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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Je déteste cette histoire !

Je déteste le regard méprisant du médecin (et des autres…)

Je déteste cet « ami » qui se croit tout permis, parce que si une fille est tombée enceinte, c'est qu'elle est trop libre…

Je déteste le sort de cette étudiante, sa solitude dans une impasse, sa vie entre les mains d'une faiseuse d'anges.

Je déteste tout ça, et je remercie celles et ceux qui ont fait en sorte que moi, ma soeur, ma fille, ne vivrons pas « L'événement ».

Un témoignage bouleversant, je déteste que ce soit si vrai et qu'on ne puisse l'oublier une fois le livre refermé.
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Aux six juges de la Cour suprême des États-Unis (six contre trois) qui ont statué que la Constitution américaine ne confère pas le droit à l'avortement,
Au gouvernement hongrois qui a fait inscrire dans la constitution que "la vie humaine est protégée depuis la conception",
Au parlement polonais qui n'autorise l'avortement qu'en cas de "danger pour la mère ou de viol",
Et aux milliers d'autres législateurs qui s'arrogent un droit absolu sur le corps, le choix et la vie des femmes,
Apprenez qu'une femme qui veut avorter le fera.
Dans la clandestinité, l'illégalité, le danger de mort, quels que soient les risques encourus, mais elle avortera. Elle a-vor-te-ra.
L'immense obstination à avorter n'a jamais été aussi bien traduite que par Annie Ernaux. Son "évènement" en 1963, elle l'a porté en elle pendant plus de trente ans, jusqu'à l'écriture de ce livre en 1999, et elle en reconstitue avec minutie les épisodes grâce à ses notes d'alors, agenda, journal intime, avec une admirable sincérité.
Et avec une acuité terrible, elle analyse même la différence de traitement entre son statut d'étudiante et celui d'une "vendeuse de Monoprix" : même si la sororité du malheur existe, la classe ouvrière, sans argent, sans respect, souffre encore davantage.
Mais qui a bien pu juger que l'écriture d'Annie Ernaux était "blanche", "neutre" ? Pour ma part elle m'a soulevée d'émotion à chaque page, chaque mot. Choisir une citation ? J'aurais voulu vous recopier tout le livre…
À l'annonce de son prix Nobel, j'ai filé emprunter trois oeuvres d'Annie Ernaux à la bibliothèque ; j'ai commencé par "L'évènement"car j'avais tellement, tellement aimé le film. Et sans images, sans musique, ce roman, ces mots nus, m'ont bouleversée encore bien davantage.
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Un livre fort, un livre marquant, un livre nécessaire. Un passage d'Annie Ernaux à l'hôpital pour un test de dépistage du Sida fait remonter à sa mémoire un autre passage à l'hôpital, plus de trente ans avant. D'habitude je n'apprécie pas beaucoup l'écriture de cet auteur, son choix d'une écriture neutre, distanciée, factuelle, froide et minimaliste à l'extrême. Mais il est des moments où ce type d'écriture convient particulièrement, et c'est le cas ici. Elle alterne le récit des faits simplement retranscrits, de la découverte de sa grossesse à l'avortement, et les réflexions que lui suggère le recul du temps : elle est à la fois le personnage principal et l'auteur qui commente. La solitude d'une jeune femme candidate à l'avortement au début des années 60, clandestin forcément, est palpable, glaciale. Plus d'émotion dans le récit l'aurait rendu quelconque : ici nul besoin d'empathie envers la jeune fille, l'émotion (la nôtre) naît de la situation, des faits, qui parlent d'eux-même et bouleversent le lecteur. Sans compter les passages qui nous montre l'attitude du corps médical, tout en mépris de classe et en suffisance. Ce court récit, ce témoignage tardif, est remarquable, percutant, essentiel.
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Je sais que sur Babelio, les avis relatifs aux livres d'Annie Ernaux sont partagés et que certains de mes ami.e.s babeliotes y ont fait des commentaires négatifs.

En ce qui me concerne, après avoir lu il y a fort longtemps son livre La place, c'est l'attribution du Prix Nobel de littérature qui m'a incité à la lire.
Et je dois dire que j'ai été impressionné par cette oeuvre magnifique d'auto-fiction produite par Mme Ernaux, qui nous renvoie comme un miroir le portrait saisissant et sans concession de l'évolution sociétale de notre pays durant la deuxième moitié du 20ème siècle, et surtout de la condition féminine et du rapport entre classes sociales.

