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Cybercé, cyberné, entre transhumanisme déshumanisé et in-humanisation désincarné…Une réflexion passionnante et hybride sur l'IA au cours d'un pèlerinage techno en Silicon Valley en sept escales californiennes. Brillant !!

Quel étonnement en recevant ce beau livre… il ne s'agit pas d'un livre de la Volte, maison d'édition habituelle et fidèle d'Alain Damasio, mais d'un livre des éditions du Seuil, de la collection Albertine très précisément, apercevons-nous en tout petit au bas de la couverture grise striée d'un orange fluo qui capte immédiatement le regard. En collaboration avec la Volte, l'auteur a en effet été mis entre les mains des éditions du seuil car, une fois n'est pas coutume, l'auteur de SF a écrit un essai. Quant à la collection Albertine, ses livres ont tous en commun d'être « des textes d'exploration littéraire, intime ou sociale, du monde contemporain, publiés en partenariat avec la Villa Albertine qui orchestre plus de 50 résidences sur l'ensemble du territoire des Etats-Unis. Elle oeuvre à la diffusion de la culture et de la langue française outre-Atlantique ». Voilà la première chose que nous apprenons en ouvrant ce beau livre.
Et, en effet, tout est parti de la villa Albertine avec cette idée intéressante de confronter un auteur de SF français à la Silicon Valley, l'endroit même où se pensent et se conçoivent dans la « vraie » vie les scénarios que la SF a parfois anticipés. le voilà parti avec femme et enfant. Là-bas, Alain Damasio y a rencontré des cadres et des chercheurs qui travaillent pour Amazon, Facebook, Twitter (qu'il refuse d'appeler X) et Meta, des « techies », pour se désaxer de sa « ligne technocritique de Français narquois », accompagné de deux historiens et sociologues, Lisa Ruth et Fred Turner, parfois échangeant, objectant, souvent observant, quelque fois testant machines et appareils, toujours marchant dans les pas de Baudrillard, son ainé de quarante ans, qu'il cite généreusement avec une certaine admiration tant il le considère, à juste titre, totalement visionnaire.

Alain Damasio s'est penché sur ce qui le taraudait déjà dans les Furtifs ou la Zone du dehors : notre assujettissement aux technologies, au numérique tout particulièrement. Cela donne un essai. Et un essai écrit par Damasio n'est pas un essai aride, ardu, tordu, abscons ou soporifique mais un essai fluide, brillant, passionnant, subtile, hybride (à l'image de l'auteur d'ailleurs) entrelaçant observations, théories, récits et passages romancés, un essai techno-poétique pétillant avec lequel tout lecteur ou toute lectrice va forcément s'enthousiasmer, frémir et sourire. Si, avec les Furtifs, on trouvait de nombreuses analyses faisant penser à l'essai inséré dans le roman, dans ce dernier livre, l'essai devient passionnant grâce à des éléments normalement présents dans le roman, depuis la poésie, en passant par l'humour et jusqu'au suspense.

« Je reste un romancier. M'intéresse suprêmement le sentier plutôt que la carte ; l'enfrichement de la forêt plutôt que son quadrillage ; le récit et ses arcs plutôt que la flèche de la thèse ».

Et pour mieux expliquer, la voie de l'imaginaire est en effet parfois empruntée ; pour mieux appréhender les concepts, un vocabulaire est parfois inventée ; pour mieux faire ressentir sa propre émotion, la poésie est là, en tapinois, et, élément important à souligner, une façon d'aborder l'écriture inclusive est proposée de façon originale : « la féminisation assumée des pluriels neutres” un chapitre sur deux. Voilà, même dans un essai, on retrouve notre Damasio, celui bien entendu de la Horde du Contrevent, percutant, sensible, humble, poétique et inventif.
Mon livre fini tout corné, chaque page comporte des éléments amoureusement soulignés, d'un trait léger, parfois de plusieurs traits appuyés, précieux passages que je lis et relis comme j'admirerais les différentes facettes d'un diamant. Cette façon de nous offrir ses pensées en les mêlant à la poésie, en y insérant des passages fictionnels est percutante. Elle permet d'en faire un essai humain, sensible, loin de tout intellectualisme, qui touche profondément et fait réfléchir. Vraiment et simplement.


Malgré la poésie, malgré l'humour aussi, ce texte, composé de sept chroniques, est terrible. Terrible car il parle de ce que nous sommes en train de devenir du fait de l'influence des technologies et de ses conséquences sur nos corps, sur nos émotions, sur notre psychisme, sur notre façon d'être, sur notre rapport au monde, notre manière d'être vivant qui n'a rien de neutre. de ce qui nous isole, nous délie alors que nous sommes hyperconnectés. Sur notre façon de faire société non plus à l'échelle d'une commune, d'une région, d'un pays mais à l'échelle du monde. Sur nos nouvelles croyances et nos nouvelles religions comme l'explique avec intelligence la première des chroniques qui se déroule à la Mecque du Mac.

« A l'orée de ce siècle, le numérique a inauguré un panthéisme de l'information, une religion de la matière-lumière. Elle s'incarne par un ensemble de pratiques qui nous soudent dans des cérémonies minuscules et pourtant communes à des milliards de personnes sur la planète. Safari, FaceTime, Keynote, iTunes, Siri sont des icônes, oui, si l'on veut jouer sur les mots. Ils sont en vérité beaucoup plus que ça, des portes psychosociales que nous franchissons trente fois par jour pour organiser nos expériences et manager nos vies, pour présenter nos parcours et acquérir nos savoirs, pour parler en direct à IAvhé et écouter les chants du monde dans la plus profonde bibliothèque musicale jamais offerte à l'humanité ».

