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EAN : 9782710329084
1040 pages
La Table ronde (18/01/2007)
4.17/5   3 notes
Résumé :
Dans la pensée de Jacques Ellul, la dimension sociologique et la dimension théologique se complètent et se répondent. Les enjeux spirituels engagent l'homme en situation. Pour lui, l'époque contemporaine est tragique, habitée par des aliénations d'autant plus perverses qu'elles invoquent la liberté. Aussi est-il nécessaire de rappeler les exigences spirituelles en évoquant la vie intérieure de l'homme, que la modernité constamment efface et sacrifie. La société cont... >Voir plus
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Jésus va plus loin pour prier seul. Peut-être aussi pour que ses disciples n’entendent pas jusqu’où vont son désespoir, son découragement, sa crainte. Crainte devant la mort ? peut-être, peut-être pas. Car il sait que cette mort va manifester son abandon. Et qu’il sera seul, privé du Père. C’est cette rupture qui l’effraie. Sans doute plus que le supplice lui-même. Et cet abandon commence justement par le sommeil des disciples. « Vous n’avez donc pas pu veiller seulement une heure avec moi ! » À ce découragement, d’avoir des disciples si peu vigilants, s’ajoute encore une autre crainte : la crainte que ses disciples soient si faibles, si inattentifs, si peu courageux qu’ils risquent de tout lâcher quand Jésus ne sera plus là. C’est pourquoi, à ce reproche de ne pas l’avoir accompagné dans sa veille de combat et de soumission, il ajoute l’avertissement : « Désormais veillez et priez afin que vous ne tombiez pas dans la tentation. » Laquelle ? Justement celle de tout lâcher, de dormir au lieu de poursuivre l’œuvre de leur Seigneur, de ne pas être capables de porter l’Évangile. Veillez et priez ! Justement ce qu’ils n’ont pas fait. Mais son reproche et son exhortation ne servent à rien : quand il revient, il les trouve de nouveau endormis. Quel abandon ! Jamais homme n’en a connu de tel, car ce n’est pas seulement l’absence d’un ami, d’un frère, mais c’est l’absence de tout secours spirituel et la preuve de la fragilité de ceux sur qui il comptait. Il ne doute pas de leur amitié, de leur… foi, pourtant « l’esprit a de bonnes intentions, mais la chair est faible ». Si faible qu’au moment le plus terrible (il vient de leur dire : « Mon âme est triste jusqu’à la mort », et cela ne les a pas éveillés !), la chair sous un aspect parfaitement trivial (le besoin de sommeil) l’a emporté sur tout. Qu’en sera-t-il lorsque leur maître ne sera plus là ?

Marc termine cette scène terrible par un mot ironique et peut-être amer, prononcé lorsque Jésus les trouve, pour la troisième fois, endormis : « Dormez maintenant, reposez-vous ! C’est réglé, l’heure est venue, le fils de l’homme est livré… » Phrase terrible : « Je ne peux vraiment pas compter sur vous. Je vais aller seul vers cette mort. Alors reposez-vous ! Il n’est plus temps de prier Dieu avec moi. » Et peut-être, lirait-on en filigrane : si vous aviez veillé et prié, si vous m’aviez accompagné, soutenu dans ce combat, si nous avions été un corps devant Dieu, peut-être, peut-être Dieu se serait-il laissé fléchir. Peut-être le destin n’aurait pas joué. C’est fini. Il reste à accomplir cette volonté du Père, qui reste quand même le Père envers et contre tout, mais cet accomplissement, vous n’y participerez pas. Vous m’avez laissé seul maintenant, continuez donc. Maintenant, dormez ! Cette phrase retentit jusqu’à nous. Elle s’adresse exactement à l’Église. Église du sommeil. Dans tous les temps. Sommeil institutionnel, sommeil spiritualiste (évasion dans les nuées mystiques), sommeil par le divertissement dans cent activités passionnantes, politiques ou autres, sommeil activiste (en rêve), sommeil fondamentaliste (quand la Bible est l’oreiller de paresse puisqu’il suffit de la lire mot à mot !). Le sommeil des Églises répond exactement à cette dérision. « Dormez donc maintenant, puisque tout est réglé ! »
pp. 969-970
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Je crois que Jésus souffrant n’est en rien une bonne nouvelle pour lui. Pour nous, voici Jésus infiniment plus proche, et nous communions par nos souffrances à sa souffrance ! Mais surtout n’allons pas plus loin. Le fait d’apprendre que Jésus a souffert ne doit pas nous entraîner à vouloir souffrir.

