Tu traverses l'ombre de la ville
le paysage défait des heures
et c'est l'ombre de tes pas, l'histoire
en toi qu'elle révèle, - mondes flous
troués de matière et vertige
quand tu lèves les bras, l'insecte
plane au-dessus du puits.
A l'entrée, on mendie quelques miettes.
Le visible cède sous son poids.
Il n'est de voyage
qu'en cette forme heurtée
du regard, cette boussole qui te déplace.
Et la route se dérobe, révèle
d'autres mondes, d'autres voyages.
Tu deviens pour toi-même
désert et limite, la frontière éclatée.
Il reste des taches de vies
au bord des jours, ces visages
que l'ombre a cessé d'enfouir.
Ce soir, la lune
tranche le lac, creuse
un puits de silence
abrupt à l'horizon.
Le monde tressaille
- les yeux clos
tu le traverses.
Au bout des chemins, la maison. Des arbres
l'enserrent, - l'onde fragile du temps.
Le remous, plein la fenêtre.
Tout ce qui est advenu brûle encore
livré aux nuages qui sillonnent l'horizon
et s'amoncellent comme des semences.
Lampe, table, chaise. Une vie
où chaque ici repose
sur la branche du souvenir
qui ne se rompt.
Ecoute, comme une ombre
s'avancerait, la mer, l'inlassable
vol des vagues qui claquent
contre la terre, écoute
ce monde devenu monde, à force
de résonner parmi les ans. Ton enfance
est cette matière fossile, un vœu
du temps qui brûle à mesure.
Ecoute, et l'oiseau fuira encore
brisant tes châteaux sur le sable
de cette côte de l'Atlantique
où tu vis s'en aller l'aube
et revenir par tant de marées.
De l'ombre dans la voix
tel un peu de sable
s'écoule : Tu renverse
la tête : vois tu
le temps qui s'engouffre
derrière tes mots, vois-tu
l'averse patiente?
Rencontre animée par Nicolas Dutent
Son nom semble la relier à une constellation, mais sa présence au monde la rend indissociable des paysages qu'elle traverse : Hélène Dorion vit environnée de lacs et de forêts, de fleuves et de rivages, de brumes de mémoire et de vastes estuaires où la pensée s'évase. Dans ce recueil écrit au coeur d'une forêt, elle fait entendre le chant de l'arbre, comme il existe un chant d'amour et des voix de plain-chant. Et l'on entre à pas de loup dans une forêt de signes où l'on déchiffre la partition de la vie sur fond de ciel, sur fond de terre, sur fond de neige, de feuillages persistants et de flammes qu'emporte le vent, de bourgeons sertis dans l'écorce et de renouvellement. Un chemin d'ombres et de lumière, « qui donne sens à ce qu'on appelle humanité ». Figure majeure de la littérature québécoise et francophone, Hélène Dorion connaît aussi une forme de consécration en France avec ce recueil qui vient d'être inscrit au programme du bac.
À lire –
Hélène Dorion, Mes forêts, éd. Bruno Doucey, 2023.
Projection du "Le bruissement du temps", court-métrage de Pierre-Luc Racine : https://www.youtube.com/watch?v=BTY1nzC_OVg
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