Comment aborder
l'Art Brut ? En voilà, une bonne question. À laquelle
Céline Delavaux répond dès le début de son guide : par la méthode douce, c'est-à-dire en allant voir des oeuvres (encore faut-il pouvoir, mais c'est un autre sujet, et puis on peut toujours utiliser le web pour commencer), ou par la méthode choc... c'est-à-dire en lisant
Jean Dubuffet avant toute chose (ce qui demande pas mal de volonté). J'aimerais bien savoir combien de personnes sont prêtes à adopter la méthode choc, quand même... En tout cas je n'en fais pas partie,
Dubuffet viendra en son temps - bientôt, évidemment, comme tout ce que j'ai prévu de lire.
Et que lire sur
l'Art Brut quand on veut s'y mettre, hormis
Dubuffet, s'entend ? Les incontournables que sont les pavés de
Lucienne Peiry ou
Michel Thévoz ? Il faut déjà être bien décidé. Alors autre chose ? Oui mais quoi ? Serait-ce ce guide de
Céline Delavaux qui va nous sauver ??? Parce qu'après tout, un guide, c'est ce qui paraît le plus adapté pour une introduction à
l'Art Brut. Oui mais non. Je m'explique : je me pose à peu près toujours la question, quand je lis un livre, du lectorat ciblé. Ici, le titre semble s'adresser aux novices, aux curieux qui ne connaîtraient pas grand-chose de
l'Art Brut. Or c'est un peu peu pus complexe. Déjà, on en arrive rarement à un livre sur
l'Art Brut par hasard, sans avoir une idée de ce qu'est
l'Art Brut- et c'est bien pour ça que je ne vous explique pas ce qu'est
l'Art Brut (ce qui m'arrange bien, cela dit). Mais si on a une vague idée de ce qu'est
l'Art Brut et qu'on veut ce qu'il y a de plus simple pour s'y mettre, est-ce que ce guide est la meilleure entrée ? Pour ma part, je conseillerais davantage
Art Brut : L'instinct créateur de
Laurent Danchin (une référence dans le domaine), dans la collection Découvertes Gallimard. Même si vous n'aimez pas cette collection. Et si vous voulez aller plus loin, alors passez à
Céline Delavaux et à son guide, ce qui vous permettra d'avoir une vision globale et abordable de
l'Art Brut et de glisser en douceur à des questions un peu plus complexes. Et, oui, j'ai bien conscience qu'en écrivant une critique sur un livre, je conseille d'en lire deux !
Le fait est que le guide de
Céline Delavaux demande quelques notions de base, même si elle les reprend. Mais elle va plus loin qu'on ne le fait en général dans des livres de vulgarisation, car elle insiste sur des caractéristiques de
l'Art Brut qui ne sont pas toujours mises en valeur ailleurs. Et essentiellement sur le fait que
l'Art Brut est un outil critique pour penser l'art. Alors je vous vois venir si vous avez lu ma critique de Mondes (im)parfaits : "Ca y est, c'est sa dernière obsession en date, tout est outil critique, l'utopie et la dystopie, par ici,
l'Art Brut par là, et bientôt elle va nous inventer un nouveau machin, du style
Agatha Christie est l'outil critique idéal pour penser l'écologie." Donc, non, je n'ai pas perdu la tête et je ne raconte pas n'importe quoi pour faire la maligne ; ce n'est peut-être pas par hasard si j'ai enchaîné ces deux critiques, en revanche. Et si
Céline Delavaux insiste effectivement beaucoup (au point que ça m'a paru parfois un peu lourd) sur
l'Art Brut en tant qu'outil critique, c'est tout simplement que c'est au coeur de la réflexion de
Jean Dubuffet. Ce qu'apporte ce livre que je n'avais trouvé que dans un essai beaucoup plus court de
Céline Delavaux, c'est qu'avant de nommer
l'Art Brut, avant de collectionner
l'Art Brut,
Jean Dubuffet travaillait à une critique de l'art qu'il considérait comme académique.
L'Art Brut a été le vecteur, il a été l'outil qui lui a permis d'approfondir sa façon de penser l'art, qui était à contre-courant de la critique d'art officielle.
Par conséquent, je pense que vous voyez pourquoi je ne conseille pas de se jeter sur ce guide pour faire connaissance avec
l'Art Brut. Cela étant,
Céline Delavaux va bien vous initier à
l'Art Brut, avec des chapitres sous forme de questions, telles que "
L'Art Brut, c'est quoi ?" (question inévitable), ou encore "
L'Art Brut, quel intérêt ?", histoire de ne pas se limiter à des clichés. Clichés qu'elle attaque d'ailleurs de front, avec les questions de l'art asilaire, du dessin d'enfant, de l'
art contemporain, de l'art modeste, etc. Chapitres grâce auxquels on s'y retrouve mieux... et moins bien. Alors que je pensais avoir à peu près compris les différences entre
Art Brut, art folk, art outsider, art-hors-les-normes (ah oui, ça fait peur toutes ces appellations, argh !) grâce à
Laurent Danchin, je me retrouve avec une
Céline Delavaux qui conclut que toutes ces appellations flottent encore et toujours dans un flou plus qu'artistique. Bon.
On trouvera aussi un chapitre lié aux thématiques qui reviennent dans
L'Art Brut, un autre sur les processus de création mis en oeuvre dans
l'Art Brut (où il est notamment question des matériaux, mais pas seulement), un sur les
écrits bruts (car oui, les textes, c'est important dans
l'Art Brut). Et également une liste de mots-clés histoire de ne pas se perdre, une chronologie qui se veut internationale et mentionne certaines ventes aux enchères, et, bien entendu, une présentation des incontournables de
l'Art Brut : Aloïse Corbaz,
Henry Darger, Adolf Wölfli, Augustin Lesage et j'en passe. Là, il ne me semble pas avoir appris grand-chose, et c'est la limite pour moi de cet ouvrage ; limite qui cependant ne concernera pas forcément les autres lecteurs. Et de toute façon, un guide sur
l'Art Brut ne pouvait se passer de ce chapitre.
En revanche, j'ai beaucoup apprécié les références à pas mal d'artistes des années 2000-2010 (c'est tout l'avantage d'un livre sorti en 2018), que je ne connaissais pas pour la grande majorité, ainsi qu'à d'autres artistes plus anciens, mais bien moins mis en avant en général que les incontournables du dernier chapitre. Si j'ai quelques réserves sur la mise en page, alourdie par des petits encarts du type "À retenir", "Citation", "Ce que vous pouvez en dire", qui s'ajoutent tout de même à une iconographie abondante ainsi qu'à des textes qui n'ont rien de superficiel, l'ensemble est d'une qualité indéniable. En bref : si vous êtes déjà un tantinet accoutumé à
l'Art Brut et amateur d'art, vous pouvez y aller. Si vous êtes curieux de mieux connaître
l'Art Brut mais encore tout timide, lisez le petit livre de
Laurent Danchin, puis attelez-vous à ce guide de
Céline Delavaux.
Lien :
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