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EAN : 9782369352471
256 pages
Le Passager Clandestin (22/10/2020)
4.3/5   20 notes
Résumé :
Parlez-vous le bourgeois ?
Payer des « charges patronales » plutôt que des cotisations sociales, embaucher un « collaborateur » et non un salarié, engager une « réforme » pour mettre en place une politique néolibérale... Ces mots que nous entendons tous les jours ne sont pas neutres, ce sont ceux de la bourgeoisie. Non contente de nous dominer et de nous exploiter, elle nous impose son langage et forge notre représentation de la réalité.

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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Voici un nouvel ouvrage, préfacé par le célèbre couple de sociologues de la bourgeoisie Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, qui utilise la sémantique critique pour dénoncer le caractère idéologique du discours bourgeois imposé par les médias et les politiques. Son avantage tient d'abord à son actualité, qui prend en compte abondamment la révolte des Gilets jaunes ainsi que les politiques économiques conséquentes à la pandémie de la Covid 19 : mesures de réduction du droit du travail et soutien massif aux entreprises privées.
Si l'analyse ne brille pas par la profondeur ni par l'originalité des réflexions, elle a le mérite de produire une critique cohérente du capitalisme sans jamais négliger la remise en perspective historique du capitalisme en général et de ses notions et éléments de langage idéologiques en particulier, tout en gardant un style résolument abordable, voire journalistique : les auteurs étant corédacteurs en chef du magazine Frustration. La démarche ne consiste pas à prendre chaque lexème isolément, mais à introduire chaque chapitre par un texte, en italiques, qui représente la vulgate idéologique courante, dont les mots-clés sont soulignés en gras, pour faire ensuite l'objet du travail sémiologique. Ces textes en italiques sont donc des pastiques dont l'outrance (et donc l'ironie) ne sont pourtant pas immédiatement perceptibles ; de même, pour certains autres lexèmes, les auteurs introduisent des textes utilisant une autre typographie, lesquels représentent une position anti-bourgeoise également outrancière qui manque sans doute un peu de nuance mais non de pertinence...
Je tiens enfin à marquer mon appréciation des nombreuses illustrations humoristiques par Antoine Glorieux, ainsi que des quelques planches récapitulatives : « Répartition des salaires » (pp. 76-77), « La méritocratie à la française » (pp. 90-91), « La lutte des classes en France en quelques dates » (pp. 210-211).

Voici les éléments de langage déconstruits [entre guillemets anglais], dans le cadre des chapitres respectifs, selon une structure qui ne reproduit pas néanmoins la table des matières du livre :

I. « Brouiller les frontières des classes » :

« "Riches" : noyer le poisson »
"Notre économie"
"Inégalités sociales"
« "Classes moyennes" : nous faire croire que nous sommes toutes et tous dans le même bateau »
« "Classes populaires" : le mépris de classe devenu mot »
Le "jeune de banlieue" et le "beauf"

II. « Légitimer son pouvoir » :

« "L'égalité des chances" : légitimer les inégalités »
La "diversité"
« "CSP+" : la "compétence" et la "responsabilité" comme justification du pouvoir »
« L'art de travailler en mode "projet" »
« "Prendre des risques" : ce sont ceux qui en prennent le moins qui en parlent le plus »
« Mobiliser son "réseau", un art bourgeois »

III. « Nous rabaisser pour mieux nous dominer » :

« "Complotiste" : nous empêcher de questionner l'ordre social »
« En toute "transparence" [...] »
« La "pédagogie" : l'art de nous infantiliser »
« Un monde devenu si "complexe" »
"Réforme"
« La "résilience" : prendre sur soi sans contester la domination qui broie »
« Les "petits gestes écolos", une tartuferie bourgeoise de plus »

IV. « Verrouiller l'ordre social » :

« "Dialogue social" : imposer le monologue bourgeois »
« Les acteurs : des syndicats jaunes aux "membres de la société civile" »
"Collaborateur"
« "Violence" : délégitimer la nôtre pour masquer la leur »
"Grogne sociale"
« La "gauche" : un piège politique et médiatique pavé de bonnes intentions »
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Voilà un travail fort intéressant sur la politisation des mots qui procède à une dissection éclairante sur le champ lexical du débat et surtout du commentaire public de notre quotidien.

