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A presque trente ans, Julien Libérat en est à dresser le morne constat de ses désillusions : musicien raté survivant chichement d'un « bullshit job » ubérisé, le voilà réduit à migrer dans un clapier en banlieue sud, à Rungis, alors que sa compagne vient de le mettre à la porte de leur morne vie commune. A bout de solitude, d'ennui et de manque de perspectives, il trouve un jour un dérivatif à sa déprime : Heaven, un monde parallèle reproduit, grandeur nature et à l'identique du nôtre, par un génie du métavers, Adrien Sterner.


Chronique piquée d'humour de ce que le numérique a déjà fait de nos vies, cette histoire extrapole le monde contemporain jusqu'à la dystopie, nous projetant dans le vertige de ces transformations à venir, dont nous nous doutons qu'elles seront majeures sans encore être capables de les appréhender. Au milieu des autres addicts aux écrans et au scrolling, englués avec leurs followers, leurs selfies, leurs likes et leurs posts dans la toile des réseaux sociaux, Julien vit « ensemble et séparé », connecté mais solitaire, hypnotisé par un mirage continu d'images affadissant un quotidien qui ne lui fait plus envie. Lorsqu'il découvre « une planète B virtuelle où tout est bien meilleur que chez vous », un métavers à taille réelle rendu habitable par la 3D et la réalité augmentée, par les avatars et les casques de réalité virtuelle, il se transforme en hikikomori du futur. Sans plus aucun désir de sortir de cet univers où ses succès, entre argent facile en crypto-monnaie et célébrité acquise en y écrivant des poèmes, n'ont aucune commune mesure avec ses déboires dans la vie réelle, il s'y immerge jusqu'à s'identifier à son reflet numérique : Julien devient son avatar Vangel.


Aussi terrifiant que fascinant, drôle et imaginatif, un brin caricatural, le récit pose de nombreuses questions : très humoristiquement, comme au travers de ce débat fictif sur l'avenir de la littérature, entre Alain Finkielkraut et Frédéric Beigbeder à La Grande Librairie ; mais aussi plus largement, sur des sujets métaphysiques. Comment expliquer le besoin d'un substitut virtuel si semblable au monde réel ? Tel le dieu de son Antimonde, Adrien Sterner se contente d'abord de mettre son Eden à la libre disposition des avatars, mais déçu par la médiocrité sans imagination de ces pâles copies d'humains qui reprennent tous nos travers, il se mue en dieu biblique, jaloux et vengeur, distribuant capricieusement faveurs et châtiments. Au milieu de tous ces zombies soumis comme des marionnettes à leur démiurge, un seul trouve toutefois le moyen d'affirmer son libre arbitre : Julien, au travers des poésies contestataires de son avatar, et, dès le préambule du récit, par son suicide retransmis en direct sur les réseaux sociaux.


Moralité : s'il est vrai que « les livres inventent, à leur manière, une réalité virtuelle » et qu' « imaginer des antimondes » est « la définition même de la littérature », ils sont aussi cet irremplaçable vecteur d'une liberté de pensée et d'expression que les technologies les plus puissantes, même aux mains des pires dictateurs, ne pourront jamais museler. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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le roman s'ouvre sur le suicide de Julien qui, sous une grosse averse, se jette par la fenêtre en se filmant sur les réseaux sociaux. Retour en arrière : Julien est un professeur de piano qui végète dans un studio à Rungis, après avoir habité rue Littré à Paris avec sa copine qui s'est séparée de lui. Parallèlement, Adrien développe un métavers appelé l'Antimonde dans lequel Julien va progressivement se jeter à corps perdu par le biais de son avatar, un poète qu'il nomme Vangel. ● Je ressors très mitigé de cette lecture. Si le roman est agréable à lire et ne compte aucun temps mort, j'ai eu l'impression qu'il allait à la fois trop loin et pas assez. ● Trop loin dans la caricature qui confine au n'importe quoi grand-guignolesque (l'avatar de Trump et ses aventures par exemple), trop loin dans le poncif (le comportement autocratique d'Adrien, le PDG du métavers, génie fantasque de l'informatique et du marketing) ; pas assez loin dans l'exploration des potentialités des métavers, qui sont beaucoup plus vertigineux que ce que l'auteur décrit. ● Cela donne un récit à la fois kitsch et frustrant. ● Pour moi, un tel livre, inabouti, n'a rien à faire sur les listes des prix – mais l'auteur, quoique jeune, est très introduit dans les cercles germanopratins adéquats. ● J'en veux beaucoup à Frédéric Beigbeder, qui par le passé m'a pourtant permis de faire de belles découvertes littéraires, d'avoir fait un éloge dithyrambique de ce roman dans le Masque et la Plume, en omettant simplement de préciser qu'il en était tout bonnement l'un des personnages (il y dialogue avec Alain Finkielkraut) – Beigbeder à qui Nathan Devers sert la soupe de façon éhontée, tout en caricaturant fort inélégamment Finkielkraut : c'est si facile de s'en prendre à lui, qui pourtant dit souvent des choses fort justes. Mais haro sur les « réacs » ou prétendus tels, c'est une bonne recette marketing pour vendre sa soupe, ça a fait ses preuves ! Il y en a marre du copinage dans ce petit milieu de l'édition et de la critique ! ● Mis à part cela, sur les seules qualités du roman, ce n'est pas un livre que je recommanderais.
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L'Anti-monde, caverne virtuelle pour Geeks enchainés ?

Bienvenue dans le métavers, monde virtuel immersif, écosystème ludique tellement réaliste que les joueurs interconnectés via leurs avatars ne se rendent rapidement plus compte qu'ils sont dans une simulation et ont l'impression de devenir des hologrammes, de vivre la vie de leurs avatars, reléguant parfois au second plan leur vie réelle. D'où l'importance des casques virtuels et des capteurs digitaux, ces technologies de réalité augmentée pour atteindre un niveau d'immersion total. Prison numérique comme dans Matrix des frères Wachowski ou au contraire moyen de compenser une réalité devenue invivable comme dans Ready player one de Spielberg, cité terrestre ou cité céleste ? Telle est la question en filigrane de ce livre…Dans tous les cas, cet enfer, ou ce paradis, devient quelque chose de plus en plus tangible, depuis octobre 2021, après que Mark Zuckerberg ait rebaptisé Facebook en « Meta », dévoilant ainsi qu'une large part de son activité sera désormais dédiée à l'élaboration d'un métavers baptisé Horizon Worlds.

