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EAN : 9782221203316
176 pages
Robert Laffont (27/09/2018)
3.5/5   27 notes
Résumé :
Avec L'Échange des princesses, Marc Dugain adapte pour la première fois le roman d'une autre écrivaine, Chantal Thomas. Bien avant que le film ne soit un véritable succès critique et public, il décide d'écrire un récit sur cette expérience de vie qui, à bien des égards, lui a apporté un grand bonheur. Loin de s'installer comme exégète de son propre travail, l'auteur laisse flâner son esprit dans l'histoire du cinéma et les ressorts psychologiques qui l'inspirent. Il... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Lorsque j'ai emprunté ce roman à la médiathèque, je n'avais pas vraiment fait attention à la quatrième page de couverture indiquant l'objet principal de ce livre à savoir l'adaptation cinématographique par Marc Dugain du roman de Chantal Thomas : "L'échange des princesses".
C'est plutôt cette phrase qui m'a fait de l'oeil : " Marc Dugain s'interroge sur ses obsessions, qui ont trait à son propre passé autant qu'à la "Grande Histoire", son sujet de prédilection."
Ayant beaucoup aimé La chambre des officiers et étant également passionnée par L Histoire, il était tout naturel que je m'intéresse à ce roman datant de 2018.

A vrai dire, j'ai eu un peu peur quand je me suis aperçue qu'il s'agissait surtout d'une sorte de biographie relatant la réalisation du film. N'ayant ni lu, ni vu L'échange des princesses, tout en sachant de quoi il retournait, je me suis dit que finalement ce n'était pas une lecture pour moi.

Que nenni ! Intérieur jour s'est révélé sous son meilleur jour et Marc Dugain m'a une nouvelle fois séduite. Il raconte L Histoire et sa propre histoire de belle manière. Et même si parfois j'ai eu l'impression que sa narration était un peu décousue, j'ai vraiment apprécié sa façon de mêler autobiographie et Histoire de France.


Certes, ses propos ne sont pas très optimistes mais le regard qu'il porte sur les Hommes est fort juste. J'aime sa franchise et sa façon peu conciliante d'analyser le côté obscur de l'humanité.


