Le roman court qui me réconcilie (presque) avec le Steampunk
Ce roman court (ou novella, comme disent les anglo-saxons) de 120 pages est proposé, c'est à signaler, au prix très attractif de 2 euros (votre serviteur l'ayant même eu neuf pour 1 seul misérable euro). Il raconte, comme son nom l'indique, l'histoire de Melchior Hauser, un automate (traduisez : robot à la mode steampunk) qui, dans la quête de ses origines et du dépassement de sa forme physique limitée, va nous faire voyager sur une Terre uchronique de l'époque Napoléonienne. Pas fan du tout de Steampunk, c'est avec quelques appréhensions que je commence ce texte.
- Contexte
le cadre est Napoléonien (et forcément uchronique, Steampunk oblige) : nous sommes en 1824, et le conquérant (toujours vivant et au pouvoir) vient de rendre la monnaie de sa pièce à la Russie, prenant les grandes villes de l'ouest, dont Moscou, en une campagne d'été qui a parfaitement tiré les leçons de celle, désastreuse, de 1812. le Tsar voit son territoire amputé, et se retrouve souverain de tout ce qui se trouve à l'est de l'Oural. Dans les faits, il se retrouve « roi de Sibérie ». Un de ses derniers actes est d' »affranchir » son Automate joueur d'échecs, Melchior Hauser, lui donnant la liberté d'aller où bon lui semble pour mener à bien sa quête, pour répondre aux questions existentielles (« ai-je une âme ? ») qui le tourmentent. Pour cela, il devra aller au coeur de l'Europe, à la recherche de son créateur, Viktor Hauser, sorte de Léonard de Vinci steampunk, alchimiste, scientifique et médecin radié par son Ordre pour des expériences pas très catholiques avec des cadavres. Il sera accompagné dans son voyage par un (ancien) militaire, se posant lui-aussi bien des questions sur l'âme après le décès de son épouse.
Alors attention, qui dit uchronie Napoléonienne ne signifie pas que vous allez vous retrouver avec un équivalent de Téméraire ou de Bolitho /
Sharpe / Aubrey / Hornblower : ni l'intrigue, ni l'ambiance ni quoi que ce soit n'est centré sur l'aspect militaire de cette époque troublée. Et puis Melchior joue aux échecs, c'est pas Terminator, hein…
- Robotique et intelligence artificielle du 19ème siècle
D'ailleurs, puisqu'on parle de Terminator… Certes, il s'agit bien de robotique et d'intelligence(-conscience) artificielle (la différence est de taille : le Monolithe de 2001-2010-2061-3001 d'Arthur Clarke est intelligent mais pas conscient), mais dans le cadre de la plupart des limitations imposées par la technologie du 19ème (du moins au début du roman, après les choses s'améliorent sensiblement sur certains plans). Par exemple, Melchior n'est pas alimenté par une quelconque source d'énergie high-tech générant de l'électricité mais par le même genre d'engrenages qui fait fonctionner un réveil-matin à l'ancienne ou une boite à musique. Conséquence : il doit régulièrement être « remonté » à l'aide d'une clef, toutes les 27 heures maximum. de même, sa structure de bois et de cuivre doit fréquemment être huilée et cirée.
Ses capacités sensorielles, sa mémoire ou sa faculté de s'exprimer dans différentes langues sont limitées (au passage, il n'a qu'un vocabulaire très restreint à sa disposition pour l'expression orale et n'a pas d'ouïe : il lit sur les lèvres et s'exprime la plupart du temps à l'écrit). L'auteur décrit très bien ses différentes capacités et limitations dans le livre. Un des buts de sa quête sera d'ailleurs de s'affranchir de toutes ces contraintes, de devenir plus autonome (s'il recherche son « père », c'est aussi pour bénéficier d'un « upgrade »).