S'il est largement appuyé par un engagement politique assumé mais sans étiquette des deux auteurs, on pourra cependant regretter que ce soit parfois au moyen de contre-vérités (évoquer la suppression de l'ISF qui n'a en réalité que vu son assiette modifiée, expliquer que les grandes fortunes financent grandement les campagnes politiques alors qu'en France c'est tout bonnement impossible du fait de la limitation annuelle à quelques milliers d'euros par contributeur, etc.).

On a aussi du mal à suivre les auteurs qui commencent par proposer une définition assez restrictive de la "bourgeoisie", puis l'élargissent pour englober d'autres populations avant d'affirmer que les masses laborieuses sont majoritaires en France. On n'y comprend plus rien ; et notamment comment la dite situation insupportable de nouvelle lutte des classes n'est pas prestement balayée par une soi-disant majorité d'opposants ? À moins de les supposer incapables de défendre leurs propres intérêts ou tout simplement abstentionnistes...

Quant à l'évocation de la propriété collective des moyens de production, pour belle qu'elle soit sur le plan théorique et humain, c'est un sujet sur lequel il faut encore travailler car les multiples tentatives à grande échelle ont donné lieu dans le monde aux régimes les plus sinistres.

Et il n'est rien dit de ce que les auteurs vont faire de leurs droits sur la vente du présent livre : feront-ils comme ceux qu'ils critiquent, acteurs de l'économie de marché, ou les reverseront-ils aux plus défavorisés ? Mystère et pommes-de-terre frites ! ;-)

Ne désespérons pas de changer les choses, néanmoins !
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j'ai eu une inquiétude que ce livre ne contrebalance l'emprise bourgeoise jusque dans l'emploi d'un vocabulaire aliénant, par une utilisation dévoyée de certains termes chers à la gauche,quand page 17, j'ai lu " les citoyennes et citoyens se sont donc retrouvés seuls face à leur colère....", les mots de citoyens/ citoyennes désignant dans le contexte les non- bourgeois et non- petits bourgeois. D'un point de vue purement legalitaire, bourgeois et petits bourgeois sont aussi citoyens. de plus c'est un terme qui renvoie à la Révolution,bourgeoise s'il en fut.
Termes mal choisis donc mais dont nous pouvons comprendre l'emploi dans ce livre. Personnellement, c'est le seul point qui m'ait fait grincer des dents. Car c'est un livre à la fois facile à comprendre,une " vraie" vulgarisation,et un livre très riche,comportant des analyses,des tableaux,des exemples simples et parlant. À mon sens c'est donc un très bon livre d'analyse sur la main mise de la grande bourgeoisie tous azimuts,ses comment,ses pourquoi,comment elle muselle les consciences politiques opposées, comment elle rabaisse les travailleurs sous couvert de leur offrir de fausses responsabilités,comment elle étend son réseautage pour garder ses avantages et n'en pas céder un morceau,tout ceci entre autre en déviant le sens du langage et en effaçant le poids des syndicats pour encenser l'individu bien plus malléable puisqu'isolé.
Je regrette que ma contribution ici soit un piètre résumé de ce livre qui est infiniment plus riche que ce que j'en dis .
À tous ceux qui sont un peu curieux de ce qui se passe sous les mots,je le conseille et je remercie mon gendre de me l'avoir prêté car je ne me serais pas forcément penchée sur un tel titre de crainte d'être dépassée par son contenu et j'aurais eu bien tort.
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Parlez-vous le bourgeois ?
La question est imprimée en gros sur la quatrième de couverture et donne le ton.