Réflexion truculente sur les voitures autonomes et les risques engendrés, sur la matérialité du monde devenue désormais mélancolie, sur le métavers, la deuxième chronique m'a régalée de son humour et de son cynisme. L'auteur, en voulant nous donner à voir les effets induits de ce type de déplacement, en désirant nous les faire ressentir de manière sensorielle (comme souvent avec Damasio), reprend, sur deux pages, sa plume de romancier pour nous proposer un bref récit d'anticipation qui fait froid dans le dos.

« de l'univers de la voiture, nous n'aurons même plus l'ivresse de la vitesse, la coulée cinétique, cette sensation de vent chaud qui entre par la vitre baissée et vient balayer nos soucis et nos cheveux avant de ressortir en tourbillon – ce sillage. On pilotera des Hummer dans le métavers tandis que les rires de nos potes, à l'arrière, bruisseront dans le casque Oculus, merveilleusement spatialisé. Sans doute même qu'ils t'offriront le souvenir du vent chaud avec des ventilateurs enkystés dans les murs de ta chambre. Et tu trouveras ça génial. Tellement réaliste ».

Troisième escale avec l'effacement des corps, l'illusion du mouvement en ces nouveaux lieux de sociabilité sans la gêne du corps via le metavers. le réseau nous promettait l'effacement des frontières mais ce sont de nouvelles frontières, des sas, des bulles, qui nous fragmentent en réalité désormais et dans lesquels identifiants et mots de passe sont les nouveaux mots d'ordre. La touche damasienne dans cette chronique : la forme épouse le fond, la frontière s'immisçant dans le texte même…du Damasio, quoi, à l'image des personnages de la Horde qui avaient tous un sigle caractéristique et que l'auteur pouvait, en une image, disposer selon certains regroupements avant le Contre…
Cet ensemble, de bulles et d'espaces de vie, forment ce que l'auteur nomme le technococon, « machine sociale à dilater mes égocentres et à me permettre de terraformer numériquement un chez-moi. Ces chez-moi ont la forme d'une bulle, d'une bille, d'une île de taille variable, à la membrane épaisse et translucide, à travers laquelle les pas-comme-moi s'agitent dans une brume volumétrique ».

« Noli me tangere : nous irons au concert ensemble dans telle bulle métaversée qui ne puera pas la sueur / nous nous retrouverons au bowling virtuel pour lancer des boules sans poids dans un décor vintage / on se séduira à coups d'avatars animaux pour se toucher par gants interposés / et on criera au harcèlement quand la distance intime sera abstraitement franchie / comme le racontait un cadre d'Oculus qui hallucinait de voir que ces enjeux qui n'ont de sens que dans un réel de chair puisse hanter déjà nos virtualités. Que signifie en effet une intrusion physique dans un espace de pixels ? ».

Grande émotion avec la quatrième chronique. Elle porte sur Tenderloin, ce quartier le plus pauvre de San Francisco, très proche du centre névralgique de la Silicon valley, quartier des sans domicile fixe. Alors Alain Damasio de s'interroger : comment une telle pauvreté est-elle possible à proximité immédiate de milliardaires qui, s'ils ne donnaient même que 1% de leurs revenus, pourraient l'éradiquer ? C'est l'absence de liens qui explique cette indifférence selon l'auteur, l'absence de liens physiques, la dématérialisation…

« Sans doute touche-t-on là le coeur de ma technocritique : la Tech, ontologiquement, conjure l'altérité ».

La cinquième chronique est sans doute la plus ambitieuse. de façon facétieuse elle reprend le titre de Cixin Liu, le problème à trois corps pour l'intituler : le problème à quatre corps, dans laquelle l'auteur revisite la notion du corps, depuis le corps organique, en passant par le corps monitoré (que de réflexions passionnantes sur notre façon d'observer et de surveiller toutes nos constantes au moyen de pléthores d'objets connectés afin d'être plus performants…cela donne vraiment à réfléchir), le décorps qui fait que nous nous déconnectons à nos sensations, jusqu'à l'élément vital en nous, notre vif, qui est là quoi que nous fassions. Nous avons l'impression de voir Damasio réfléchir devant nous, faire parfois marche arrière, se perdre dans son raisonnement et inverser sa pensée. Corps, décorps, raccord. C'est un chapitre complexe mais passionnant qui m'a fait grandement réfléchir à ma connexion avec mon corps, moi qui cours quasi quotidiennement avec une montre connectée dont les résultats font ma pluie et mon beau temps…Laissons cette fois Baudrillard s'exprimer :

« Partout le mirage du corps est extraordinaire. C'est le seul objet sur lequel se concentrer, non comme source de plaisir, mais comme objet de sollicitude éperdue, dans la hantise de la défaillance et de la contre-performance, signe et anticipation de la mort, à laquelle personne ne sait plus donner d'autres sens que celui de sa prévention perpétuelle… ».

La sixième chronique évoque la rencontre avec un codeur, Grégory Renard, qui a contribué à créer ChatGPT. En faisant allusion à Yvan Illich, cette réflexion montre comment il est possible de transformer l'Intelligence Artificielle en Intelligence Amie. Et là encore, c'est passionnant !

