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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Je me suis souvenue que je n'avais encore lu aucun livre de Don DeLillo après avoir découvert la très inspirante critique de L'homme qui tombe par Creisifiction. Et j'ai choisi de commencer par Bruit de fond sur les conseils entrecroisés du susdit, de Bobfutur et de HordeDuContrevent. Qu'ils en soient tous trois remerciés.

Bruit de fond (« White noise » ) est l'histoire d'un professeur d'université, Jack Gladney, et de sa famille nombreuse et recomposée dont la petite ville du Midwest, Blacksmith, est évacuée après un accident industriel. Ce résumé, pourtant factuellement exact, en dit à peu près autant sur ce livre que la boutade de Woody Allen vantant les mérites de la lecture rapide appliquée à Guerre et paix : « Ça parle de la Russie ». 
Quoique « Ça parle de l'Amérique » serait déjà un premier pas dans la compréhension d'un livre écrit dans les années quatre-vingts et pourtant toujours très actuel, bien plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. Une Amérique où personne n'est responsable, où personne n'a le contrôle sur rien, où les individus sont, non pas les acteurs de leur propre vie, mais les réceptacles plus ou moins consentants de stimuli auditifs et sensoriels variés, pitoyables objets d'événements fortuits parfois désastreux, enfin consommateurs insatiables se rendant rituellement dans ce haut temple de la consommation de masse qu'est le supermarché local.

En dépit de la présence discrète et écrasante d'Hitler, dont Jack Gladney est devenu l'expert national et incontesté, en dépit d'une ambiance aux relents apocalyptiques, le livre met en scène des événements finalement très ordinaires : des individus aux prises avec l'angoisse et le mystère qui irriguent leur vie quotidienne.
J'ai beaucoup pensé à Philip K.Dick durant ma lecture, un auteur également très doué pour mettre en récit l'étrangeté de la vie ordinaire. du reste, il ne serait guère surprenant que DeLillo qui a, pour son quatrième opus, L'étoile de Ratner, choisi le genre de la science-fiction, connût bien l'oeuvre de Philip K.Dick. Dans celle-ci, en particulier dans son chef-d'oeuvre, Ubik, où la frontière entre le monde des vivants et le monde des morts est devenue si poreuse que l'on ne sait plus qui est en vie ou qui est mort, on trouve également une critique acerbe de la société de consommation et de son avatar incontournable, le marketing. Dans Bruit de fond, qui excelle à retranscrire la bande-son de la société américaine, la télévision et la radio éructent à toute heure du jour et de la nuit leurs messages vides de sens en total décalage avec ce que vivent les individus empêtrés dans les rets d'une angoisse mortifère, créant au passage un effet comique indéniable.
Ainsi, tandis qu'un Jack Gladney effrayé, avec toute sa famille entassée dans la voiture, tente de fuir le nuage toxique flottant au-dessus de leur petite ville, une voix à la radio ânonne : “C'est l'hologramme arc-en-ciel qui donne à cette carte de crédit une force étonnante de pénétration.” »
Ou encore, lorsque, rejoignant Denise, la fille de sa femme Babette, dans sa chambre pour lui annoncer la découverte stupéfiante qu'il vient de faire au sujet de sa mère, le narrateur entend « la voix au bout du lit qui susurre : “En attendant, voici une garniture vite faite et charmante, à base de citron, qui convient parfaitement pour n'importe quel fruit de mer.”

Don DeLillo est incontestablement un analyste hors pair des peurs et des symptômes de notre temps, mais c'est aussi une oreille, une oreille qui sait capter mieux que quiconque la musicalité langagière de notre époque. Tous les dialogues en particulier sonnent de façon surprenante. Bien que réalistes, ils dégagent un curieux parfum d'étrangeté. Un exemple parmi des dizaines d'autres :

« Ce pauvre Cotsakis, emporté par une vague, dis-je. Cet homme énorme.
— C'est bien lui.
— Je ne sais vraiment que dire.
— Il était gros, ça, c'est sûr.
— Fabuleusement gros, dis-je. (…)
— Partir ainsi sans laisser de trace. Etre emporté, balayé.
— Je me souviens de lui si parfaitement.
— D'une certaine manière, je trouve ça curieux, dit-il, que nous puissions nous souvenir des morts. »

