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C'est un essai composé de 7 chroniques et d'une nouvelle inédite de science-fiction, l'auteur est notre écrivain préféré : Alain Damasio qui nous a enchanté par ses romans d'anticipation, ses dystopies et surtout par ses néologismes ! Bref, il a été invité en avril 2022 à San Francisco dans la Villa Albertine pour visiter la Mecque de la technologie ou se lovent les mastodontes du numérique : la Silicon Valley !
La visite débute par le Ring ( pas celui de Vienne, hélas ! ) mais la forteresse d'Apple qui ensorcelle presque 2 milliards de pratiquants d'i-Phone dans le monde, là ou "Steve fait le Jobs " !
Ensuite, dans les rues de San Francisco il découvre les voitures autonomes et le quartier pauvre de Tenderloin : "un asile à ciel ouvert", peuplé de " homoless, de zombies ravagés par les drogues ou se conjuguent la rentabilité et l'élimination du salariat avec de surcroit l'indifférence des hommes d'affaires de la City voisine ! Damasio constate que les GAFAM, les réseaux sociaux ont dévitalisé les liens
humains ! Quant à l'avenir de la Santé : il est et, sera un business juteux avec un corps machine, hyper connecté pour faire le " bonheur " des hommes augmentés !
Le métavers : espace virtuel ou les consommateurs par paresse, puis par addiction se laissent guider pour l'appropriation de leurs corps par des algorithmes, par des codages qui ne servent qu'à l'asservissement des hommes aux nouvelles technologies de plus en plus sophistiquées, de plus en plus privatives de libertés !
Damasio propose de vivre une technologie heureuse, choisie avec une I.A douce et personnalisée: une I.A (mie) !
Sa nouvelle de fiction se situe à San Francisco, ou une famille est gérée par une I.A qui ne peut pas la sauver des 100 jours d'un terrible black-out ! N'est-ce pas le point d'orgue des limites la technologie ?
Sommes-nous en train de changer de société ? de nous laisser déposséder de nos données ? de perdre le peu de libertés qu'il nous reste en confiant aveuglément à ces technologies interposées notre identité et même notre langue menacée par le wokisme galopant ?
Merci à Nicolas pour cette Masse Critique Privilégiée ainsi qu'aux éditions du Seuil.
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Les GAFAM, les voitures autonomes, les métavers, … Ces sujets provoquent aujourd'hui de nombreuses questions, de nombreux rêves et tout autant d'inquiétudes. Quoi de mieux qu'un auteur de littérature de l'imaginaire pour nous aider à envisager notre futur et réfléchir sur les possibles conséquences sur nos vies ? Ce livre assez atypique mélange reportages sur le terrain, interviews, réflexions personnelles et nouvelles de fiction.

Je travaille moi-même dans le monde de l'informatique, avec un cursus en intelligence artificielle (avant qu'elle ne devienne à la mode). Ces sujets m'intéressent tout particulièrement. J'ai donc éprouvé un brin de déception à la lecture des premiers chapitres : je m'attendais à être beaucoup plus bousculé et à voir les choses sous un prisme très différent. Sur Apple, le métavers, … j'ai cependant eu l'impression de relire des propos que j'avais déjà lus, vus ou commentés ailleurs, avec plus de style et une écriture plus fine, mais pas beaucoup de renouveau dans l'approche ou les arguments.

Sur des sujets qui me sont moins familiers (les sans-abris en Amérique, la médecine connectée aux big data, etc.), j'ai trouvé que les propos de l'auteur suscitaient nettement plus de réflexions personnelles chez moi. Je n'exclus donc pas que mes centres d'intérêt m'aient amené à balayer ces sujets en long, en large et en travers et qu'il ne me reste plus grand-chose à en apprendre pour le moment.

Cependant, même si certains chapitres m'ont plus intéressé que d'autres, et si les passages de fiction sont bons, ça n'enlève pas le sentiment général d'une relecture de sujets que je connaissais déjà.
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Ou quand le futur devient un produit qui se consomme...

Ouh là là ! Qu'est-ce que je déteste !!
Mais si tu savais à quel point j'abhorre cette vallée siliconée. Profondément, viscéralement. J'ai envie de mourir...

Cet essai de Damasio est sublime, génial et aussi inquiétant que désespérant. Mais bon sang, qu'est-ce qui nous attend, qu'est-ce qui nous pend au nez?

J'ai pas envie de ce monde là. Heureusement, j'aurai bientôt soixante balais et je bois trop. Je me demande même si j'aurais pas envie de recommencer à fumer tiens. Juste pour faire chier. Prendre ma bagnole que je conduis moi-même, rouler trop vite et à contresens.

CRASHED

RÉSISTER N'EST PLUS UNE OPTION.

Ce pseudo essai est bourré de punchlines et de néologismes tarabiscotés, ce qui, je peux le comprendre, risque d'en agacer certains mais moi, je le trouve plutôt bon, le sieur Damasio dans cet exercice.

Alain Damasio nous force à nous confronter à nos paradoxes, nos dissonances (du moins les miens). Pardon, je ne voulais pas généraliser.
Qu'il est difficile d'accorder nos pensées avec nos actions. Trouver son IKIGAI, car comme l'écrit l'auteur, nous sommes dedans : "I'm in".
Dans ce système qui vampirise, qui dicte à la fois ses règles et nos conduites.

Je préférerais pouvoir chanter comme Leonard Cohen : I'm ready my Lord. I'm out of the game.

