Le chant de la mer à l'ombre du héron cendré

Sonia Elvi¬reanu : le chant de la mer à l'ombre du héron cen¬dré, L'Harmattan, collection Accent tonique, Paris, 2020, 128 pages.
DIPLOME D'HONNEUR 2020 DE LA SOCIETE DES POETES FRANCAIS.
N'étant pas expert en ornithologie, loin s'en faut, intrigué par la présence de ce héron cendré, je me suis penché tout d'abord sur son cas. Espèce commune en Europe, il se révèle toutefois être un drôle d'oiseau. On le découvre dans les zones humides, où il se tient longtemps immobile, souvent debout sur une seule patte. Alors : flegmatique, le héron ? Non, patient : il guette sa proie. Ce qui ne l'empêche pas de voler plus haut que n'importe quel représentant de la gent ailée. On prétend qu'il peut atteindre les nuages. Dans de nombreuses cultures, le héron est un symbole de sagesse. Son plumage d'animal aquatique l'isole de l'air comme de l'eau. Cette double protection incite les devins et les sorciers, forts d'une tradition qui remonte à l'antiquité égyptienne, à le classer parmi les oiseaux de bon augure.
Tout au long de ce recueil, le héron cendré n'aura de cesse de jouer un rôle de trait d'union entre le ciel et l'eau. Entre deux éléments, entre deux mondes : l'un tangible, ô combien symbole de vie, l'autre éthéré, domaine des anges et du rêve.
Après le deuil, l'absence, le désespoir, le poète, qui sait ne pouvoir, ni ne vouloir être Orphée, tente un nouveau parcours : « au bord de l'eau, / j'apprivoise les lointains, les rapproche de moi, / j'écoute leur chant dans le souffle du vent. » A l'opposé de l'égarement, ce parcours se veut initiatique : « je n'erre plus, / au plus profond de mon nid je berce ma lumière. » le héron cendré en sera le guide discret, qui « accroche ses ailes aux rayons de la lune ».
Le chemin emprunté traverse des paysages incréés et non décrits. Sonia Elvireanu se refuse à faire joli ou pittoresque. L'auteur entretient une confusion volontaire entre les sites sillonnés et à peine évoqués : elle parle d'oliviers et de collines sans aucune indication géographique ; de vagues plaines ; la mer n'a pas de nom ; les rivages indécis s'estompent dans la brume ou la lumière ; elle cite le sable, celui du désert puis celui de la plage ; elle entretient une imprécision qui amène le lecteur à devoir envisager « la poussière du monde ».
Le temps se consume lui aussi sans repères véritables : quand commence le jour, quand finit la nuit ? : « au loin, / le héron cendré, / aux ailes déployées, / fend / la nuit, / le ciel glisse / sa lumière / dans ses ailes. »
Sonia Elvireanu convoque l'essentiel du monde à son heure. Les éléments sont nommés soit directement, soit dans leurs métamorphoses coutumières. L'eau, la mer, le brouillard, la neige… L'air, le vent, le crépuscule, la lumière… La terre, le sable, la poussière, la pierre… le feu, le soleil, la brûlure, les flammes… le poète admire et invoque les combinaisons incessantes de ces éléments entre eux qui aboutissent à une idéale alchimie : « au creux de la mer, ravagée / par le vent, / l'aube se lève / dans tes eaux. » On songe à une nouvelle Création.
Le parcours se fait quête lorsque l'absent révèle sa présence au coeur même de cet univers en construction, en devient une composante : « La mer te hume, / le crépuscule / rôde autour de toi, / ne quitte pas ta voie, / la lumière / soulève ton souffle. »
Ce besoin de renouveau et de foi en la vie se fait plus impérieux quand le poète prend conscience du pouvoir de la mort. La guerre toujours présente : « des corps blessés / gisent dans les tranchées, / leurs blessures brûlent à l'éclair / de la lumière qui se meurt. » Mais aussi le souvenir prégnant des chers disparus en temps de paix : « dans la nuit, / le cri sans voix des enterrés, / la terre se couvre de mémoire. » Mais l'espérance va renaître avec le matin ; la résurgence de la lumière interne va s'imposer : « le jour se meurt / en un instant, / la nuit descend, et le doute, / mais l'aube revient / de nouveau, / la mer chante nos rivages rayonnants. / la nuit descend / un instant en moi / pour y élever la lumière éternellement. »
Cette lumière intérieure rayonne d'autant plus qu'elle révèle la présence de l'aimé, qui, exilé à jamais de la vie terrestre, s'incarne dans le coeur et l'âme du poète : « tels des fous / dans les senteurs des champs, / enfants de la lumière, / nous galopons le ciel dans les bras. »
L'écriture de Sonia Elvireanu se conjugue ici au présent. Les vers sont courts, souvent césurés après deux ou trois syllabes. Les strophes brèves font songer aux haïkus. le style épuré dont fait preuve le poète semble faire écho à l'univers graphique d'Hiroshige, qui peignait des estampes où figuraient des hérons.
Au terme du voyage, l'apaisement. Au terme de la quête, la révélation. Il incombe à l'oiseau de bon augure de clore le cycle initiatique en emportant le malheur dans son vol : « la noirceur s'envole de mon coeur, / tel un voile soulevé par le souffle du large, / à l'horizon, le héron / aux ailes déployées / dans les scintillements du levant. »

© février 2021 Gérard le Goff