Voici un auteur que je continuerai à lire avec plaisir !
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Avec son essai « Intérieur jour », Marc Dugain nous offre une fois de plus un ouvrage remarquable, dans lequel, tout en nous relatant le tournage parfois difficile en 2016 de son film « L'échange des princesses », l'adaptation du roman historique éponyme de Chantal Thomas, il aborde la plupart des sujets qui lui tiennent à coeur. Il y consigne bien entendu diverses réflexions sur le film, sa genèse, les aléas du tournage, les relations avec les acteurs. techniciens, associés, compositeurs, les difficultés liées à un tel tournage en plein hiver, ses propres doutes concernant ses choix pour certaines scènes, mais également ses doutes profonds sur la réussite d'un tel projet d'envergure qui lui a demandé plus d'un an de travail et de concentration incessants.
Mais ses propos sont entrecoupés par de nombreuses digressions sur sa vie, son oeuvre, ses opinions sur le monde actuel et notre avenir à tous, les erreurs passées de la politique, ses répercussions sur notre quotidien, les dangers du mercantilisme, de la mondialisation, de l'ère numérique qui sert le pouvoir et dessert l'individu lambda qui ne se doute pas de ce qui se trame derrière la façade de ce monde numérique. L'auteur étaye ses propos par des exemples souvent pris dans l'histoire. Ce faisant, il ne fait pas de compromis et rares sont les pays et les régimes qui ne sont pas visés. Mais il nous dévoile également beaucoup de sa propre existence, présente et passée, de ses doutes sur son oeuvre, que d'aucuns jugent trop éparse, alternant romans, essais et réalisations de films (il admet lui-même être hyperactif), mais aussi de sa famille, très touchée par l'horreur des deux guerres mondiales. Qui connaît bien l'oeuvre d'écrivain de Dugain sait de quoi je parle, car il avait évoqué certains destins tragiques de membres de sa famille dans certains de ses romans, en particulier dans « La chambre des officiers ».
Ayant réalisé d'autres films avant « L'échange des princesses », Marc Dugain nous parle aussi de ses autres réalisations, comme par exemple l'adaptation de son propre roman « La malédiction d'Edgar », avec lequel j'avais découvert l'auteur en son temps, et qui est un implacable portrait de celui qui a régné pendant près d'un demi-siècle sur le FBI, le fameux J.Edgar Hoover.
En quelque 160 pages, Marc Dugain nous enseigne davantage sur le monde et ses habitants que certains pavés interminables et rébarbatifs sur un seul des sujets abordés par cet auteur dans ce livre, que je considère comme essentiel pour beaucoup de gens, en premier lieu bien sûr aux cinéphiles, mais pas que.
On peut aussi ne pas être d'accord avec tout ce qu'il avance, et je n'adhère pas à tout moi-même, mais ses propos sont souvent d'une lucidité et d'une justesse qui font de lui un penseur d'une culture exceptionnelle. Chapeau, M. Dugain !
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L'auteur a écrit ce récit dans les suites du tournage de son dernier film, L'Échange des princesses.
Heureux d'avoir conclu ce projet en cohérence avec ses attentes, il partage son humeur sur notre société à l'aune de l'époque de Louis XV.
Il évoque son enfance, sa famille, apportant une lumière éclairante sur son parcours artistique, qu'il soit littéraire ou cinématographique. Il fait des rapprochements entre l'actualité d'aujourd'hui et les comportements de fin de Monarchie française, d'une famille épuisée de consanguinité qui ne donnait à la femme que le rôle marchand d'échanges de territoires au moment du mariage et celui bien sûr de la reproduction.
On retrouve dans les anecdotes évoquées, celles du tournage, celles de la vie privée, à la fois mélancolie et tendresse ce qui donne une tonalité très intime au récit. J'ai eu l'impression que l'auteur était à mes côtés et me faisait part de ses réflexions sur la vie, sur le monde.
Lecture agréable, enrichissante
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Sur une trame constituée par la conception et la réalisation de son film « L'échange des princesses » (tiré d'un roman de Chantal Thomas), Marc Dugain développe ses obsessions, ses souvenirs de famille, son regard sur le monde actuel (où règne une nouvelle aristocratie, celle de l'argent), sur sa vie, sur L Histoire.
C'est toujours honnête, le plus souvent pertinent, et parfois émouvant. Voilà un beau livre, celui d'un homme sensible que je découvre peu à peu, livre après livre.
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J'ai assisté récemment à la projection/rencontre du beau film de Marc Dugain : L'ECHANGE DES PRINCESSES. Un échange de bon procédés, de ventres à féconder, entre la fillette du roi d'Espagne promise au jeune Louis XV et la jeune fille du régent de France, négociée pour l'héritier du trône ibérique.

Un film à la photo splendide, on croirait assister à une successions de tableaux léchés, une photo magistrale et des plans très travaillés au service d'une direction d'acteur ciselée.

Un film qui nous montre au plus près les ravages d'une éducation princière qui produit des pervers narcissiques à l'empathie proche du clou rouillé et des femmes qui ne sont bonnes qu'à écarter les cuisses et enfanter, des mâles de préférences, au pire des filles, pour avoir une quelconque marge de négociation à l'avenir.

Un beau film, douloureux et maîtrisé, qui confirme la double casquette du bonhomme, cinéaste et écrivain de talent.

De cette expérience filmique, Dugain a tiré un livre hors cadre, indéfinissable, carnet de bord intimiste et autobiographique.

Marc Dugain est l'un des écrivains les plus singuliers de l'édition française. Négligeant soigneusement la micro-fiction psychologisante nombriliste et germanopratine, Dugain embrasse L Histoire à bras la plume pour nous livrer une oeuvre puissamment romanesque.

Dugain parle peu de lui, ou alors par la bande, par les obsessions qui traversent ses romans : l'enfance ; les Etats-Unis ; le secret, d'état ou non ; son grand-père, gueule cassée, via son fameux (et splendide) premier livre LA CHAMBRE DES OFFICIERS.

C'est pourquoi cet INTÉRIEUR JOUR se distingue dans sa bibliographie.

Il est difficile de définir précisément ce court opus. Un document, un journal de tournage, un recueil de réflexions plutôt fines sur L Histoire, un recueil d'anecdotes émouvantes, voire bouleversantes, sur la vie familiale, riche en tragédies, de Marc Dugain.