Le métavers de Nathan Devers s'inspire de ce dernier. Ambitieux, voire grandiloquent, il consiste en effet à synthétiser la totalité de la planète, le moindre lieu, le moindre bâtiment. Il a pour mission de refaire le monde dans sa globalité dans tous ses détails et de le repeupler. Pas étonnant que son concepteur, un certain Adrien Steiner dans le récit, mégalomane et mystique, se prenne pour un Dieu, baptisant même son entreprise Heaven. Il saura le peupler au bon moment, attendant précisément la fin du confinement pour révéler Heaven au public. Un coup de maître dont le processus est bien décrit par l'auteur.
C'est dans ce nouvel Eldorado que Julien Libérat, musicien raté qui vivote grâce à de petits cours privés de musique qu'il donne en tant qu'auto-entrepreneur, mis à la porte par sa compagne qui n'en pouvait plus de son manque d'ambition, obligé de déménager dans un triste et minable appartement à Rungis, va s'inscrire à cet Antimonde, « le jeu vidéo que vous allez préférer à la vie ! » Nom d'avatar : Vangel.

C'est fascinant de voir ce nouveau monde se déployer. Captivant de voir tout d'abord cette Terre virtuelle vide, entièrement vide, puis de la voir se peupler doucement au fur et à mesure de l'augmentation du nombre des abonnements. Concernant notre Julien Libérat, enfin notre Vangel, nous assistons à ses premières actions assez farfelues pour tester sa présence à l'Antimonde, jusqu'au développement de complexes investissements immobiliers, lui permettant de devenir riche, très riche. du moins virtuellement. Un VIP de l'Anti-monde entouré de vingt-sept gardes du corps. de quoi démissionner de son travail avec lequel il survit dans la vraie vie.


Le récit ne manque pas d'humour, car il est possible d'assouvir des envies folles, comme celle de tuer quelqu'un (mais attention nous devenons alors nous même mortel, cible de futurs tueurs), celle de faire un aller-retour à l'autre bout du monde juste pour se baigner dans une piscine particulière…ou de faire l'amour selon toutes les positions du Kama-sutra…notre Vangel ne va pas trop aimer cette dernière expérience…C'est jubilatoire, férocement jubilatoire. Il faut dire que la dotation aléatoire en parties intimes n'a pas été généreuse avec notre homme.

Fascinant, alors que le métavers n'a jamais été aussi proche, de comprendre les motivations profondes des abonnés à travers ce récit. « Quels ressorts psychiques poussaient un individu à dupliquer sa présence au monde ? Pour quelles raisons les membres de l'Antimonde poussaient-ils plus de temps à s'occuper de leur anti-moi que d'eux-mêmes ? ».


On les pressent, ces raisons sont multiples et le texte les aborde avec beaucoup de clarté. Toutes, en filigrane, portent le sceau du narcissisme. L'Avatar, c'est notre reflet idéal, refoulé, dont nous tombons éperdument amoureux, après lequel nous ne cessons de courir, en vain, parfois jusqu'à devenir fou, parfois jusqu'au suicide.

Plus précisément, c'est tout d'abord la possibilité d'inverser les rapports de force, de permuter les coordonnées de la vie, d'inverser les rôles. de rendre visible ce qui demeurait occulte jusque-là, de cacher au contraire ce qui est omniprésent en nous. « de transformer les riches en pauvres, les chômeurs en millionnaires, les frustrés en partouzeurs, les libertins en prêtres, les moralistes en criminels, les timides en stars et les génies en fous ». Les avatars peuvent en effet faire ce dont leur moi réel ne fait pas forcément, ou pas forcément bien, dans la vie : voyager, acheter des vêtements et même des maisons, fonder une entreprise ou commettre des meurtres, enseigner à l'université, sauver des vies, ou s'entrainer à la plongée sous-marine, trouver l'amour ou se lancer dans une carrière politique. Ces personnes peuvent ainsi fuir une vie réelle dénuée d'intérêt, compenser avec une vie concrète rebutante, devenant ainsi des possédés, des geeks sur qui le monde n'a plus de prise. L'antimonde leur offre la possibilité d'avoir une vie privée rêvée à l'intérieur de leur morne vie privée.

Pour d'autres c'est peut-être plus positif, c'est la possibilité de se glisser dans la peau d'un autre et de vivre autrement, d'avoir une sorte de guide pour apprendre, apprendre à avoir davantage confiance en soi, apprendre à séduire, apprendre à devenir père ou mère. Une chance incroyable d'avoir une ardoise magique à portée de main, d'avoir droit à l'erreur, à tester. le rêve.

Quelles que soient les raisons, elles trouvent toutes leurs racines dans les circuits psychologiques de la récompense libérant de la dopamine rendant cette expérience totalement addictive. Mais n'est-ce pas déjà le cas avec les réseaux sociaux et certains jeux de réalité augmentée dont l'addiction repose sur ces jets de dopamine nourris aux like ? La différente fondamentale entre internet et l'Antimonde est la perte de l'anonymat selon Adrien Steiner.

« Dans le monde, les hommes ne pensent qu'à leur propre nombril. Orgueilleux, narcissiques, ils sont prêts à s'affirmer par tous les moyens, y compris les plus mesquins. Chez nous les joueurs apprendront à vivre incognito. Ils goûteront aux charmes de l'anonymat. Tous cachés derrière des avatars, ils seront bien obligés de perdre leur amour-propre ».


Nous touchons sans doute là l'essence du livre, comme le laisse présager sa superbe couverture montrant un Narcisse découvrant son reflet dans une flaque d'eau et tombant éperdument amoureux de ce reflet, de sa beauté…Le reflet, l'avatar, met en valeur l'importance que nous octroyons à notre personne, l'image que nous voulons laisser, la reconnaissance que nous désirons ardemment dans un monde ultra connecté où il est possible de connaitre, de voir la vie de tous. Comment, dans ces conditions, se différencier, s'élever, sortir de l'indifférence ? Julien Liberat trouvera la solution ultime en filmant et mettant en ligne sur les réseaux sociaux son suicide. C'est cette même peur de l'indifférence qui avait poussé Julien à ouvrir un compte dans l'antimonde. Mais l'anonymat, base fondamentale de ce « jeu », pierre angulaire ne permettant à aucun avatar de voler la vedette, sera préjudiciable à Julien au fur et à mesure de sa gloire virtuelle, va l'enfermer dans un piège de folie dont il ne sortira pas indemne. Impossible, dans l'anonymat, de rattraper son reflet qui ne reste qu'un vague reflet dans le marais de nos fantasmes…

