J'ai commencé "
Le Petit Chose" sans réelle conviction, à moitié convaincue par les éloges de certains de ses lecteurs qui en vantaient la tendresse et une certaine forme de poésie, la touche d'humour et l'enfance. Toutes choses qui habituellement me touchent.
Sauf que "
Le Petit Chose" et ses promesses, c'est
Alphonse Daudet et... comment dire?...
Alphonse Daudet...
J'ai un souvenir effroyable et poisseux d'ennui de "
Tartarin de Tarascon". Quant aux "
Lettres de mon Moulin", je ne sauverai parmi elles que "
L'Arlésienne" qui en classe de quatrième m'avait bouleversée et "
La Chèvre de Monsieur Seguin", parce que, c'est bien connu, plus les histoires sont tristes et cruelles et plus elles fascinent et attirent, même si elles font mal. Ah "
La Chèvre de Monsieur Seguin"... Celle-là, oui je l'aimerai toujours. Mon papa en avait une version magnifiquement illustrée, le genre d'albums qui sent bon les années 60, et il me la lisait souvent le soir. Naturellement, il en faisait des tonnes, et moi j'adorais ça, j'en redemandais même si j'avais toujours envie de pleurer au moment où le soleil se lève et où succombe la petite chèvre, après s'être tant battue...
La Chèvre et
l'Arlésienne, je les garde, mais le reste des Lettres... C'est long... souvent fastidieux. Peut-être que ça a seulement mal vieilli... mais bon sang, la vieillesse n'est pas une excuse. Si?
Par ailleurs, l'homme Daudet n'est pas des plus séduisants quand on se penche sur lui. J'entends bien qu'il faille savoir dissocier un homme de l'artiste et qu'en son temps, ses idées pour nauséabondes qu'elles fussent, étaient fort répandues mais on parle tout de même de l'homme qui prêta à Drumont l'argent qui lui manquait pour publier "La France Juive".
Inutile donc de préciser après tout cela que "
Le Petit Chose" n'était pas en tête de mes priorités littéraires.
Et pourtant, magie des lettres, je me suis décidée à m'y plonger et je l'ai tant aimé que je l'ai dévoré d'une traite.
J'ai ri et j'ai pleuré avec ce Daniel Eyssette qui m'a touchée autant qu'il m'a agacée, avec sa sensiblerie et ses pleurnicheries, ses crises de doute et ses angoisses, ses rêves de grandeurs et ses choix discutables.
Je l'ai aimé enfant du midi exilé dans les brumes lyonnaises, enfant de la ruine paternelle contraint trop tôt à quitter le nid pour un pensionnat sans lumières.
Je l'ai aimé, jeune homme terrorisé battant le pavé parisien à la recherche de la gloire qu'un papillon doit lui offrir, trop tendre et pas assez bohème.
Il y a dans ce roman, dont on devine avec compassion la veine autobiographique, l'enfance et surtout le mal qu'elle nous fait lorsqu'elle nous quitte, mais on y trouve aussi en creux une morale bien ambiguë et une vision extrêmement sombre de la société qui contraint bien souvent au renoncement et à l'oubli.
Ainsi "
Le Petit Chose" est un ouvrage bien plus profond que ce qu'on pourrait croire, qui emprunte autant à
Zola qu'à Dickens, mais à un Dickens qui aurait lorgné, l'espace d'un court instant, du côté de "Peter Pan". C'est sans doute là la force d'Alphonse Daudet dont la plume se révèle d'une poésie souvent confondante, à grands coups de personnifications et d'une sensibilité à fleur de page qui ne transparaît jamais autant que lors des passages où la narration passe presque insensiblement de la première à la troisième personne. C'est plein de grâce et de joliesse et d'une dose d'humour bienvenue, le contrepoint idéal à la tristesse qui nimbe le roman.
C'est triste et drôle "
Le Petit Chose", tendre et cruel aussi.
Finalement, c'est un roman qui ressemble un peu à la vie et il en a la beauté.
D'Alphonse Daudet, je n'en attendais pas tant.