Le tout porté par une plume à la fois fiévreuse, presque rageuse (Dugain ne mâche pas ses mots, il les lâche plutôt) quand il aborde des sujets de sociétés généraux ; sensible et subtile quand il se fait plus intime.

Il embrasse en quelques 150 pages, une grande variété de thèmes allant de la noblesse française décadente fin de siècle pré 1789 à la sclérose en plaque de son père en passant par les affres de la production d'un film en costume, guère bankable, sur la sexualité des cours européennes au temps de Louis XV.

Et c'est passionnant.

De bout en bout.

Guère habitué à cet exercice de mise à nue , Dugain ne finaude pas, ne développe pas ses codes auto-complaisants que l'on peut parfois retrouver dans ce genre d'exercice.

La question lui fut posée à Marc Dugain s'il renouvellerait ce genre de prose auto-centrée. Il répondit non. Ce sera la dernière fois a t-il dit. Si on parle que de soi, on finit par (se) mentir.

Une chose est sûre. Dans INTÉRIEUR JOUR, Marc Dugain ne ment pas.
Lien : https://micmacbibliotheque.b..
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critiques presse (1)
LaLibreBelgique
27 novembre 2018
L’écrivain de tant de succès se livre dans "Intérieur jour". Un beau récit de réflexions vagabondant dans la vie et le monde.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (29) Voir plus Ajouter une citation
Prologue

À l’heure où j’écris ces lignes, nous sommes peu à avoir vu le film L’Échange des princesses. Il ne sortira pas en salle avant neuf mois, longue gestation au terme de laquelle il rencontrera le public. Ce film est venu à moi plus que je ne suis venu à lui, comme lorsque j’adapte mes propres livres. Une phrase prononcée par un ami, d’abord, puis que ma femme m’a rapportée, a déclenché un processus de plusieurs années.

J’ai réalisé ce film sans savoir précisément pourquoi il était pour moi et c’est à cette question que j’essaye de répondre dans cet opus, dans une quête qui, loin d’être destinée à célébrer le film lui-même, convoque en moi des souvenirs et des réflexions. Des événements parfois douloureux aussi, tapis dans l’enfance, qui sont à l’origine des bonheurs de la création artistique.

Dans la nouvelle « Une banale histoire » de Tchekhov, le personnage principal, un vieux médecin désabusé, évoque le « Connais-toi toi-même » de Socrate en regrettant que le vieux philosophe n’ait pas donné le mode d’emploi pour y parvenir. L’art est une façon de s’approcher de soi au plus près. Le cinéma en particulier.

Faire un film est une longue aventure, plus de deux ans de sa vie. Condensés finalement sur une heure et demie de pellicule. La sanction du public est toujours redoutée mais moins que l’œil critique que l’on porte sur son propre travail – pour autant qu’on ait la lucidité de le faire. Melancholia de Lars von Trier m’a ébloui, et pourtant le réalisateur ne cesse de clamer que c’est de ses films celui qu’il supporte le moins. J’ai écrit moi-même un petit livre que j’aurais volontiers retiré des étagères. C’était mon second roman et il comporte à mon avis tout ce qu’il ne faut pas faire en littérature. Je n’écrirais pas sur L’Échange des princesses si je n’avais pas pour ce film une tendresse particulière qui va bien au-delà de toute forme de jugement. Je l’ai réalisé sous hypnose, dans une lévitation presque spirituelle. Je crée beaucoup de fictions, romans, scénarios de film, séries, dans un élan qui ressemble à une fuite du réel, comme s’il me fallait le configurer à ma façon pour me le rendre supportable. Avec toutefois une secrète ambition qu’on pourrait qualifier de politique : remplacer la fiction écrite par ceux qui y ont intérêt par une autre fiction, la mienne, que je pense plus proche de la réalité.

De nombreux talents se sont agrégés pendant plusieurs mois pour me permettre de voir et d’entendre ce dont j’avais rêvé. Un mélange subtil de reconnaissance, de jubilation, de nostalgie me conduit à écrire le souvenir de cette expérience longtemps incertaine, ma « nuit américaine », ces coulisses de tournage dont Truffaut a fait un film magique. C’est le livre de près de deux ans de lutte, d’exigence et de concessions.