Enfin la dernière chronique est d'une grande richesse, c'est celle qui donne quelques clés et qui termine ainsi cet essai par des notes d'espoir, des chemins, une méditation. Alain Damasio appelle de ses voeux un art de vivre avec les technologies, une faculté d'accueil et de filtre, de prise de conscience, de déconnexion assumée, pour dépasser l'addiction et la perte de contrôle de nos vies, de nos corps, de notre altérité. Une relation aux IA qui ne soit « ni brute ni soumise ».

Quant à la nouvelle qui clôt le livre, fiction intitulée « Lavée en silicium », motus et bouche cousue, c'est la cerise damasienne sur le gâteau par excellence, gâteau constitué par cet essai, exercice réussi haut la main par l'auteur français !!


Vous l'aurez compris, j'ai profondément aimé cet essai qui me semble être une lecture nécessaire car éclairée et pourvoyeuse d'une autre façon d'être au monde face à ces technologies à côté desquelles nous ne pouvons passer, auxquelles nous ne pouvons échapper. Une lecture salvatrice qui vaut tous les essais intellectuels austères en la matière. Une lecture hybride. Une lecture moderne. Une lecture profondément humaniste !

« Nous n'avons pas besoin de devenir plus qu'humain : nous avons juste besoin de devenir plus humain. Vous en appelez au transhumain ? J'en appelle au très-humain. Ce qu'un Nietzsche bien compris appelait, lui, le surhumain ».

Merci infiniment aux éditions du Seuil et à Babélio pour ce cadeau merveilleux !


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Vous avez sans doute tous lu ce genre de livre rare, qui vous donne le sentiment, une fois lu, d'être plus intelligent, plus informé, plus militant. Il n'y en a pas tant que ça, car il faut la forme et le fond pour faire advenir cette sorte d'épiphanie littéraire.

Vallée du Silicium fait partie de ce petit panel et je remercie les édition Seuil/Albertine pour avoir eu ce privilège de lecture avant parution.
Alain Damasio a été choisi pour inaugurer une résidence d'artiste avec le concours de la Villa Albertine, dans le cadre d'un partenariat entre la France et les États-Unis. L'auteur va s'installer à San Francisco en Avril 2022 et parcourir la Silicon Valley. La contre-partie est donc ce livre, composé de sept petits essais aussi précis que flamboyants et une nouvelle de grande classe qui illustre et conclut magistralement le propos.
Damasio n'a écrit que trois livres, on le rappelle, mais La Horde du Contrevent (2004) et les Furtifs (2019) sont devenus cultissimes.
Il faut insister tout d'abord sur le caractère hybride du projet Silicium. On pourrait dire hybride au carré ou hybride fractal plutôt : le livre l'est (essais/reportages/nouvelle), le style l'est ( topographie/néologisme, technique/poétique/philosophique) , le propos l'est (puissance/pouvoir, ethos/habitus, fascination/rejet/réappropriation), les acteurs le sont à l'instar de ces Animés de la nouvelle qui sont des bio-technologies, mi-animaux et mi-robots. Hybride donc…
Dans ce livre l'auteur fera souvent référence à Baudrillard et Deleuze qui serviront de balises philosophiques.

Damasio a rencontré moults chercheurs et techies (ces jeunes ingénieurs rompus à l'usage des nouvelles technologies) travaillant pour Apple, Meta, Google ou encore Netflix.
L'enquête débouche sur une techno-critique implacable mais aussi sur des ébauches de solutions particulièrement intéressantes (l'auteur n'a pas de portable!).

-Essai 1: c'est un « pèlerinage » au siège social d'Apple qui est le Ring, un anneau de 1,5 km de circonférence avec 12000 salariés, 70 milliards de dollars de bénéfice annuel et…150 milliards de dollars d'évasion fiscale. C'est la seule entreprise à proposer des objets, de vrais objets. Ainsi la Mecque du Mac a presque 2 milliards de fidèles à travers le monde. C'est « la religion du rectangle » où tous les matériels Apple nous rendent hétéronomes parce qu'ils sont conçus pour être impossible à bricoler. Là, j'écris ce billet grâce à un MacBook Air, symbole de coolitude factice…Damasio nous entraine avec lui sur le chemin de la réalité augmentée grâce au futur Apple Vision Pro qui équipera bientôt tous les foyers branchés. Ce sera une technogreffe…
-Essai 2: on embarque en voiture autonome, une « industrie sans idée » qui est l'occasion pour l'auteur de dénoncer le « faire-faire » consenti. Nous sous-traitons, déléguons, externalisons aux intelligences artificielles notre faculté à conduire mais aussi à mémoriser, à nous orienter, à improviser etc..
Facile à hacker, la voiture autonome optimisera notre paresse et provoquera de somptueux accidents.
-Essai 3: nous voilà chez Méta, l'entreprise qui récupère les datas que nous lui fournissons gracieusement en alimentant nous même les bases de données. Nous sommes devenus les bureaucrates de notre quotidien en utilisant les réseaux qui ont le monopole de toutes nos traces ! WhatsApp, Instagram, Google se gorgent de nos servitudes volontaires et font des milliards de chiffre d'affaire en cartographiant notre vie privée, en dépliant des algorithmes qui, inexorablement feront basculer nos opinions. Les cabinets de conseils manient à merveille ces outils-là et sont capables d'influencer n'importe qui, n'importe quand et dans n'importe quel sens.
-Essai 4 : ballade dans Tenderloin, le quartier le plus pauvre des San Francisco. Homeless, zombies du fentanyl, schizo dangereux, croisent les hommes d'affaires de la City voisine, dans l'indifférence réciproque. Ici Damasio fait une hypothèse très intéressante sur l'effacement des liens. Chacun est dans son technococon (comme on est dans Babelio !) . Les réseaux sociaux nous connectent mais jamais pour obtenir que nous soyons ensemble. Ils nous unissent dans la distance physique en-tant-que-séparés. La dématérialité des réseaux sociaux fait office de solvant sur les solidarités de voisinage ! Les GAFAM ont dévitalisé, édulcoré et neutralisé les liens. Beurk…
-Essai 5 : c'est le problème à quatre corps !!! Mais là je vous laisse lire l'incroyable histoire d'Arnaud que l'auteur rencontre. Hyper-connecté (bracelet de santé, Apple Watch, Ray-Ban connecté, WC connecté, patch CGM etc.), ce mec est la coolitude incarné. Il n'a qu'une seule préoccupation : ses performances. C'est un homme augmenté heureux. Avec lui vous découvrirez des applications stupéfiantes !
-Essai 6 : Alain rencontre un codeur, Grégory Renard, qui a contribué à la création de ChatGPT (très pratique) et considère (à juste titre) le livre comme une prison de papier anti-démocratique. le gars a un data-center chez lui…
C'est alors l'occasion pour l'auteur de convoquer Yvan Illich pour transformer l'Intelligence Artificielle en Intelligence Amie. Et c'est passionnant, vous verrez !
-Essai 7: Final en bombe à fragmentation. Sur le libertarisme et ses biais sexistes, sociaux et raciaux. Sur l'évasion fiscale systémique. Sur la prostitution des datas. Sur un bilan carbone catastrophique.