Ce qui se cache derrière l'angoisse et le mystère de la vie, c'est, bien sûr, la peur de la mort. Véritable sujet du livre, la crainte de la mort, traitée ici avec un humour qui n'est pas sans rappeler … Woody Allen, en particulier le personnage hypocondriaque obsédé par sa mort prochaine qu'il incarne dans « Hannah et ses soeurs », irrigue tout le récit, qu'elle prenne la forme inhabituelle d'un gros nuage noir et toxique, ou qu'elle se niche dans les moindres replis du quotidien : routine, déchets, vieilleries accumulées, reportages TV…
Cette peur prend rapidement un tour obsessionnel chez le narrateur, Jack Gladney, qui, la nuit, se « réveille dans les sueurs de l'agonie. Impuissant en face d'une terreur incontrôlable. »

Sa peur subit un approfondissement assez net et un début d'incarnation quand la base de données de l'ordinateur siégeant dans le camp où les habitants de Blacksmith ont été évacués, lui révèle que son organisme comporte des traces de nyodène D, le pesticide exhalé par le nuage toxique :
« Tout le problème est de savoir si je vais ou non survivre à ce produit. Il a en effet une durée de vie qui lui est propre. Trente ans. Même s'il ne me tue pas directement, il survivra probablement à mon corps. Si je meurs par exemple dans un accident d'avion, le nyodène d'restera florissant dans ma tombe. »

Sa peur se creuse encore davantage quand, abasourdi, il apprend que sa femme Babette, qu'il croyait résolument du côté de la vie et immunisée contre l'angoisse, la subit en réalité depuis fort longtemps, à tel point qu'elle se prête en grand secret à l'insu de sa famille à une expérimentation médicamenteuse hasardeuse initiée par un laboratoire de recherche à l'éthique douteuse qui prétend avoir isolé et pouvoir inhiber les neurones responsables de la crainte de la mort.

Enfin, la peur de Jack Gladney se mue en panique quand les analyses révèlent la présence de « grosseurs confuses » dans son organisme. Nous sommes tous des condamnés à mort en sursis. Disons que dans ce cas précis, le sursis vient d'être brutalement levé.
« Je sais seulement que je ne continue de vivre que grâce à une vitesse acquise, à la force d'inertie. En fait, je suis déjà mort. »
Que faire contre cette peur et contre l'approche imminente de la mort ? Rien, semble répondre Jack le fataliste… faire l'autruche, ce qui revient au même. Une seule chose à faire, suggère son étrange ami Ramsey : tuer un homme, n'importe lequel, pour ne pas mourir :
« Tuer un homme, c'est augmenter la durée de votre propre vie. Plus vous tuez de gens, plus vous augmentez votre survie. (…) Les moribonds succombent avec passivité. Les tueurs vivent. Quelle merveilleuse équation ! »

J'éprouve généralement une intense jubilation à la lecture des (grands) livres qui parlent de la mort, et Bruit de fond n'a pas dérogé à la règle, même si j'ai trouvé parfois qu'il manquait de rythme et qu'il ne tenait pas toutes ses promesses. J'attendais en particulier davantage qu'un saupoudrage de la part d'un livre qui fait de l'enseignement de Hitler la spécialité de son narrateur. Ce sont là de bien petites réserves au regard de la joie ressentie à cette lecture. La mort, donc, chez les autres et quand elle est tenue en respect par l'humour et par l'écriture, me fait jubiler. Elle me fait me sentir moins seule. Lorsque j'ai compris, je veux dire vraiment compris, intégré, que j'étais destinée à mourir comme tout un chacun, mon regard sur la vie a changé du tout au tout. Je me souviens que cette prise de conscience a coïncidé avec la lecture d'un livre : « Tous les hommes sont mortels » de Simone de Beauvoir. Et pour moi, cette prise de conscience s'est immédiatement accompagnée d'une autre : j'ai compris que je n'étais pas cet astre autour duquel gravitaient des satellites plus ou moins proches, mais un dérisoire grain de poussière parmi des millards d'autres. Autrement dit, j'ai compris que la foule des gens qui m'environnait (j'étais dans le métro lors de ma douloureuse prise de conscience) avait la même légitimité que moi à se considérer comme le centre de tout, ce qui ne pouvait signifier qu'une chose : personne, y compris moi, n'était le centre de rien.