L’aventure cinématographique se distingue de la démarche littéraire, solitaire, qui fait s’éloigner des autres pour mieux s’en rapprocher dans l’écriture. Elle est intimement collective et terriblement éphémère. En quelques semaines, des dizaines de spécialistes se réunissent pour constituer une équipe qui frôle parfois les cent personnes. Ces individus cohabitent deux mois avant de s’éparpiller vers d’autres projets. Certains se retrouvent sur de nouveaux tournages, pas tous, des amitiés se créent, de violentes inimitiés aussi parfois, mais quelle magie de voir tous ces acteurs, ces techniciens se tourner vers le même astre qui est le film dans une dévotion insoupçonnable pour celui qui n’a pas vécu au quotidien cette tragi-comédie épuisante et glorifiante.

Un soir, ma femme, en écoutant « Le masque et la plume », cette grande émission de France Inter, entend Jérôme Garcin dire à propos de L’Échange des princesses de Chantal Thomas : « Ce livre ferait un film formidable. » C’est sur ces mots venant d’un ami que je considère comme un frère qu’elle m’entreprend et me presse de lire l’ouvrage. Je le lirai mais pas maintenant, j’ai trop à faire avec la série littéraire politique dans laquelle je me suis engagé, sans parler des séries télévisées sur le développement desquelles je travaille. Qu’elle le lise en attendant. C’est ce qu’elle fait. Elle ressort de cette lecture convaincue que c’est un sujet pour moi qui aime tant la grande histoire et les enfants. Mais comme le temps me manque vraiment et que je suis submergé, je coupe court à son insistance, je ne lirai le livre que si les droits sont libres. J’en parle à mon attachée de presse chez Gallimard, Isabelle Saugier, qui connaît depuis longtemps Chantal Thomas. La réponse ne se fait pas attendre, les droits sont encore libres et Chantal Thomas, que je ne connais pas, a la délicatesse d’ajouter qu’elle serait heureuse que je l’adapte. La nouvelle m’arrive le soir. Le lendemain matin j’ai lu le livre.

Je ne rencontrerai Chantal que quelques jours plus tard pour découvrir à quel point c’est une femme libre. Elle s’amuse des préjugés et elle a pour le conditionnement des êtres une tendresse d’autant plus enjouée qu’elle a vaincu cette pression sociale depuis longtemps. Cette extrême liberté se ressent dans son rapport à l’histoire qu’elle explore en chercheuse émérite. Et ce sont ses qualités impressionnantes de romancière qui font sa manière si personnelle de représenter l’histoire, de l’installer dans une perspective singulière où l’imaginaire sert le réel et inversement.
Il serait présomptueux de ma part de dire que j’ai décidé de faire le film. Tout au plus ai-je décidé d’essayer de le faire. J’en ai parlé immédiatement à mes deux associés, Charles Gillibert et Patrick André. L’Échange des princesses avait a priori toutes les qualités pour rebuter un producteur dont la mine s’allonge généralement dès qu’on prononce « film d’époque ». Décors coûteux, costumes compliqués. C’est déjà vingt pour cent de budget en plus qu’une épopée contemporaine. Quoi d’autre ? Des cascades, des animaux ? Oui, quelques animaux, mais surtout… des enfants. Des enfants ? Mon Dieu ! Quel âge ? Une petite de huit ans au plus et un garçon de treize. Plus deux adolescents de seize, dix-sept ans. Les enfants sont une tragédie pour les producteurs. Fatigables, ils sont protégés à raison par une législation qui limite leur temps de présence sur un plateau, complexité supplémentaire pour l’élaboration du plan de travail. C’est ce modèle d’optimisation sous contrainte qui décide de la faisabilité d’un film. Mes associés ont-ils soulevé ces points comme tout producteur l’aurait fait ? Non, ils ont simplement décidé de dire oui, sans réserve.