PUTAIN

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Comme il l'explique page 200, Alain Damasio s'est rendu dans la Silicon Vallée avec l'espoir de parvenir à penser contre lui-même, "Pouvoir accueillir la technologie non plus comme une menace, une servitude volontaire ou un état de fait mais avec l'euphorie excitante et tranquille de ceux qui la conçoivent, la promeuvent et la font."
Résultat de cette expérience, ce livre est une invitation à se poser et prendre le temps de penser aux enjeux de ces nouvelles technologies.

On peut alors adhérer à la vision de Damasio, trouver qu'il se concentre trop sur le négatif ou alterner entre les deux positions selon les chroniques et les arguments. Pour ma part, j'ai trouvé cette "pause réflexive" bienvenue et indispensable.
Cette course à la nouveauté qui nécessite des matériaux rares, de l'énergie pour fonctionner et que l'on ne sait pas recycler au mépris des règles élémentaires de l'écologie me donne depuis un moment déjà l'impression de regarder courir une poule sans tête.

Au niveau du style, l'auteur joue avec les symboles, qu'ils soient typographiques ou relèvent du vocabulaire. Ses textes sont parsemées de jeux de mots et d'associations d'idées, parfois un peu "faciles" mais souvent signifiantes et bien trouvées.

La première chronique, "Un seul anneau pour gouverner tous ?" propose une comparaison pertinente entre Apple et une religion, et dans le même temps une réflexion sur la manière dont le smartphone redéfini notre rapport à l'espace. Évidemment, Damasio a une vision inquiétante de ce qui se cache derrière des lignes épurées, mais ne serait-il pas juste lucide ?

"La ville aux voitures vides" emmène le lecteur au pays de Genreal Motors où l'auteur, effaré par l'utilisation vitale de la voiture, anticipe (de peu, c'est pour demain) l'arrivée des voitures autonomes et connectées dans les rues - au service de notre fainéantise. L'anticipation sur le risque de voir des flottes hackées, la perte d'emploi pour les chauffeurs, et le bilan carbone de l'entreprise le laissent pantois. D'autant que Damasio prévoit que ces véhicules seront réservés aux classes aisées, et que les transports en commun lui semblent être une alternative préférable.

"La ligne de coupe" a été inspirée par le voyage de l'écrivain en tant que tel. Les multiples étapes à franchir pour simplement prendre l'avion l'amènent à réfléchir sur la frontière, ce qui sépare et divise l'humanité. La tentation du tout sécuritaire, la peur de l'Autre, la difficulté croissante de voyager donc (et celle, bien pire, d'immigrer). Tant dans le monde réel que sur le Web, mots de passe et entre-soi sont la norme.

Dans "Love me Tenderloin", Alain Damasio émet une hypothèse pour le moins pertinente quant à notre capacité à ne pas nous sentir concernés par la détresse de nos pairs. Comment expliquer que la souffrance humaine ne nous prenne pas suffisamment aux tripes pour nous donner l'énergie d'y remédier ? Et il n'est pas question ici d'un pays lointain, non juste du sdf de l'autre côté de la rue. Enfin, comme tout est plus grand en Amérique, il s'agit d'un quartier entier laissé à l'abandon et aux psychotiques puisque les hôpitaux psychiatriques ont été fermés.
Connectés à distance via les réseaux, nous aurions perdu notre capacité à nous confronter à l'altérité et à éprouver de l'empathie pour les personnes ne faisant pas partie de notre communauté propre. Glaçant.

"Le problème à quatre corps" ou comment les technologies sont supposées nous reconnecter à un corps que nous ne savons plus écouter.
Nous rencontrons Arnaud Auger qui présente les incroyables outils qui mesurent, archivent et conseillent leurs utilisateurs pour qu'ils aient leur content de sommeil et de vitamines.
Parallèlement, on ne peut qu'être surpris par l'ambiguïté de la démarche qui consiste à créer un monde virtuel aussi réaliste que possible pour permettre de vivre des expériences (tout en restant en sécurité dans son salon) que l'on pourrait réellement vivre (à condition de se rendre sur placeet d'accepter de fournir l'effort nécessaire). Une nouvelle fois, Alain Damasio "oublie" les utilisations positives qui pourraient découler de tels outils pour se concentrer sur les pires aspects. Mais ceux-ci méritent néanmoins d'être soulignés et donnent matière à réflexion.

"Trouvère > Portrait du programmeur en artiste" présente une autre personnalité rencontrée par l'auteur lors de son séjour à San Francisco. À ceux qui imaginent les programmeurs en geeks coupés du monde, Alain Damasio présente Gregory Renard, qui programme à la manière d'un artisan en se basant sur sa créativité pour résoudre des problèmes. Il entend d'ailleurs enseigner des valeurs humaines telles que le respect et l'altruisme à sa machine. Pour une technologie positive ? Un brin d'espoir dans un monde de silicium.

La nouvelle qui conclue ce recueil reprend les observations de l'écrivain sous forme fictionnelle. Et enfonce donc le clou de manière bien plus immersive. "Lavée du silicum" est très bien vu, la construction fait monter la tension de manière admirable.

