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EAN : 9782021038958
334 pages
Seuil (03/03/2011)
4.25/5   10 notes
Résumé :

Les signes d'une crise profonde se multiplient dans les organisations et plus largement dans le monde du travail: stress, hum out, dépressions, suicides, perte de sens, précarité, pertes d'emplois, révoltes, manifestations, séquestrations, occupations; autant de manifestations destructives qui semblent toucher l'ensemble des entreprises et des institutions, privées et publiques... Mais peut-on encore parler de crise lorsqu'el... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Dans « Travail, les raisons de la colère », Vincent de Gaulejac, directeur du Laboratoire de changement social de l'Université Paris 7-Diderot, développe une analyse aussi méticuleuse que fournie sur le monde du travail actuel et ses dérives. Il utilise pour cela l'approche de la sociologie clinique.
Au fondement de cette école sociologique se trouve l'idée selon laquelle les phénomènes sociaux ne peuvent être réellement compris que si l'on ajoute à l'analyse objective une dimension subjective, c'est-à-dire la façon dont ces phénomènes sont vécus par les personnes concernées.
Le jeu de mots du titre, qui rappelle « Les raisins de la colère » de Steinbeck, est très évocateur : il s'agit pour l'auteur de montrer à quel point l'économique a pris le pas sur le politique et engendre ainsi malaise et oppression.

Le phénomène des suicides au travail, notamment dans des grandes entreprises françaises, constitue le point de départ de cette enquête sociologique. A partir de ces suicides, l'auteur s'interroge sur une contradiction apparente : alors que les conditions objectives de travail se sont améliorées (diminution du temps de travail, congés payés…), on observe une détérioration de la santé psychique des travailleurs, dont le suicide est l'expression la plus violente.

Pourquoi, dans le monde du travail, à l'heure actuelle, n'arrive-t-on pas à transformer cette force destructrice à l'oeuvre en une énergie créatrice ? Cette question guide la construction de l'ouvrage, articulée en trois parties. Etant donnée l'approche retenue, celle de la sociologie clinique, la première partie présente le diagnostic fait par l'auteur du mal-être au travail.
Cette première partie souligne les mutations qu'a connues le monde du travail au cours du XXème siècle ainsi que la centralité du travail dans nos sociétés modernes. Il montre également la difficulté à nommer le mal-être au travail, entre harcèlement, violence, souffrance psychique et, plus récemment, risques psycho-sociaux. Cette dernière notion est très critiquée car elle tend à nier la réalité du mal-être au travail en ne la faisant passer que pour une potentialité. Cette partie s'achève sur l'étude de deux cas tristement célèbres, France Télécom et Renault, pour mettre en évidence la dénégation du phénomène par le top management.

L'irruption de l'idéologie managériale des ressources humaines, à l'oeuvre depuis les années 1980, dans le secteur public constitue l'objet de la seconde partie de l'ouvrage, destinée à mieux comprendre le new public management fondé sur la notion de capital humain, forgée par les économistes ultralibéraux.
Cette partie montre avec quelle brutalité a été mise en oeuvre la révision générale des politiques publiques dans tous les secteurs de la fonction publique. L'auteur s'appuie ici sur de nombreux exemples qui peuvent tous nous toucher : l'Education Nationale, la Protection de l'Enfance, l'Hôpital, la Police, Pôle Emploi… Il montre aussi la difficulté d'un tel changement dans le secteur public dont les employés avaient auparavant l'habitude de traiter les citoyens comme des usagers et non comme des clients comme ils sont aujourd'hui sommés de le faire.
A partir de ces exemples, Vincent de Gaulejac met en évidence deux maux : la prescriptophrénie (« maladie qui consiste à vouloir tout prescrire, décrire, standardiser, classer, ordonner » p.171) et la quantophrénie (« maladie de la mesure » p.171). Il montre que ces maux découlent d'une vision positiviste, utilitariste du travail et des hommes, qui sont désormais évalués non pas selon les critères de l'art qu'il exerce mais à partir d'indicateurs chiffrés, dont parés d'une objectivité apparente mais superficielle, calculés a priori.