L'événement est un exemple de plus de l'approche d'Annie Ernaux.

En nous racontant son histoire bouleversante, celle de son avortement clandestin en 1964, à une époque où il était interdit, elle rend compte avec vérité et crudité de la condition des femmes avant que cet acte ne soit légalisé grâce à la loi Veil en 1975.
Elle nous dit à la fois les quelques personnes secourables qui lui ont permis de passer cette épreuves, exclusivement des femmes, le mépris ou la réprobation voire l'indifférence de la gent masculine (ainsi en est-il de l'homme qui l'a rendue enceinte), la lâcheté ou la méchanceté du corps médical, son jugement « de classe ».

Mais j'ai trouvé que ce livre, lu le coeur serré en une soirée, est plus qu'un témoignage cru, brutal, saisissant.

Il y a tout d'abord sa mise en perspective,au début du livre, avec les années où apparaît le SIDA, une autre situation de marginalisation terrible d'une partie de la population, pour d'autres raisons. Et ça donne à réfléchir aux autres cas où les hommes et les femmes sont marginalisés voire stigmatisés, par exemple la maladie mentale, l'autisme, les handicaps de toutes sortes.

Ce livre a aussi une valeur éminemment sociologique dans la mesure où il montre non seulement la condition des femmes de cette époque, mais nous fait réfléchir sur le fait que cet acquis majeur est en danger, pour des motifs religieux mêlés à une volonté de domination idéologique, aux États-Unis et dans les pays d'Europe menés par les populistes d'extrême droite. Et de se dire: qu'en serait-il si l'extrême droite venait au pouvoir en France?.
Annie Ernaux nous livre encore comment le traitement des femmes par le corps médical est marqué par un sentiment de classe. Comment par exemple le médecin qui l'a prise en charge avec brutalité pour un curetage rendu nécessaire par la complication de son avortement, affirme rétrospectivement à une infirmière qu'il l'aurait traitée autrement s'il avait su qu'elle terminait des études supérieures. Autrement dit, que cette brutalité se justifie si les femmes sont d'une classe « inférieure » , ouvrière,paysanne etc…

Une autre chose m'a frappé. C'est l'extraordinaire travail de l'auteure sur la mémoire. le récit a, je trouve, une dimension de catharsis, comme si Annie Ernaux cherchait à revivre l'événement à la fois pour en témoigner, mais aussi pour s'en libérer.
Il s'agit, en ce sens, d'exorciser le traumatisme du passé pour lui donner valeur universelle, pour parler au nom de toutes les femmes qui ont, en un temps pas si lointain, vécu le même événement témoignant d'une certaine forme de domination masculine, religieuse, sociale.

En conclusion, mon avis est que ce livre dur, écrit de façon volontairement dépouillée, est un chef-d'oeuvre.
Oui, nous avons la chance d'avoir, dans notre pays, des auteures de la trempe et de la qualité d'Annie Ernaux.
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C'est à l'occasion d'un dépistage VIH qu'Annie Ernaux se rappelle avec acuité, sûrement avec le plus de vérité, un moment traumatique antérieur : sa grossesse non désirée et la lutte pour avorter qui s'en est ensuivie, à une époque où les avortements étaient interdits par la loi.

« Depuis des années, je tourne autour de cet événement de ma vie. » Ce moment d'angoisse et d'attente qu'a été ce dépistage représente la dernière manifestation du désir de la narratrice d'écrire sur cet « événement », comme elle l'appelle, un déclic pour libérer un désir longtemps réprimé, car source de crainte : « Je résistais sans pouvoir m'empêcher d'y penser. M'y abandonner me semblait effrayant. Mais je me disais aussi que je pourrais mourir sans avoir rien fait de cet événement. S'il y avait une faute, c'était celle-là. ».

Annie Ernaux s'engage ainsi dans un témoignage objectif, quasi sociologique, de cet événement, à partir des entrées de son agenda de l'époque et des souvenirs qu'elles suscitent, pour creuser le traumatisme, ressentir à nouveau, par l'effort de les rechercher par les mots, les sensations et la vérité d'alors. de savoir ce qui en resté et sous quelle forme.