Selim Derkaoui et Nicolas Framont démontent méthodiquement la langue bourgeoise hégémonique (sans jamais utiliser le terme "novlangue"). Des "collaborateurs" au "dialogue social", de la "résilience" à "notre économie", de la "pédagogie" à la "violence" c'est tout un catalogue qui est déployé et déconstruit.
Au début de chaque chapitre, un petit texte met en scène les mots qui passeront sur le billard dans les pages suivantes, dans une mise en scène de la parole bourgeoise.
On retrouve des citations à foison, et de nombreuses références au coronavirus. Un livre brûlant d'actualité donc.
La macronie en prend pour son grade et est rhabillée jusqu'à la fin de la pandémie.

Les auteurs redonnent leurs lettres de noblesse (hum) aux "bourgeois" et autre "classe laborieuse". Ils expliquent avec force détails historiques le pourquoi du comment de leurs choix, ainsi que la généalogie des termes qu'on leur substitue généralement.

La conclusion est remarquable et constitue une véritable compilation de fortes formules.

Un mot sur les illustrations. Réalisées par Antoine Glorieux, elles sont excellentes et servent admirablement le propos.
La constitution devient le "projet France" et Karl Marx signe "Notre économie", Steve Jobs retire du rocher une iexcalibur et Indiana Jones traîne sa valisette Vuitton.
On apprend dans son paragraphe de présentation qu'il oeuvre à la lutte des classes par l'image. Réussite totale.