Si les raisons sont très bien mises en valeur (raisons somme toute classiques), si la chute de Julien est bien appréhendée, si, surtout, le déploiement de ce monde et les facéties qui s'y déroulent rendent le livre très agréable à lire (j'ai aimé voir Gainsbourg notamment, « ami » de Vangel), j'ai trouvé cependant, par moment, qu'il survolait certaines notions abordées : les NFT par exemple. Ne vaudrait-il mieux ne pas les mentionner si c'est juste pour les survoler, sans explication ?
Ensuite, le texte comporte quelques clichés, de grosses caricatures, comme le parallèle avec Trump de Adrien Steiner. le personnage complètement loufoque et mégalomane sent quelque peu le réchauffé et fait perdre de la crédibilité au récit.
Et, comme le souligne superbement Anna dans sa critique très érudite (@Annacan), l'analyse des liens de ce monde virtuel avec le monde réel manque de profondeur. A partir de la deuxième moitié du récit tout le focus est fait sur Vangel dans l'Antimonde, la façon dont il accède à la gloire via la poésie (c'est très, trop, rocambolesque) mais peu de liens sont faits sur l'implication de cette vie dans la vie réelle, sur l'entrelacement subtil entre les deux mondes, sur la folie engendrée par l'emprise de l'un sur l'autre, permettant de donner un supplément d'âme au récit.

Au final, Les liens artificiels est un livre très agréable à lire sur un sujet fascinant, le métavers. Il revisite l'allégorie de la caverne, ce monde virtuel que nous prenons pour vrai, enfermant les personnes plus qu'il ne leur permet d'accéder à la véritable connaissance sur soi et sur les autres. le récit permet de bien cerner les motivations de cet enfermement volontaire et de réaliser à quel point, tant pour le concepteur que pour les joueurs, cette vie parallèle flatte notre narcissisme. Les quelques bémols soulignés n'enlèvent rien au plaisir de cette lecture, en plus d'avoir pu toucher du doigt concrètement cette notion de métavers. Un grand merci à @Aquilon62 à qui je dois cette lecture, sa critique riche de références, comme celle d'Anna, est à découvrir !

Définitivement, la seule cité céleste virtuelle qui permette de sortir de la caverne est très certainement la nôtre ici sur Babélio, non ? A moins que…
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Cette critique est susceptible d'être biaisée. Babelio ne garantit pas son authenticité

Les liens artificiels de Nathan Devers, croque-mort des Lettres déguisé en sociologue.

Combien ce livre me déçoit, je ne saurais le dire vraiment sans désespérer tout-à-fait de la littérature (Ou la non-litterature) d'aujourd'hui. Non.

Voici donc un normalien de 24 ans, agrégé de philosophie qu'on nous présente comme le digne héritier d'un J.P. Sartre. Bon.
Tout va de travers dans ce roman, à commencer par ce style fade, presque administratif. J'ai eu l'impression de lire une histoire racontée par un professeur d'économie qui de sa vie n'a jamais écrit autre chose que des thèses sur la balance commerciale et la bourse des valeurs, insipides et ennuyeuses comme ses chemises trop repassées. On sent l'universitaire habitué aux dissertations, aux explications, mais vierge de toute effusion, de tout torrent intérieur.

Je n'ai jamais lu autrement qu'en amateur de poésie, que ce soit Nietzsche ou Baudelaire, Sartre ou Desnos. Tout grand livre, tout beau livre doit d'abord être un long poème, et le roman, par les échos qu'il peut multiplier à l'infini entre les chapitres et les scènes, entre les personnages et les décors, par un style chantant, par des images parlantes et une tension dramatique, peut être considéré comme un poème en prose. du reste, des gens comme Mallarmé, Desnos, Hugo ou Queneau ont pleinement assumé le haut potentiel poétique du roman.

En cherchant, on trouvera aisément le Hugo des Contemplations dans Les misérables et Quatre-vingt-treize, fort de ses nombreux oxymores et antithèses expéditifs qu'on connaît bien. le Mallarmé des Poésies est tout entier dans Les Pages ; le Desnos de Corps et biens est au complet dans La liberté ou l'Amour.
Style fade, disais-je. L'adjectif "électrique" revient quelques fois sous cette plume, mais qu'y a-t-il d'électrique en elle vraiment ? Rien.
Ce livre tire toute sa légitimité de sa modernité confondante, de son caractère de prophétie avant-gardiste. Ici, l'argument marketing est donc flagrant, comme si le fait de parler du monde présent et du futur, comme si inscrire une oeuvre (Je tique en écrivant ce mot) dans l'actualité et les eaux troubles d'Internet dédouanerait son auteur de faire un travail d'écrivain. Il n'est pas encore question des impératifs auxquels tout romancier devrait soumettre son livre.

Ce que je cherche dans un livre, c'est d'abord une vision de l'Homme, une facette anthropologique de l'Humain que je ne connaissais pas ou que j'appréhendais malaisément. Je demande donc à chaque oeuvre de me montrer l'Homme, de m'aider à le comprendre, à lui pardonner, à vivre dans des millions de corps, à visiter une pléthore d'âmes rien qu'en côtoyant quelques personnages riches et authentiques.
Chez Devers, rien de cela. Son personnage, Julien Libérat, loin de représenter l'Homme individualiste, lassé et orphelin d'idéal et de transcendance, loin de nous peindre la détresse des hommes du 21 ème siècle que la cupidité folle des patrons d'Internet s'empresse d'exploiter en en faisant autant de moutons bêlant après des algorithmes, tout ce qu'il montre à la clarté d'une lecture attentive, c'est l'échec constant et pathétique d'une écriture programmée, à l'image des réseaux sociaux et de l'Antimonde dont il s'entiche, non pour dire la vérité et lui donner ses droits, mais plutôt pour charmer les petits esthètes de Saint-Germain-des-Prés qui, sachant bien que la vraie littérature est morte avec Sartre et Aragon (1980-82), mais n'en laissant rien paraître, tant cet aveu coûterait à l'égo gargantuesque de ce petit monde qui croit encore que la France livresque rayonne dans le monde comme au temps des soirées de Médan, se rengorgent de la fierté d'avoir un écrivain, un vrai, tant les autres (Les Angottistes en couettes) se font un point d'honneur de ne jamais en donner le mirage, assumant la crasse et la sacralité de l'Intime qui mine tous leurs livres.