J'ai trouvé que l'aspect robotique / IA, et plus généralement tout ce qui concerne la technologie dans un cadre Steampunk, était remarquablement traité. de ce point de vue là, c'est clairement le plus réussi des textes appartenant à ce genre littéraire que j'ai pu lire. Et puis faire de Pinocchio une IA, quel trait de génie, franchement…
- Narration et personnages
Melchior a deux « frères », également l'oeuvre de la science ou des connaissances alchimiques de son père. Il connaît l'existence du premier, qui n'est autre que Kaspar Hauser, très mystérieux personnage historique ayant réellement existé et qui trouve ici une origine tout à fait passionnante : il se trouve que Viktor Hauser faisait mumuse avec l'électricité comme un certain Docteur Frankenstein, avec le même matériau de base (des cadavres frais) et avec le même but : résurrection et immortalité. Au passage, l'origine du nom du père de Melchior est facile à expliquer : Hauser comme nom de famille pour le relier à Kaspar, Viktor en hommage à Frankenstein, qui porte le même prénom.
Par contre, Melchior n'apprendra l'existence du second frère, Balthazar, qu'à la fin de la novella (très réussie, d'ailleurs). le lecteur, lui, connaît son histoire, son existence et ses motivations, car la narration alterne entre (grands) chapitres vus du point de vue de Melchior (sous forme d'un journal personnel) et (petits) chapitres vus selon celui de Balthazar.
- Steampunk, SF biologique et uchronie
J'ai trouvé l'aspect uchronique fouillé, précis et réussi, et ai apprécié l'utilisation astucieuse du personnage bien réel de Kaspar. J'ai été agréablement surpris par l'introduction d'un petit aspect SF biologique à la Frankenstein, et aurait été conquis (pour une fois…) par l'aspect Steampunk s'il n'y avait pas, pour moi, la grosse faute de goût que constitue l'utilisation de l'alchimie et l'origine de Balthazar. Une partie de mon rejet des Voies d'Anubis de
Tim Powers est justement due au fait que ce roman mêle Steampunk et une sorcellerie qui, de mon point de vue, n'a pas grand-chose à y faire. Là, c'est pareil : pour moi, le Steampunk, c'est de la science, rétrofuturiste, certes, mais de la science, la magie n'a rien à y faire. Si quelqu'un veut écrire dans un cadre victorien et mêler magie et technologie, qu'il publie de la Flintlock ou de la Gaslamp Fantasy, mais ne mélangeons pas tout.
J'ai eu l'impression (sans doute très personnelle et qui n'est pas le reflet des intentions de l'auteur), à la lecture d'un passage précis vu côté Balthazar et de la fin, qu'il y avait des parallèles à faire (sinon un hommage) avec l'Arthur Clarke de 2001 / 2010. de même, j'ai cru déceler un vague hommage à
Harlan Ellison.
- En conclusion
Ce roman court initiatique présente des personnages très réussis, un contexte uchronique fouillé et crédible (avec une habile utilisation de personnages / faits historiques) et un aspect purement Steampunk assez formidable, malheureusement gâché (de mon point de vue) par l'introduction d'un aspect ésotérique / alchimique plutôt malvenu. L'intrigue, la caractérisation des personnages et le tableau fait de l'univers (de son évolution technologique fulgurante, de ses différentes contrées -on voyage beaucoup, de la Russie à Nuremberg, puis l'Angleterre et enfin l'Afrique-) sont d'une densité assez remarquable pour un texte aussi court, mais le texte laisse malgré tout un net goût de trop-peu : j'aurais adoré voir l'univers, l'intrigue et les protagonistes / antagonistes être développés dans un roman BEAUCOUP plus gros. La fin, vertigineuse, est franchement réussie. La thématique de l'IA, les questionnements autour du statut objet / personne, autour de l'intelligence, de la conscience et de l'âme, sont traités avec pertinence et éveillent l'intérêt (tout cela m'a rappelé certains épisodes centrés sur Data dans Star Trek : TNG).
Bref, je suis à deux doigts d'être réconcilié avec le Steampunk grâce à cette novella, trouve qu'ils'agit de l'euro le mieux employé depuis les Librio consacrés à
Lovecraft / Clarke /
Asimov achetés il y a une quinzaine d'années, et dis un grand et sincère bravo à Mr Day.
Il faut tout de même souligner que dans l'oeuvre de l'auteur, ce texte est quelque peu singulier, par l'absence de sexe explicite / glauque ou (en grande partie) de violence qui caractérise d'habitude
Thomas Day. Par contre, la cruauté qui est également une de ses marques de fabrique est plutôt présente, au moins dans la destinée des personnages.
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