Didier Desbrugères aurait pu emprunter au père Ubu ses premières lignes : "la scène se passe en Pologne c'est à dire nulle part..."
Le fait est qu'on ne saura jamais dans quelle République, Josef Strauber, vite transformé en un simple S., va prendre ses fonctions de Délégué.
Ni en quoi consiste exactement cette fonction qui l'envoie au bout de la steppe, à 10 jours de train de la capitale.
Dans la bourgade de Lurna où il n'est pas franchement attendu.
Comme le lieutenant Drogo du Désert des Tartares de
Dino Buzzati, S. entreprend ce voyage avec une très haute idée de sa mission, qui n'est au fond rien d'autre qu'une certaine idée de soi : "Une idée de soi se fait jour. Elle se nourrit de sources multiples dont la plupart coulent dans notre petite enfance. Et certaines, au-delà, souterraines, qui irriguent le passé familial. (...) Elle devient notre modèle inconscient. Une idée de soi propre à susciter l'admiration, l'intérêt de nos semblables. Leur amour. (p99)"
Comme chez Buzzati se déroule alors une existence morne et lente, très loin des aspirations initiales.
On pensait suivre un aventurier à la
Henry de Monfreid et il se dévoile en chemin un rond-de-cuir de Kafka ou d'
Albert Cohen.
Mais tout ceci n'a aucune importance puisqu'il s'agit en réalité de s'interroger sur ce qui fait l'utilité d'une vie d'homme.
Et d'éviter de partager avec S. ce constat, impitoyable : "L'existence se joue salle vide, pour une représentation unique sans répétition préalable; on y est rarement bon. (p 254)"
Avec ce premier roman exigeant, âpre parfois,
Didier Desbrugères nous rappelle que la littérature peut offrir cette petite lumière qui embellit l'existence.