« C'est le moment de l'année, le moment du jour où une petite tristesse insistante passe dans la texture même des choses. Crépuscule, silence, froid glacial. La solitude s'infiltre même dans les os. »
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Je remercie un Babeliote qui se reconnaitra pour m'avoir donné envie de lire ce livre. Ce livre auquel je mets 5 étoiles. Mais, vous en conviendrez, il y a plusieurs types de 5 étoiles, les 5 étoiles la plupart du temps voulant dire que nous avons beaucoup aimé un livre, pour ne pas dire adorer, et les 5 étoiles en jaune or, plus rares, qui clignotent tel un warning, indiquant « attention chef d'oeuvre ». Ce sont bien ces étoiles-là, celles indiquant un chef d'oeuvre, que je mets ici. D'ailleurs mon livre finit avec un nombre incroyable de pages cornées, comme autant d'enthousiasmes à surtout ne pas oublier et à revisiter. Je ne sais pas vous, mais chez moi le nombre de pages cornées est un bon indicateur du plaisir de lecture pris. Ce livre finit en une multitude de pliures attestant d'un plaisir immense et jubilatoire.

Voici l'histoire d'un couple, Jack et Babette, dans l'Amérique profonde, famille recomposée avec leur ribambelle d'enfants que nous découvrons vivre en assez bonne harmonie. le début de l'histoire est douillette, agréable, amoureuse. Petit plaid pour une histoire que je pense être familiale et de facture classique. Mais très vite, ce cocon se fissure, un ensemble de petits éléments viennent lézarder cette apparente harmonie. Conte, fable ou dystopie, je ne sais comment qualifier cette histoire mais disons que nous sommes dans une société telle que la nôtre (du moins telle qu'elle était en 1985) mais où certains éléments sont accentués, étirés, amplifiés. Avec humour, cynisme, de façon décalée et grinçante. Avec une plume remarquable. Nous sourions, nous rions aux éclats parfois, nous sommes gênés, interpellés, émerveillés…

Par exemple, les enfants semblent éduquer leurs parents, avec des arguments implacables débités d'une voix de robot, enfants précoces ou Asperger, je ne sais mais c'est glaçant, et ce dès leur plus jeune âge. Seul le tout petit Wilder semble pour le moment épargné. Ils créent un certain malaise de sorte que les réunions familiales deviennent lourdes, parfois absurdes. du moins pour nous lecteurs et témoins, car les parents eux ont une patience en or et alimentent même cet état. Les adultes sont d'ailleurs par moment complètement immatures, le summum de la bêtise et de la vulgarité étant les déjeuners entre les collègues de Jack. Ensuite, nous apprenons, et cela semble commun et normal, que Jack en est à son cinquième mariage. Professeur à l'Université, il a créé avec succès un département d'enseignement dédié entièrement à Hitler. Succès tel qu'un de ses collègues veut à tout prix monter une chaire analogue dédiée à Elvis Presley. le plaisir ultime de cette famille est d'aller tous ensemble faire des achats au grand centre commercial, plus les achats sont compulsifs, plus le bonheur est tutoyé : « Il me semble que Babette et moi, par la quantité et la variété de nos achats, par la parfaite plénitude que suggèrent ces sacs bourrés, par leurs poids, leur taille et leur nombre, par l'éclat et la couleur de leurs emballages, par leur taille géante, par les paquets familiaux, par les autocollants fluorescents, par l'impression d'achèvement qu'ils nous procurent, par le bien-être, la sécurité et le contentement qu'ils apportent à quelque coin de notre âme douillette, il nous semble que nous avons atteint un épanouissement de l'être qui est ignoré de ceux qui n'ont pas besoin de tout ça, dont les désirs sont moindres et qui bâtissent leur vie autour de promenades solitaires à la tombée de la nuit ». La nature est d'ailleurs complètement absente, nous sommes dans les lisières, la périphérie, ces abords sans âme et sans beauté, où centres commerciaux, restaurants, et magasins abandonnés servent de décors (cela devrait plaire à Olivier Adam d'ailleurs) à des virées familiales. Manger dans la voiture, sur un parking sinistre, du poulet et des frites commandés dans un boui boui quelconque semble procurer beaucoup de plaisir, communion familiale confinée dans les odeurs de gras et d'humidité. Enfin rumeurs et fake news sont mêlés dans un flux constant d'informations (tiens depuis 1985 nous nous sommes approchés de cela).