Je tiens d'abord pour responsable de ce marasme Houellebecq, sur l'autel duquel tous ces rentiers de la fausse littérature se touchent comme des soeurs vicieuses sur Jésus. Houellebecq a montré à toute une génération de plumitifs qu'il est possible de faire du roman sans jamais chercher la transcendance nécessaire à toute oeuvre d'art, transcendance dont les canons sont : le Beau, le Vrai et le Juste dans le cas d'une littérature moraliste comme chez Hugo ou Barrès.
Houellebecq a dépossédé le roman de sa capacité à dire l'Homme intemporel en ancrant, ou plutôt en noyant tous ses personnages dans l'époque, en les condamnant à ne jamais dire, exprimer et montrer autre chose que les maladies et obsessions de notre temps. Ainsi, le romancier est pris au piège de son sujet. Il se laisse envahir par la merde qu'il prétend traiter en naturaliste roué. Voulant soumettre l'époque à sa plume, il se retrouve les fers aux pieds, noyé et affadi par les tares qu'il voulait exposer, éclaboussé par le sang des plaies qu'il désirait ausculter. le sujet submerge l'auteur et finit par le transformer en acteur de sa médiocrité, en exemple d'une décadence qu'il était censé aborder en vainqueur. Cette infirmité, cette incapacité de s'élever de la boue de l'époque pour mieux en miroiter les reflets, empêchent l'auteur de placer son histoire dans le temps long. Dans ce genre de romans, on ne voit jamais l'Homme dans ce qu'il a de plus vrai, c'est-à-dire de plus intemporel. Pour qu'un personnage soit vrai, il faut qu'il soit aussi préhistorique que les demeures troglodytes et aussi actuel que le journal du jour. Il n'y a qu'à voir l'histoire entre Guillaume et Hersent dans La plage de Scheveningen que Paul Gadenne inscrit dans le marbre de l'histoire universelle en la comparant à celle d'Abel et Caïn.

Houellebecq n'a d'intérêt que dans le cas où la sociologie classique deviendrait trop paresseuse ou barbante. On ne lit pas Houellebecq pour exister autrement ou en apprendre plus sur l'humanité, non. Il a donc désappris aux écrivains à écrire de vrais romans, c'est-à-dire à composer des jeux langagiers à triple, quadruple fond.
Dans tout roman, il y a naturellement, en premier lieu, ce que j'appellerai "Le prétexte", ce qui justifie la narration. C'est d'abord le cadre spatio-temporel, l'histoire en elle-même, l'ambiance politique...etc. Ensuite, l'on pourrait distinguer ce que Houellebecq conserve dans ses romans : un réalisme sociologique qui met en relation causale "Le prétexte" - l'atmosphère et le cadre du roman - d'un côté, avec les comportements et attitudes de certains archétypes identifiables dans la société de l'autre.
Ce réalisme peut plus et moins que la sociologie : il a la liberté de passer à son aise de la sociologie à la psychologie et densifier, enrichir ainsi un type avec tout l'attirail psychologique et observationnel dont dispose le romancier. Il peut moins puisqu'il lui est impossible de mettre en formules limpides une vérité exhaustive et rigoureuse concernant toute la société. La dimension psychologique et investigatrice, même psychanalytique du roman l'empêche de s'élever réellement au-dessus des hommes pour considérer la société dans son ensemble. Jules Romains a essayé mais tout le charme des Hommes de bonne volonté réside dans l'attirance qu'on éprouve pour l'intelligence perçante d'un Jallez, pour l'optimisme volontaire d'un Jerphanion, mais l'unanimisme n'atteint jamais la subtilité des chapitres où Romains poursuit avec acuité les folies de ses personnages. le singulier l'emporte sur le pluriel et c'est toujours l'Homme qu'on préfère aux autres, au peuple, à l'ensemble qui finit par faire sourire.

Malheureusement, les personnages et l'intérêt qu'ils doivent susciter contraignent le romancier à les traiter comme des objets uniques mais où peuvent se distinguer quelques reflets d'une vérité sociologique.
Nous voilà donc au 3 ème fond, l'arrière-fond, le vrai, nous voilà à la sève nourricière du roman. Tout ce dont je viens de parler ne sert que d'alibi à l'écrivain pour justifier de l'actualité de son roman et de sa place dans l'univers littéraire. Il utilise donc le désir, ou plutôt le besoin qu'on a de lire des choses qui nous concernent, il le convoque pour nous parler en vérité d'autre chose. Prétextes donc. le romancier prend pour exemple son époque dans une démonstration anthropologique qui la surplombe, l'englobe, mais la traite comme un point dans l'espace, comme une borne naine dans une frise chronologique où s'enchaînent les siècles.
En ceci, le roman concurrence les livres sacrés, les prend pour modèles et s'inspire de leur force d'évocation. À partir de là, l'objectif n'est plus de mimer comme un imbécile amuseur de rue les pires travers de l'époque et d'en rire mais de les relier, les expliquer, les éclairer - en sus de l'apport du "Prétexte" à la compréhension de ces phénomènes - de les relier donc à l'histoire universelle des hommes. Il faut nous montrer en quoi le morveux addict à un jeu réaliste sur Internet est de la même espèce qu'Hannibal et Apulée, en quoi son addiction est la forme moderne d'un instinct, d'un désir, somme toute d'une vérité écrite sur la chair de l'Homme, sur sa destinée depuis la nuit des temps. Que partage ton personnage avec ceux de l'Odyssée et de la Bible ? Celui de Nathan ? Rien.

Je me réponds à moi-même, à demi railleur, que ceci est bien volontaire de sa part. Mais être conscient d'une tare n'en fait jamais un atout, et le roman est définitivement mort de sa douce et laide mort, douce puisque non-avouée, tue par de faux esthètes qui jouissent davantage du mirage d'un beau livre que d'une vraie expérience littéraire, laide puisque la prétention de ces gens-là, gardiens des Lettres, à mettre leurs pas dans ceux des plus grands est si pathétique qu'il serait scandaleux d'en rire, vraiment.

Pour la construction du roman, il faudrait repasser. C'est très mal construit. Les ponts causals sont plus que fragiles. L'évocation de la relation amoureuse et la rupture entre Julien et May au début du roman ne sert à rien. Elle peine à expliquer l'attitude du personnage principal, sa lassitude et la pente que prend sa destinée. C'est poussif. On ne croit pas une seule seconde à cette volonté de prendre sa revanche dans un monde virtuel - où tout ce qu'il désire lui est octroyé - sur le monde réel insatisfaisant et frustrant, pour la simple raison que toutes les bribes du passé de Julien que l'écrivain nous livre comme autant d'explications ne sont jamais convaincantes. Julien ne semble même pas très peiné quand la rupture est là, ou quand May lui annonce qu'elle part à New-York avec un autre.