Enfin, la dernière partie expose une approche plus globale des évolutions, dans laquelle il insiste sur le processus de taylorisation du secteur tertiaire, sur le passage d'un mode de management par le stress dans les années 1980 à un management par le chaos actuellement, sur l'évolution de la recherche de profitabilité et non plus seulement de rentabilité, sur la montée de l'individualisation de l'évaluation dont le résultat est l'anéantissement des formes collectives de contestation.
Tout cela aboutit à la mise en place de systèmes paradoxants qui envoient continuellement des injonctions contradictoires aux travailleurs et une pression psychique toujours plus aigüe pour les employés. En cela, la simultanéité de la révolution managériale et l'irruption des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans l'entreprise, dont le but est de renforcer le contrôle de gestion, érige l'idéal comme une norme que tous les travailleurs devraient attendre, générant ainsi des pathologies psychiques, et ce d'autant plus que les grandes organisations hypermodernes demandent à chaque travailleur de faire siens les objectifs de l'entreprise. En retour, les échecs sont également individualisés donc plus lourds à porter pour chacun.

A mes yeux ce livre est très intéressant pour prendre du recul sur ce que nous vivons tous au quotidien dans notre activité professionnelle, à des degrés divers : nous sommes tous concernés par la question du travail car elle est centrale dans l'organisation de nos sociétés. le regard critique de la sociologie clinique permet de comprendre les mécanismes à l'oeuvre. Il permet aussi de rappeler que les ressources humaines sont une idéologie, dont les fondements sont donc contestables, et non pas une vérité comme l'approche positiviste actuelle du management tend ou cherche à le faire croire. En effet, il apparaît très clairement à la lecture de cet ouvrage que le passage de la dénomination de « personnel » à « ressources humaines » n'a été qu'un tour de passe-passe idéologique visant à transformer l'humain en ressource, c'est-à-dire à le « chosifier ». Contre cette évolution, l'auteur plaide la nécessité de la colère, l'expression du mécontentement et des souffrances au travail car si elles ne s'expriment pas, alors nous retournons la violence contre nous-mêmes, sous la forme d'un mal-être, de dépressions, de suicides…
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Cet essai de grande envergure traite le thème du travail selon une perspective de sociologie clinique, où l'attribut possède sans doute davantage de poids que le substantif. Aussi, les pathologies liées au travail en constituent-elles le sujet d'analyse, non pas parce qu'elles en seraient nécessairement constitutives, mais parce qu'elles découlent, au contraire, d'une conception qui caractérise le capitalisme néolibéral dans son ensemble. Dans ces conditions, elles sont analysées par des cas tirés du secteur privé comme public, à l'aune des facteurs idéologiques propres au néolibéralisme, idéologie conçue en vue de l'occultation de ses contradictions et des mécanismes d'exercice du pouvoir qui lui sont spécifiques. La démonstration comprend des éléments d'une grande généralité, ceux qui ont traits à ce système économique ainsi qu'à la conception du travail (salarié) dans son ensemble, autant que des études de cas très circonscrits. L'accent porté sur les pathologies, et en particuliers sur les suicides au travail, dont on parle moins qu'au moment de la publication de l'ouvrage (2011), pourrait faire songer à un catastrophisme indu par rapport au sujet ; au contraire, la spécificité de la critique économique ainsi que la Conclusion de l'ouvrage révèlent la possibilité d'une réversibilité relativement optimiste.



Table [commentée] :

I. le mal-être au travail, premiers constats :

1. le travail, un phénomène sociopsychique total et contradictoire [où il est question de la tripartition du travail : le faire-l'avoir-l'être, donc d'un lieu de tensions contradictoires]

2. Inquiétantes mutations [où il est question des mutations du travail apportées par la financiarisation de l'économie, et en particulier sur la métamorphose de la colère salariale en désespérance face à un pouvoir inaccessible, désespérance dont le suicide au travail constitue le symptôme le plus dramatique]

3. Violence, souffrance, risques psychosociaux... Comment désigner le mal ? [où il est montré que le choix de l'un des trois termes ci-dessus possède des implications foncièrement politiques : l'auteur, quant à lui, choisit : "le mal-être"]