Avec son écriture concise, sans aucun gras, l'autrice creuse donc ses ressentis concernant cette situation excluante, qui la rappelle à sa condition de « pauvre » dont elle pensait se sortir grâce à ses études supérieures, elle qui était la première de sa famille à en faire. Cet événement qui dresse un mur entre elle et les autres, notamment les garçons qui font la différence entre les filles qui couchent et celles qui ne le font pas et qui adaptent leurs comportements en fonction, entre les étudiants qui n'ont que leurs études à penser et elle que l'angoisse éloigne de ses recherches littéraires, qui la fait se sentir une « délinquante » par rapport à ce monde universitaire qui constitue pour elle sa référence.

C'est la première fois que je lis un roman d'Annie Ernaux, autrice dont je craignais la lecture en raison de son écriture plate et blanche, de peur de me sentir tenue à distance et empêchée de ressentir une quelconque émotion. Il n'en a rien été, au contraire, et je peux dire que lire « L'évènement » a été une expérience de lecture, pas toujours facile, car l'émotion s'en est allée crescendo, jusqu'au moment de l'avortement, et de ses conséquences qui auraient pu être dramatiques.

J'ai ressenti une profonde compassion pour cette jeune fille si seule dans son désarroi, pas assez entourée, qui ne se rend pas compte qu'elle est en état de choc, celui-ci se traduisant par cette crainte de ne plus être une intellectuelle, de ne plus savoir réfléchir, alors que tout simplement elle vit une situation qui n'est pas anodine et qui la replace dans son corps, elle l'intellectuelle qui semble vouloir s'en détacher, parce que la société réprouve encore, dans les années 60, le désir sexuel des jeunes filles. Personne n'est là pour l'aider, elle qui se fait écraser par une loi déshumanisante, atroce pour les femmes, qui les poussent à risquer leur vie dans la clandestinité.

Car c'est l'objectif aussi de ce texte, témoigner d'une loi brutale, « invisible, abstraite, absente du souvenir et qui pourtant [la] jetait à la rue à la recherche d'un improbable médecin. ». Cette loi présente partout, et qui « rendait impossible de déterminer si l'avortement était interdit parce que c'était mal, ou si c'était mal parce que c'était interdit. On jugeait par rapport à la loi, on ne jugeait pas la loi ». Une loi qui restreignait les médecins, alors « obligés à se rappeler la loi qui pouvait les envoyer en prison et leur interdire d'exercer pour toujours. Ils n'osaient pas dire la vérité, qu'ils n'allaient pas risquer de tout perdre pour les beaux yeux d'une demoiselle assez stupide pour se faire mettre en cloque. A moins qu'ils n'aient sincèrement préféré mourir que d'enfreindre une loi qui laissait mourir des femmes. […] En face d'une carrière brisée, une aiguille à tricoter dans le vagin ne pesait pas bien lourd. »

J'ai ressenti à la lecture de « L'évènement » la même indignation que pendant celle du « Choix » de Désirée Frappier, roman graphique (qui faisait d'ailleurs de la place dans ses pages pour des extraits d'une interview avec Annie Ernaux) complémentaire en ce qu'il documente la lutte pour la légalisation de l'avortement. Ce corps médical qui ne donne les bonnes adresses qu'une fois l'avortement fait, qui met tout sur le dos d'une loi pratique pour ne pas se poser de questions, sa condescendance choquante, à l'image de celle de cet interne, honteux et en colère d'avoir découvert après les soins prodigués à Annie Ernaux que celle-ci était du même monde que lui, celui des hauts placés, qui apparemment ont plus de légitimité à se débarrasser d'un enfant que ceux de basse classe…

« L'évènement » a été, comme je le disais plus haut, une véritable expérience de lecture, de celles dont on ressort choquée quand on referme la couverture. Mais qui à ce titre, sont inoubliables.
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Un livre choc, brutal, qui fait frémir. Je n'ai pas réussi à m'en détacher et l'ai lu d'une traite.

Annie Ernaux, trente-cinq ans plus tard, se remémore un évènement dramatique, qui a bouleversé sa vie alors insouciante, un évènement qu'elle a longtemps essayé d'occulter mais pour lequel, au fil du temps, elle a éprouvé le besoin impérieux de relater par écrit. Il s'agit de l'avortement qu'elle a subi en janvier 1964, alors qu'elle était étudiante en Lettres à Rouen.