C'est le défaut d'une littérature performative qui croit qu'en disant " Un tel est blessé, Martine se sent confuse, Daniel est déconcerté", aussitôt le lecteur en prendrait connaissance et dirait : d'accord mon coco, continue. Non. Il ne suffit pas de nous dire que Julien souffre ou est chagriné pour nous embarquer. Il faut nous les montrer, toutes ces émotions que l'esprit connaît mais que le coeur ne reconnaît pas. C'est d'ailleurs la différence entre la philosophie et la littérature. La première fait surgir la vérité des mots quand la seconde la cherche dans les images qu'elle s'évertue à tailler avec la pioche du langage. Nathan Devers raconte des histoires comme il exposerait une thèse philosophique. Quelle tragédie !

On nous dit que le personnage est perdu, las, presque malade, mais nous montre-t-on au moins une fois comment l'est-il ? Non. Les mots, toujours les mots, jamais l'image ! Toutes les scènes censées soutenir cette description psychologique ne révèlent pas grand-chose, ne suivent point d'ailleurs l'idée présidant à leur exposition.
On y voit un personnage perdu qui répond indifféremment à tout comme le ferait n'importe quel personnage de n'importe quel roman.

La partie narrant l'ascension d'Adrien Sterner (Entrepreneur ambitieux qui crée l'Antimonde) est trop longue, trop impersonnelle, trop attendue. le personnage surpuissant et calculateur, ce stéréotype du self-made-man qui n'hésite pas à se référer à la Bible pour souffler sur son projet un élan créateur et mystique (À défaut de vraie transcendance, on a ça : un prédicateur en carton), cet archétype est aujourd'hui usé jusqu'à la corde. Je trouve même indécent qu'on puisse penser dire à travers ce dernier quelque chose de neuf.

D'Octave Mouret à Jean Barnery en passant par Haverkamp et Raymond Pasquier, l'archétype de l'entrepreneur ambitieux, frère de lait de Macron a les os rongés par le temps et l'usure des publications.
Enfin, je passerai sur la maigreur de sa personnalité que ne sauve même pas un génie dont on se doute des moindres trouvailles à venir, ce qui est le contraire du génie. Improbabilité et surprise où êtes-vous ?

L'épisode au chapitre 10 de la 2 ème partie, où nous voyons Julien aller donner son dernier cours au petit Michaël, gosse de riche indiscipliné et paresseux, avant de s'investir entièrement dans l'Antimonde, achève de nous convaincre que le livre a été bâclé, mal foutu, puisqu'il ne sert strictement à rien, ne renseigne sur rien. Julien disparaît du tableau et tout ce qu'on nous donne à voir c'est le reflet brumeux d'une esquisse hâtive de ce pourri gâté de Michaël. Nous renseigne-t-il donc sur le passé de professeur de musique de Julien ? Non. Nous aide-t-il à comprendre pourquoi il s'inscrit dans l'Antimonde et voue ses jours à ce jeu de réalité virtuelle ? Non plus.

J'arrête là, car à force d'énumérer les manquements, de répertorier les maladresses d'un universitaire qui s'improvise sans succès romancier, j'en oublie que l'objectif premier, le dessein d'un tel livre n'est pas de dire la vérité ou de la faire dire au lecteur, tâche qui exige une grande rigueur, une tyrannie dans le choix et l'agencement des scènes et des chapitres, une traque minutieuse de tout superflu, de toute évocation relevant de l'anecdote, de la fioriture. Non. L'objectif est de charmer le public esthète qui pleure en cachette sa littérature d'antan mais sera toujours prêt à encenser, à gratifier de mérites donnés d'une main prodigue (Il n'y a qu'à voir l'engouement d'un BHL, ancien sbire de Sartre et de Barthes pour ce Jouvenceau), à crier au génie pour peu qu'on lui donne des mots rares, quelques métaphores bien tournées et sibyllines à souhait et l'apparence d'une littérature spéciale, ésotérique, faisant mine d'exclure de son horizon d'attente tous ceux qui ne possèdent pas les Lettres, quand elle ne sert en vérité qu'à faire croire à certains qu'ils font partie, comme jadis les habitués des après-midis de Mallarmé, des élus auxquels leur savoir permet de goûter aux divines délices d'une oeuvre dont ils ignorent l'affligeante morosité sous le soleil.

Qu'un dieu, quel qui soit, me garde de lire des torchons de ce genre à l'avenir. Qu'un oblat prie pour moi et je serai alors le plus heureux des hommes. Un oblat, pas un moine je vous prie !
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« Nous ne sommes plus des hommes, mais des nombrils hurleurs. On raconte sa vie, on like et on dislike. On essaie vainement d'attirer l'attention. On s'écoule, comme les autres, dans ce stock incessant où toutes nos vanités s'entassent comme des ruines. »

Le héros du livre, Julien Libérat, est l'un de ces innombrables nombrils hurleurs s'efforçant d'attirer l'attention, en vain. Tiraillé entre l'injonction de réussir sa vie et l'insatisfaction chronique qui caractérise celle-ci, entre son désir de création artistique et la réalité de son « bullshit job », entre son désir de communion avec sa bienaimée et la réalité de leur séparation, il traîne sa déprime dans les rues désertes de sa récente ville d'adoption : Rungis. À cet égard, il est une figure prototypique de nos sociétés démocratiques contemporaines qui, en promouvant l'égalité pour tous et la récompense au mérite, ont dans le même temps, et bien involontairement, créé un taux de frustration inégalé. Ainsi que le rappelle Gérald Bronner dans Apocalypse cognitive, la frustration est inséparable de la démocratie. Elle en est même l'une des conséquences les moins prévisibles. Alexis de Tocqueville, fin observateur de la jeune République américaine, l'avait, en son temps, parfaitement compris, lui qui fut saisi par l'étrange mélancolie qui semblait frapper ces heureux citoyens au milieu d'une abondance de biens :
« Quand toutes les prérogatives de naissance et de fortune sont détruites, que toutes les professions sont ouvertes à tous, et qu'on peut parvenir de soi-même au sommet de chacune d'elles, une carrière immense et aisée semble s'ouvrir devant l'ambition des hommes et ils se figurent volontiers qu'ils sont appelés à des grandes destinées. Mais c'est là une vue erronée, que l'expérience corrige tous les jours. »
La frustration atteint son paroxysme dans des sociétés ultra connectées comme la nôtre, où la gigantesque quantité d'informations disponibles, une quantité qui jamais, dans l'histoire de l'humanité, ne connut une telle ampleur, met à la portée visuelle de tous la vie des autres. Ces autres, célébrités éphémères ou plus durables, people aux vies chatoyantes, hommes d'affaires, sportifs, artistes, hommes d'Etat, ont en commun une chose : celle de s'être élevés au-dessus de la masse indifférenciée de leurs concitoyens, qui, eux, continuent, dans un mélange d'indignation et de résignation, à barboter dans les eaux saumâtres de l'insignifiance.