Nature absente vous l'aurez compris et pourtant des scènes d'un esthétisme à couper le souffle. le fils de Jack sur son tricycle rouge traversant une autoroute bondée à double trois voies à l'avant dernier chapitre, des couchers de soleil anormalement beaux, aux couleurs flamboyantes quasi fluorescentes, admirés avec un mélange de terreur et d'émerveillement, un nuage toxique digne des plus beaux films catastrophes…des images apocalyptiques. La fin du monde semble proche.

Et nous touchons là le coeur du livre : la peur de la mort. Jack et Babette ont une terrible peur de la mort. Au point de tester un médicament expérimental censé annihiler la zone du cerveau responsable de cette peur malgré les effets secondaires possibles. Au point de se compromettre. La peur de la mort qui, quotidiennement, est contrebalancée par les bruits de fond. Ils sont omniprésents, apaisants, rassurants. Telle une berceuse : « Les portes automatiques s'ouvrent et se referment avec de profonds soupirs. le bruit des pas trainants surnage au-dessus d'une douzaine d'autres sons, tels que le bourdonnement sourd du système de ventilation, le bruissement des journaux des clients qui veulent découvrir rapidement leur horoscope, le chuchotement des vieilles dames aux visages poudrés, le grondement régulier des voitures qui contournent une tranchée dans la chaussée… ». le silence est synonyme de mort. En cela le livre contraste avec un autre livre de l'auteur, le seul que j'ai lu il y a 20 ans, Body art, où j'avais été marquée par son silence assourdissant. Les bruits de fond ronronnent, coeur rassurant, synonymes de vie ou de survie. Au point où Jack et Betty, pour se rassurer, imagine la mort comme un son, un son uniforme et neutre.
Pouvons-nous échapper à la gravité qui nous rapproche de la mort, en arrêtant d'obéir, en volant au lieu d'acheter, en tirant au lieu de parler ? Ou encore grâce « au refoulement, au camouflage, à l'enfouissement, à l'épuration » ? Certaines personnes y parviennent mieux que d'autres, c'est tout. le petit Wilder émerveille, attire et apaise ses parents car il est à un âge où la mort n'existe pas, où elle n'est pas conscientisée, sa traversée en tricycle de l'autoroute en étant la preuve.

Finalement la mort n'est-elle pas ce qui donne son caractère précieux à la vie ? Voilà les multiples questions que pose ce livre de façon déjantée. C'est un livre magistral. Visionnaire. Esthétique. Il m'aura fallu attendre 35 ans pour que ce livre se trouve sur mon chemin. Je n'ai qu'une envie ce soir : découvrir d'autres titres de Don DeLillo.


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Les mariages, les naissances, les séparations, les familles recomposées, le travail, le footing, les études, les courses, les repas, les conversations, les disputes et le nuage toxique de nyodène d'-tels sont les événements qui sous-tendent ce Bruit de fond :


« Nous avons affaire à du nyodène D. Une toute nouvelle génération de déchets toxiques qui correspondent à l'avancée technologique. Un millionième de millionième peut transformer un rat en bonne santé en un rat sénile. »


Jack vit avec sa dernière épouse en date, Babette, et quelques-uns de leurs enfants issus de précédents mariages. Après avoir suivi des parcours conjugaux compliqués, ils semblent enfin avoir trouvé une accalmie en menant leur vie l'un avec l'autre. L'oeil à l'affût, on chercherait désespérément une faille à cette harmonie familiale qui ne prétend même pas être parfaite -mais il n'y en a pas. Chaque personnage montre une personnalité caractérisée jusqu'à l'outrance dans les voies les plus originales qu'il soit. Jack enseigne des cours d'Hitler au College on the Hills et pour assurer sa crédibilité, il arbore lunettes noires, moustache et accent allemand face à ses élèves. Babette incarne la santé triomphante : équilibrée et bonne vivante, elle consent même à vouloir suivre un régime pour ne pas écraser les autres de son énergie incroyable. Elle essaie d'avoir l'air névrosée, pour correspondre aux normes d'une époque et d'une société, mais ne réussit qu'à mieux affirmer la vigueur de son corps et l'équilibre de son esprit.Les enfants sont indénombrables : entre ceux qui partent, ceux qui reviennent et ceux qui restent dans le foyer à l'année, il est parfois difficile de s'y retrouver mais leurs personnalités déjà bien affirmées, entre le surdoué sceptique, la traqueuse pharmaceutique et le bébé aux prétentions d'immortalité, achèvent le portrait d'une famille devenue nouvel individu à part entière.