4. Quels diagnostiques ? [où l'actualité de la fin de la décennie 2000, avec les suicides chez Renault Guyancourt, France Télécom, ainsi que dans la fonction publique, provoque la rédaction de plusieurs rapports commandités par les pouvoirs publiques, dont 4 sont commentés chacun dans son empreinte politique, chacun constituant une « tentative d'euphémiser le débat »]

5. France Télécom face à la "nouvelle mode" des suicides [gros plan sur un « cas » où les politiques de restructuration et de réorganisation sont mises en cause]

6. Dénégations, incompréhensions, évitement... [autres études de cas : Renault, IBM, PSA, SNCF, et l'inefficacité du "name and shame" à la française]

II. Malaise dans les institutions publiques

7. La nouvelle gestion publique [où les principes du "New public management" sont énoncés et son application en France dénoncée]

8. « La RGPP m'a tué » [où les effets destructeurs de la « Révision générale des politiques publiques » lancée en 2007 sont constatés sur la protection judiciaire de la jeunesse (suicide de Catherine Kokoszka), sur l'Université et la production scientifique, sur la police, sur Pôle emploi]

9. La réforme hospitalière, un exemple de prescriptophrénie aiguë [gros plan sur la réforme hospitalière à l'aune de l'idéologie du "capital santé", transformant la santé d'un droit en un devoir]

10. L'obsession évaluatrice [où l'on commence à apercevoir le mode opératoire unifié entre secteur privé et publique]

11. Violence paradoxale, paradoxes de la violence [ou comment « produire l'exclusion pour améliorer la productivité » et d'autres perversions semblables...]

III. Les sources du mal-être :

12. de la destruction créatrice à la création destructrice [de la fonction de la "crise" comme moteur du capitalisme néolibéral financiarisé : valeur actionnariale, ROE et LBO, métamorphose du modèle fordiste au modèle Walmart (du hard discount)]

13. Les désordres organisationnels et les systèmes paradoxants [où les conséquences de ce « capitalisme de crise » sont explorées sur le travail : en particulier « le chaos comme mode de management », la « double contrainte » à partir d'injonctions contradictoires érigée en système d'organisation. En découlent les paradoxes suivants : « paradoxe de l'urgence : plus on gagne du temps, moins on en a » ; « paradoxe de l'excellence durable : la réussite mène immanquablement à l'échec » ; « paradoxe de l'autonomie contrôlée » ; « l'obligation d'adhérer librement » ; « paradoxe du travail empêché » ; « paradoxe de la désubjectivation impliquée » ; « paradoxe de la coopération : l'organisation est un système de coopération qui empêche de travailler ensemble ».]

14. La « révolution managériale » [suite sur la modification des attentes de l'entreprise par rapport aux travailleurs et aux managers, en particulier : « la pratique de l'oxymore comme moyen de survie »]

15. Les NTIC et le pouvoir de la norme [où le constat dû à Michel Foucault du passage du pouvoir de la loi à celui de la norme est décliné par le développement des « Nouvelles technologies d'information et de communication »]

16. Un imaginaire organisationnel leurrant [où il est question des connotations psychologiques rattachées au travail, conçu comme « élément central de l'imaginaire social ». En particulier sont explorés les leurres du mérite et de la reconnaissance, de la rationalité et de la gouvernance par les chiffres]

17. La psyché mobilisée au service de l'entreprise [suite sur les « correspondances psycho-organisationnelles » et leurs conséquences pathologiques : intensification du travail, « normalisation de l'idéal »]