Un grand merci à Babelio et aux éditions du Seuil de m'avoir envoyé ce livre !
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A propos du nouveau livre d'Alain Damasio « Vallée du Silicium »

La Société du Spectacle Numérique vue par AD

Chaque époque a ses philosophes, ses essayistes, ses poètes. Il y a 30 ans nous avions Gilles Deleuze, Jean Baudrillard, Michel Foucaud, Ivan Illich, Michel Serres. Aujourd'hui il nous reste des philosophes-fossiles qui ont pour noms, BHL, Michel Onfray, ou Raphaël Einthoven . Par chance, des voix émergent, même si elles ont mis du temps. Ce fut l'année dernière Cynthia Fleury avec « sa Clinique de la Dignité ». C'est aujourd'hui Alain Damasio qui emplit notre imaginaire et nourrit notre réflexion, projette notre futur, encercle après les avoir identifiés tous nos pièges.
Pas facile de chroniquer Damasio. Difficile de conserver un regard critique, impossible de n'avoir qu'une vision techno poétique. de ne faire émerger que son ressenti, de le chroniquer en faisant abstraction ce que » l'on a pu lire de lui, d'oublier les « Hordeux », de ne pas singer « les Furtifs ». Cet écrivain, hors champs, est pourtant certainement celui, qui par ses textes, (qui relèvent davantage à mon sens de l'anticipation et de l'interpellation que de la science-fiction), un des auteurs qui me touche le plus, me fait le plus réfléchir, penser et craindre. Un peu comme ce que fit, dans un autre style, Guy Debord, il y a 50 ans avec "la Société du Spectacle. «
Cette fois pas un roman, plutôt un reportage-essai fruit d'un séjour en Avril 2022 qu'il a passé dans la Silicon Valley, à l'initiative de la Villa Albertine, sorte de Villa Médicis relookée et repeinte au graphe du numérique, pour créer « un concept de résidence et une communauté au service des arts et des idées entre la France et les USA ».
Fascinant, car on ne soupçonnait pas Damasio « Américanophile », ce qu'il n'est pas au fond, respectant avec justesse la Voie du Milieu. Si « les Furtifs » étaient un roman qui pouvait se lire comme un essai, tant il regorgeait de fulgurances, « Vallée du silicium » est un essai transformé en roman tant il se lit, avec fluidité, passion et même suspens. Au travers de sept chroniques, Damasio nous embarque dans la Silicon Valley, vue de l'intérieur, avec sa tech, ses IA, ses projections futuristes, que l'on connaît mais qui sous sa plume effrayent, parfois même nous font cauchemarder.
La première chronique nous balade comme un article de Libé dans le Centre Névralgique d ‘Apple, qui ne nous surprend pas, tant, nous dit l'auteur, nous sommes dans une « féodalité revisitée du Moyen Âge, qui se donne des allures de science-fiction post moderne ». C'est ajoute-il, « Steve qui fait le Jobs de nous laisser la clé métaphorique de ce qu'a toujours été l'ADN d'Apple : un monde propriétaire, une entreprise para militaire verrouillée ». Un monde cadenassé où l'open source n'existe pas, où l'on ne possède pas un IPhone, c'est bien lui qui nous possède, et où l'on ne peut être au mieux, qu'utilisateur et consommateur de marchandises connectées, quel que soit le point du globe où nous vivons. Comme le surligne un de ceux qui lui font découvrir le site, « c'est un univers intégralement clos qui fait semblant d'être ouvert »
La deuxième chronique est un règlement de compte sans concessions sur la voiture autonome, autre avatar du Numérique. La peinture de ces rues vides de San Francisco, seulement occupées de voitures autonomes qui sillonnent l'espace, fait davantage peur, tant elles nous semblent vidées de vie. L'auteur a cette formule qui m'a bouleversé : « la matérialité du monde est une mélancolie désormais ». Damasio qui n'a pas son permis de conduire, montre comment les pulsions engendrées par le fait de tenir un volant entre ses mains, sont certes toujours présentes, mais ce n'est pas vraiment défini nous dit-il ? Vous avez raison, ajoute-t-il, c'est juste has been. » L'ère de l'information a dissous nos bolides dans un trait de lumière. « « La voiture autonome conclue-t-il sans s'acharner, « est une industrie sans idée » » L'innovation dans le capitalisme, « c'est de passer de la puissance au pouvoir. C'est faire faire à l'appli, aux smartphones, aux algos, aux IA, aux robots…comme on fait faire aux femmes, aux arabes, aux esclaves, aux petites mains, aux sans-papiers sur leurs vélos, ou tout bonnement à ses subordonnés hiérarchiques ce qu'on ne veut pas condescendre à faire : ici, se tient le pouvoir. « Si Uber emploie ce qu'il appelle d'un de ses néologismes dont il est familier des « serf- made- men », avec lesquels on peut au moins encore humainement interagir, ici, dans la voiture autonome pas de risques de rencontrer des basanés, simplement des interfaces.
Le livre est conçu, par le choix des chroniques, comme une montée en puissance de ce qui résonne en nous, en moi, comme sinon de la peur, du moins de l'inquiétude de se voir dépossédé de son humanité. Au point désormais, dans les activités de la Santé, dans les formations d'aide soignantes par exemple, d'avoir déjà recours à des cours « d'humanitude », à savoir retrouver les facultés, les résonances, l'empathie à redevenir un humain. Bien illustré encore dans la chronique consacrée au Métavers, à la dictature des mots de passe et au traçage permanent de nos activités autonomes ou de ce qu'il peut bien en rester. Il est très intéressant de comprendre le lien que fait l'auteur avec les deux ans de Pandémie, en montrant « comment le métavers se lit d'abord comme une généralisation opportuniste des plis pris durant ces années Covid/plis, dont on sent bien qu'ils se contractent en Habitus. Celui de tout faire sans bouger de chez soi, sans même bouger du tout. Avec des mots de passe sous lesquels se cachent des mots d'ordre, nous consommons, payons, gérons, baisons, notons, « en alimentant nous même les bases de données qui vont nous tracer » tout en faisant gagner par « des millions d'heures perdues dans des tâches débiles, et pour des milliards engrangés par les bookers d'en face, puisqu'ils sont parvenus à nous faire faire le boulot … à leur place.
Qui a dit là que nous étions dans un essai ? pas plutôt un roman d'actualité et de prospective ? « Et dans une formule lapidaire, « nous sommes devenus les bureaucrates de nos quotidiens ». « C'est l'ère du client- valet. » «« le techno cocon ajoute l'auteur est le territoire – horizon de ce monde rêvé du techno capitalisme. Bouger doit générer de la trace, pas de la liberté. Communiquer doit nourrir les datas. «