Jésus ici encore est exemplaire : il n’a jamais recherché la souffrance. Quelles que soient mes hésitations à critiquer mystiques ou spirituels, je suis obligé de dire absolument « non » à toute recherche de la souffrance et d’affirmer que ce que l’on appelait traditionnellement « mortification de la chair » est fondamentalement antichrétien. Montrer Jésus souffrant, c’est dire qu’il était comme nous. Être comme lui implique que nous acceptions la souffrance quand elle vient, mais surtout pas que nous voulions souffrir. J’accorde sur ce point qu’il s’agit d’une orientation morbide de la piété chrétienne qui se double évidemment d’une fausse théologie, celle de la valeur de la souffrance pour notre salut, et notre rédemption. L’erreur terrible commise ici est double. Elle consiste d’une part à croire que ce sont les souffrances de Jésus qui ont « acquis » notre salut, alors que c’est sa mort, accomplissant tous les sacrifices, qui est l’attestation de l’amour de Dieu et de la grâce qui nous est faite. D’autre part les souffrances feraient partie des œuvres par lesquelles nous assurons nous-mêmes notre salut.

Croire que se faire souffrir peut plaire à Dieu explique un bon nombre de réactions indignées de non-chrétiens disant à juste titre : « Quel est donc ce Dieu chrétien qui exige que ses fidèles se massacrent, de fouettent, se lacèrent, se torturent, et qui y trouve du plaisir… ! » C’est évidemment l’inverse même du Dieu révélé par et en Jésus-Christ. Non, bibliquement, la souffrance est une horreur, c’est un acte de « Satan », c’est le plaisir du « diable ». À ce sujet, le point final est mis par le livre de Job. Nulle part la souffrance n’y est montrée comme un bien, comme une valeur positive, elle est un scandale dans la création produit par la rupture entre l’homme et Dieu.
pp. 941-942
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Dans Le Vicaire savoyard, Rousseau écrit, au sujet de la prière : « Que lui demanderai-je ? [à Dieu] Je ne lui demande que le pouvoir de bien faire. Pourquoi lui demander ce qu’il m’a donné ? Ne m’a-t-il pas donné la conscience pour aimer le bien, la raison pour le connaître, la liberté pour le faire ?... Si je fais le mal, je n’ai point d’excuses : je le fais parce que je le veux : lui demander de vouloir changer ma volonté, c’est lui demander ce qu’il me demande, c’est vouloir qu’il fasse mon œuvre… » Cette remarquable analyse correspond bien à la conception d’un christianisme réduit à la morale, d’une prière ramenée à l’exercice d’un pouvoir par l’accomplissement d’un devoir. S’il s’agit en effet de réaliser un « bien », si tout se ramène à une morale, alors il est vrai que la prière n’a pas de sens raisonnable. Car poser le problème ainsi, c’est précisément admettre ce que Rousseau souligne, la liberté de choix entre le bien et le mal. Mais si l’homme est ainsi libre, s’il n’est incliné vers le mal par aucune force spéciale, alors il est vrai qu’il n’a pas à prier : il est doté de tout ce qui est nécessaire pour faire le bien, et la prière serait seulement un moyen de ne pas exercer sa capacité, de fuir sa responsabilité. C’est précisément ce qu’il ne peut pas faire, puisque sa volonté appartient à lui-même, et il dépend de lui qu’elle soit bien employée. La position de Rousseau au sujet de la prière est tout à fait cohérente : autrement dit quand on ramène l’existence à une série de questions éthiques, quand on ramène le christianisme à une morale, alors la prière n’a plus de place. C’est en effet ce qui s’est produit et manifesté. La décadence de la prière atteste cette décadence à l’égard de la foi. Mais inversement il faut bien prendre conscience que si je prie, je signifie et atteste par là même que je suis enclin au mal, que ma nature est incapable d’accomplir le bien, que ma volonté n’est pas libre, que ma raison est, dans ce domaine, défaillante, que ma conscience me trompe. Bien plus, priant, je signifie que le bien n’est pas une réalité objective, connue d’avance, avec un équivalent inverse, le mal, et que j’aurais un choix à faire entre deux choses. Je signifie au contraire que le mal est un état, une situation qui m’atteint, et qu’il n’est pas discernable comme une tumeur dans une chair saine. Je signifie que le bien n’est pas une source de commandement objectivable, mais qu’il est la volonté de Dieu.
