«
Un catholique s'est échappé »
… pour devenir plus catholique !
Sous un titre inattendu, ce livre de Jean-Pierre
Denis – «
Un catholique s'est échappé », Paris, Éditions du Cerf, 2019, 185 p. – se lit avec le plaisir que procure toujours la plume alerte de cet auteur et avec, en dépit d'éventuels désaccords, l'intérêt que suscite la question sous-jacente aux divers problèmes abordés : qu'en est-il aujourd'hui de l'Évangile ? Une question cruciale en ce temps d'effondrement religieux. Mais d'où, au juste, Jean-Pierre
Denis s'est-il échappé ? Et quelle destination, quel itinéraire envisage-t-il pour la suite de sa mystérieuse évasion ? Dès 1977, le magazine «
La Vie » – dont il a été directeur de rédaction de 2006 à 2020 – avait abandonné le qualificatif « catholique » de son appellation initiale pour mieux atteindre le grand public lassé de la religion… Maintenant, de quel catholicisme ou de quoi plus précisément faut-il se libérer pour devenir vraiment « catholique » selon l'acception originelle de ce terme (« à vocation universelle »), et pour être reconnu comme tel (ou comme un vrai chrétien tout simplement) ? Il se dit que même le très catholique pape François, plus attiré par les périphéries du monde que par le faste des pompes vaticanes, rêve parfois de s'échapper…
Mais qu'est-il donc arrivé à Jean-Pierre
Denis pour l'inciter à revenir sur la confrontation entre la foi et la modernité après la parution, en 2010, de son monumental ouvrage intitulé «
Pourquoi le christianisme fait scandale » (Paris, Éditions du Seuil, 348 p.) ? La société et l'Église ont entre temps vécu de graves bouleversements qui ont donné à réfléchir à l'auteur et, par ailleurs, il s'est décidé à livrer son cheminement religieux d'une manière plus confidentielle. Il retrace, dans son nouvel écrit, comment le « catholique retenu » qu'il a longtemps été – « prisonnier » consentant et résigné d'un milieu religieux plutôt conformiste – s'est « converti » à la faveur de trois rencontres fortuites qui l'ont amené à découvrir les prescriptions évangéliques sous un jour plus exigeant. Introduit et conclu autour d'une question qui lui a été posée par son père peu avant sa mort – « Quel est le chemin ? » –, l'ouvrage constitue un survol autobiographique visant à réévaluer le témoignage de foi à proposer au monde contemporain. En scrutant les fluctuations catho-catholiques de Jean-Pierre
Denis dont l'horizon confessionnel est réputé immuable, le lecteur s'interrogera à son tour sur les vicissitudes actuelles du christianisme.
Si le livre est d'une lecture aisée, en mesurer la juste portée est plus délicat, et les citations reproduites plus loin relèvent d'une sélection et d'un agencement sans doute discutables. Cela est, entre autres, dû au fait que l'auteur manie avec une rare dextérité les paradoxes bibliques, les ambivalences anthropologiques et les contradictions sociopolitiques pour se situer en tant que « catholique attestataire » entre les bords opposés de la « révolution » et de la « réaction ». Il récuse pareillement ces deux positions tout en se montrant avec une même ardeur tantôt audacieusement subversif et tantôt conservateur impénitent. À l'instar des Écritures et de la Tradition qu'il invoque, son témoignage reflète à la fois des valeurs absolutisées et la complexité hétérogène et évolutive de la vie des hommes et des sociétés, avec de multiples va-et-vient entre des pôles antinomiques. D'où maintes assertions plus ou moins divergentes que la fluidité du style parvient à faire confluer. Les thèmes abordés sont éclairés par quatre convictions solidement étayées : la logique suicidaire du système socio-économique dominant, l'effondrement du christianisme sociologique, l'urgence d'une profonde conversion, et la puissance intrinsèquement subversive de l'Évangile. Plus problématiques sont certaines des options pratiques de l'auteur aux plans religieux, ) et politique. (...)
(...) le lecteur attaché à l'Évangile se réjouira de retrouver dans ce livre de Jean-Pierre
Denis un énoncé clair et convaincant du message prophétique de Jésus de Nazareth, ainsi qu'une vive interpellation de l'Église, aussi pertinente que courageuse. Mais les implications pratiques de ce message restent partiellement enlisées dans les méandres d'un conservatisme religieux et sociétal suranné qui relève d'un catholicisme encore trop déterminé par son passé (6). La Parole ne peut certes se révéler parmi les hommes qu'en s'incarnant dans des langages et des institutions enracinés dans l'histoire ; mais pour servir la vie, ces langages et ces institutions doivent accompagner la vie dans ses changements. (...)
La grande rupture intervenue sur le Golgotha et confirmée par Pâques a instauré des temps inédits qui sans cesse se renouvellent : le voile déchiré du Temple de Jérusalem n'est pas à raccommoder. Dieu a quitté l'Arche d'Alliance et le « Saint des Saints » de ce sanctuaire pour habiter parmi les hommes de toutes les nations comme l'avaient déjà annoncé les anciens prophètes. Ne sont désormais saints en ce monde que la tendresse et le service, ne sont sacrés et salvateurs que le respect, le pardon, la justice et l'amour. Comme les cieux sont plus vastes que notre planète, l'Évangile est plus vaste que les traditions qui l'ont transmis aux chrétiens : il est toujours à venir dans le vécu de l'humanité.
À travers la mort qui l'a mené à la résurrection, Jésus de Nazareth a « attesté » une fois pour toutes la vérité « révolutionnaire » de son Évangile face aux positions « réactionnaires » de la caste sacerdotale d'Israël et de tous les pouvoirs sacralisés ou systèmes profanes et religieux qui asservissent.
Jean-Marie Kohler
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