Un peu d'humanisme dans le livre lorsque Damasio nous promène dans Tenderloin, quartier le plus pauvre de San Francisco qui joue à touche-touche avec le siège central de Twitter. Où l'on croise tout ce que la ville peut produire et entretenir de misère humaine, avec cette question récurrente : « Comment ? comment peut-on adosser, accoler presque, la richesse la plus obscène à la pauvreté la plus féroce ? Comment l'immeuble de Twitter peut-il rester debout à deux cents mètres de là et ne pas être pillé sous l'insurrection de militants ou s'écrouler sous une attaque de drogués zombies enfin réunis dans la conscience commune de leur état ?" Car Damasio ne se contente pas de se culpabiliser et de s'indigner, on le sent réellement en souffrance d'empathie avec un monde qu'il découvre de ses yeux et qu'il décrit comme repoussant. Sans doute avons-nous réussi à construire nous même les murs de la prison dans laquelle nous nous sommes enfermés après en avoir jeté les clefs. Sa critique du Métavers, espace virtuel dans lequel sans bouger, en consommateurs fascinés, nous allons évoluer dans des mondes où la technique a simplement créé tout ce que nous avions au dehors, du sentiment, de l'amour, de la résonance avec l'altérité, du partage d'humanité, est sans appel. Les réseaux sociaux, nous dit-il, nous connectent mais ne nous lient pas. « Où se loge le toucher dans un gant à retour de force ? Par où s'infuse l'odeur d'une peau ? Où est la sensation d'une hanche ? la chaleur d'une main qui prend la mienne, ou qui se pose sur ma nuque ? Où sont les baisers, le goût d'un fruit qui fond sous la langue, le rêche d'un fromage sec, la gouleyance d'un vin ? Abracadata répondent les magiciens de l'appli. Abracadata ! On va vous redonner tout ça après vous l'avoir pris ! »
« Les GAFAM nous dit-il, n'ont pas tué les liens, ne les ont pas tranchés au couteau ou à la hache, c'est bien pire et plus subtil que ça, ils ont dévitalisé ces liens, ils les ont édulcorés et neutralisés. Ils les ont absentés. «
Si dans un chapitre il tente de s'extraire d'une vision manichéenne en tentant de positiver la technique, en imaginant l'usage bénéfique que l'on pourrait en tirer en inversant notre représentation du monde, impossible de le sentir convaincu, impossible de nous convaincre. Peut-être est-ce davantage par le lien amical qu'il noue avec un des concepteurs des fameux chabots et d'IA, investi dans la connaissance mathématique pure, et donc débarrassé en apparence de tout impératif de domination ? Mais comme l'avoue presque naïvement son interlocuteur, « nous sommes dirigés par l'innovation technologique, c'est la tech possible qui nous leade. On invente puis on avise. C'est seulement ensuite qu'on cherche à savoir à quoi ça pourra servir et surtout comment faire du fric avec ».
Le chapitre qui m'a le plus passionné est sans conteste l'analyse qu'il fait de la santé et du corps, et qu'il intitule avec humour le Problème à Quatre Corps, faisant référence au best-seller chinois de Liu Cixin. Alors là tout y passe, du contrôle économique de nos corps, de l'appropriation de notre santé dans ses recoins les plus intimes et que nous connaissons déjà en France depuis deux ans avec « Notre Espace Santé », dans l'hameçonnage auquel nous soumettent assurances, mutuelles, complémentaires santé dans l'utilisation de notre ADN, tout cela fait froid dans le dos, parce que nous sommes là , non plus dans le virtuel, non plus dans le futur, mais dans le réel, d'aujourd'hui, sans même que nous le sachions ou ne le sentions , dans ce qu'il appelle d'une formule lapidaire « la perte du lien à soi ». Pour résumer ce qu'il décrit dans les quatre corps, le premier corps est notre corps physique, le deuxième corps drapé d'une burqa numérique « est un corps objet d'observation et de vigilance », le troisième corps qu'il baptise « le dé-corps est un corps désaffecté, quant au quatrième corps ce serait la technique qui nous servirait de ra-ccord. « En dévitalisant ce qu'elle prétend solutionner ». On comprend que pour lui, ce qui l'intéresse, ce serait plutôt « l'ac-corps » !
le débat serait vaste pour les soignants, de plus en plus égarés dans un univers technologique, qui nous a fait passer d'une observation du corps, que l'on écoute, à un corps observé que l'on touche et que l'on palpe pour l'entendre et tâcher d'en décrypter la plainte, à un corps que l'on ne regarde même plus parce qu'il nous a été volé, dérobé, par la technologie avant de
devenir la proie et la propriété des sociétés marchandes, de soins, de médicaments, de vaccins en tout genre, de chimiothérapies diverses et coûteuses propres à soigner des pathologies que la technique , le mode de vie , les alimentations frelatées ont elles-mêmes souvent créés. Avec tout un background que je ne veux pas détailler ici.

