C'est un livre que je n'aurais pas eu l'occasion de lire, sans doute, si je n'avais pas eu le catalogue des sorties des Éditions J'ai Lu sous le nez. Et pourtant, ça aurait été une belle perte, car le titre comptera parmi mes coups de coeurs de ce mois de février. Après le beau récit de
Charline Malaval et
le Chant du Perroquet, qui nous amenait dans la région du Nordeste puis à Sao Paolo,
Frances de Pontes Peebles nous fait elle aussi traverser les plaines désertiques du pays depuis le Nordeste jusqu'à Rio de Janeiro et son Mont du Pain de Sucre. Précédemment sorti en broché aux éditions Flammarion, l'auteure de ce roman, née dans le Nordeste, a grandi à Miami, a écrit en anglais ce roman pourtant brésilien jusqu'aux bouts des ongles. C'est un deuxième titre pour
Frances de Pontes Peebles, et d'après ce que j'ai pu lire ici et là dernièrement, le second roman est beaucoup plus difficile à écrire, dit-on : je ne sais pas si cela a été le cas, de fait le résultat n'en laisse rien paraître. Quant à son premier roman
La couturière, il a obtenu le grand prix des lectrices du Elle américain en 2008.
À chaque fois que j'ouvre un roman brésilien, il flotte dans l'air un air, en arrière-fond ou en premier plan, de samba: la bossa nova chez
le chant du Perroquet, la Samba de Roda, ici. le Brésil est une terre de musique et de danse forcément l'un ne va pas sans l'autre là-bas, je le savais déjà, Mais j'ignorais à quel point la musique, plus encore que tous les hommes d'État qui se sont succédés, pouvait unir le peuple, représentante peut-être la plus juste et la plus grande des Brésiliens, et dans quelle mesure la Samba pouvait regrouper autant de sous-genres différents. La Samba, en musique de fond, devient peu à peu assourdissante laissant celles et ceux qui la chantent, la joue, la compose davantage en arrière-plan. Au milieu de tout cela il y a d'abord Dores, orpheline, jeune fille de cuisine dans la Grande Maison qui abrite les propriétaires de la plantation de cannes à sucres, qui rencontre Graça, unique enfant des propriétaires de la plantation, bientôt orpheline, et liée toutes les deux par une envie de liberté, une aspiration à une vie meilleure, de chant, de musique, qu'elles ont découvert par hasard un soir à travers le cercle de musique que forment les employés, se regroupant à l'écart de la demeure.
La relation des jeunes filles est donc déséquilibrée dès le départ, toute une classe sociale les sépare, mais pas seulement. Graça est jolie et possède une voix belle, contrairement à ce qui sera sa compagne de vie au sein de Rio la grande. Ce couple d'amies inséparables et indissociables, malgré tout, va grandir et évoluer jusqu'à connaître la célébrité, encore une fois
Frances de Pontes Peebles va faire en sorte que cette amitié, et cette rivalité, soit le noyau dur qui lie les deux filles devenues femmes, jusqu'à la toute fin. Là où les deux jeunes femmes auraient pu être séparées, par le succès de l'une en dépit de l'autre, l'une vie dans l'ombre de la lumière de l'autre, la force de leur relation et des liens qui unissent les membres du groupe prend le dessus. C'est avec un grand intérêt que l'on suit l'évolution de Dores et Graça, et que l'on appréhende la difficulté pour l'une d'accepter le succès de l'autre et surtout d'accepter que sa place n'est pas forcément sous les feux des projecteurs des scènes. L'auteure brésilienne a écrit un roman passionnant, avec beaucoup d'intelligence, sur la réalité de la nature humaine, sa complexité, ses antagonismes, avec beaucoup de sensibilité sur la réalité de ce qu'était son pays et beaucoup d'esprit sur l'expérience du succès, sa rançon et ses conséquences.
C'est la voix de la discrète Dores, mais tellement expressive, qui guide le lecteur à travers le Nordeste brésilien et la capitale du pays, cette voix qui évoque avec tendresse et regrets son amie, de son symbiote, cette même voix qui composait les chansons du groupe. Cette capacité à créer et inventer, et se réinventer, plutôt qu'à interpréter est la force de cette femme, qui a passé sa vie à être à l'ombre de son amie. Si Frances la démiurge a mis la gloire et la grâce dans les mains de Garça, elle a pris soin d'attribuer les capacités à vivre à Dores. L'auteure a su exploiter avec bonheur ce duo de personnages, les failles de chacune qui donnent continuellement à ce groupe un équilibre précaire, ses deux voix, celle qui chante, celle qui s'exprime dans les paroles, n'allant pas l'une sans l'autre.
Encore une belle découverte, inattendue, je ne m'attendais pas vraiment à me laisser totalement emporter avec cette même passion que
Frances de Pontes Peebles a pu investir son roman. La richesse d'un pays comme le Brésil se laisse à chaque fois redécouvrir, sous de nouveaux angles, à chaque nouvelle lecture et c'est un plaisir dont je ne me lasse décidément pas. Je ne me lasse pas non plus de lire cette rage de vivre dont sont empreintes ces jeunes filles, dont elles font l'expérience chacune à leur façon, qui leur font traverser le meilleur, parfois le pire, au son de ces rodas, typiquement brésiliennes, qui donnent à ce roman un attrait supplémentaire, que l'on ne trouve nulle part ailleurs que dans ces romans ou la culture et l'esprit brésilien sont omniprésents en toile de fond.
Frances de de Pontes Peebles est, je pense, une auteure à suivre de près. Elle est l'auteure de nombreuses nouvelles qui n'ont pas été traduites jusqu'à présent Girls of the immortal garden, 2020. Elle n'en est qu'à son deuxième roman mais autant le premier
La Couturière que ce second titre ont réussi à charmer pas mal de lecteurs, moi comprise.
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