C'est probablement la peur de l'insignifiance, c'est « la misère attentionnelle », pour reprendre un terme de Gérald Bronner, dont souffre Julien Libérat, qui le poussent, sous une impulsion subite, à ouvrir un compte sur le nouveau jeu en ligne d'un genre particulier qu'est l'Antimonde. Ce jeu, créé par Adrien Sterner, un visionnaire autoritaire et mégalomane se prenant pour Dieu — il nous livre à plusieurs reprises son interprétation toute personnelle des Évangiles — s'appuie sur le mécanisme des boucles addictives — activation des circuits de la récompense - libération de dopamine - plaisir éphémère — mécanisme bien connu des grands opérateurs du Net qui l'exploitent à merveille, tout en jouant habilement de la frustration de l'homme contemporain.

« Connaissez-vous l'Antimonde? le seul jeu vidéo que vous allez préférer à la vie ! (…) Puisque votre vie n'a pas l'air palpitante, je suis heureux de pouvoir vous en offrir une deuxième. Place à votre anti-moi, bienvenue dans l'Antimonde ! »

Rien de révolutionnaire jusque-là. Mais là où l'Antimonde commence à se démarquer de la masse des jeux vidéos, c'est qu'il ambitionne d'être un métavers. le métavers, contraction de « méta » et « univers », terme inventé par l'écrivain de science-fiction Neal Stephenson, désigne un monde virtuel dans lequel on interagit avec son environnement et avec les autres joueurs grâce à un casque de réalité virtuelle, ce qui crée un niveau d'immersion jamais atteint auparavant. le métavers, « expression ultime des technologies sociales » dixit Mark Zuckerberg qui a décidé il y a moins d'un an de changer le nom de la maison-mère de Facebook en Méta, existe déjà. Mais, et c'est là que le livre de Nathan Devers bascule subrepticement dans l'univers de la science-fiction, l'Antimonde n'est pas un métavers reproduisant de manière plus ou moins réaliste une réalité partielle, il est LE métavers. Il reproduit à l'identique la réalité, toute la réalité, dans ses moindres détails. Il n'est rien de moins que la réplique virtuelle exacte de notre monde, une sorte de planète B, en somme.

Dans l'Antimonde, l'anti-moi n'est pas dépaysé puisqu'il se retrouve dans un environnement qui ressemble à s'y méprendre à l'environnement réel. Quel intérêt, me direz-vous? Eh bien, celui de vivre une seconde vie. Dans l'Antimonde, l'éventail des possibles est beaucoup plus vaste que dans la vie réelle. Vangel, l'anti-moi de Julien, peut discuter chaque soir avec le PNJ (personnage non joueur) de Serge Gainsbourg, son idole. Il peut également, s'il le souhaite, assouvir tous ses fantasmes y compris celui d'assassiner, celui de forniquer à tout-va, celui de se payer les chambres d'hôtel les plus luxueuses, de voyager dans des Jets privés, celui de gagner plein de fric, celui d'être enfin reconnu comme un Artiste, celui d'accéder au statut de célébrité planétaire, etc, etc… Aucun scénario écrit à l'avance ne préside à sa destinée. Son histoire, c'est lui qui l'écrit à mesure qu'il la vit par l'intermédiaire de son avatar, son double dans la peau duquel il se glisse grâce au casque de réalité virtuelle et à la combinaison idoine.
Cependant, aucun des individus, de plus en plus nombreux, qui peuplent l'Antimonde, ne peut espérer en attendre des retombées dans la vie réelle. le créateur du jeu, Adrien Sterner, soucieux que sa créature ne lui échappe pas et continue à engendrer profits sur profits, a tout prévu : le plus strict anonymat est requis, sous peine de voir son compte définitivement supprimé. Et c'est ainsi que les individus comme Julien, tenaillés par la peur de l'insignifiance, aiguillonnés par un besoin aigu de reconnaissance se retrouvent pris au piège de l'Antimonde. Soit ils font tout pour durer dans le jeu, ce qui, dans le cas de Julien et compte tenu des manipulations de Sterner, est en réalité bien plus difficile qu'il ne se l'imaginait au départ, et s'apparente, de surcroît, à une course de plus en plus effrénée et chronophage ne menant nulle part, soit ils retombent dans l'insignifiance de leur vie réelle, autant dire dans le néant.

Si l'auteur a su faire preuve dans ce livre d'une audace indéniable, nous délivrant un récit crédible sur les dérives des nouvelles technologies sociales en s'appuyant sur un phénomène extrêmement récent, le métavers, s'il nous sert un récit enlevé servi par un humour souvent décapant, j'ai trouvé que le scénario souffrait d'incohérences et que le propos, cédant parfois à la facilité, manquait de profondeur. J'attendais, pour ma part, davantage d'interactions entre le monde virtuel du métavers et le monde réel, des interactions ouvrant sur le récit du lent et inéluctable décrochage de Julien, de sa relation de plus en plus chancelante à la réalité. Or, ce récit n'a pas lieu. Regret d'autant plus grand que Nathan Devers cite Philip K. Dick, qui en a fait la matière de certains de ses plus grands livres. le rapport schizophrène que Dick entretenait avec le réel, que j'évoquai dans ma critique de Ubik, me semble être une préfiguration de ce qu'une part non négligeable d'êtres humains vit déjà et vivra dans des proportions de plus en plus inquiétantes à l'avenir. L'objet du livre de Nathan Devers, à savoir l'exploitation d'un phénomène qui n'en est qu'à ses prémisses, le métavers, qui, à bien des égards, ressemble à une matérialisation du mythe de la caverne de Platon, aurait pu être une magnifique occasion d'explorer cette passionnante question.
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Pauvre Julien. Professeur particulier de piano, planté par sa copine, il se résout à se replier sur Rungis , faute de moyens suffisants pour rester un parisien. C'est tellement la loose qu'il se suicide en direct.