J’ai souvent pris des décisions sans qu’elles se forment au préalable dans mon cortex cérébral, sur une pulsion davantage guidée par l’inconscient que la froide logique. Plusieurs fois, mes proches m’ont demandé pourquoi j’avais fait telle ou telle chose et je leur répondais immanquablement « Je le saurai bien un jour ». Enfant, je me souviens de moi comme d’un velléitaire acharné. J’ai tâté de tous les instruments, de tous les sports, de toutes les ambitions, chaque fois avortées, en particulier lorsque celles-ci me conduisaient à entrer en compétition avec les autres. Se mesurer aux autres ne m’a jamais intéressé. La compétition est partout, dans le travail, dans le sport et même dans l’art, sanctuaire qui devrait en être préservé par essence tant les deux sont antinomiques. Aux États-Unis, elle est à son apogée, moteur d’un système où chacun est encouragé à se définir par rapport aux autres et non par rapport à soi-même pour entretenir la dynamique qui, de l’employé du mois au sportif de haut niveau, confronte les individus les uns aux autres dans une logique de performance. Mon caractère velléitaire a commencé à disparaître dès le moment où j’ai entrepris de n’agir que pour mon propre épanouissement. Il m’a fallu longtemps pour comprendre que je correspondais précisément à la définition de l’hyperactif légèrement maniaco-dépressif, de longues périodes d’enthousiasme créatif succédant à de courtes zones dépressionnaires tout aussi actives. L’échec selon mes propres critères, l’incapacité d’amener un travail, qu’il soit littéraire ou cinématographique, là où j’estime qu’il doit être, me plonge dans une mélancolie qui n’a jamais été jusqu’à la vraie dépression. Je ne m’aime pas assez pour cela.

Ma grand-mère avec qui j’ai passé une grande et mémorable partie de mon enfance, cocon de mon ennui, a vécu dans une constante dépression. Elle me disait se fouetter le caractère pour parvenir à supporter les jours. J’ai observé d’autres grands dépressifs et j’ai remarqué souvent que la permanence de leur état, quand elle ne tient pas à une carence physiologique, vient du refus d’accepter le monde tel qu’il est. Cette imperfection du monde à laquelle se heurte leur propre rigidité les détruit progressivement.

La décision fut donc prise de faire le film, et il est temps pour moi d’éclaircir pourquoi je me suis retrouvé prêt à engager au moins deux ou trois années de mon existence dans ce projet. Car c’est de cela qu’il s’agit.
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Prologue

À l’heure où j’écris ces lignes, nous sommes peu à avoir vu le film L’Échange des princesses. Il ne sortira pas en salle avant neuf mois, longue gestation au terme de laquelle il rencontrera le public. Ce film est venu à moi plus que je ne suis venu à lui, comme lorsque j’adapte mes propres livres. Une phrase prononcée par un ami, d’abord, puis que ma femme m’a rapportée, a déclenché un processus de plusieurs années.

J’ai réalisé ce film sans savoir précisément pourquoi il était pour moi et c’est à cette question que j’essaye de répondre dans cet opus, dans une quête qui, loin d’être destinée à célébrer le film lui-même, convoque en moi des souvenirs et des réflexions. Des événements parfois douloureux aussi, tapis dans l’enfance, qui sont à l’origine des bonheurs de la création artistique.

Dans la nouvelle « Une banale histoire » de Tchekhov, le personnage principal, un vieux médecin désabusé, évoque le « Connais-toi toi-même » de Socrate en regrettant que le vieux philosophe n’ait pas donné le mode d’emploi pour y parvenir. L’art est une façon de s’approcher de soi au plus près. Le cinéma en particulier.

Faire un film est une longue aventure, plus de deux ans de sa vie. Condensés finalement sur une heure et demie de pellicule. La sanction du public est toujours redoutée mais moins que l’œil critique que l’on porte sur son propre travail – pour autant qu’on ait la lucidité de le faire. Melancholia de Lars von Trier m’a ébloui, et pourtant le réalisateur ne cesse de clamer que c’est de ses films celui qu’il supporte le moins. J’ai écrit moi-même un petit livre que j’aurais volontiers retiré des étagères. C’était mon second roman et il comporte à mon avis tout ce qu’il ne faut pas faire en littérature. Je n’écrirais pas sur L’Échange des princesses si je n’avais pas pour ce film une tendresse particulière qui va bien au-delà de toute forme de jugement. Je l’ai réalisé sous hypnose, dans une lévitation presque spirituelle. Je crée beaucoup de fictions, romans, scénarios de film, séries, dans un élan qui ressemble à une fuite du réel, comme s’il me fallait le configurer à ma façon pour me le rendre supportable. Avec toutefois une secrète ambition qu’on pourrait qualifier de politique : remplacer la fiction écrite par ceux qui y ont intérêt par une autre fiction, la mienne, que je pense plus proche de la réalité.