« La famille est le berceau des informations erronées du monde. Il doit y avoir quelque chose dans la vie familiale qui engendre les erreurs sur les faits. »


Le processus perturbateur ne pouvait provenir que de l'extérieur. Un jour, un nuage de nyodène D. se répand au-dessus de la ville suite à un accident ferroviaire. Les autorités et les experts s'inquiètent du comportement et des effets imprévisibles de cette nouvelle substance toxique. Dans le secret des laboratoires, les scientifiques semblent prendre autant de plaisir à jouer avec la vie que Jack s'amuse à enseigner l'Hitlerisme. Sont-ce les mêmes scientifiques qui ont élaboré les médicaments que Babette s'entête à prendre malgré les amnésies qu'ils semblent provoquer ? Quoiqu'il en soit, Jack, Babette et les leurs vont devoir prendre la poudre d'escampette. Mais alors qu'il s'arrête à une station service, Jack inspire une grande bouffée de nyodène D. Ou peut-être pas...


« La culpabilité de l'homme, au cours de l'histoire et dans les remous même de son propre sang, a gagné de la complexité grâce à la technologie. La mort sournoise suinte dans le quotidien. »


On retrouve là une idée qui parcourt toutes les conceptions mythologiques faites par l'humanité : la némésis est proportionnelle à l'hybris. Au cours des derniers siècles de démesure technologique et industrielle, quelles menaces pèsent sur nos existences ? Comment être sûr que la chimie va vous tuer plus rapidement que prévu ? Partagé entre terreur et dignité, Jack brûle d'envie de confier son angoisse aux siens, mais il tient aussi à leur épargner cette inquiétude peut-être inutile et à confiner la mort au sein de sa seule conscience. Savait-il qu'entre temps, Babette se battait elle aussi face à une ambivalence de même nature ? Et pourquoi les enfants du couple ont-ils des comportements aussi étranges ? le nyodène D. semble avoir agi comme un puissant révélateur de la mort qui rôde entre chaque individu. le nyodène D. a révélé ce bruit de fond qui nous construit et nous particularise à notre insu.


« - Comment te sentirais-tu si tu étais un minable ?
Content d'être en vie. »


Avec le même détachement et le même humour, Don Delillo avance dans sa conception d'un sentiment tragique. Il redonne de la grandeur au moindre détail, au moindre savoir, au moindre geste. Qu'il s'agisse d'observer le caractère liturgique de la messe télévisée ou les promesses d'immortalité que prodiguent les centres commerciaux, Don Delillo parvient à dévoiler cette mort qui attend les hommes au prochain tournant. Et puis alors ? Il faut bien oublier et se passionner en attendant, et si la mort doit malgré tout surgir, elle le fera de manière insolite, à la manière d'une ritournelle de comptine, bouffonne et presque inoffensive.


« Babette parle aux chiens et aux chats. Je vois des petites taches colorées dans le coin de mon oeil droit. Babette, le visage rouge d'excitation, projette, toujours sans résultat, d'aller faire du ski. En montant la colline pour me rendre à l'université, je remarque la peinture blanche des grosses pierres qui bordent les sentiers des nouvelles demeures.
Qui mourra le premier ? »


Ce bruit de fond agit aussi puissamment que le nyodène D. Sa verve intarissable, son humour féroce et son attachement désespéré aux détails n'ont d'égale que l'absolue omniprésence de la mort qui gouverne ses sujets.