Alors que faire ? Alain Damasio propose un éventail de pistes. D'abord un « art de vivre avec les technologie » à enseigner dès le plus jeune âge. Puis la nécessité pour les artistes de porter le combat dans l'imaginaire, dans la créativité pour prôner d'autres valeurs . Devenir des mythopoétes, des bio-punks, c'est à dire des inventeurs de nouveaux récits, de nouveaux mythes. Pour la mise en récit de pratique sociale fondée sur l'entraide, le don, la furtivité et LA JOIE DE FAIRE ENSEMBLE . Vous trouverez page 233 à 235 le détail de ses propositions.
La mythopoïese est l'avenir du politique pour conjurer les peurs, la volonté de pouvoir et la paresse jouissive.

Et puis il y a cette nouvelle intitulée Lavée du silicium, géniale et glaçante. Mais je n'en dirai pas plus..

J'ai été très long car ça valait le coup ! Et puis Alain Damasio ne fait pas semblant: il pense sa vie et vit comme sa pensée. C'est la preuve que, même si ça parait foutu, le combat mérite d'être livré . Amen.


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Un Damasio sinon rien…Merci encore à Babelio et aux éditions du Seuil pour la « Vallée du Silicium ». En effet, c'est toujours avec plaisir qu'on aime se replonger dans la prose de l'auteur de la Horde du Contrevent. Alain Damasio nous propose ici une réflexion sur la Silicon Valley et ses GAFAM. Il veut nous faire prendre conscience de notre dépendance aux écrans et aux autres inventions numériques qui dominent notre époque moderne.

Composé de sept chroniques et d'une nouvelle de SF qui reprend et combine les thèmes précédemment abordés, le recueil de notre ami Damasio nous entraîne sans concession dans l'univers des Geeks et autres startupeurs (ou starup' peurs). Sans brutalité, avec un brin d'humour, à la manière du lapin blanc d'Alice, il nous invite à entrer dans le monde magique du silicium. Accompagné de deux spécialistes du numérique, Lisa Ruth et Fred Turner, il nous prend par la main pour nous embarquer dans l'univers pixélisé des hyper connectés, des habitués du Metaver (monde virtuel), des amoureux de l'IA (intelligence amie), de l'effacement du corps et de l'illusion du mouvement où le « Je » devient Jeu et le « moi » devient Cybermoi/s, avec une interface pour remplacer le bon vieux face à face et/où le contact se fait sans toucher/jamais…

« Noli me tangere : nous irons au concert ensemble dans telle bulle métaversée qui ne puera pas la sueur / nous nous retrouverons au bowling virtuel pour lancer des boules sans poids dans un décor vintage / on se séduira à coups d'avatars animaux pour se toucher par gants interposés / et on criera au harcèlement quand la distance intime sera abstraitement franchie / comme le racontait un cadre d'Oculus qui hallucinait de voir que ces enjeux qui n'ont de sens que dans un réel de chair puisse hanter déjà nos virtualités. Que signifie en effet une intrusion physique dans un espace de pixels ? ».

C'est cette absence d'humanité, de réalité du corpus humanum qui booste Alain Damasio dans une croisade « pour ou contre » le monde numérique. A l'instar de Cixin liu et son problème à 3 corps, notre don quichotte pourfendeur des technologies immatérielles et artificielles va redonner à notre corps organique quatre dimensions damasiennes : le corps, le décorps, le raccorps et l'encorps. L'inimitable style damasien caractérisé par l'utilisation intensive de mots inventés trouve ici son apogée. Si les amoureux de la Horde du Contrevent retrouveront avec bonheur son écriture inimitable, les néophytes risquent d'être désorientés par la stylistique de l'auteur. Sa patte reste pourtant compréhensible et complète harmonieusement sa réflexion philosophique.

