Après l'éreintant Meddik,
Thierry di Rollo explore une dernière fois sa « Tragédie Humaine » avec
Les Trois Reliques d'Orvil Fisher.
Nous sommes en 2007 et l'auteur français choisit de poursuivre sa fresque noire mais pourtant toujours passionnante au sein d'un monde qui n'en finit pas d'agoniser. Moins dense que son prédécesseur mais tout aussi brutal,
Les Trois Reliques d'Orvil Fisher ne renie rien des obsessions de son auteur et se contrefout des règles.
Des morts au hasard
Les premières pages ne laissent aucun doute, vous êtes en territoire « di Rolliens » . Un tireur s'installe calmement en face d'un immeuble d'habitation de Lucité, une ville en ruines oubliée de Dieu. On y suit de pauvres hères, les gardiens pitoyables d'une mare d'eau stagnante anonyme froidement abattus par notre sniper-narrateur au but inconnu. Des hommes, des femmes, des enfants. Jusqu'à l'assassinat de Martha er Thelonious sous les yeux de leur petit-fils, un certain Orvil, qui finit avec un bras en moins.
Secouru par un médecin de passage, Lake Harrison, et bientôt greffé d'un bras en plastum, le jeune homme est mis dehors manu militari par le chirurgien de l'En-Zone qui lui a sauvé la vie. Dès lors, Orvil Fisher n'a plus qu'un seul objectif : trouver le meurtrier de ses grands-parents pour lui faire la peau.
Une histoire simple, une histoire de vengeance. Mais croire que la vengeance racontée par
Thierry di Rollo sera familière, pour ne pas dire cliché, c'est mal connaître le français.
Car derrière cette quête sanglante, l'auteur tire un peu plus loin le lecteur au sein de son monde sinistre. Les familiers de l'univers reconnaîtront pas mal de choses ici : la drogue K. Beckin de Meddik, l'eau devenue denrée rare de
la Profondeur des Tombes ou encore une planète Mars devenue complètement inhumaine comme le sous-entendait déjà le récit d'
Archeur.
En 2007,
Thierry di Rollo imagine un monde en miroir du nôtre, où le réchauffement climatique a conduit à une inversion du rapport de forces entre le Nord et le Sud, où l'on conserve et transporte l'eau comme un trésor, où les Neiges s'abattent sur ce qu'il reste des ex-pays riches et où les Océans Atlantique et Pacifique se sont rejoint au détriment de l'Amérique Centrale.
Au milieu de cette catastrophe, Orvil Fisher poursuit un fantôme à dos de girafe, d'abord en tant que guetteur dans un convoi qui chasse le yak et récupère de l'eau à flanc de montagne, puis sous les oripeaux d'un piqueur pour amuser la foule en tuant plusieurs fois des taureaux génétiquement modifiés pour se relever, enfin derrière une ligne de fortins bétonnés qui protègent un grand barrage à cheval entre le Sud et le Grand Milieu. Orvil Fisher est à la fois chasseur et fuyard, un lâche avec la main sur la gâchette.
Pourquoi vivons-nous ?
Dans l'intervalle, le lecteur capte le drame fondateur d'Orvil, l'abandon d'un père et une existence qui le lâche quand il lui veut juste crier « papa ».
La tuerie d'après, celle de ses grands-parents, entre les pièces de modèle réduit de son grand-père et un ouvrage mystérieux d'une bibliothèque trop pleine, ne sera que le coup de grâce.
Thierry di Rollo offre de nouveau un être torturé au lecteur, un homme qui se noie dans l'absurde dès l'enfance, qui ne parvient pas à comprendre le sens de ce qu'il lui arrive, de la raison de son malheur.
Et si tout cela, si la vie elle-même, n'avait pas de sens ? Si c'était la façon de mourir et ce que la Mort nous réserve donne du sens à l'existence ?
En recherchant celui qui l'a jeté sur les routes, Orvil devient en quelque sorte une copie de son ennemi-juré, un homme aux multiples visages et aux multiples emplois, qui tue avec la certitude de donner une portée symbolique à ses meurtres.
Il croise très tôt un animal-totem, marque de fabrique des romans de Thierry di Rollo depuis
Number Nine et son nécrophage mutant. Une girafe qui parle, un élément d'absurde dans un monde encore plus grotesque. Un souvenir fragile, d'une Afrique qu'on ne voit pas cette fois, mais qui est là, toujours, à l'orée du regard.
Et puis l'autre figure-obsessionnelle de di Rollo, une certaine forme d'amour, incarnée cette fois par la relation d'amour-humiliation entre Lauryanne et Orvil, menotté chacun son tour, baisé chacun son tour. Comme si l'amour n'avait plus aucun sens en lui-même, noyé dans cette violence outrancière, comme si seule l'histoire personnelle d'Orvil pouvait lui redonner figure humaine. Une figure humaine lâche, brutale, éphémère.
Noircir la neige
En filigrane, Orvil Fisher s'interroge sur tout ça, sur le sens même de son existence, sur le rôle de cette violence aveugle, de ces êtres humains pathétiques drogués et écoeurants. Roman incomplet, qui laisse filer sa fin à dessein,
Les Trois Reliques d'Orvil Fisher est autant une fuite qu'une conclusion sinistre, où le plus surprenant vient certainement d'Outre-monde avec cette anhumain et ses vaisseaux noirs étranges qui noircissent la neige et poussent les humains à leur perte. On s'étouffe dans une gangue impossible, à tenter de comprendre ce qui n'a aucun sens. On comprend, avec amertume et fatalité, que la « Tragédie Humaine » forme un tableau éloquent d'une humanité qui court depuis toujours à sa perte, traumatisée par la mort et par l'absence de sens. Orvil, comme John Stolker ou Pennbaker, finit par comprendre que l'existence est une farce et que seule la fin peut provoquer un sursaut.
Thierry di Rollo termine son ultime tableau sur un ailleurs où les identités se confondent, où l'homme et l'animal marchent côte à côte à l'horizon et où tout finit dans un viseur.
Car la Mort vous regarde, elle vous donnera une raison d'être.
Tableau final d'une Tragédie Humaine aussi noire que radicale,
Les Trois Reliques d'Orvil Fisher s'enfonce dans le monde absurde et violent créé par l'homme lui-même.
Thierry di Rollo transforme une quête de vengeance en quête de sens, annonce la fin du monde et l'avènement de l'anhumain, met un terme à l'insignifiance du vivant par la brutalité de la mort. On en ressort encore une fois lessivé mais étrangement lucide sur la condition humaine.
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