Longue réflexion aussi avec ce qu'il appelle avec humour « l'Intelligence Amie ». Damasio n'est pas borné, il devine bien ce que l'on pourrait en faire dans une autre représentation du monde. Mais ce Monde-là n'est pas et ne sera jamais le nôtre. Ce serait lui le Monde fictionnel. Ce que Damasio tente de dire sans trop y croire, c'est « qu'il est temps de passer de la civilisation du plus à la civilisation du mieux en matière de Data ». Vous y croyez-vous ?
Pour ma part, la technologie positive qu'il essaye d'imaginer, tout, dans la vie de tous les jours, nous montre que non seulement on n'y est pas, mais qu'on ne voit pas comment, avec la fracture Numérique, avec le regain de la pauvreté, avec la disparition des services publics au premier rang desquels les médecins et l'hôpital, on se dirige hardiment et sans complexes vers un sous prolétariat numérique, où des gueux avancent dans un monde déshumanisé qu'ils ne comprennent pas, où bientôt « les vieux » n'auront peut-être même plus leur place. (Ça, c'est moi qui le dis et l'écris à la lumière de ce que je lis dans ce livre, mais aussi après une vie de pratique du soin individualisée et non pas de masse.) Damasio est familier de la pensée d'Ivan Illich, dont le concept génial de « convivialité » des années 70, n'a plus aucune résonance aujourd'hui, avec la perte de ce qui me paraît essentiel, la perte du Lien. Il n'y a plus de lien. Tout a été méticuleusement organisé pour que le Lien disparaisse, pour qu'on nous le vole, (on, ce sont bien sûr les oligarchies numériques) pour nous le rendre ensuite en nous le faisant payer en espèce sonnantes et trébuchantes. La numérisation des corps arrange bien les pouvoirs économiques, les gens se soignent moins, effrayés par les barrières numériques qui se dressent devant eux, dès le départ, dès la prise d'un rendez-vous, dès la présentation de votre identité numérique, « présentez vos papiers, votre carte vitale, votre attestation d'assurance, vos analyses, » au point qu'ils abandonnent souvent, et se réfugient dans le non-soin. Moins de soignés, moins de soignants, on peut fermer des lits, on peut fermer des blocs opératoires, on pourra demain fermer les EHPADS, les résidents potentiels seront morts avant. Place nette. Alors, la Convivialité chère à Illich, là-dedans… c'est là qu'elle est la science-fiction. Toujours au gré de son voyage, Alain Damasio réfléchit hardiment sur le pouvoir numérique, sur l'économie, sur l'éducation, sur le transhumanisme aussi. J'ai beaucoup aimé ce passage où Damasio nous dit « je reste un romancier. M'intéresse suprêmement le sentier plutôt que la carte. » Certes, » mais si le transhumanisme croit qu'il manque à l'homme quelque chose, quelque chose que seule la technologie pourra lui apporter, j'ai la tranquille et furieuse conviction que l'être humain a en lui absolument tout ce dont il a besoin, pour une vie pleine, intense et féconde » Tout est déjà en nous. Nous n'avons pas besoin de devenir plus-qu'humain . Nous avons juste besoin de devenir plus humain. Vous en appelez au trans-humain ? J'en appelle au très-humain. « N'est-ce pas là aussi, un contre-pouvoir, une contre-réforme ?

Il est difficile de parler de ce livre sans avoir l'impression de juste le paraphraser. « Les réseaux sociaux, nous dit-il, ont inventé la communauté sans présence, l'auto-exposition, le selfie, l'exclusion possible, le harcèlement et la lapidation numérique. L'IA est en train d'inventer l'auto-discussion et le jumeau numérique, parmi des centaines de réinventions de nos façons de travailler. «

Il y a beaucoup de choses passionnantes dans ce livre, en fait tout, qui nous interroge, chacun d'entre nous, sur notre mode de vie, sur notre rapport à l'altérité, sur nos choix et nos décisions politiques, sur la direction que nous voulons chacun d'entre nous donner à notre humanité, et pixel par pixel, à l'humanité en général. Sur la décision de notre engagement et de notre résistance aussi ?
Si par instants, il feint la naïveté en imaginant le côté positif que devrait avoir la technologie sans se soucier de tout ce que les puissants, de tout ce que le capitalisme, numérique ou pas, en fait, de tous les outils dont il a pu disposer pour oppresser les peuples les consciences et les intelligences depuis des siècles, je trouve que la nouvelle qui clôt ce reportage fantastique apporte une réponse qui laisse le lecteur à la fois, d'abord dubitatif puis presque convaincu. La partie n'est-elle pas déjà perdue Alain Damasio, que nous reste-t-il si ce n'est de faire « l'Éloge de la Fuite », à moins que le réchauffement et le désordre climatique au coeur de la nouvelle qui clôt le livre n'apporte une réponse définitive en mettant tout le monde d'accord : on ne joue plus, Gaïa reprend les manettes et le contrôle des opérations. Et tant pis pour l'homme qui n'a pas su respecter les règles de vie et de jeu sur la planète bleue, préférant saccager le plateau avec pertes et fracas.