« Je les imagine bien surfer nus, de nuit, sur une plage californienne avec leurs bracelets de données tintant aux chevilles et leurs dreads pulsant du dub au bout de leurs tresses de fibre optique. Je les vois crawler ensemble pour leurs potes affalées sur un canap, à dix mille bornes de là, et leur envoyer dans le Reverse les sensations de l'eau glacée, des muscles à la limite de la crampe, cette écume qui ramone les narines et du corps qui se dresse soudain sur la planche en palette de récup pour trancher la vague sous la lune rousse.Il n'y aura peut-être plus pour elleux de différences entre le corps premier, réinvesti pour le plaisir, le décorps avachi du surf on sofa, l'accorps majeur qui sent vibrer les vagues et le raccorps techno qui va les retisser dans la matrice. »

Enfin, La nouvelle qui conclue l'essai et qui s'intitule « Lavée en silicium » est une synthèse haute en couleur de l'ensemble de l'ouvrage. Face au manque d'optimisme de l'essai, elle nous apporte des notes d'espoir et d'espérance dans notre relation future à l'univers numérique. Alain Damasio arrive à faire coexister dans un « Animachina » le monde organique et le monde mécanique. Pour lui, la biomécanique ou l'hybridation organique et inorganique doivent nous permettre de retrouver une sorte de modus vivendi entre l'intelligence humaine et l'intelligence artificielle, une cohabitation pacifique entre la cellule biologique et son double pixélisé.

A une époque où l'importance du temps consacré aux écrans est devenue une cause nationale, où le droit à la déconnexion est revendiqué par tous et face à une intelligence artificielle qui nous fait de plus en plus peur, la vallée du silicium d'Alain Damasio prend tout son sens. En posant les bonnes questions, l'auteur veut y répondre honnêtement voire sincèrement. Son approche toute féminine (voir son chapitre sur la féminisation des pluriels) pour un sujet longtemps masculin, rend original la lecture de son essai. Il le fait sortir largement des sentiers battus et rebattus en nous livrant une vision qui se veut ni manichéenne et ni pluraliste mais qui se tient plutôt dans la nuance. Une nuance qui puise sa force dans la valeur de notre humanisme. Si l'Orange Mécanique de Kubrick avait un goût bien amer, l'Orange Numérique de Damasio est nettement plus sucrée…Je vous invite à la croquer ou à la boire avec moi sans aucune modération.

« Il me fut impossible de dire si, à ce moment-là, jouait toujours en lui la partition enregistrée de son Requiâme ou si quelque chose d'autre s'inventait déjà dans son corps, quelque chose qui improvisait ces mots un à un ainsi qu'on cueille, enfant, au milieu d'une prairie sauvage, une fleur de couleur après l'autre, un bouquet qui a la taille de notre poing et qu'on va offrir, plein de timidité et de fougue, à sa maman. »
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Alain Damasio nous propose dans ce nouveau livre un voyage sans pareil dans l'univers de la Silicon Valley.

C'est un volume hybride : 7 essais (avec parfois un brin de fiction) et une longue nouvelle, "Lavée du silicium", qui a été visiblement nourrie par les considérations plus théoriques qui la précèdent.

Le point commun de tous ces textes c'est le style Damasio, sa pétulance, ses découvertes lexicales. Il aime jouer avec le langage et créé ici des néologismes riches de sens, toujours multiples, qui font mouche.

"Amérique" de Jean Baudrillard a une grande influence, reconnue, sur ces textes. Ce que ce livre pouvait avoir de prémonitoire en 1986 est mis en valeur par Damasio, qui reste admiratif. Il n'est pourtant pas un inconditionnel du Rêve Américain, comme on s'en doute à lire ses prises de positions politiques. Force est de reconnaître que depuis les GAFAM ont complètement modifié notre perception du réel, avec leurs services et leurs applications présentes partout sur terre.

Si Damasio explique dans le détail (et c'est souvent vraiment éclairant) les effets que ces technologies produisent sur nous, qui ne sont pas neutres quoi que disent leurs concepteurs, il n'est pas partisan de renoncer complètement à leur usage. de toute façon, le pourrions-nous encore ?

À la manière des Furtifs Damasio place ses espoirs dans une redécouverte de la nécessité des échanges entre intelligences, artificielles et humaines. Subvertir l'usage de ces technologies, qui enferment et isolent, pour en faire des outils pleinement ouverts lui semble une démarche possible et souhaitable.

Je remercie Babelio et les éditions Albertine/Seuil de m'avoir adressé ce livre puissant dans le cadre d'un opération Masse Critique.



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Quand Damasio s'essaie à l'essai.
Mille mercis aux Editions Albertine/Le Seuil ( et à La Volte) et à Babelio pour cet envoi en Masse critique. C'est un véritable cadeau.
Allumer son IPhone, vérifier ses mails, rechercher une information sur Google, scroller son écran sur Instagram pour passer le temps dans une salle d'attente, commander un bouquin sur Amazon (non, je plaisante) … Qu'on soit aux Etats-Unis, en France, à Oulan-Bator ou à Taïpei, nous faisons tous les mêmes gestes, avons tous les mêmes pratiques qui sont devenues, en un temps record, universelles.
Invité en résidence d'artistes à la villa Albertine à San Francisco, Alain Damasio va confronter sa vision de l'impact de la technologie dans nos vies en se frottant au coeur même de sa création dans la Silicon Valley.
Par sept chroniques, il nous fait part de ses réflexions/intuitions sur le monde qui se crée à cet endroit, centre mondial du numérique. Au fil de ses déplacements, des guides (sociologues, développeurs, cadres français chez Twitter, Google, Meta, Apple…) le pilotent, partagent leurs vues avec lui lors de balades ou d'entretiens autour d'une bière, révèlent l'état d'esprit propre à ce lieu hors normes.