Lien : http://colimasson.over-blog...
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Vous qui n'avait pas encore frotté votre être aux livres du grand Don, celui-ci est pour vous en guise d'introduction.
Multitude de thèmes, histoire plutôt palpitante, dialogues sous Asperger, introduction et conclusion inoubliables.
Venez...
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Superbe, dingue, visionnaire, poétique, je n'en jette plus, j'ai adoré ce roman complément barré du Grand, de l'exceptionnel Don.
Trame se déroulant au sein d'une famille américaine recomposée, les enfants parlent comme des adultes complètement déshumanisés, on dirait des enfants mutants sans sentiments et remplis d'informations inutiles, les dialogues sont excellents, superbes, ciselés.
Le livre, paru en 1986, interroge sur la perte d'humanité, les flux constants d'information (ce bruit de fond), la course frénétique aux achats, peut on créer un médicament qui annihile la peur de la mort ?
Scènes hallucinantes dans ce livre, notamment le fils du héros qui dévale et traverse un autoroute à 3 voies sur son tricycle, un nuage toxique digne d'un beau film catastrophe, visite médicale dans un cabinet hyper moderne.
Un professeur qui a mis en place tout un cursus universitaire sur le seul Hitler et un autre qui conscient du succès rencontré par l'entreprise souhaite ouvrir un cursus sur Elvis Presley.
C'est dense, c'est magnifique, c'et le grand Don dans toute sa splendeur.
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Une petite ville américaine, Jack est professeur d'université. Il vit avec sa nombreuse famille et sa nouvelle épouse Babette.
Jack enseigne "Hitler" à l'université. Jack est, en fait, à l'origine de l'idée d'enseigner cette matière. Il est donc considéré comme le spécialiste de cette matière.
Nous suivons Jack et sa famille au quotidien et dans toutes leurs activités. Ce qui donne lieu à des scènes surréalistes et très drôles - particulièrement dans les supermarchés.
Leur vie va se trouver bouleversée lorsqu'un gros nuage noir envahit le ciel de leur ville, c'est un gaz toxique qui s'est répandu dans l'air suite à un accident de train.
La population ne va plus cesser d'écouter la radio. le gros nuage noir va devenir le nuage de haute toxicité. Les filles de la maison vont ressentir les différents symptômes à mesure qu'ils sont évoqués à la radio.
La population va être évacuée un certain temps.
L'évacuation a un côté terriblement irréel, d'ailleurs l'organisme qui s'occupe de l'évacuation s'appelle "EVASIMU", ce qui signifie évacuation simultanée.
EVASIMU va d'ailleurs se servir de cet accident pour améliorer ses exercices d'évacuation selon le principe que ce que l'on répète n'arrive jamais dans la réalité.
Jack, suite à son exposition aux émanations toxiques va développer une angoisse de la mort qui va s'immiscer dans son quotidien.
Babette est ,elle aussi, obsédée par la mort. Elle prend même un traitement expérimental, sensé faire disparaître la peur de la mort.
Jack et Babette se disputent régulièrement pour savoir quel sera celui qui souffrira le plus de la mort de l'autre, chacun prétendant vouloir mourir le premier.

Don Delillo pointe les travers, les obsessions, les phobies de la classe moyenne américaine. Cela donne lieu à des dialogues cocasses. Notamment, entre Jack et Murray, son collègue à l'origine du séminaire sur Elvis Presley.
Il pose le problème de la médiatisation à outrance qui peut avoir une influence délétère sur le comportement des gens.
Un livre très réussi.
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"Bruit de fond" fait partie de ces Livres qu'on découvre un peu par hazard, je l'avais trouvé en langue espagnole et je manquais de courage pour le lire dans cette langue, je l'ai donc acheté en francais et j'ai été émerveillé, peu de Livres m'ont fait cette impression, "Ubik", "La conjuraron des imbéciles", et queques autres... je ne dirai pas un mot du roman, non pas par peur d'en dévoiler la trame, mais parce que le plus important n'est pas l'histoire mais les ressorts psychologiques qui animent les personnages qui oscillent entre obscession, folie. La peur de la mort est la cause de la démence des personnages exprime avec un génie de l'absurde et de l'humour. A savourer lentement de toute urgence.
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Tout commence avec une file de breaks, une longue file scintillante. Des breaks remplis à ras bord, d'objets, vêtements, couvertures, chaussures, bottes, papiers, livres, draps, oreillers, couvertures, tapis sacs, vélos, skis, selles, canots….C'est le mois de septembre et nous entrons dans le huitième roman de Don Delillo : Bruit de fond.

« Est-ce que c'est la mort ?

– Pas comme ça, dit-il.