Un mot sur l'écriture inclusive » procédé largement utilisé par l'auteur dans ce livre. Il respecte la parité, en écrivant un chapitre sur deux en féminisant les pluriels neutres, à l'écrit cela fonctionne très bien. « Mon espoir, dit-il, est que la gymnastique mentale consiste à se souvenir, que derrière les Européennes, il existe bien entendu aussi des Européens (hommes), et fasse pendant aux quatre siècles où c'est le masculin pluriel qui valait « aussi » pour un féminin enfoui ou caché derrière. Comme vous l'éprouverez sûrement, ce modeste retournement produit un trouble réel, que je trouve stimulant, sinon salutaire. « Et ce fut le cas pour moi.

J'ai reçu ce livre, comme chacun des livres d‘Alain Damasio comme un direct au Foie, pire une déflagration, qui met en cohérence les p
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J'apprécie assez Damasio en SF. Il associe un univers très riche, une langue ‘augmentée' pour servir cet univers, et une bonne dose de réflexion de fond sur des sujets de société.
Mais… Mais parfois, dans ses romans, je trouve qu'il en fait trop. Que ses tournures de phrase poétiques deviennent lourdes, que sa réflexion devient trop politique. Et que, d'un bouquin à l'autre, ce sont toujours les mêmes propos qui reviennent (seul l'univers change).
J'étais curieux de voir ce que ça donnait en essai (et surtout curieux de découvrir cette collection Albertine). Malheureusement, le résultat correspond à ce que je craignais : une fois dépouillé de l'univers inventé (remplacé par la Silicon Valley, bien réelle), il ne reste qu'une langue inutilement alambiquée et un discours moralisateur sans nuances. Dans les deux cas, par petites touches bien distillées, ça irait mais là c'est trop, c'en devient écoeurant, c'est le tonton Alain qui s'écoute parler et qu'on n'ose plus inviter aux repas de famille.
Pourtant, les sujets abordés m'intéressent (la technologie aliénante, le mouvement, l'avenir, la santé, l'éducation, …), et je partage l'essentiel de son analyse de Damasio, mais l'absence de nuance dans son discours fait que, par réflexe, je me bloque, j'ai envie de contredire, de clamer ‘oh c'est bon tonton Alain, on a compris, mais la vie c'est plus complexe que ça tu sais !' tout en sachant à quel point ce serait vain.
Quant à la nouvelle en fin d'ouvrage… Moui. Elle est bien. Au même niveau que la centaine de dystopies qu'on a déjà pu lire et écrire sur le même sujet (un monde futuriste ou la technologie imprègne et gouverne chaque pan de nos existences, et où l'intrigue se résume à ‘et soudain la technologie se met à déconner').
Concernant Damasio, je vais devenir de plus en plus hésitant à lire ce qu'il propose (je trouve qu'il tourne en rond et vieillit mal). En revanche, je reste curieux de voir ce qui sort de cette collection, dont les ouvrages sont issus de résidence aux Etats-Unis et explorent des questions contemporaines. L'intention est prometteuse.
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L'auteur prestidigitateur de « La Horde du Contrevent » et « Les Furtifs », maître ès néologisme et acrobaties discursives, nous offre à son retour de la Silicon Valley, au lendemain de la pandémie qui frappa le monde, un recueil subversif et réflexif sur notre relation aux nouvelles technologies. Sept chroniques, tantôt technocritiques tantôt scientopoétiques, et une nouvelle SF entre aliénation technologique et renouveau biologique composent cet ouvrage aussi angoissant que jubilatoire. Angoissant parce que Damasio décortique notre fascination et notre dépendance aux technologies du silicium, la manière dont elles nous transforment et dont nous les façonnons en retour, dans une sorte de biotechnofeedback dont on ignore s'il faut l'admirer ou le maudire. Ce fascinant entretissage entre l'humain et la machine nous libère-t-il ou nous dépossède-t-il ? Jubilatoire parce que l'auteur y use du verbe comme d'un outil démonstrateur et séducteur, manipulant l'humour acerbe comme l'alchimie oratoire qu'on lui connait, pour ouvrir une fenêtre sur ce présent déjà futur aux mille facettes miroitantes.

Accompagné de guides initiés, Damasio nous entraîne aux abords de la Cathédrale d'Apple, The Ring (« un seul anneau pour les gouverner tous »), dans les rues de San Francisco où les véhicules autonomes sucent leur expérience aux chauffeurs humains tels des vampires assoiffés de données, aux frontières des métavers explorés via des interfaces cybernétiques, dans la cours des miracles du quartier de Tenderloin, « un asile sans murs, à ciel ouvert » à deux blocs du siège de Twitter rebaptisé X… Mais c'est dans les trois dernières chroniques que Damasio révèle son souffle le plus visionnaire, davantage philosophe conciliant qu'oiseau de mauvaise augure, discourant sur « le problème à quatre corps » (clin d'oeil à Liu Cixin), l'IA et la technologie du verbe qui émancipe, ou l'éducation libératrice entre pouvoir et puissance.