pp. 689-690
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L’homme tente Dieu lorsqu’il lui adresse des prières qui ne sont pas inspirées par le Saint-Esprit, et aussi lorsqu’il doute, et aussi lorsqu’il s’adresse à d’autres intercesseurs que Jésus-Christ, quand il veut mettre Dieu « à l’épreuve », quand il réclame une guérison miraculeuse sans se mettre soi-même en question et sans tirer un enseignement spirituel de sa maladie, quand il attend que Dieu fasse tout dans une situation donnée, sans se donner la peine de chercher tous les moyens, quand il veut que Dieu se donne, alors que lui-même ne se donne pas, quand il prétend lier Dieu par ses rites, ses cérémonies, ses liturgies, et l’opus operatum. Mais, au fond, comment peut-on qualifier cette attitude de l’homme ? (Qui bien entendu, dans toutes ces dévotions ou relations à Dieu, ne sait pas qu’il tente Dieu !) Eh bien, ce sont en réalité des actes religieux, exactement comme le miracle que le diable propose à Jésus. Ce serait un acte religieux de la part de Jésus, puisqu’il s’agirait d’accomplir la parole de Dieu et en même temps de faire preuve d’une confiance totale en Dieu. Si Jésus se précipitait du haut du Temple avec la certitude de ne pas s’écraser en bas, ce serait bien parce qu’il fait confiance à son Père ! Quoi de mieux ? Quel acte plus « religieux » ? Et ce qui confirme le caractère religieux de cette épreuve, de cette tentation, c’est que le diable l’a conduit en haut du Temple : le lieu lui-même est religieux ! Ainsi la religion est le lieu suprême de la rupture avec le Dieu d’Abraham et de Jésus.
pp. 995-996
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En réalité, si Jésus a vaincu ce qui est la structure de la nature humaine dans son autonomie envers Dieu, et si, pleinement homme, il nous libère vraiment de la fatalité du mal en l’homme, alors, et de ce fait même, nous ne pouvons plus nous référer qu’à lui. C'est-à-dire que dès ce moment, il ne peut plus y avoir une « foi dans l’homme », comme nous l’entendons trop souvent ! Non. Aucune foi en l’homme n’est possible, et pas davantage la formulation théologique que « Dieu s’est fait homme afin que l’homme devienne Dieu », ultime tentation démoniaque qui nous est offerte. Non, Jésus s’est fait homme pour que l’homme soit vraiment homme, une vraie créature, libre, aimant librement son Dieu, son créateur et sauveur, obéissant dans la foi, d’une telle liberté que son obéissance n’en est plus une, mais simple et heureuse réponse à la découverte de cet amour prodigieux, par lequel Dieu a tant aimé ce monde (chacun de nous) qu’il s’est identifié à nous pour vaincre en nous ces tentations. Aucune foi en l’homme n’est plus possible, mais la foi au Fils de Dieu, devenu Fils de l’homme. Voilà ce qui seul nous libère et nous rend plus que vainqueurs dans nos tentations.
pp. 1012-1013
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Vidéo de Jacques Ellul
Daniel Cérézuelle vous présente son ouvrage "La technique et la chair" et "La nature du combat : pour une révolution écologique" écrit par Bernard Charbonneau et Jacques Ellul aux éditions l'Echappée. Entretien avec Lucas Chaintrier.
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