Quelques temps auparavant, dans un de ses multiples moments d'oisiveté, la pub de l'antimonde lui tombe dessus. Il se décide , puisque c'est gratos , de créer son avatar et d'explorer ce monde virtuel qui ressemble bougrement à celui qu'il fréquente mais où la loose n'est plus collée à ses basques.

Un roman ambitieux et sans doute réussi, en tous les cas pour moi.
Comment ne pas rêver même à travers un jeu, de reconstruire sa vie ou d'en vivre une virtuelle . Avec un peu de chance y rencontrer une de ses idoles mortes !

Le livre est ambitieux et derrière le business de l'antimonde se pose bien sur le rapport aux outils informatiques que développe notre société . Je mets le mot informatique plutôt que réseau, la notion me semblant plus juste .
L'auteur , avec parfois beaucoup d'ironie, dézingue le tout en grossissant le trait et en faisant intervenir quelques personnages réels aux avis tranchés , Finkelkraut par exemple.
Alors , on pourra objecter un livre un peu facile , aux grosses faciles que n'aurait pas reniées James Dashner par exemple. Pour autant, derrière chaque action dans l'antimonde , il y a le jugement de l'auteur , une vision de la moralité de l'ensemble que l'on cautionne ou non.
L'addiction, la déconnexion de la réalité ont amené ces dernières années des massacres , ouvertement revendiqués comme engendrés par des expériences numériques par les barjots qui les commettent.
Ce livre expose une facette des dangers numériques et le fait très bien.

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Le roman de Nathan Devers, "Les liens artificiels"(Albin Michel) inscrit sur le liste du prix Goncourt est l'un des moins mauvais romans français de la rentrée littéraire 2022.


N'en déplaise aux critiques négatives, respectables pour celles qui sont sincères, l'auteur fait montre de l'intelligence du pessimiste raisonnable par la description de la désolation du monde tel qu'il est et où il va - des travers du métavers à la folie de ses adeptes ignorants et subsistant par procuration.


L'objectif de Nathan Devers n'était pas d'écrire un essai philosophique, ou de plagier Michel Houellebecq, mais de montrer, au moyen d'un roman facile à lire, bien écrit , clairvoyant et distrayant, une réalité atrocement effrayante et détestable.


Je conseille ce livre de ce jeune auteur particulièrement brillant.


Bonne lecture.


Michel


Lien : https://fureur-de-lire.blogs..
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Demi-plaisir et demi-déception pour le dernier livre de Nathan Devers, Les liens artificiels. Plaisir pour le côté iconoclaste de l'auteur qui glisse ça et là des remarques à couper le souffle, mais, déception pour l'intrigue et la narration que j'ai trouvées lourdes.

Le roman commence par le suicide en direct sur les réseaux sociaux de Julien Libérat, un début fort, vous en conviendrez, qui appelle une suite tout aussi intense. Hélas, le soufflé retombe rapidement et c'est bien dommage.
Bien sûr, j'ai retrouvé la facette facétieuse de l'écrivain que j'avais aimé dans Espace fumeur. Justifier l'anonymat sur les réseaux sociaux en s'appuyant sur La cité de Dieu de saint Augustin, franchement, je ne l'avais pas vu venir et ça, j'adore !

Pour le reste de l'histoire, je suis plus dubitative. À moins que je sois totalement insensible au thème abordé, jusqu'ici aucun roman qui aborde l'activité sur internet n'a trouvé grâce à mes yeux. Mais le sujet est-il aussi intéressant que ça ?

Autre reproche, la narration est un peu lourde : explications plus ou moins techniques au travers d'Adrien Sterner, suivies de l'histoire de Julien.
J'ai néanmoins adoré retrouver Serge Gainsbourg, animé par une intelligence artificielle et le style de Nathan Devers est somptueux.

Lien : https://dequoilire.com/les-l..
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**** Rentrée Littéraire 2022 #6 ****

L'auteur, est né à la fin des années 90, et appartient à la première génération qui n'aura pas connu le monde sans les écrans. Qui aura découvert le réel à travers le virtuel. Une génération ensemble et séparée. Tout le monde est connecté, tout le monde est solitaire.

Nathan Denvers commence son roman par une scène paradoxale. En direct, sur facebook, dans le plus grand silence, Julien ouvre la fenêtre de son appartement, regarde sa caméra en selfie et se suicide. le suicide, c'est l'acte par excellence de l'autodestruction, et le selfie, c'est l'acte par excellence de l'affirmation de soi. Une mort à la fois en s'affirmant et en s'autodétruisant, à la fois sur les écrans et sur la vie, la mort elle-même est virtualisée. Une banalisation du mal.

Débute ensuite une analepse. L'histoire de deux hommes qui ne se connaissent pas et qui n'ont rien en commun. D'une part Julien Ribérat, un jeune homme qui a presque 30 ans, et déjà au bout de sa vie. Il est professeur de piano et ne supporte plus son métier. Il rêve d'être chanteur et pour couronner le tout il devient addict aux écrans. Il passe sa vie à sroller sur les réseaux, avec un sentiment de plus vivre. Et d'autre part, Adrien Sterner, le grand architecte du monde de demain, qui au contraire est une sorte de milliardaire prophétique, qui passe sa vie à relire la bible, plus particulièrement le nouveau testament, surtout l'apocalypse de Jean. Ce texte qui exprime la naissance de l'idée de paradis dans l'histoire de l'occident. Visionnaire, un peu à l'image de Steve Jobs, d'Elon Musk, de Zuckerberg et qui est l'inventeur de « l'Antimonde ». le premier métavers grandeur nature. Une plateforme virtuelle en 3D immersive, qui réplique la totalité de la planète terre auquel on accède en mettant un casque de réalité virtuelle, une combinaison, et qui permet de vivre une seconde vie à travers son avatar, dans un monde totalement virtuel, inexistant. Une vie plus folle, plus libre, plus riche, exploiter des perspectives qu'on n'a pas dans notre vraie vie.

L'auteur nous dresse le portrait de notre génération où le virtuel et le réel se réverbèrent, se mélangent, s'inversent et se pénètrent l'un l'autre sans cesse. Et même si technologiquement, le métavers est quelque chose de nouveau, ça ne fait que réactiver la pulsion la plus ancienne qui soit de l'humanité, la plus enracinée dans la condition humaine... le désir d'ailleurs, le désir de paradis, le désir d'une autre réalité et qui s'exprime dans la religion à travers le paradis, d'inventer un autre réel.

