Le cinéma n’a rien de commun avec le théâtre, sauf ceci, qui est tout
d’apparence, et de la plus extérieure et de la plus banale des apparences :
c’est, comme le théâtre, mais aussi comme la danse, le jeu du stade, la procession,
un spectacle collectif avec l’intermédiaire d’un acteur. Il est même
moins près du théâtre que la danse ou le jeu ou la procession, en qui je
n’aperçois qu’une sorte d’intermédiaire entre l’auteur et le public. Il présente
en effet, entre le public et l’auteur, trois intermédiaires : l’acteur – disons le
cinémime – l’appareil du photographe et le photographe lui-même. (Je ne
parle pas de l’écran qui est un accessoire matériel, faisant partie de la salle,
comme la scène du théâtre.) Cela, déjà, situe le cinéma plus loin du théâtre
que la musique où existent également entre le compositeur et le public deux
intermédiaires : l’instrumentiste et l’instrument. Enfin, et surtout, on n’y parle
pas, ce qui ne peut passer, n’est-il pas vrai, pour un caractère essentiel du
théâtre. Charlot, le plus grand cinémime, n’ouvre jamais la bouche et,
remarquez-le, les meilleurs films se passent presque complètement de ces
explications tout à fait intolérables qu’on prodigue sur l’écran.
Une architecture essentielle, qui se cherche et se trouve d’un bout à l’autre de la trame autour de qui s’organise le film, en fait une chose fermée et pour ainsi dire circulaire, dont chaque scène est déterminée par la conception de l’ensemble, comme les coupoles parasites tournant autour de la grande coupole centrale, dans les vieilles églises de l’ordre byzantin, où la musique même des sphères semble ordonner leur ronde et disposer l’harmonie continue de leur groupe en mouvement : Une architecture, je dis bien, qui est dans le cerveau de l’homme, et passe avec tant de rigueur dans son geste, quelque désordonné que paraisse ce geste, qu’il s’équilibre toujours, ainsi qu’une danse rythmique, un ballet, autour de l’idée centrale, à la fois douloureuse et comique, où il puise ses motifs.
Mais c’est que le film, à mon sens, n’est susceptible d’acquérir une vertu théâtrale complète qu’à condition précisément de perfectionner toutes les autres formes d’expression – lyrique, plastique, musicale, scientifique, documentaire – qu’on le sait capable de prendre, pour conduire à leur plus haute puissance les qualités techniques, visuelles, rythmiques sans lesquelles le théâtre cinégraphique serait voué à une décadence rapide avant même d’avoir atteint le degré de développement qu’on est en droit d’en attendre.
En somme, entre le phénomène collectif apparu avec le cinéma et la radiophonie dans l’ordre scientifique et esthétique et le phénomène collectif apparu avec le syndicalisme, le communisme, le standard et le trust dans l’ordre économique, existent un parallélisme aussi rigoureux et un accord aussi nécessaire qu’entre l’efflorescence de la grande architecture et la constitution de la société médiévale.
Aussi loin que nous remontions, et chez tous les peuples de la terre, il a fallu à tous les peuples de la terre, et de tout temps, un spectacle collectif qui pût réunir toutes les classes, tous les âges, et généralement les sexes, dans une communion unanime exaltant la puissance rythmique qui définit, en chacun d’eux, l’ordre moral.
Suzanne Flon lit Elie FAURE
Suzanne FLON lit une page de
Elie Faure.