«
Not Fade Away » est le deuxième roman de
Jim Dodge. Écrit en 1987, paru en novembre 2011 et en français aux Éditions Cambourakis, cet ouvrage de 373 pages tire son nom d'une chanson écrite par Charles Harding Holly et Norman Petty, chanson enregistrée en 1957 par Holly avec son groupe, The Crickets. Cette chanson, construite sur une variante du « Bo Diddley beat » et reprise par les Rolling Stones qui en firent un tube en 1964, se veut un hommage à l'amour « digne, véritable et éternel » (« love
not fade away », en français, ‘l'amour ne faiblit pas'). En fait d'amour, le lecteur sentira dès les premières pages les effluves de la côte californienne des années 1960. En toile de fond, un écoeurement à l'encontre de la société américaine de l'époque (ses lois, son puritanisme, ses fausses valeurs et ses codes) et une envie folle de liberté débridée, sans contraintes : la vie prise comme elle vient, l'amour libre, la drogue à gogo comme seul moyen de s'éclater, la nécessité des circuits parallèles, la joie que procurent les rencontres avec des personnages hors du commun, le rock comme symbole d'impertinence face à la société pourrie, à ses contrôles injustifiés et à son oppression généralisée, le rock à s'en faire péter les tympans. En avant-scène, un amour immodéré pour cette liberté que l'américain se doit de chercher, sans destination précise.
L'histoire ? Nous sommes à la fin des années 1960. Un bucheron tombe en panne en pleine nuit au beau milieu de l'Iowa alors qu'il devait livrer des stères de bois à un gusse habitant un ranch situé à près de 50 km de là. Surgit un mystérieux dépanneur, « le fantôme – remorquage gratuit », fantôme dénommé George Gastin, qui le fait monter dans sa cabine et lui fait « l'un des rares cadeaux de la vie » : au lieu de lui faire payer le dépannage, il emmène le bucheron à bon port en ne lui demandant qu'une chose, écouter attentivement son histoire. A partir de cet instant (vous n'avez pas lu plus de 25 pages), vous êtes sous l'emprise de George Gastin et il va vous inonder ‘ad nauseam' et jusqu'à l'avant-dernière page d'un flot ininterrompu de paroles, vous privant de la moindre possibilité de reprendre votre souffle. C'est qu'il en a vu des choses notre dépanneur : il fut un temps où il volait des voitures pour les accidenter, et faire ainsi en sorte que leurs propriétaires touchent la prime d'assurance. Un boulot pas très légal qui le surprend un jour au volant d'une superbe Cadillac ayant appartenu à une vieille dame, riche et décédée, qui en a fait cadeau à une star du rock, « The Big Bopper », musicien mort (avec Ritchie Valens et Buddy Holly) dans un accident d'avion. George, grand idéaliste, va respecter les dernières volontés de la dame (une lettre d'elle trouvée dans la boite à gants) et incendier la Cadillac sur la tombe du musicien. Mais il ne sait pas où se trouve cette foutue tombe ! Gavé de pilules de benzédrine, George prend la route au volant de ce paquebot de 20 mètres de long et de 3,50 mètres de large et traverse tous les États, d'Est en Ouest, prenant en stop des personnages aussi déjantés que lui : une mère de famille désespérée (son fils de 5 ans a été fauché devant ses yeux par une voiture en excès de vitesse) à qui il achète 200 disques 45 tours, un illuminé accroc à la sono qui balance en pleine nuit les décibels d'un train imaginaire traversant le désert, un VRP de 60 ans revêtu d'un tee-shirt et s'évertuant à revendre aux gens des fantômes dont ils ne veulent pas, un révérend affublé d'un Borsalino rose fluo et unique membre de l'Église de l'Indestructible Lumière de l'Évangile de la Sainte Délivrance, etc.
Bref, vous avez entre les mains un road trip atypique, sauvage, disjoncté, farfelu voire incroyable, absurde, personnel et souvent poignant (le père de George s'est littéralement tué à la tâche, ce qui peut expliquer le fait que notre dépanneur se défonce dans son métier) pour ne pas dire fataliste. La prose est dingue, un tantinet écologiste (ah, les baignades au clair de lune dans l'eau glacée des rivières), toujours sarcastique (ah, ces clubs de jazz qui ferment et cèdent la place aux bars topless), invraisemblable et parfois jouissive (cf. ma citation). Mais l'ouvrage est trop long, répétitif, inégal, à réserver aux passionnés de rock rock'n'roll, aux inconditionnels des monologues XXL (près de 350 pages dans «
Not Fade Away ») et aux nostalgiques de ces hallucinations d'un autre âge. Je suis déçu car le roman est bien moins abouti et moins percutant que «
L'oiseau Canadèche », et très en-deçà de « Las Vegas Parano ». En fait, «
Not Fade Away » ressemble à une auto-analyse tautologique, à une longue divagation intracrânienne idéaliste (ah, la belle Kacy Jones, végétarienne au corps de rêve, accroc à l'élémentaire et aux randonnées, aimant le base-ball et le jazz, ayant eu la chance de partir pour l'Amérique du Sud avec deux gays pour étudier l'usage bienfaisant des drogues chez les autochtones). Idéaliste, sans profondeur et marquée par le spleen, la défonce et l'overdose, avec la mort comme issue éventuelle pour de pseudos musiciens sur-vitaminés au marketing et pour leurs fans qui pensaient que la musique serait une planche de salut. Mais, je n'ai probablement pas accordé suffisamment d'importance à la magie dégagée par cette « beat generation », à la poésie du texte de
Jim Dodge, et j'ai certainement sous-évalué le côté symbolique, métaphorique, hypnotique et initiatique de l'ouvrage (oui, la musique c'était « dix mille fois mieux que le catéchisme ; le jazz, ça m'a emporté et je suis sorti de mon corps ; le rock rock'n'roll, au début, c'était du bubble-gum pour l'âme ; quand le coeur bat, il faut que le sang bouge ; le désir, promesse de puissance, va faire tourner les planètes »). La traduction de
Nathalie Bru est remarquable ; la jaquette ne l'est pas moins. Alors, je me force et je mets quand même 2 étoiles.