Après avoir lu, « Les furtifs », « Scarlett et Novak » on pourrait soupçonner Damasio d'être technophobe. Il est vrai qu'il est critique quand il évoque The ring, le nouveau siège social d'Apple voulu par Steve Jobs avant sa mort (un anneau pour les gouverner tous), sa froideur de vaisseau spatial, son inaccessibilité de château fort, révélateur de la volonté de la marque de tout contrôler, tout gérer pour ses fidèles. Il n'est pas non plus convaincu par le Meta proposé par Zuckerberg qui, contrairement au casque de réalité augmentée d'Apple, propose un univers absolument clos, où l'individu vivrait seul des expériences « nouvelles » , un concert sans coups d'épaules mais avec de la buée sur son casque, le vent dans ses cheveux en haut d'une falaise… Bref, un rêve de sociopathe pas tout à fait sorti de l'adolescence .
Sa vision des voitures autonomes est également sévère : des voitures blanches vides qui parcourent les rues, tournent sans fin. A moins qu'il n'y ait un pilote, genre Uber, dont la fonction unique est de former la voiture avant que celle-ci ne lui pique son job.
Il énonce alors son intuition de la perte de la réalité de notre corps dans le monde mis en oeuvre dans la vallée du silicium : assis devant un PC fixe (comme moi en ce moment), vautré sur un canap le portable sur les cuisses ou pianotant sur le téléphone, télétravaillant… Seul notre cerveau intéresse les développeurs, les programmateurs et si je me soucie de mon corps, c'est uniquement pour connaitre mes constantes grâce à un bracelet connecté, à des senseurs qui m'indiqueront comment j'ai dormi, quand manger une banane… La rencontre avec un trentenaire qui lui explique sa gestion monitorée de ce corps est assez hallucinante et lui permet de construire une analyse sur le « problème à quatre corps » que, je l'avoue, j'ai eu bien du mal à saisir.
A l'autre bout du spectre, il rapporte sa visite dans le quartier de Tenderloin, où les corps et les esprits aussi d'ailleurs sont abandonnés. A deux rues du siège de Twitter (je préfère aussi Twitter à Space X ) les laissés pour-compte de la vallée, les fous, les handicapés, les drogués vivent à même le sol. Après la fermeture des hôpitaux psy sous Reagan, la ville préfère arroser des associations corrompues plutôt que de confier ces pauvres hères à des services sociaux compétents aptes à suivre ces populations délaissées. Jetez un oeil sur la rue qui accueille le siège de Twitter. C'est bien propre, c'est bien vide, c'est d'une froideur glaciale. Tenderloin est sale, jonchées de détritus, couvertes de toiles de tente mais il y a des gens, cabossés certes, partout.
Cela révélerait l'individualisme forcené de ceux qui sont les élus de ce système, repliés sur leur monde, indifférents à ce qui ne leur correspond pas.
Pour autant, on sent quand même un enthousiasme notamment lors de sa rencontre avec un développeur d'IA qui travaille en particulier sur le langage. A ce stade de ma lecture, je me suis dit « Ah, ça y est. Damasio a basculé ».
Et puis sa dernière chronique remet les choses à leur place : la technologie n'est pas neutre. Elle n'est pas qu'une affaire d'usage. Elle bouleverse notre rapport au monde. « Rien ne nous oblige à devenir le Sapiens de la Silicon Valley, le plus souvent sans même le conscientiser, produit à partir de nos soifs mammifères de confort et de facilité ».
Et de proposer non pas de rejeter ces outils mais d'éduquer à leur bon usage, d'interroger notre relation à eux, d'oser le mantra FURTIF (Fuit Une Réseau Trop Intrusif, Fuir), d'apprendre à bidouiller son matériel, repenser notre relation à l'IA sans complexe d'infériorité….. de recréer du lien, de se réapproprier son corps.

Pour finir, un mot sur le « style Damasio ». L'écriture est pointue mais claire, inventive comme toujours « serf-made men, les valets de la vallée, ton petit toi(t)-tout-seul, les artivistes ou hacktivistes, la Digitalie, les paramaîtres, imachiner » pour n'en donner que quelques-uns. Et toujours ces glyphes qui ponctuent en quelque sorte le propos.

Ah, j'allais oublier. le bouquin se termine sur une nouvelle inédite : un blackout se produit sur San Francisco. Une famille prisonnière dans son appartement est séparée par la fermeture de portes de sécurité par l'IA domotique de la maison qui se contente d'obéir aux consignes. Chouette nouvelle que je vais probablement proposée à mes élèves qui ont beaucoup aimé Scarlett et Novak.
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Un début de lecture un peu difficile, je ne suis pas une lectrice assidue de Damasio et j'ai eu parfois la sensation qu'il se faisait plaisir à parler (écrire) en oubliant un peu ses lecteurs sur le côté de la route ! Puis petit à petit, j'ai eu la sensation qu'il voulait partager son engouement pour cette résidence à San Francisco et ces visites au coeur de la Silicon Valley et j'ai eu l'impression de le voir exulter d'être où il se trouvait !

7 chroniques pour 7 thèmes, même si finalement ils n'en forment qu'un seul mais cela a permis à l'auteur de traiter les sujets en profondeur et à donner libre cours à ses idées et ses extrapolations !