Conclusion [où un espoir point au loin, à condition de réaliser une nouvelle conception du management : « Il convient donc d'inverser la vision du "facteur humain" en considérant que l'humain n'est pas une ressource pour l'entreprise mais que c'est l'entreprise qui devrait être une ressource au service d'une finalité : le bien-être individuel et collectif. » (p. 312)]
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Jadis source d'accomplissement personnel, d'estime de soi, de liens sociaux et de reconnaissance sociale, le travail est de plus en plus souvent vécu sur le mode du mal-être.
Cette étude des dégâts psychiques et sociaux engendrés par la déshumanisation du travail aborde les cas de plusieurs entreprises françaises ainsi que les problèmes entraînés par la nouvelle gestion des entreprises publiques.
Lien : http://archives.universcienc..
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
5. « L'imaginaire managérial à l’œuvre dans les entreprises hypermodernes se veut l'élément moteur du projet de globalisation économique. Sous couvert de rationalité économique, d'objectivité scientifique et de pragmatisme gestionnaire, cet imaginaire légitime la logique exclusive de profit comme moteur du système économique, l'enrichissement individuel comme moteur d'un projet de vie et l'utilitarisme comme moteur du lien social.
Sous couvert de rationalité, le management est en définitive une idéologie qui tend à occulter la conception du pouvoir qui le fonde. Cette idéologie légitime une vision marchande de l'humain comme ressource pour naturaliser sa mise à disposition de l'entreprise comme facteur de production. Elle applique au travail les principes de gestion conçus pour gérer la production de biens. Elle développe une approche objectivante des organisations humaines qui est l'une des principales sources de mal-être au travail. Elle transforme l'individu en capital qu'il doit rentabiliser sur le marché de l'emploi, elle réduit le travail à sa valeur productive selon les étalons de mesure imposés par la logique financière, elle objective le "facteur humain", ce qui entraîne un processus de désubjectivation systématique sur les plans affectif, émotionnel et réflexif. » (p. 297)
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4. « Les patients sont, eux aussi, entraînés dans cette mutation idéologique et technologique. Ils deviennent les clients d'une entreprise de soins qui les invite à chercher le meilleur rapport qualité-prix, à mettre en concurrence les soignants et les services, à gérer leur capital santé au meilleur coût, dans les délais les plus courts. Si l'humain est une ressource qu'il convient de gérer au mieux pour la mettre au service de l'efficacité économique, il est normal que le patient participe lui-même à ce conditionnement : guérir pour redevenir employable et s'adapter au marché du travail. Il lui faut intégrer que la maladie est un coût pour la collectivité qu'il doit réduire. Il est donc responsable de sa santé, se doit de se maintenir en forme. La santé n'est plus un droit, mais un devoir. » (p. 182)
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2. « [Le contrat de travail] décrit les apports respectifs de l'employé et de l'entreprise, les droits et les devoirs de chacun, les contributions et les rétributions attendues. Dans le contrat narcissique, il s'agit d'autre chose. L'entreprise propose aux employés un défi qui est de l'ordre de l'idéal. Elle leur offre le moyen de se dépasser, de se surpasser, d'atteindre l'excellence. Ce contrat imaginaire s'appuie sur la concordance entre les valeurs de performance et d'excellence présentées par l'entreprise et les désirs de toute-puissance, les idéaux de perfection plus ou moins inconscients. Ce n'est pas seulement la force du travail qui est sollicitée mais l'énergie libidinale. » (p. 34)
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1. « La crise du travail touche tous ces registres, le faire, l'avoir et l'être. Le mal-être au travail est, à ce titre, un symptôme. Il est la conséquence d'un déficit de reconnaissance sur les trois plans : une activité dévalorisée, non reconnue ou qui perd son sens ; des rétributions qui ne sont pas ou plus à la hauteur des contributions attendues ; une vulnérabilité identitaire qui provoque un manque à être, un conflit entre les aspirations existentielles et leurs réalisations, une rupture interne entre le moi et l'idéal qui fragilise les assises narcissiques. » (p. 27)
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3. « Bon nombre de spécialistes mettent en avant le coût humain et le coût économique des risques psychosociaux, parce qu'ils pensent que c'est le seul argument recevable par les gestionnaires. Les experts ont intériorisé l'idée que c'est en faisant la démonstration que le stress représente un coût financier important qu'ils pourront obtenir l'oreille des dirigeants et les amener à entériner les "solutions" préconisées. Leur position a le mérite d'être pragmatique. Mais le réalisme peut être mauvais conseiller. En effet, ce point de départ conduit à considérer le mal-être au travail à travers le prisme du coût qu'il représente et à construire des "solutions" qui permettent de réduire ce coût. Or, la réduction des coûts ne conduit pas forcément à l'éradication des causes. » (pp. 132-133)
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