De nombreux talents se sont agrégés pendant plusieurs mois pour me permettre de voir et d’entendre ce dont j’avais rêvé. Un mélange subtil de reconnaissance, de jubilation, de nostalgie me conduit à écrire le souvenir de cette expérience longtemps incertaine, ma « nuit américaine », ces coulisses de tournage dont Truffaut a fait un film magique. C’est le livre de près de deux ans de lutte, d’exigence et de concessions.

L’aventure cinématographique se distingue de la démarche littéraire, solitaire, qui fait s’éloigner des autres pour mieux s’en rapprocher dans l’écriture. Elle est intimement collective et terriblement éphémère. En quelques semaines, des dizaines de spécialistes se réunissent pour constituer une équipe qui frôle parfois les cent personnes. Ces individus cohabitent deux mois avant de s’éparpiller vers d’autres projets. Certains se retrouvent sur de nouveaux tournages, pas tous, des amitiés se créent, de violentes inimitiés aussi parfois, mais quelle magie de voir tous ces acteurs, ces techniciens se tourner vers le même astre qui est le film dans une dévotion insoupçonnable pour celui qui n’a pas vécu au quotidien cette tragi-comédie épuisante et glorifiante.

Un soir, ma femme, en écoutant « Le masque et la plume », cette grande émission de France Inter, entend Jérôme Garcin dire à propos de L’Échange des princesses de Chantal Thomas : « Ce livre ferait un film formidable. » C’est sur ces mots venant d’un ami que je considère comme un frère qu’elle m’entreprend et me presse de lire l’ouvrage. Je le lirai mais pas maintenant, j’ai trop à faire avec la série littéraire politique dans laquelle je me suis engagé, sans parler des séries télévisées sur le développement desquelles je travaille. Qu’elle le lise en attendant. C’est ce qu’elle fait. Elle ressort de cette lecture convaincue que c’est un sujet pour moi qui aime tant la grande histoire et les enfants. Mais comme le temps me manque vraiment et que je suis submergé, je coupe court à son insistance, je ne lirai le livre que si les droits sont libres. J’en parle à mon attachée de presse chez Gallimard, Isabelle Saugier, qui connaît depuis longtemps Chantal Thomas. La réponse ne se fait pas attendre, les droits sont encore libres et Chantal Thomas, que je ne connais pas, a la délicatesse d’ajouter qu’elle serait heureuse que je l’adapte. La nouvelle m’arrive le soir. Le lendemain matin j’ai lu le livre.

Je ne rencontrerai Chantal que quelques jours plus tard pour découvrir à quel point c’est une femme libre. Elle s’amuse des préjugés et elle a pour le conditionnement des êtres une tendresse d’autant plus enjouée qu’elle a vaincu cette pression sociale depuis longtemps. Cette extrême liberté se ressent dans son rapport à l’histoire qu’elle explore en chercheuse émérite. Et ce sont ses qualités impressionnantes de romancière qui font sa manière si personnelle de représenter l’histoire, de l’installer dans une perspective singulière où l’imaginaire sert le réel et inversement.
Il serait présomptueux de ma part de dire que j’ai décidé de faire le film. Tout au plus ai-je décidé d’essayer de le faire. J’en ai parlé immédiatement à mes deux associés, Charles Gillibert et Patrick André. L’Échange des princesses avait a priori toutes les qualités pour rebuter un producteur dont la mine s’allonge généralement dès qu’on prononce « film d’époque ». Décors coûteux, costumes compliqués. C’est déjà vingt pour cent de budget en plus qu’une épopée contemporaine. Quoi d’autre ? Des cascades, des animaux ? Oui, quelques animaux, mais surtout… des enfants. Des enfants ? Mon Dieu ! Quel âge ? Une petite de huit ans au plus et un garçon de treize. Plus deux adolescents de seize, dix-sept ans. Les enfants sont une tragédie pour les producteurs. Fatigables, ils sont protégés à raison par une législation qui limite leur temps de présence sur un plateau, complexité supplémentaire pour l’élaboration du plan de travail. C’est ce modèle d’optimisation sous contrainte qui décide de la faisabilité d’un film. Mes associés ont-ils soulevé ces points comme tout producteur l’aurait fait ? Non, ils ont simplement décidé de dire oui, sans réserve.