Dans un langage soutenu et adapté à ce qu'il découvre, voire créé pour coller aux avancées technologiques, il analyse et extrapole vers une dystopie qui me semble déjà bien plus proche d'année en année ! Il y a beaucoup d'humour et de dérision dans ses propos et j'ai ri quelques fois !

Sa relation du passage en douane et des voitures autonomes sont, pour moi, des grands moments de littérature sarcastique ! Grâce à lui, j'ai appris ou compris ou mieux cerné des choses qui sont allées très vite dans le temps et si pour certains c'est intellectuellement fascinant, pour d'autres c'est manifestement une recherche de pouvoir et d'argent.

Encore plus qu'ailleurs où tout ce qui va devenir “demain”, la Silicon Valley est un milieu très fermé, replié sur lui-même et cela m'a fait songer plus d'une fois à une secte qui ne s'intéresse qu'à ceux qui lui apporteront le plus mais jamais à ceux dans le besoin le plus élémentaire !

La nouvelle de science-fiction qui clôture ce livre est tout à fait adaptée à ce qui commence à émerger dans la population qui se veut “à la pointe de...” !

Je reconnais qu'avec quelques années de moins j'aurais vraiment aimé travailler à développer toutes ces techniques et technologies pour aider à vivre mieux, tout en sachant que les inventions gardent rarement leur usage premier ! Et puis il y a beaucoup trop de choses que j'aime du monde vivant, celui où l'on marche, où l'on hume les odeurs, où l'on parle avec un autre être humain pour me laisser aller à être imprégnée de cette culture et dépasser le stade de la geekette !

Merci à Alain Damasio de remettre les choses à leur juste place et avec leur juste valeur ; je pense que ce livre peut aider à se faire une opinion et peut-être décider de la manière dont la technologie va nous aider à mieux vivre.

#massecritiquebabelio #valleedusilicium

Challenge Gourmand 2023/2024
Masse Critique mars 2024
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Alain Damasio est parti à la découverte de la Silicon Valley et du temple Apple où se joue déjà l'avenir de l'humanité. Nos existences ont en effet été intégralement modifiées par l'usage de nos smartphones qui dirigent nos vies en se rendant indispensables à chaque moment de notre quotidien. Une nouvelle manière de vivre est à l'oeuvre, une transformation progressive de l'humain en esclave de la machine, enfermé dans un individualisme de plus en plus accentué, développant des relations virtuelles, obsédé par un besoin de tout maitriser, orienté vers un besoin de consommer exacerbé, bref, prisonnier de ce qui devrait le libérer.

Tout cela est dirigé de ce petit territoire californien, devenu le berceau du transhumanisme et d'une révolution mondiale de nos modes de vie dirigée par un capitalisme ultra-libéral. Car de fait nous ne maitrisons plus rien mais nous sommes au contraire de moins en moins vivants, coupés de nos milieux naturels, prisonniers d'un progrès qui peut se retourner contre nous comme ces voitures sans conducteurs devenues folles car leur programme a été modifié. Et qui foncent sur nous.
Nous sommes arrivés à un tel niveau de technologie que l'on peut désormais vivre, travailler, manger, voyager, se distraire, faire du sport, en restant enfermé dans sa chambre ou n'en sortant que pour un footing, le casque sur les oreilles…coupé des autres et de la vie réelle.

Alain Damasio nous propose une réflexion passionnante sur les enjeux du développement de l'intelligence artificielle, sur les contrastes qu'il a observé aux Etats Unis entre des quartiers ultra riches à la pointe de la technologie jouxtant la misère matérielle et psychologique dans une indifférence absolue, les relations que nous sommes amenés à tisser avec cette IA pour qu'elle améliore notre vie plutôt que ne la dégrade. Car le monde de demain, qui est déjà le nôtre, devra composer avec.
Son livre se termine par une nouvelle qui illustre bien l'hérésie de confier entièrement notre sécurité à des machines, la fragilité de nos vies citadines devant les dérèglements climatiques et la frustration de créer des enfants machines…un récit de SF presque d'actualité.
Bref il est urgent de maitriser l'IA avant qu'elle nous possède et de la mettre au service de causes positives. Et de rester vivants.
Merci aux éditions du Seuil, à la collection Albertine et à Babelio pour cette lecture stimulante !
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Voir la vie à travers les yeux de Damasio, quel privilège.

Est-il encore besoin de présenter cet auteur français de SF de haute volée ? Philosophe pertinent, penseur engagé, écrivain de l'imaginaire incontournable. Infatigable lanceur d'alerte à la plume racée au mot juste et aux jeux de lettres aussi fluides que ses univers.

Vallée du Silicium, que se cache-t-il derrière ce titre énigmatique et cet objet feuillu à la robe camouflage mêlant un gris urbain à un orange électrique ?

Un régal absolu pour celui qui suit ce maître à penser dissident depuis l'aube.

Ses écrits de fiction sont des petits chefs d'oeuvres, distillés au compte-goutte tant le soin qui est apporté sur le fond autant que sur la forme. Et parce qu'ils nécessitent une réflexion aussi poussée que celle qu'elle suscitera chez le lecteur ébahi devant l'ouvrage, je me console avec ses occasionnelles interventions. Toujours électrisées, fulgurantes de pertinences, l'auteur interpelle par la finesse de son discernement et sa sagacité éclairée.

