Cela faisait un moment que ce livre (et les deux autres tomes qui le suivent constituant la saga LE SIECLE) dormait dans ma bibliothèque.
Je participe cette année au défi lecture 2022 des Editions du Seuil et dans ce cadre, il me fallait lire un livre de 1000 pages. C'est donc aujourd'hui chose faite, car ce pavé compte 1001 pages ! Mais, lectrice assidue de
Ken Follett, j'ai l'habitude des pavés et cela ne m'a pas d'emblée rebutée.
J'ai suivi avec grand intérêt cette saga familiale qui touche six familles (les Fitzherbert = anglaise, les Williams = galloise, les Pechkov = russe, les von Ulrich = allemande, les Vialov et les Dewar = américaines) au cours de la période 1911-1924, période qui verra l'émergence de la Première guerre mondiale (sous le prétexte d'un incident mineur) et la survenue de la Révolution d'octobre.
Contrairement à la saga des Piliers de la Terre que j'ai lu de bout en bout (quatre tomes), j'ai eu beaucoup plus de mal ici à entrer dans l'histoire, bien que celle-ci me soit historiquement plus proche. La mise en place des différents contextes et personnages est, me semble-t-il, un peu laborieuse tant elle foisonne (et c'est tout à l'honneur de
Ken Follett qui aime à étayer ses romans d'éléments historiques vérifiés et donc crédibles) d'informations sur les contextes politico-économico-sociaux des différents pays dont il est question. Malgré une légère lassitude (car cela freine la progression du récit touchant les principaux personnages), cela m'a permis d'apprendre beaucoup de choses sur les prémices de cette guerre et ses conséquences tant pour les pays que pour les peuples concernés. On peut d'ailleurs voir, à la lumière de ce roman, que les manoeuvres politiques et les propagandes d'hier ont hélas toujours cours aujourd'hui (ex : contexte guerre Ukraine/Russie). Pour ma part, j'ai mieux compris le contexte qui a amené les Allemands à vouloir prendre leur "revanche", quand j'ai pris connaissance des conditions du Traité de Versailles signé le 28 juin 2019... tant celles-ci étaient humiliantes et non pensées dans une logique d'apaisement des tensions et de pardon.
A travers ce premier tome - et indépendamment de ce qui relève directement de la façon dont la Première guerre mondiale s'est menée sur le terrain et racontée par
Follett au travers de la vie de ses personnages - on est informé :
- En Angleterre, sur les conditions de travail et de vie des mineurs au Pays de Galles soumis au bon vouloir d'un seigneur local, sur le fonctionnement de la monarchie et des instances législatives (Chambre des Communes, Chambre des Lords), sur la naissance du Parti travailliste et sur les prémices de l'émancipation de la femme...
- En Russie, sur les conditions de travail et de vie du peuple russe sous la tutelle du Tsar (peu de libertés, grande pauvreté, quasi esclavage, pas d'éducation), sur la façon dont ce peuple a été amené en février 1917 à destituer le Tsar et à écarter un pseudo gouvernement fantoche au profit des Bolchéviks (parti ouvrier social-démocrate radical conduit par
Lénine et Trotsky qui deviendra plus tard le Parti communiste), sur la façon dont les Alliés occidentaux ont collaboré et soutenu financièrement la contre-révolution pour voir les "Blancs" revenir au pouvoir, et sur le difficile exercice du pouvoir pour ouvrir la voie à un réel changement pour le peuple russe, sans tomber dans les dérives d'un gouvernement autoritaire...
- En Allemagne, sur la façon dont les Allemands ont conduit leur guerre à l'incitation de généraux pas toujours corrects sur leurs objectifs avoués, sur les conséquences économiques et sociales du Traité de Versailles... En filigrane, sont évoquées la revendication allemande à être la race supérieure qui dominerait l'Europe et la haine de certaines élites contre les Juifs accusés, à tort, de tous les maux...
- En Amérique, sur la condition de certaines populations immigrées, sur le fonctionnement du cabinet du Président, sur les liens avec la presse, sur la façon dont l'Amérique est entrée en guerre, tardivement, pour soutenir les Alliés mais aussi surtout pour redorer le blason d'un président en perte de crédibilité (ça ne vous rappelle rien ?), sur les prémices de la création de la Société des Nations Unis (devenue plus tard ONU) dont l'objectif initial était bien de favoriser la paix entre tous les pays membres (et dont on verra par la suite qu'elle aura été déviée de son objectif initial pour satisfaire surtout les intérêts américains), et sur l'arrivée de la prohibition.
La France et les autres pays alliés ne sont pas de reste, même si cela est plus succinct. Ce qui est également intéressant aussi, c'est d'avoir des informations sur la façon dont les différents pays avaient accès à des renseignements utiles via tout un réseau d'informateurs (prémices des services de renseignements) ou via les femmes et les hommes d'influence au cours de rencontres informelles et festives.
On retiendra surtout, à l'aune de ce premier tome, que cette Première guerre mondiale aurait vraiment pu être évitée si tant est que les personnes au pouvoir avaient pris leurs responsabilités et n'avaient pas cherché à préserver, avant tout, leurs intérêts propres.
K. Follett rend parfaitement compte du gâchis qui en a résulté, tant en termes de pertes humaines (de tous les côtés) qu'en termes de pertes économiques.
Donc, pour résumer, les points forts de ce roman sont pour moi :
l'évocation d'une saga concernant plusieurs familles, sur plusieurs pays, durant un long laps de temps qui permet de bien appréhender ce qu'a été le XXe siècle ; la caractérisation physique et psychologique de personnages complexes mais aussi très attachants ; des figures féminines engagées qui ont toute leur place dans l'histoire ; une réelle capacité de l'auteur à décrire les paysages, les situations, les comportements, l'ambiance et l'abondance de détails historiques étayés qui donnent toute crédibilité à l'histoire qui est ici racontée.
Clairement, si l'on veut connaître le devenir des principaux personnages et aller au bout de l'histoire, il faut poursuivre sa lecture avec les tomes 2 et 3 (soit quelque 2.000 pages supplémentaires) et c'est ce que je m'apprête à faire quand j'aurai fait une petite pause...