A l'époque, un avortement ne peut être que clandestin, il est interdit en France et sévèrement puni par la loi. A partir de ses souvenirs personnels, de son vieil agenda et de son journal intime, l'autrice raconte simplement, froidement et dans les moindres détails, son parcours du combattant.
Attente de diagnostic, angoisse d'une grossesse accidentelle, accablement face à la lâcheté du géniteur et des médecins qui ne peuvent voire ne veulent prendre aucun risque pour l'aider. Ne reste plus que "la débrouille", le "bouche à oreilles" et le recours à une "faiseuse d'anges" dans des conditions sanitaires hasardeuses, Annie Ernaux manquera de perdre la vie, mais s'en sortira transformée, grandie également fière d'être allée au bout de cette épreuve périlleuse.

Le récit de l'autrice est sec, glaçant, réaliste, sans aucune concession. Inspiré de ses souvenirs et notes personnelles, il est aussi ponctué, entre parenthèses, de réflexions ou interrogations actuelles, de références à l'actualité. le style de langage parfois cru, violent contribue au climat d'angoisse récurrent. Cette oeuvre intimiste, Annie Ernaux l'a portée au plus profond d'elle-même pendant des décennies. Elle est le reflet d'une société misogyne, bourrée de principes moraux et religieux, une époque révolue où la femme ne possédait pas son corps et n'avait pas le choix d'accepter ou non une maternité.

En 1975, était votée la loi Veil "qui dépénalise le recours par une femme à l'interruption volontaire de grossesse."
"Aucune femme ne recourt de gaité de coeur à l'avortement" disait Simone Veil dans un discours devenu historique. Mais c'est un droit qui a été acquis à force de combats et de drames. Il faut le préserver à tout prix et lutter contre les courants qui tenteraient de le remettre en question.

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Quand Annie Ernaux écrit sur son avortement dans les années 1960, c'est avec autant de détachement, semble-t-il, que sur les autres sujets qu'elle aborde dans son oeuvre.
Mais la distance est relative car elle répète combien la souffrance morale qu'elle a vécue à travers cette expérience l'a poursuivie toute sa vie, est à l'origine de son besoin d'écrire sur cet événement.
C'est court, intense, ça se lit d'une traite mais avec respect et des frissons dans le dos.
Merci Simone Veil.
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Je n'ai jamais été emballée par le style d'Ernaux mais, Prix Nobel oblige, je me suis dit qu'il était temps de choisir dans la PAL une de ses oeuvres pas encore lue.
C'est l'Evénement qui est sorti. le style froid, littéralement chirurgical, dénué de sentimentalisme voire d'émotions est plutôt adapté au récit de son avortement en 1963. le lecteur ne s'apitoie pas sur le sort de cette jeune fille devenue femme au moment de l'écriture ( 1999). Parce qu'elle assume entièrement son choix. La démarche est précaire, rien n'est organisé dans la société pour aider les femmes, le mot avortement n'est pas prononcé, on trouve la faiseuse d'anges par le bouche à oreille et cette dernière opère avec les moyens du bord, souvent par cupidité plutôt que par conviction. Bref, Ernaux dépose sur la page blanche son expérience brute : elle parvient à ses fins avec l'aide d'une copine, paie 400 francs l'intervention qui n' aboutit pas immédiatement car c'est à la cité universitaire qu'elle verra, sous ses yeux et entre ses mains, le dénouement. Elle clôt son parcours de femme interrompant volontairement une grossesse à l'Hôpital Dieu après une hémorragie. Il n'y a pas l'ombre d'un regret ni d'un remord, pas non plus de fatalisme mais un existentialisme pur et dur: cette jeune femme déterminée fait ce qu'elle pense devoir faire pour son bien, prenant à bras le corps sa vie, son indépendance, sa volonté, elle y met toute son énergie. C' est comme une parenthèse, une ellipse puisqu'elle reprend son mémoire de maîtrise là où elle l'avait arrêté, elle se sent différente, seulement différente.
N'invitant pas le lecteur à la compassion ou l'empathie, nous ne sommes que les témoins de son choix et ses actes, on peut à peiner les juger qu'on soit pour ou anti, là n'est pas le propos, on est face à une personne libre qui regarde sa vie en face. J'ai trouvé cette manière extrêmement bien choisie pour parler de ce thème.
Ce livre permet certainement de mieux comprendre l'intérêt de la loi Veil en 1975. D'ailleurs ce récit doit être assez proche de ceeux des femmes de cette génération qui ont été utiles à Veil pour mener l'enquête et défendre avec vigueur son projet de loi, devant un parterre d'hommes totalement déconnectés des réalités féminines en France (réalités populaire, ouvrière, rurale aussi bien que bourgeoise et citadine). Les archives sont criantes de vérité.
Repensant à l'année d'écriture de ce roman, 1999, je me suis soudain souvenue qu'à cette époque, des commandos anti ivg intervenaient encore dans certains hôpitaux de France, les salles d'avortement étaient encore parfois tenues "secrètes". C'est dire si la question reste épineuse, il n'y a qu'à voir l'actualité transatlantique.
En 2022 la prise en charge des femmes semble plus humaine, et moins tabou (j'écris seulement "moins" car un documentaire france culture passé récemment sur les ondes montre bien que l'ivg n'est toujours pas sans faire de remous).
Pour conclure, j'ai beaucoup aimé ce roman, même si je reste un lectrice très distante d'Ernaux. Toutefois j'attends avec une certaine impatience son discours à Stockholm, dans quelques semaines...Peut être aura-t-elle un message pour Camus dont le discours de Suède figure parmi ceux que je préfère.
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« Et le véritable but de ma vie est peut-être seulement celui-ci : que mon corps, mes sensations et mes pensées deviennent de l'écriture, c'est-à-dire quelque chose d'intelligible et de général, mon existence complètement dissoute dans la tête et la vie des autres. »