Ici il relate un voyage dans la Silicone Valley, vallée du silicium, berceau de la tech, dans toute sa démesure ricaine, notamment "The ring", cherchez-donc une photo de l'édifice, siège d'Apple, « la Mecque du mac » comme il le dit si bien. le silicium étant un métal largement utilisé dans la confection des appareils électroniques qui régissent notre quotidien. Il profite d'un voyage en famille pour aller au coeur de la tech, la ou les pétaoctets de données grouillent et parmi les cerveaux (malheureusement trop blancs) les plus agiles qui conçoivent notre quotidien de demain. Car la technologie nous transforme, les algorithmes influent de plus en plus sur nos habitudes, créant des routines décidées par les géants de la tech. Elles nous rassurent, nous informent, nous endorment, nous déconnectent, nous rendent addicts, omniprésentes dans un quotidien de plus en plus numérique, c'est ce qu'il appelle le techno cocon dans lequel on vit.

Damasio analyse via ces techno-chroniques les travers de cette technologie qui nous entoure. Préférant largement GAÏA aux GAFA. J'allais dire Damasio, jamais sage. Et pourtant il y a tant de sagesse sous-jacente dans ces propos résolument engagés.

Empreinte du numérique, voitures autonomes, ravages du capitalisme latent derrière ces évolutions, dérives du tout connecté rejoignent des questionnements sur l'intelligence artificielle tout est traité avec parti pris sans tomber dans l'écueil facile du manichéisme. C'est finement argumenté, référencé, et enrichi de citations d'illustres penseurs modernes tels que Jean Baudrillard ou Gilles Deleuze, on à la chance d'avoir ici la clairvoyance de Damasio pour nous éclairer de sa vision vulgarisant juste ce qu'il faut de citations parfois complexes. Ces brillantes chroniques sont complétées par une nouvelle agile et croustillante qui termine ce recueil ancré dans le réel, avec une fiction qui tord une dystopie qu'on pourrait presque toucher du doigt tant elle est baignée dans le possible.

Je ne vais pas plus rentrer que ça dans le contenu abordé ou ce que j'en retire. L'expérience et le cheminement qui seront les votre lors de la lecture étant nécessaires.
Je clôture ce billet sur l'excellente surprise que nous glisse l'auteur, toujours inclusif, levant un doigt au patriarcat : une féminisation des pluriels, si ça déroute les trois ou quatre premières fois, cela devient super addictif par la suite et c'est le genre de petites révolutions littéraires qui fait germer de bons déclics.










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Les 30 jours sont passés et me voici au pied du mur pour parler de ce magnifique livre reçu par le biais de Babelio et sa Masse critique: merci!
Je l'ai lu, j'ai écouté Damasio dans diverses émissions radiophoniques, et je me sens bien petite pour pouvoir donner un avis éclairé sur cet essai!
Commençons par le commencement: peu de temps après les périodes de confinement, Damasio se rend dans la Silicon Valley à la rencontre des GAFA et leurs petites mains. Il y découvre un futur technologique déjà pleinement présent et hyper connecté.
Dans un paysage semi-désertique, au coeur de la banlieue de Cupertino, Apple Park, un lieu de vie et de travail clos dans un cercle parfait visible de l'espace d'où, on peut imaginer, les habitants ne sortent que rarement puisque tout y est disponible, créant un entresoi de l'entreprise Apple. Impressionnant.
Au coeur de ses pérégrinations dans cette vallée du Silicium, seul ou accompagné de son frère ou de sa femmes et filles, Damasio rencontre donc des personnes vivant dans ce futur hyper connecté et pleinement satisfaites de pouvoir évoluer grâce à cette technologie qui sonde, analyse, émet des résultats sous formes de courbes et de chiffres et enfin conseille, pour réguler, les différentes activités corporelles potentiellement négatives ou positives pour l'usager.
Plongé dans cet univers GAFAesque, Damasio revient sur notre ultra-dépendance ou ultra-rapport, comme vous voulez, à ce petit rectangle qu'on caresse, touche, et garde auprès de nous nuit et jour et qui, qu'on le veuille ou non, a totalement changé tous les aspects de notre vie.
Il se montre à la fois fasciné et critique face à ce que l'humanité a été capable de créer à partir de si peu pour finalement considérer que notre avenir dépendra de notre capacité à vivre avec l'IA et consorts sans jamais en devenir l'eclave, en harmonie et intelligence, d'où l'importance d'une éducation de la population.
Le livre se termine par un beau cadeau, une nouvelle au coeur de San Francisco en proie à une tempête puissance dix dans une ville totalement dépendante de l'IA.
La plume de Damasio est toujours aussi poétique et exigeante et c'est un essai que je reprendrai sans aucun doute par bribes car je suis loin d'avoir tout digéré. Une réflexion intelligente, pertinente et nécessaire sur cette révolution technologique qui a interpénétré nos vies, qu'on le veuille ou non.
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Voici bien une lecture que je n'aurais pas choisie sans proposition de Masse critique et qui s'est avérée passionnante et fort déstabilisante.

La vision prophétique de Alain Damasio nous offre un futur de plus en plus déshumanisé et dématérialisé, où se croisent des voitures autonomes, des quartiers miséreux jouxtant les richissimes produits I.Tech de la Silicon Valley, et toutes autres transformations de l'environnement humain et urbain.

La petite nouvelle d'anticipation de fin de livre fait figure de friandise après les chapitres de réflexion précédents: une famille piégée dans un gratte-ciel, face à un ouragan exceptionnel de pluies acides sur San Francisco.
Le « tout » technologie s'apparente à un piège mortifère, quand les sources d'énergie et les services associés disparaissent et/ou que l'IA prend le pas sur l'humain.

Tout ça fait un peu froid dans le dos!
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