Le monde islamique forme une masse humaine, cohérente, qui couvre une part de l'Asie et les deux tiers de l'Afrique. En certains points de cet immense domaine, les musulmans sont mêlés aux hommes des autres religions. L'Islam a de grands foyers aux Indes néerlandaises. Il a tenu jadis une partie de l'Europe et il conserve encore certaines citadelles dans la péninsule des Balkans. Il a essaimé dans l'Asie centrale, dans l'Asie orientale et dans certaines régions aujourd'hui contrôlées par le pouvoir soviétique. Au temps de sa grandeur, l'Islam a couvert les pays conquis de monuments qui sont les témoignages d'une civilisation. L'Islam ne construit plus de monuments, mais il fait toujours des adeptes. Encore un peu de temps et il aura, de cette manière, soumis toute l'Afrique.
Cette puissance conquérante de l'Islam, qui reposa longtemps sur la force des armes, était, hier encore, déterminée par le pouvoir d'une religion très simple, puisqu'elle ne suppose que cinq commandements et qu'elle est, dans l'ensemble, monothéiste.
Abd-ul-Wahab, lettré tunisien et ministre de la Plume, me disait, lors de notre dernière rencontre, qu'entre un musulman du Maghreb et un musulman Afghan il y avait moins de différence qu'entre deux chrétiens appartenant à des peuples différents : un Espagnol et un Suédois, par exemple.
C'est l'évidence même. Il se peut que cette homogénéité doive quelque chose à la géographie et au climat, car l'Islam s'étend surtout entre le dixième parallèle sud et le quarantième parallèle nord, et seulement dans l'ancien monde. D'autre part, les observateurs s'accordent à reconnaître que la religion musulmane a, dans les peuples qu'elle a gagnés, des racines plus profondes que celles du christianisme, à l'heure actuelle, dans les peuples occidentaux.
Les peuples ralliés à l'Islam ne sont pas seulement unis par le Coran et les pratiques de la foi : ils sont unis par le droit musulman qui est, lui, infiniment moins simple que la religion. Ils sont unis par des traditions sociales, alimentaires et autres. Le costume occidental n'est somme toute adopté que par un petit nombre de citadins, et encore dans les grandes villes. Le voyageur peut aller de Bagdad à Marrakech, il verra dix peuples différents sans doute, il entendra des dialectes différents, assurément ; mais il éprouvera un sentiment de continuité ethnique, sentiment qu'il n'éprouverait pas de la même manière, malgré les effets monotones de notre civilisation savante, en allant de Naples à Amsterdam, par exemple. (pp. 8-9)
Première partie de la conférence sur Georges Duhamel donnée le 25 mai 2016 à l'Institut Henri Poincaré à l'occasion du Festival Quartier du Livre (Paris 5ème) par Philippe Castro.