« Les liens artificiels » est un roman vertigineux, à la dimension de questionnement philosophique, à la fois poétique, musical, et apocalyptique avec une touche d'humour. La poésie et la musique occupent une place très importante à travers l'histoire de ce Julien, un peu poète, qui rêve d'être chanteur, et grand admirateur de Gainsbourg. L'apocalypse du réel à travers ce métavers, cette époque qui dépasse l'empire de la réalité et qui en finit avec les choses pour les remplacer par des mirages, par du fake, par des hologrammes, par des écrans etc... et apocalyptique aussi parce que l'apocalypse biblique est très présente dans le roman.

Au travers de ce roman, le rôle de la littérature est de se compromettre, de sortir de son espace naturel, d'aller là où elle n'a pas sa place, de se frotter à ce qui la menace. A l'heure où l'on dit toujours que les écrans menacent peut-être la lecture, menacent peut-être les livres, il est important de réconcilier les écrans et les livres. Malgré un sujet antilittéraire, Nathan Denvers essaie de faire sortir le roman de sa zone de confort, pour l'emmener là où il ne pouvait plus aller.

Cette histoire et une comédie racontée par un homme qui pleure, ou une tragédie racontée par un homme qui rit. Un peu comme les clairs-obscurs en peinture. C'est un livre « triste-drôle » à la fois.
A tous les rêveurs, à tous ceux qui ne sont pas satisfaits par la réalité, qui rêvent d'une autre vie, d'une autre identité, d'assouvir des rêves, une part d'eux-mêmes qu'ils n'ont pas pu accomplir et réaliser dans leur existence concrète. A tous ceux qui sont imprégnés dans l'océan des écrans, dans le tsunami des réseaux sociaux, dans ce monde de like, ce monde de story, de compte, d'ami virtuel, qui peuvent avoir l'impression d'une façon tout à fait naturelle que c'est un peu les livres contre les écrans. Quand on n'est un peu comme ça imprégné par les écrans, qu'on n'a pas l'impulsion naturelle d'aller vers un roman où on peut avoir l'impression que c'est un peu l'un contre l'autre. Avec « Les liens artificiels », Nathan Devers réussit à faire rentrer les écrans dans les livres, et faire sortir les livres d'eux-mêmes pour aller vers les écrans....un gros coup de coeur !
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Créer sur Internet des mondes virtuels, pour les substituer ou les juxtaposer au monde réel ! C'est un objectif sérieux pour des spécialistes en technologies numériques. C'est un sujet de préoccupation pour des philosophes. C'est depuis longtemps un champ d'inspiration pour une littérature de science-fiction réservée à ses amateurs. Et voilà que la littérature dite générale s'y intéresse à son tour.

Il y a deux ans, le prix Goncourt récompensait L'Anomalie, où l'on émettait l'idée que notre monde pourrait lui-même être une simulation conçue dans un avenir éloigné. Cette année, l'un des candidats au titre a anticipé l'existence d'un métavers sophistiqué… le terrain était tentant pour Nathan Devers et son premier (ou deuxième ?) roman, Les liens artificiels. Ce tout jeune intellectuel français bardé de diplômes est déjà bien en cour dans les cénacles politico-philosophico-littéraires, et il n'est pas rare de voir son visage lors de tables rondes sur les télés d'infos en continu.

Mais qu'est-ce donc qu'un métavers ? Tout simplement un jeu virtuel en 3D, auquel l'internaute participe par l'intermédiaire d'un avatar, un personnage virtuel qu'il a créé et qui lui est personnel. Les jeux vidéos des années quatre-vingt-dix et leur iconographie très rudimentaire étaient les précurseurs des métavers. Dans Les liens artificiels, celui que l'auteur imagine est bien mieux élaboré : « l'Antimonde » est une reproduction parfaite, au moindre détail près, du monde réel.

Le roman met en scène un jeune homme, Julien, dont les raisons d'exister sont en train de perdre tout leur sens. Viré par sa compagne après cinq ans de vie commune, il s'est exilé faute de moyens dans une banlieue éloignée et sans caractère. Musicien, il gagne à peine de quoi vivre en donnant des leçons de piano. Il reste déterminé à composer un album de chansons, mais jour après jour, il procrastine sur les réseaux sociaux, où il perd son temps et ce qui lui reste d'âme.

L'autre personnage principal est le créateur de l'Antimonde ; Adrien est un homme d'une intelligence et d'une culture supérieures, mais il est aussi narcissique et pervers, au point de vouloir dominer et manipuler l'humanité grâce à son métavers, dont il fait la promotion sur les réseaux sociaux.

Julien va découvrir l'Antimonde, y ouvrir un compte et se lancer à corps perdu — si l'on peut dire ! — dans l'aventure, par le biais d'un avatar qui en deviendra un acteur essentiel. Ce nouveau monde virtuel lui permettra-t-il de faire fortune ? de faire reconnaître ses talents d'artiste ? En tout cas, Julien et Adrien finiront par être fascinés l'un par l'autre.

Les liens artificiels est un livre original. La fiction est bien documentée et malgré quelques inévitables incohérences sans importance, elle s'intègre bien dans l'histoire récente des savoir-faire numériques et de la réalité simulée. La narration est accrocheuse. L'auteur stimule l'intérêt du lecteur par de bonnes questions, mais celles-ci ne trouvent pas les développements « décoiffants » qu'on pourrait espérer. Chaque chapitre se résume à une sorte de sketch, dont la chute est banale ou prévisible. Beaucoup d'imagination, une inspiration parfois morbide et un léger manque de sens romanesque.

La narration est accompagnée des commentaires prospectifs habituels sur les dérives des réseaux sociaux, du déclin des civilisations qui leur accordent une importance démesurée… L'auteur n'hésite pas à faire parler des personnalités, mortes et vivantes ; des pastiches amusants, mais timides, comme s'il ne fallait pas aller trop loin dans l'impertinence.

L'auteur maîtrise parfaitement l'écriture, variant le style selon les personnages et les intrigues. Lorsqu'il faut toutefois adopter le vocabulaire de personnes ordurières, qu'il est difficile d'être crédible ! Enfin, bravo pour les alexandrins, même sans rimes ; mais ils ne révolutionnent pas la poésie.

La réalité augmentée existe déjà, les paradis artificiels aussi. La vraie vie ne serait qu'un miroir aux alouettes, où chacun s'illusionnerait sur la place qu'il pourrait prendre… Je retiens aussi une idée intéressante et cocasse pour mettre fin au conflit israélo-palestinien.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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