Pour ses chroniques, l'auteur alterne entre masculin et féminin neutres, ce qui oblige les lecteurices à un décentrage troublant. Point de prosélytisme dans cet exercice, juste un changement de focale qui interroge l'altérité…

Je remercie l'opération Masse Critique de Babelio et les Editions du Seuil pour cette lecture très inspirante d'un auteur que j'apprécie et que je découvre sous un nouveau jour.
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Alain Damasio nous offre un voyage fort instructif dans une sillicone vallée consommatrice de silicium pour le bien , mais aussi pour un pire qui ne fait qu ‘empirer ! Richement documenté, ce récit nous plonge dans les tréfronds d'entreprises qui n'ont pour objectif, que la puissance, l'hégémonie et le fric. Sous couvert d'amélioration des conditions de vie individuelles, des technologies sans réelles utilités collectives sont déployées en suscitant l'envie de plus, de mieux pour le plus grand profit de ces firmes (les Gafam). de la voiture autonome, au transhumanisme, au Métavers et à ce qu'on nomme l'Intelligence artificielle (IA) et qu'on pourrait nommer aussi « l'Inintelligence algorithmique » l'auteur se défoule, à juste raison et avec une argumentation convaincante contre les dangers de cette évolution qui n'a fondamentalement pour raison d'être que le profit de quelques uns.
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Alain Damasion fait du Alain Damasio... Il pourra déplaire à ceux que ses positions politiques radicales effrayent, il pourra fatiguer ceux qui trouvent que son style est si réfléchi qu'il en devient boursouflé voire incompréhensible, ou fatiguera ceux qu'épuisent les références philosophiques.
Pour moi, je lis d'abord le "mythopoète", celui qui joue, travaille, tord et retord les mots, pour leur faire exprimer ses idées. Même du silicium, de la puce électronique, peut surgir la beauté de la langue et du rythme. Quelque fois, cela est un peu facile - le "corps", le "dé-corps", le "ra-corps". Alain Damasio s'inspire du réel le plus contemporain, des voitures connectées et des smartphones pour, par es mots, en révéler toute la beauté - dont la sensualité - et toutes les horreurs par les mots ; ", mais, s'il se définit comme auteur de science-fiction, il est pour moi un troubadour moderne qui joue sur les mots, et, du langage, fait advenir de la poésie. Je le lis comme un poète.
Ensuite, j'ai été fascinée par ce road-trip qui n'est pas un voyage initiatique, mais une plongée dans les sept cercles de l'Enfer. Là où L Auteur utilise, avec ses références propres, de de la philosophie, j'y décèle, moi, de la géographie et ses concepts d'étude du territoire. La géographie peut d'ailleurs elle aussi être poétique en jouant sur les mots, lorsqu'elle analyse de façon multi-scalaire les inégalités socio-spatiales, la fragmentation de l'espace avec la fermeture des lieux entre gentrification et gated communities, la marginalisation des centres et l'étalement urbain, ses nouvelles frontières visibles ou non...
Ce qui est le plus fascinant, c'est que ce n'est pas de la science-fiction, ou à peine, seulement un léger décalage temporel de quelques années - et non quelques siècles. le futur est devenu une matière première, exploitée à la fois par la littérature - et donc l'art - et par le capitalisme le plus symptomatique, celui des GAFAM.
La nouvelle qui clôt le recueil résonne particulièrement avec l'actualité. Dubaï, la ville-paradis des influenceurs qui n'existent que par les réseaux et les smartphones, ville du moi et du sur-moi qui s'exposent dans des immeubles toujours plus hauts, est inondée et ses déchets humains refluent. La ville a grandi trop vite, sans canalisation... Derrière la technologie, on retrouve la matière, la plus odorante et la plus incarnée même. C'est exactement la nouvelle - décalage infime dans le temps disait L Auteur... Et, même si le texte n'est pas très original par sa situation, Alain Damasio réussit encore à ajouter de l'émotion. Je suis toujours happée par la force des sentiments paternels et maternels qu'il décrit, qui me touchent au coeur à chaque fois.
Face à la froideur des machines, des relations à distance, au lieu que la première chose que l'on caresse le matin soit un rectangle de glace et de plastique, reconnectons-nous à la nature, l'amour et l'art... Voici une belle fin.
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Indice de fautes* : 3 pour 100 pages

Essai en plusieurs chapitres d'environ 30 pages chacun, complétés par une longue nouvelle, ce petit livre bien couvert nous plonge dans l'esprit d'Alain Damasio qui joue au chroniqueur décalé de notre société technologique.

Il faut d'emblée savoir que la nouvelle est une perle, un point d'orgue, la démonstration finale de tout ce qui a été écrit auparavant. Elle est à lire absolument (je la chronique ci-dessous, en premier), même si l'on n'aime pas le reste du livre, ni Damasio d'ailleurs ;-) Je n'ai pas pu patienter et l'ai lue après deux chapitres de l'essai, ce qui m'a permis ensuite de découvrir des sujets de la nouvelle dans les chapitres suivants. Chacun fera bien ce qu'il voudra !

Pour les chroniques-essai de Damasio, c'est un peu comme si on avait greffé une puce à un Sylvain Tesson (!) qui aurait décidé d'explorer les contrées de l'humain et de la nature (travaillée par l'homme). Comme dans tout essai - ici augmenté version Damasio -, la critique est obligatoire, l'humour incisif, les jeux de mots téléphonés, plaisants, évocateurs et à l'appréciation de chacun, les rapprochements parfois alambiqués. Les interprétations sont celles d'un essayiste - donc un point de vue qui n'engage que lui. Il offre une belle matière à réflexion et de superbes pistes pour appréhender le futur.

Voilà pour le style et pour la forme.
Voyons pour le fond.

