Histoire contemporaine - Intégrale

Plutôt que par l'oeuvre, commençons par l'époque et l'auteur car l'une et l'autre portent un message pour le présent :
La fin du XIXe siècle, tout comme notre époque contemporaine, est une période incertaine et dangereuse pour la République, qui se retrouve menacée par l'ultracisme de ce que l'on appellerait aujourd'hui extrême-gauche (socialisme marxiste) et extrême-droite (nationalistes, monarchistes et cléricaux).
Quant à l'auteur, contrairement à ceux qui en revendiquent aujourd'hui le titre au prétexte qu'ils se teignent les cheveux en violet et farfouillent dans leurs culottes à la recherche de leur identité profonde, il est un authentique progressiste : libre-penseur, dreyfusard de la première heure (aux côtés de Zola), laïcard, républicain, universaliste, pacifiste, humaniste, anticolonialiste... Hélas, l'époque est à la radicalité politique, au revanchisme sur l'ancien régime. On tente en ces années-là d'imposer un mythe révolutionnaire n'ayant que peu de rapport avec la vérité historique. Or Anatole France est bien trop nuancé pour goûter à la radicalité, trop sceptique pour ne pas douter de l'idée de revanche, trop ironique pour ne pas se moquer de la réécriture de l'Histoire. Il ne voit pas l'intérêt d'une revanche (pour lui, qui appréhende le temps différemment d'un politique, il existe une sorte de continuité entre l'ancien régime et la France moderne) et, féru d'histoire et de justesse, il rejette la grossière caricature qui est faite de la Révolution. Alors que cet homme exigeant et défiant soumettait tout et tout le monde au tamis d'une critique sévère (mais jamais méchante), la gauche du XXe siècle (Aragon, Sartre, etc.) le décrira comme un auteur tiède et complaisant, l'accusera d'avoir, en quelque sorte, été l'écrivain officiel de la Troisième République et purgera le panthéon littéraire français de son nom. Malgré quelques tentatives ultérieures de réhabilitation, la réputation d'Anatole France ne se remettra jamais vraiment de ces critiques aussi fausses que malveillantes. de nos jours, il reste très peu lu et à peu près tout le monde a oublié que non seulement il a décroché le Prix Nobel de littérature (1921) mais qu'il fut aussi l'un des cofondateurs de la Ligue des Droits de l'Homme.

Histoire contemporaine, qui se décline en quatre romans, est un « panorama satirique de la France de la Belle époque » doublé d'un réquisitoire contre la bourgeoisie, les monarchistes, les cléricaux ou les antisémites. Rien ni personne n'échappe à la plume gentiment ironique mais implacable de France : politique, clergé, magistrature, administrations, armée, grand monde, finance ou enseignement, tout y passe, tout est disséqué. Mais, et c'est là une des caractéristiques par laquelle il se démarque, Anatole France (personnifié dans le roman par Monsieur Bergeret) est un homme doué d'une tolérance peu commune : il ne se reconnaît que des adversaires, pas des ennemis. Ainsi son personnage de Bergeret, archétype de l'intellectuel libre-penseur, prend plaisir à discuter sous les ormes de la promenade avec l'abbé Lantaigne, prêtre à la limite du fanatisme. Ils ne sont d'accord sur presque rien mais ils sont d'égale intelligence et partagent le même goût pour la réflexion, l'histoire et l'échange. Histoire contemporaine, pour reprendre les mots du préfacier, est un « continuel éloge de la conversation, de la connaissance désintéressée » qui, dans le dernier volume, s'oriente vers une vision utopique mais aussi désenchantée de la société. Car oui, Anatole France, à l'image de cet extraordinaire Monsieur Bergeret qui semble vivre dans un temps fictif (qui ne dissocie ni le passé, ni le présent, ni le futur), est un utopiste trop perspicace pour nourrir beaucoup d'illusions.
C'est un hasard si j'ai décidé de relire cette oeuvre (qui tient autant de l'essai historique et philosophique que du roman) maintenant, environ trente ans après l'avoir découverte. Mais un hasard heureux car, outre que je l'ai bien plus appréciée lors de cette seconde lecture, il me semble également qu'elle a presque valeur d'antidote en ces temps d'emportements, d'invectives, de décivilisation, de décadence morale et comportementale et d'antisémitisme. Je dis « presque » car, pas plus qu'Anatole France et Monsieur Bergeret, son alter ego, je ne crois en la France à laquelle eux et moi aimons à rêver, ni ne me fais beaucoup d'illusions sur mes semblables et leur compréhension du temps long.

Quoi qu'il en soit, lisez donc Histoire contemporaine si ce n'est pas déjà fait : d'une part, Anatole France doit absolument retrouver la place qui est naturellement la sienne dans le panthéon littéraire français, d'autre part, on s'amuse beaucoup et, enfin, nous n'avons que rarement eu autant besoin dans nos vies d'un doux philosophe tel que Monsieur Bergeret.

Je viens de relire son Histoire contemporaine. J'y retrouve le plaisir de ma première lecture, il y a quelques lustres, et une description très fine de la société française de la toute fin du XIXe.

Les quatre romans de cette Histoire contemporaine sont d'abord parus sous forme de feuilleton et ont été publiés entre 1897 et 1901. On parle de quadrilogie, les 3 premiers (L'orme du mail, le mannequin d'osier et L'anneau d'améthyste) développent la même histoire alors que le dernier (M. Bergeret à Paris) reprend les personnages mais avec une optique un peu différente.

Au travers de ces romans, Anatole France peint les différents couches de la société et aborde les idées politiques de l'époque. Bien des situations décrites résonnent avec notre actualité et font de cette fresque un livre toujours vivant. La lecture estivale dans un transat n'est pas idéale pour prendre des notes, je ne vais pas inonder ce billet de citations mais France fait souvent mouche par la justesse de ses propos ou de ses descriptions.

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Ce grand roman est un vrai régal, toujours moderne, servi par une jolie langue aux expressions parfois un peu désuètes. Je le recommande fortement et assurément je le relirai encore avec plaisir.

Challenge Nobel

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