Un livre qui met un grand coup de pied dans le glossaire bourgeois, et cela fait du bien.
Dans des styles différents, je recommande LTI, LQR, Les mots qui puent et les travaux de Philippe Blanchet ou d'Alain Deneault.
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« Charges sociales », « projet », « égalité des chances », « classe moyenne », « ascenseur social », « réforme »… J'ai souvent écrit dans mes chroniques que les mots sont essentiels dans nos luttes, c'est pourquoi j'ai choisi de vous présenter La guerre des mots pour fêter les 10 ans de Bibliolingus. Les auteurs de cet ouvrage particulièrement bien conçu, riche et clair mettent à nu les mécanismes langagiers de la classe bourgeoise pour asseoir son emprise idéologique et nous faire travailler contre l'intérêt de la classe laborieuse. Voilà un livre salutaire à l'approche des élections présidentielles qui relèvent de la mascarade !
La suite de ma chronique sur Bibliolingus : http://www.bibliolingus.fr/la-guerre-des-mots-selim-derkaoui-et-nicolas-framont-10-ans-a211712048
Lien : http://www.bibliolingus.fr/l..
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Citations et extraits (37) Voir plus Ajouter une citation
Transparence : Terme bourgeois d’usage politique, médiatique et institutionnel visant à démontrer la volonté, de la part des détenteurs du pouvoir, de communiquer au public toutes les informations nécessaires au contrôle du bien-fondé de leur action. Ce terme a une fonction performative : dire qu’on est transparent, c’est déjà être transparent.
« L’allocution du président sera un « moment de pédagogie et de transparence pour rassurer et anticiper les prochaines étapes de la crise », selon son entourage. Le choix du gouvernement, c’est d’être transparent dans l’information et déterminé dans l’action », a affirmé le ministre de la Santé.
Les éditorialistes aiment nous raconter que la « transparence » et une vertu des démocraties occidentales. C’est ce qui nous distingue des méchants Chinois communistes mangeurs de pangolins, qui persécutent des opposants tandis qu’en bons démocrates nous nous contentons de les éborgner.
A quoi sert la transparence ? à vaincre la vilaine défiance des citoyens, ce « cancer » des démocraties modernes.
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Il y a une injonction au projet, qui s’est étendue au-delà du travail : les communautés de communes doivent faire des « projets de territoire », … les chercheurs doivent obtenir des financements « par projet », les travailleurs sociaux qui encadrent des mineurs ou des personnes en difficulté doivent leur faire adopter un « projet individualisé ». On doit faire des « projets de vacances » si l’on veut des vacances vraiment réussies. C’est important d’avoir un « projet de couple », nous dit Psychologie magazine, sinon on s’endort et se transforme en couette deux places. Un individu accompli est quelqu’un qui a « des tas de projets », pas quelqu’un qui fait simplement les choses bien (et qui commence par mettre à jour son « projet personnalisé d’accès à l’emploi » sur Pôle emploi, bien entendu)….
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contrairement à ce que les journaux laissent penser, il n'existe pas de grande classe moyenne lobotomisée par la télé et obsédée par la consommation et encore moins de classe populaire beauf et raciste, au contouir relativement vague,qu' il faudrait édifier. non, ce qui existe bel et bien, cest une classe laborieuse très majoritaire. ce n'est plus le prolétariat d'antan, mais ce sont bien les ouvrières, des employés, des agents de maîtrise, des enseignantes et des cadres moyens qui composent cette grande classe qui a plus de points communs que de différences, contrairement à ce que les partisans du capitalisme aimeraient nous faire croire. Les journalistes les nomment les invisibles, mais simplement parce qu'eux ne les voient pas . tous les autres se voient, se savent partager la même expérience et peuvent mener des combats en commun .
dans cette classe, il y a des gens à qui l'on veut faire croire que, parce qu'ils n'ont pas fait d'études ou n'ont pas de titre ronflant, ils ne sont rien mais qui fait véritablement tourner l'économie et les services publics? certainement pas les CSP plus , cette te sous bourgeoisie composée de cadres et de professions intellectuelles qui sont de plus en plus souvent confrontés au peu de sens véritable de leur métier prestigieux.
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« Oui, mais rendez-vous compte, quand un peuple vote pour l’extrême droite, quand un peuple vote pour le nazisme, il n’a pas raison, même si c’est le peuple », explique Cohn-Bendit. Voilà qui met le doute… alors qu’il s’agit d’un pur mensonge historique, que des fact-checkeurs ne s’empressent d’ailleurs pas de fact-checker. Car si Adolf Hitler est devenu chancelier d’Allemagne en 1933, ce n’est pas parce que « le peuple » allemand a voté pour lui. Au contraire, quelques mois avant son accession à la tête du pays, son parti a connu une baisse significative dans un scrutin législatif de novembre 1932 : il rassemble à peine un tiers des votants, malgré la propagande décomplexée de ses militants. S’il est arrivé au pouvoir, c’est grâce au soutien des partis de la droite bourgeoise qui représentent le patronat allemand et qui ont choisi de faire une coalition avec le parti nazi pour empêcher le mouvement ouvrier et les communistes d’accéder au pouvoir. Ce n’est donc pas « le peuple » qui a choisi Hitler, mais une grande partie de l’élite allemande. Elle y a vu la possibilité de relancer l’industrie et de maintenir ses profits. Ces faits historiques ont été effacés de la mémoire dominante. Comme l’explique l’historien Jacques Rancière dans son essai La Haine de la démocratie, dans l’esprit de la classe dirigeante, l’idée qu’il est nécessaire de protéger les citoyens contre eux-mêmes de leurs propres pulsions fascistes et de leur absence de vision à long terme d’un monde qui serait de plus en plus complexe est particulièrement ancrée.
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2. [Ex. sur la justification de la fondation, en 1871, de l'École libre ses Sciences politiques (future Sciences Po Paris) par son fondateur, Émile Boutmy :]
« Contraintes de subir le droit des plus nombreux, les classes qui se nomment elles-mêmes les classes élevées ne peuvent conserver leur hégémonie politique qu'en invoquant le droit du plus capable. Il faut que, derrière l'enceinte croulante de leurs prérogatives et de la tradition, le flot de la démocratie se heurte à un second rempart fait de mérites éclatants et utiles, de supériorités dont le prestige s'impose, de capacités dont on ne puisse se priver sans folie. » (cit. pp. 81-82)
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