Comme dit précédemment, la novella qui clôt l'ouvrage est une magistrale démonstration des propos tenus auparavant. Elle se déroule bien évidemment à San Francisco au cours d'un de ces épisodes climatiques extrêmes qui montent en puissance. Histoire d'anticipation techno-apocalyptique (j'aime bien créer des noms de genres accrocheurs) à dominante AIPunk, je n'en raconte pas plus, tant c'est un régal. Haletant et prenant, c'est une habile démonstration de l'outrance technologique. Chaque fois qu'on croit qu'il n'y aura rien de plus surprenant, l'auteur nous balance une nouveauté. Et cela ne s'arrête jamais. Epoustouflant comme un épisode de Black Mirror.
A lire de toute urgence car, comme la plupart des histoires d'anticipation, elles seront périmées dans vingt ans.
Niveau de créativité : 12/10.

Côté Essai :
Damasio n'est pas trop radical, même si son esprit libertaire guette pour nous secouer sur ce que pourraient être de graves dérives. C'est un traité plutôt apolitique qui conviendra à quiconque sera désireux de comprendre les risques de notre monde. Il ne nous offre hélas que la vision négative d'un avenir techno. Pour être partial, il faudrait lister tout ce que la science et la technologie nous apporteront de bénéfique à l'avenir. Même si ce n'est pas le propos du livre, qui est essentiellement une critique de la Silicon Valley et du radicalisme mercantile et individualiste américain, tout n'est pas si sombre.
Certes, il nous aura prévenus. Mais c'est comme pour le climat, personne ne veut rien faire.

Il commence sans préambule par Apple, société qui n'a plus rien à voir avec Steve Jobs et dont on se fout totalement de l'empreinte carbone et du rapport à la nature tant qu'elle nous offrira des objets de désir hors de prix par rapport à la concurrence et aux coûts de fabrication. Ca fonctionnera tant que l'humanité préfèrera qu'on lui dise comment vivre. Apple a deux qualités : son marketing incroyable et sa capacité à innover. Belle ouverture sur la réalité mixte.

La chronique sur la voiture uberisée puis autonome est un sommet d'où nous plongeons dans le royaume de la bagnole : les USA. Presque tout est dit, depuis l'exploitation de l'humain chauffeur mal payé jusqu'à son éradication, dans une folle envolée dans un quartier où les voitures n'ont plus besoin d'humains pour rouler. Pire, elles roulent pour récolter de la 'data', des données pour l'apprentissage, leur Intelligence Artificielle. Vous avez tout compris : data et AI sont les deux mamelles du monde et de notre asservissement. Un régal.
Il ne manque que l'angle de vision utile de cette évolution : nous serons bien contents d'avoir des véhicules autonomes lorsque nous serons trop vieux pour conduire.

Vient le Meta, le métavers. Passionnant traité qui aide à prendre du recul avec les réseaux sociaux (je ne suis jamais allé dans le métavers mais je vois très bien où ils veulent en venir). Léger contrepoint de ma part : sur les RS, j'ai découvert des gens passionnants qui ne pensent pas comme moi, j'ai amélioré ma tolérance aux autres, ma répulsion à la connerie. Mais je conçois bien que ce ne sera pas le cas de tout le monde, disons qu'environ 99% des gens vont s'abêtir à fond comme moi sur le sous-TikTok.

L'essai sur la pauvreté est marquant mais ne m'a pas vraiment convaincu. Il contient de belles réflexions sur la différence entre l'Amérique et l'Europe, paraît-il (l'individualisme et l'indifférence). Je trouve l'auteur gentil avec les européens.

L'essai sur le corps monitoré est passionnant, à part quelques dérives qui nous font décrocher et tutoient peut-être une philosophie que je ne parviens pas à comprendre. C'est peut-être un problème à quatre corps, mais je me suis avant tout demandé à quoi me serviraient de telles technologies : à surveiller mon corps et vérifier que je vais bien. Il y a tant d'AVC, anévrismes, infarctus qui sont découverts trop tard.

La chronique sur l'IA est celle qui m'a le moins plu. Hélas. Damasio semble peu inspiré, restant à un niveau philosophique dominant / dominé, humain déshumanisé et piloté. Il y a tellement plus et tant d'inspiration à en tirer que j'en sors déçu. Mais l'ancien développeur que je suis (on le reste toute sa vie) retient que nous vivons un âge d'or avec les développements data et IA (IA qui couvre un large spectre). Il ne voit pas que nous allons arriver à un tournant où nous pourrons tous paramétrer les IA à notre convenance, tout comme nous analysons déjà nos données (impacts de nos publications, poids de notre belle-soeur, etc.).

Et enfin, la dernière chronique a été rédigée 20 mois après le voyage à SF-San Francisco-Science Fiction. Belle ouverture sur l'idéal de l'homme, néanmoins toujours pessimiste. Damasio évoque la liberté et la nécessité de la conserver. Quand je vois mes enfants qui créent avec des outils 3D, de retouche photo, qui codent en Python, je me souviens que le propre de l'homme, c'est sa capacité à imaginer. La technologie est inéluctable, autant la faire sienne.

Merci.

(*) L'indice de fautes est subjectif et forcément imprécis. Je compte le nombre de fautes que je croise et le ramène à 100 pages. Il inclut les coquilles et dépend de ce que je vois, de mon comptage, de la taille des pages, etc.
Bien évidemment les néologismes et autres jeux de mots aldamiesques ne sont pas comptés comme des fautes.
Lien : https://www.patricedefreminv..
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