C'est un vrai plaisir de se retrouver à New-York en compagnie de Jane Prescott et de son oncle Tewin le pasteur défroqué gérant un foyer d'accueil offrant à d'anciennes prostituées la possibilité d'un nouveau départ dans la vie.
Nous sommes en 1913, George Rutherford le propriétaire d'un grand magasin de frivolités en tout genre organise un spectacle intitulé « Scènes émouvantes de l'émancipation » mettant en scène le contexte de la promulgation par Lincoln de la loi émancipant les esclaves. le spectacle est l'occasion d'élire une Miss Rutherford parmi dix beautés américaines présélectionnées.
« Ensuite, chacune des Beautés vint réciter l'un des amendements, provoquant un brouhaha lorsque l'audience comprit que les candidates avaient été intégrées au spectacle. »
Le lecteur retrouve également les Tyler chez lesquels Jane a la charge d'assister leur fille Louise ; les
Benchley, que l'on a découvert dans son précédent roman
Des gens d'importance, sont également présents ainsi que la syndicaliste Anna Ardito dont Jane dit qu'elle est sa « plus vieille amie, la plus proche, aussi, en dépit de nos multiples différences. Je travaillais pour les riches ; Anna, employée chez Industrial Workers of the World, se battait pour les anéantir. »
Portrait réaliste de la bonne société américaine du début du siècle et ses dames patronnesses, femmes de capitaines d'industrie, menant des actions charitables et professant une morale ambiguë auprès des « pauvres », les enjoignant surtout de ne pas chercher à les singer.
Le New York du début du siècle sert de décor au roman, et l'auteure s'inspire d'événements que la ville a connus : « L'armurerie du 69e régiment ne se trouvait qu'à quelques pâtés d'immeubles de chez les Tyler, (…) le bâtiment (…) accueillait les visiteurs par une bannière au-dessus de l'entrée : EXPOSITION INTERNATIONALE D'ART MODERNE. »
Jane y retrouve son ami Michael Behan journaliste
« — On commence par la Chambre des horreurs ?
Tel était le surnom de la Galerie I, dans laquelle les cubistes étaient exposés. »
Le roman fait la part belle aux musiciens de l'époque et aux danses « animalières (qui) faisaient fureur : le fox-trot venait de se voir rejoint par le bunny-hug, le turkey-trot, le squirrel et bien d'autres encore. le grizzly-bear était censé reproduire les mouvements d'un ours en train de danser, de sorte que Sadie et moi évoluions l'une autour de l'autre, mains, ou plutôt pattes en l'air, en suivant le rythme. »
Jane déambule dans New York « Je descendis ensuite jusqu'à la 53e Rue, entre la 6e Avenue et la 7e, dans la « Bohème noire » où se réunissaient musiciens, comédiens, danseurs et écrivains célèbres. »
Une pensionnaire du foyer de Tewin Prescott, Sadie Ellis est « retrouvée, assassinée, dans une allée du Lower East Side après ce que la police décrit comme un meurtre particulièrement brutal et inhumain. »
L'enquête de la police, sous la pression des ligues puritaines et moralistes qui veulent faire fermer le foyer de Prescott, prend une direction que Jane s'efforce d'infléchir cherchant à faire éclater la vérité.
« Et la foule, avide d'en découdre, brailla des encouragements avec cette véhémence qui feint de se nourrir du sentiment de sa propre rectitude, alors qu'elle n'a soif que de sang. Qu'ils utilisent la mort de Sadie comme un argument en leur faveur me mit en rage. »
Elle veut non seulement découvrir qui est le criminel, mais aussi réhabiliter le travail de son oncle soucieux de réinsérer des femmes dont la société pense qu'elles incarnent le mal et qui ne peuvent en aucun cas se plaindre de leur sort, notamment lorsque des hommes les traitent comme les jouets de leurs fantasmes.
Le côté humain du personnage de Jane, avec sa candeur, sa naïveté, ses doutes et ses convictions permet à l'auteure, sous couvert d'une intrigue policière, de montrer comment les femmes se heurtent à la domination des hommes dans une société où la recherche honteuse du plaisir peut justifier toutes les dérives.
« Oui, Jane, ton vrai moi se trouve dans un chapeau de chez Paquin. Si seulement tu laissais l'argent te filer entre les doigts, tu accomplirais ta destinée sur terre. Si seulement George Rutherford te disait à quoi tu devrais ressembler, tu vaudrais la peine qu'on te regarde. »