– Que voulez-vous dire ?

– Pas en ces termes.

– Combien de mots faudra-t-il donc ? »

Lors de l'écriture de son roman, Don Delillo avait donné deux titres pour ce dernier. « The american book of the dead » puis « Panasonic », avant de devenir « White Noise ». Ce roman du bruit, celui de la vie et de la mort, celui d'un modèle de société toujours plus bruyant et chaotique, une frénésie comme tension permanente qui s'inscrit autant dans la collecivité que dans notre intimité.

Nous suivons Jack, un professeur et chef de département d'études sur Hitler au College on the Hill. Nous croisons Babette sa femme, leurs enfants, issus de différents mariages, nous rencontrons un personnage singulier qui donne des cours d'allemand à Jack, un vieux couple sénile, un collègue plutôt farfelu et libidineux de Jack. Tout se beau monde vie et s'anime quotidiennement dans la petite ville de Blacksmith.

Mais vient un jour où la mécanique s'enraye, un train déraille et un gaz toxique se repend dans l'air obligeant les habitants à partir se réfugier ailleurs. Un incident qui va révéler les fêlures d'une routine, qui dans le cas de Jack, comme d'autres, sert avant tout à lutter contre les angoisses de mort. Et si la mort était un bruit de fond permanent ?

Rarement, un roman aura porté aussi bien son nom. Nous sommes là face à un texte bruyant, qui dans sa manière nous fait ressentir à chaque instant la surabondance d'informations visuelles et sonores qui enferment le protagoniste dans une sécurité illusoire. le roman commence avec du bruit et une débauche d'informations, décliné en liste non-exhaustive d'objets hétéroclites et représentatifs de notre société contemporaine, mais se termine de la même manière, par du bruit, du mouvement, des listes. Entre nous, découvrons un chaos qui ne dit jamais son nom, mais qui vient perturber cette apparente sécurité pour interroger sur le devenir de l'individu et la fatalité qui finit toujours par nous rattraper.

Mais au-delà des listes, des bruits, de la tension sociétale permanente, lire Bruit de fond et seulement s'arrêter à la satire d'une société qui perd la tête, serait occulter la finesse d'analyse de Delillo et ce qu'il dit de notre époque en sous-texte.

Ainsi, l'auteur aborde la disparition, celle de l'individu, des repères, de l'originalité, dans ce bruit constant qui parcourt le roman, tout devient commun, banal, dupliqué, répété. L'individu devient une masse collective, la grange la plus photographiée du monde, une banale attraction photographiée des milliers de fois, les produits de consommation des visuels de rayonnage en supermarché. En creux, nous abordons cette constante disparition dévorée par l'ogre consumériste moderne.

Ce que l'incident du train met temporairement en exergue, mais qui aussi finit par échouer à révéler dans sa seconde partie par des simulations et reconstitutions rendant l'incident anecdotique et dépossédée de sa valeur catastrophique à l'échelle de l'individu comme du collectif.

Tout comme Jack, vient alors petit à petit ce questionnement, in fine, qu'est-ce que la mort si ce n'est que cette surabondance de bruit de fond ?

Alors que dire de ce “Bruit de fond”, ce huitième roman de Delillo ?
Vous en avez entendu parlé récemment, d'un côté par l'adaptation en film sorti sur Netflix et réalisé par Noah Baumbach, mais aussi de l'autre dans l'actualité et le train dans l'Ohio qui eu les mêmes conséquences qu'à Blacksmith. Nous avons beaucoup parlé de son livre pour ces deux anecdotes. Mais Don Delillo ne se résume pas à ça, et “Bruit de fond” encore moi. Il s'agit ici avec “Libra” d'un de ses romans les plus abordables qu'il ait pu écrire. Mais il s'agit aussi d'un de ses meilleurs romans tant il y a matière à se perdre dans l'analyse dès que nous cherchons à surmonter le bruit permanent. Un texte qui brille autant par le fond que par la forme tant l'écriture s'avère virtuose de la première à la dernière page, qui par sa manière d'aborder son histoire arrive à nous submerger en permanence d'informations, comme un bruit perpétuel sans pour autant nous perdre dans l'idée première de l'oeuvre, celle du réel et de son simulacre et comment cohabite l'ensemble.
Lien : https://www.undernierlivre.n..
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