Dans L'événement, Annie Ernaux donne une des clés de ce qui guide son oeuvre. Une affirmation qui confortera ses détracteurs dans ce qu'ils lui reprochent, mais un fil conducteur assumé qui permit à tant de lecteurs et de s'identifier à l'auteure nobelisée.

Une affirmation qui la conduit à revenir des années plus tard, la tête froide et tournée vers l'analyse factuelle et non l'émotion, sur les étapes de sa vie qui l'ont construite. Comme cet avortement dans les années 60, dont les marques refont surface à l'occasion d'un test de séropositivité dans les années 80.

« Ma vie se situe donc entre la méthode Ogino et le préservatif à un franc dans les distributeurs. C'est une bonne façon de la mesurer, plus sûre que d'autres, même. »

Nulle envie de détailler ce livre (et de risquer de frôler le sentiment d'illégitimité masculine du sujet) et ce parcours insupportable d'une combattante d'une autre époque, pourtant si proche de la nôtre. Juste livrer quelques réflexions, à la volée.

Sur les portraits de ces gens qui traversent le livre - le docteur N., Soeur sourire, L.B., Mme P-. R. – soutiens ou indifférents, mais si bien cernés en si peu de mots.

Sur la posture distanciée délibérément choisie par l'auteure, pour éviter à tout prix le piège du pathos et de l'empathie du lecteur. Cette volonté de se conformer coûte que coûte au strict récit reconstitué, de « résister au lyrisme de la colère ou de la douleur. »

Sur le lien avec le reste de l'oeuvre, les origines sociales auxquelles on n'échappe décidément pas jusque dans les événements intimes de la vie et l'écriture qui « venge la race ».

« Ni le bac ni la licence de lettres n'avaient réussi à détourner la fatalité de la transmission d'une pauvreté dont la fille enceinte était, au même titre que l'alcoolique, l'emblème. J'étais rattrapée par le cul et ce qui poussait en moi c'était, d'une certaine manière, l'échec social. »

Sur la légitimité arrogée enfin, d'écrire sur tout et d'écrire sur soi pour parler au monde, quoi qu'en pense autrui.

« D'avoir vécu une chose, quelle qu'elle soit, donne le droit imprescriptible de l'écrire. Il n'y a pas de vérité inférieure. Et si je ne vais pas au bout de la relation de cette expérience, je contribue à obscurcir la réalité des femmes et je me range du côté de la domination masculine du monde. »
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"Aucune femme ne recourt de gaieté de coeur à l'avortement. Il suffit de les écouter. C'est toujours un drame." Simone VEIL, ministre de la Santé, à l'Assemblée nationale le 26 novembre 1974.

1963 Anne 23 ans, issue d'un milieu modeste a entrepris des études de lettres à l'université. Elle se retrouve enceinte à la rentrée. Désespérée, elle ne sait vers qui se tourner car l'avortement est à l'époque un délit et peu de médecin sont prêts à risquer leur carrière pour aider les femmes en détresse. Un livre remarquable qui nous expose les angoisses plus que justifiées d'une jeune femme qui vit une expérience bouleversante et qui, de plus était en 1963, hors la loi. Un livre nécessaire.
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