Ce voyage est l'occasion d'une mise à jour du traitement thématique et littéraire de l'évolution de la technologie et de son impact sur la vie des citoyens. Voyage à la source sur les traces de
Jean Baudrillard, au centre de la globalisation et de l'assimilation universalistes mises en place aux États-Unis. Apple est le symbole d'une prise d'otage de l'utilisateur avec des modalités imposées et souscrites dans un verrouillage de la pratique.
Il y a toujours un revers à la médaille, ce qui est reçu est grisant au début puis devient addictif, et la participation au système canalisé contribue à vider de sa substance la nature et transformer l'esprit humain qui par ses sens construit la réalité. Il y a toujours une intention dans la mise en place d'un outil qui finit par échapper à la bienveillance au détriment de la liberté.
Les solutions proposées pour une vie hyperconnectée enrobent l'individu et l'enferment dans un rapport biaisé à la réalité brute. Il faut épouser une méthodologie censée simplifier l'accès au monde et cette interaction rigide, à la participation quantifiée, cette illusion de choix est moissonnée. La technologie murmure à l'égo de l'utilisateur une facilité de vivre en se délestant de la charge de la matière et du corps, travailler chez soi, se faire livrer n'importe quoi et se déplacer dans une voiture automatisée, dans un abandon de l'improvisation. La sociabilité est virtuelle, désincarnée, loin des risques biologiques et le nombre fait la force, les communautés gonflent et s'auto-légitiment.
A l'inverse du technococon, la réalité crue attrape les sans-abris qui s'effondrent et s'enferment dans l'illusion des drogues.
Penser à ce que devrait être une technologie aussi intimement liée à l'individu suscite les craintes de ce qu'elle pourrait rapidement devenir, de son potentiel aliénant dans la simplification et la facilité, un éparpillement et un appauvrissement. le défi est grand d'adopter une éthique qui manque tant déjà dans tous les aspects de la vie, alors que les esprits ont tendance à accepter, s'accommoder, réclamer du choix préformulé et rassurant, de se laisser glisser le long d'une pente balisée et consentir à ne pas s'arrêter. Que cette symbiose soit objectivement bénéfique à chacun est peu probable dans un contexte de course au profit des entreprises, la dystopie se profile même si un certain optimisme est nécessaire.
C'est une faute collective, tous responsables et tous victimes, coupables de ne pas transmettre l'envie de comprendre la science et de pratiquer la philosophie, ce qui est le rôle de toute la société et la raison d'être de la science fiction. Alors que la philosophie semble inaccessible, la science fiction est dénigrée, et ça se transmet, il faut se réjouir d'un succès commercial basé sur des extra-terrestres et des armes laser, du grand spectacle, alors que ce genre maintenant séculaire renferme l'héritage de l'amour multimillénaire de la sagesse, dans une démarche éducative de développement de la conscience et de réflexion, utopie véritable de citoyens qui se révèlent tels qu'ils sont dans ce qu'ils font le mieux. Tout le monde a le droit et le devoir de devenir un être réfléchi, sans exception ni angle mort, et l'échec du système jaillit douloureusement à l'aune de cet idéalisme.
Aujourd'hui il est encore possible de drastiquement limiter son lien à la virtualité mais les smartphones vont vite être remplacés par des lunettes connectées et être intégré dans la société nécessitera absolument l'appartenance aux réseaux. Quand ce jour sera arrivé un monde va mourir étouffé par l'évolution dans l'indifférence de ceux qui sont nés avec ces technologies et l'écologie restera secondaire.
Tout tourne autour de la sécurité, dans un monde clos auquel il faut participer sans responsabilité et que rien ne s'arrête, illusion d'une surimpression sous laquelle la nature tressaille et se gratte, derrière un voile supplémentaire synthétique qui éloigne encore plus de la structure de la réalité et dissipe toute archéologie profonde de l'être, toute richesse introspective indispensable pour devenir quelqu'un.
Prendre du recul sur les nouvelles technologies est inacceptable pour les marchands et les utilisateurs. Soit le rapport à l'outil est idyllique soit l'humain consent à perdre son autonomie. La relation est beaucoup plus insidieuse qu'un simple rapport de domination, et la littérature d'
Alain Damasio continue de s'affiner, la résistance n'est plus une réaction mais une affirmation de poésie, d'enchantement et d'éclosion naturelle vers un horizon nouveau qu'il ne faut pas subir.
S'il faut trouver des failles…
Par une sorte de transparence l'essai accouche de la nouvelle.
Cette histoire montre un exemple possible de ce par quoi il faudra passer pour vraiment évoluer, une confiance en la biologie demeure, par l'adaptation, où le naturel accueille le synthétique et s'enrichit.
Lors d'une gigantesque tempête qui a endommagé leur appartement, Noam, Anastasia sa femme et Ondine leur fille, née de manière non-naturelle, sont séparés dans des pièces différentes par la domotique intelligente.
Toutes les pistes nées du voyage aux États-Unis se retrouvent dans ce texte à la situation initiale dystopique, l'omniprésence de l'intelligence artificielle, l'hétérogénéité des corps, l'hybridation de la vie, l'existence casanière et la dépendance à l'électricité.
La tragédie se déroule dans une tension psychologique intense et la technologie ne peut plus faire écran, la nature sauvage se pare indirectement d'une intention libératrice qui s'impose par un cruel principe de réalité. Une beauté brutale et élégante explose dans ce passage de génération, témoignage d'une nouvelle aube combinant évolution et adaptation, assimilation dictée par la nécessité et la volonté d'acceptation pour créer l'avenir.
Ce condensé d'espoir est magnifique, dans une expérience humaine terrifiante puis confondante d'émotion et de sensibilité, une démarche d'espoir si rafraichissante.
Merci aux éditions du Seuil/Villa Albertine/La Volte et à Babelio.
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