J’ai souvent pris des décisions sans qu’elles se forment au préalable dans mon cortex cérébral, sur une pulsion davantage guidée par l’inconscient que la froide logique. Plusieurs fois, mes proches m’ont demandé pourquoi j’avais fait telle ou telle chose et je leur répondais immanquablement « Je le saurai bien un jour ». Enfant, je me souviens de moi comme d’un velléitaire acharné. J’ai tâté de tous les instruments, de tous les sports, de toutes les ambitions, chaque fois avortées, en particulier lorsque celles-ci me conduisaient à entrer en compétition avec les autres. Se mesurer aux autres ne m’a jamais intéressé. La compétition est partout, dans le travail, dans le sport et même dans l’art, sanctuaire qui devrait en être préservé par essence tant les deux sont antinomiques. Aux États-Unis, elle est à son apogée, moteur d’un système où chacun est encouragé à se définir par rapport aux autres et non par rapport à soi-même pour entretenir la dynamique qui, de l’employé du mois au sportif de haut niveau, confronte les individus les uns aux autres dans une logique de performance. Mon caractère velléitaire a commencé à disparaître dès le moment où j’ai entrepris de n’agir que pour mon propre épanouissement. Il m’a fallu longtemps pour comprendre que je correspondais précisément à la définition de l’hyperactif légèrement maniaco-dépressif, de longues périodes d’enthousiasme créatif succédant à de courtes zones dépressionnaires tout aussi actives. L’échec selon mes propres critères, l’incapacité d’amener un travail, qu’il soit littéraire ou cinématographique, là où j’estime qu’il doit être, me plonge dans une mélancolie qui n’a jamais été jusqu’à la vraie dépression. Je ne m’aime pas assez pour cela.

Ma grand-mère avec qui j’ai passé une grande et mémorable partie de mon enfance, cocon de mon ennui, a vécu dans une constante dépression. Elle me disait se fouetter le caractère pour parvenir à supporter les jours. J’ai observé d’autres grands dépressifs et j’ai remarqué souvent que la permanence de leur état, quand elle ne tient pas à une carence physiologique, vient du refus d’accepter le monde tel qu’il est. Cette imperfection du monde à laquelle se heurte leur propre rigidité les détruit progressivement.

La décision fut donc prise de faire le film, et il est temps pour moi d’éclaircir pourquoi je me suis retrouvé prêt à engager au moins deux ou trois années de mon existence dans ce projet. Car c’est de cela qu’il s’agit.
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Qu' y a-t-il de si noir, de si désespérément obscur chez l'être humain pour qu'un massacre de cette ampleur ait eu lieu et qu'on l'ait drapé de dignité dans notre histoire au point de le nommer la "Grande Guerre" ? Quelle bête sommeille, tapie dans les recoins de nos âmes, pour que ce conflit qu'on a injustement scindé en deux guerres mondiales ait pu durer trente ans pour conduire finalement à la quasi-extermination d'une communauté, la communauté juive, qui a tant contribué à notre civilisation ?
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En l'espace d'un siècle nous sommes parvenus à rendre réelle une autre petite probabilité, celle de notre extinction et celle probable de toute autre forme de vie, par orgueil, par avidité, cupidité. Pendant que notre intelligence technologique grandit indéfiniment, notre intelligence morale stagne, embrouillée par notre obsession séculaire de la possession, l'accroissement de celle-ci et toutes problématiques de pouvoir qui y sont attachées. Au lieu d'étendre notre champ de conscience, nous le réduisons au point de nous rendre étriqués. La spiritualité, une de nos essences, a longtemps été asservie à la nécessité de survivre matériellement. Elle aurait pu se déployer avec l'élévation de notre niveau de vie, mais c'est tout le contraire qui s'est produit, avec le retour de religions où un Dieu, couteau sous la gorge, sert à délivrer le message d'intolérance de son créateur, l'homme, qui n'a d'intérêt pour Lui que dans sa capacité coercitive de domination sur les êtres.
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Louis XIV sait ce que Dieu, cette invention des hommes pour leur propre bénéfice, peut faire pour l’autorité des rois. Il en use jusqu’à persécuter les partisans de la Réforme, cette version dépouillée du christianisme qu’il ressent comme une menace contre son pouvoir absolu.
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Vidéo de Marc Dugain
Extrait du livre audio « Tsunami » de Marc Dugain lu par Mathieu Buscatto. Parution numérique 30 août 2023.
https://www.audiolib.fr/livre/tsunami-9791035414825/
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