J'aime la critique de notre ami Philippe Castellain (fort) à propos de "
L'homme de la scierie" (1950) : ses points forts sont habilement mis en avant.
Ce dense roman nous place d'emblée au plus près de l'Odyssée personnelle d'Henri Chalfour, employé de scierie de son état. Un homme non pas humble mais affairé (et non pas accablé) par l'accomplissement de ses lourdes tâches professionnelles (le port et le tri de planches gigantesques et le transport des tas de sciures), compensées par ses amourettes au jour le jour... Henri a un frère : Remi... A eux deux,
un soir de beuverie qui tourne mal, ils feront son affaire au marchand de chevaux...
Je ne vous lai point précisé : l'action se déroule aux tous débuts de notre charmant XXème siècle... et le roman est non seulement dense, mais fleuve - tel ce
lui qui passe devant la scierie de Nogent-sur-Marne... Un coin à impressionnistes mais sans Renoir ni
Maupassant.
La morne existence d'un prolétaire, qui aurait pu finir repris de justice (étiqueté assassin ou à tout le moins complice d'assassinat)... Ce qu'il y a vraiment de plus authentique, "vrai" et sans bavures dans cette oeuvre...
Les destinées de chacun des membres de la famille de richousses locaux : sans problèmes pour le crédible Hector Joras, le patron de la scierie nogentaise... Ses frères Alcide et Claude : des parasites sans cervelle, qui se mêlent de vouloir trouver un vague sens à leur existence de rupins coincés dans une maison bourgeoise aux allures de "château"... Ils ne peuvent que nous faire du "Bouvard et Pécuchet" (au mieux), hélas... Heureusement, il y aurait la frangine fantasque, la "révoltée de la famille", qui a (selon les mots poétiques de l'ami Brassens) passablement et constamment "le feu au cul"...
On s'ennuie en fait assez ferme aux prévisibles pérégrinations des aristos, comme près de cette foutue Comtesse, partageant sa vie entre l'Île de France et son manoir normand, et ayant au grenier son "fauteuil hanté" gaston-lerouxesque, auquel ladite Comtesse se trouve attachée mais dont le lecteur, très vite, ne sait que faire ni quoi en penser... Un "running gag" en trop !
Au moins, on ne s'ennuie pas avec Henri, un dingue de pêche, et qui aime à l'occasion "pécho la meuf", comme on dirait (assez bêtement et tristement) par nos jours despentesques [Attention, "un grand écrivain est née" nous préviennent les bandeaux des enièmes subutexeries-cherconnarderies...] ; bref, Henri a de la ressource... Il ne se fait jamais serrer par la Maréchaussée : pas bête.... Bref, souple comme une ablette, et muet comme une carpe !!!
Résumons nous : pour nous, pas vraiment le chef d'oeuvre du Maître
André DHÔTEL (1900-1991), parfois si inégal dans sa production romanesque et nouvelliste sans égal... Chef d'oeuvre qu'il aurait pu être...
Alors, un postulat : Dhôtel n'était pas à l'aise dans les formes romanesques longues... Trop de personnages (dont ceux de "la Haute") dont on ne connaîtra trop peu pour nous offrir un minimum d'intimité et de confort psychologiques, trop peu crédibles donc, insuffisamment construits... du coup, on se moque un peu de leurs péripéties existentielles !
"
L'Homme de la scierie" n'a cependant rien à voir avec les ratages flagrants que seraient selon nous : "
La route inconnue" (personnage féminin central totalement bâclé et incrédible au possible... ) et le très infantile et VRAIMENT navrant "
Le soleil du désert"...
L'un des soubassements de l'idée de "maîtrise" serait de pouvoir tenir la distance... La réponse à cette interrogation-là me semble ici négative. Hélas...
Les véritables "chefs d'oeuvre" seraient donc, selon nous, et dans leur brillante concision et leurs beaux mystères : "
Pays natal", "
Ma chère âme", "
La Tribu Bécaille",
Les disparus" (Quelle merveille méconnue !), "
Je ne suis pas d'ici" (dont nous attendons âprement la réédition...), "
Lumineux rentre chez lui" , "
Le Pays où l'on n'arrive jamais", "
L'île aux oiseaux de fer", "
Dans la vallée du chemin de fer", "
L'honorable Monsieur Jacques", "
L'azur", "
La maison du bout du monde" (Un éblouissement de simplicité !), "
Nulle part" (Petit chef d'oeuvre précoce...), "
Les chemins du long voyage" et quelques autres qui ne me reviennent pas à l'esprit...
Que vive encore la perpétuelle redécouverte du monde magique d'
André Dhôtel !!!