre Brest et la Nouvelle Calédonie.

C'est en fait à un destin bien sordide que le monstrueux sytème politique, économique et colonial de cette époque va briser jusqu'à son dernier souffle et sa vie Zacharie et à travers lui de nombreux autres hommes dont on ne peut pas dire qu'ils aient menés un vie de délinquance et de haute criminalité.... de simples paysans, fermiers, artisans ruinés par la misère, la crise, le plus souvent en charge de famille qu'il fallait bien nourrir pour survivre d'où de simples pécadilles comme le vol de poules ou de nourriture mais, hélas pour le système judiciaire de l'époque des récidivistes qu'il faut exclure à tout prix de la société.

Cette chaîne d'inhumanité est cyniquement démontée et autopsiée avec le cynisme de l'époque par Philippe Cuisset. du juge partial appliquant avec cynisme des lois discriminatoires pour les plus faibles et pauvres des français (de métropole comme d'Algérie), aux directeurs des prisons fournisseurs de chair humain à des industries (celle du Nickel en particulier) en pleine croissance, à l'armée, aux gendarmes, à la compagnie maritime qui va les acheminer telle de la viande vers des nouvelles colonies (ici la Nouvelle Calédonie), comme au médecin présent à bord de ces galères modernes dont le seul souci est que le chargement arrive en relatif bon état à destination.... Comble de l'ironie, les forçats arrivant au terme de leur peine vont être "généreusement" récompensés par un bout de terre totalement desséché et aride  (en clair inexploitable) de cette terre calédonienne qui l'a vu ployer sous la charge de la déforestation puis de la recherche du nickel durant l'exécution de sa peine....... cette longue chaîne ne peut qu'amener le lecteur à la nausée et au dégoût.

Au fond, on retiendra au quotidien la douleur (physique et morale) et la progressive déshumanisation de Zacharie, ce symbole, dans ses derniers jours sur le continent puis dans le long transfert enchaîné vers la Nouvelle Calédonie comme dans sa fin de peine sur du défrichâge et dans les mines de nickel, les rivalités, rixes, le désespoir des ses compagnons d'infortune conduit, pour certain à la folie. Les mots et les descriptions comme l'état de sa pensée et de ses compagnons sont tragiquement simples et prégnants. C'est au scalpel que Philippe Cuisset dresse aussi les portraits de ces charognes (juge, militaire, médecin, gouverneurs, industriels...) qui ont tout mis en oeuvre pour que tout éclat d'humanité, de raison d'être chez ces pauvres hères bannis de la société de l'époque soient annéantis.

Une lecture d'une grande densité, qualité et solidement argumentée qui est un témoignage capital de cette époque, un plaidoyer contre le retour d'un tel système.
Lien : http://passiondelecteur.over..
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J'ai lu le roman en une journée : c'est signe chez moi d'un intérêt marqué.

Je ne connaissais pas cet épisode plus tardif de déportation en Nouvelle-Calédonie, alors que j'ai lu pas mal sur la déportation des Communards (Louise Michel, par exemple). Ce roman assez bref (176 pages) restitue judicieusement le contexte historique et sociologique, avec un point de vue interne en la personne de Zacharie Blondel, qui subit un sort particulièrement injuste. La situation de ce paysan ruiné, veuf depuis peu, devenu braconnier et voleur de poules, est d'autant plus tragique qu'il paie une politique de zèle extrême à l'encontre du "crime" et de la délinquance. Comment ne pas penser au Claude Gueux de Victor Hugo ?

Depuis l'emprisonnement de Zacharie, nous suivrons les étapes de son parcours long et douloureux, en passant par le procès, où juges et avocats mènent finalement le même combat, à savoir servir leurs intérêts personnels, entre diatribes morales et vision idyllique d'une rédemption par le travail forcé. N'oublions pas les intérêts premiers : fournir une main-d'oeuvre bon marché à l'industrie minière (exploitation du nickel) pour coloniser l'île en bonne et due forme. L'idée étant de doubler la peine de travaux forcée en relégation, en annonçant qu'un lopin de terre sera donné aux forçats libérés.

Ainsi Zacharie et ses compagnons s'embarquent-ils pour de longs mois, avant de découvrir leur vie de forçats ; c'est le début d'un long déclin pour Zacharie. C'est ainsi également que nous suivons des personnages politiques, ce qui nous met au fait des intentions au plus haut placé, et de ce qui se joue, entre corruption et bêtise humaine, sans aucune considération de l'impact de ces décisions économiques sur ces hommes.

Le style d'une sobriété travaillée est à la fois direct, évocateur et expressif. L'auteur sait nuancer de lyrisme les descriptions de la beauté des paysages, tout en montrant explicitement l'enfer du quotidien pour ces hommes, à travers des scènes fortes, comme la mise aux fers (ou l'enlèvement de ceux-ci à la libération). Que peut-il bien rester de constructif pour ces hommes qui ont tout perdu, qui savent qu'ils ne rentreront plus jamais au pays, et n'ont de ce fait, pas grand-chose à goûter en remâchant leur liberté ?

C'est un roman fort sur un sujet désolant, mais qu'il faut connaître, car ce n'est pas l'histoire officielle, mais la vie souterraine de "gens de peu", malmenés par la cupidité et les lâches illusions de ceux qui prennent les décisions.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Sans y croire vraiment Valin voit dans cette pièce inespérée l'occasion de plaider en appel avec brio. Il se voit déjà chantant l'air du brave et bon laboureur, la noblesse du geste du semeur sera à la hauteur de ses effets de manche, un peu d'imagerie littéraire dans tout cela, on piocherait un peu dans le romantisme désuet mais bien recadré dans une rhétorique solide et saignante. Si la cause est certainement jouée d'avance, au moins cela fera son effet.
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Car vomir sur le verdict, c'est encore vivre et cracher au visage des juges, c'est encore s’exhiber en un être humainement éclatant de dignité et dont il serait bon de craindre la vindicte brûlante et amère ; car elle est de celles qui danseront sur les écumes des siècles et s’en iront loin, bien loin des peines de l’Ile des pins, déposer des auréoles salées de larmes anciennes sur les sables des côtes de Saint-Martin-en-Ré ou sur les rochers de la pointe prétentieuse de Brest.
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… la vie reprend un faible élan, les mots retrouvent un peu de sens et Zacharie se surprend à échafauder des pensées parsemées de bribes confusément tournées vers un avenir toujours incertain mais moins invincible.
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Une armada de gratte-papiers agissant dans l’ombre des piles de dossiers œuvre inlassablement et se livre, elle aussi, à un travail de triage de chiffons humains dont la déportation achèvera l’usure ultime.
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Les bruits de la prison donnent vie au petit peuple ignoble du cauchemar, il a beau lutter contre cette armée et tenter de rentrer en lui-même, chaque nuit est une défaite, chaque réveil un supplice." (page 14)
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