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EAN : 9782366243949
282 pages
Cambourakis (10/01/2019)
4.75/5   12 notes
Résumé :
Lorsque Pinar Selek rencontre le célèbre journaliste arménien de Turquie Hrant Dink, qui sera assassiné en 2007, celui-ci la surnomme affectueusement "L'insolente". Il avait raison : elle est insolente, partout, en Turquie, en France. Sociologue, écrivaine, militante antimilitariste, féministe et libertaire, Pinar Selek est surtout connue en raison de la répression dont elle est victime depuis plus de 20 ans de la part de la justice turque. Dans ce livre, elle revie... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Je sais qu'il ne faut pas éteindre le feu

Hasard des publications et des lectures. J'ai souligné dans une récente chronique : « « Transformer le monde », a dit Marx ; « changer la vie », a dit Rimbaud : ces deux mots d'ordre pour nous n'en font qu'un ». N'en est-il pas encore ainsi ?

Pinar Selek conjugue l'un avec l'autre avec une communicative chaleur qui s'oppose aux militantismes décharnés/cloisonnés et une lucidité tendue vers les émancipations individuelles et collectives. Une voix, une femme insolente dans toute la force de ce terme.

L'exil et sa valise, « Comment peut-on mettre une vie dans une valise ? », les tableaux de l'horreur sans limite mais aussi les résistances. « Vous allez voir, je suis un tout petit point dans un grand tableau, avec tous ses contrastes, qui abrite des mondes différents et des dynamiques contradictoires »…

Précision. Les phrases en italiques et entre guillemets sont de l'autrice, celles en italiques sans guillemets mais entre parenthèses sont de Guillaume Gamblin (GG).

1971-1998 « C'est dans la rue que j'ai appris le vie »

Le monde et sa magie, la création de contes pour sa soeur, l'imagination des enfants, « Je pense que la force d'expérimenter l'immensité de l'amour repousse les frontières. du moins, c'est ainsi que je l'ai vécu », l'enfance, le coup d'Etat de 1980, les militaires dans la maison, l'arrestation du père, celles et ceux qui s'adaptent à la nouvelle situation, « J'ai observé ce changement autour de moi. La violence extrême bien sûr, mais aussi la soumission généralisée ».

Une chape de plomb, la répression terrible, les cours de religion obligatoires, l'installation d'une économie néolibérale, l'histoire d'un espace politique saturé de violence.

Guillaume Gamblin indique (dans le contexte d'une République qui s'est construite sur le génocide des Arménien·nes, sur le massacre des Kurdes et l'expulsion des Grec·ques, et sur un triple coup d'Etat en 1960, 1971 puis 1980, le militarisme d'Etat est une réalité incontournable dans la Turquie des années 1970 à 1990).

La dictature, les institutions universitaires dirigées par des auxiliaires du pouvoir, le théâtre à 15 ans, « On utilisait le théâtre comme un espace de réflexion et de création pour s'organiser », le fonctionnement et l'articulation des mécanismes de domination, l'attrait de la révolution et le rejet de la violence…

Je souligne les pages sur les enfants des rues, ce partage, cette résistance et ce refus de rentrer dans le rang, ou comment ne pas devenir un rhinocéros… L'autrice questionne « les vérités dominantes qu'on nous imposait », ces vérités mélange de « mensonge et de propagande ». Elle parle des nuits dans la rue, d'écriture, « Je voulais écrire, c'était mon rêve. Enfant, je voulais être matelote sur un bateau et écrire. J'ai renoncé à être matelote, mais je gardais le rêve d'écrire », de la rue comme maison, des hiérarchies, « J'avais vingt ans. J'étais dans les rues d'Istanbul. Je partageais les rêves, les choix, les souffrances des amis qui dormaient sous le ciel, en comptant les étoiles ou en disant : « Il n'y a d'étoiles ce soir. Demain il ne fera pas beau ». »…

Le souffle de la liberté, la question du « pourquoi », les études, les interrogations sur la « supériorité de la science », les lectures, le féminisme, la sexualité, le corps, l'émergence des mouvements LGBTI, l'« Atelier des artistes de rue », les personnes prostituées, l'entrée clandestine dans des maisons closes, être contre la prostitution et soutenir les mobilisations des personnes prostituées, « Je n'ai jamais connu de prostituée heureuse », voir les autres visages de la société, « Je ne supportais pas la façon dont ces hommes recevaient des services sexuels de la part de ces filles, ni la façon dégueulasse dont ils les traitaient », les réseaux de mafias « qui vendaient des filles de douze ans, quatorze ans », les transsexuelles de la rue Űlker, « Dans cet espace, les déboires des travestis et des transsexuelles ne pouvaient être dissociés du sexisme, de l'hétérosexisme, du militarisme, de l'ultranationalisme, des mutations urbaines induites par la mondialisation, ni des rapports sociaux de domination », l'enlèvement par des policiers, la sociologie « « avec » sans faire violence à ceux qui sont en marge », le théâtre itinérant, la rue encore, « dans la rue, je me suis construite par des rencontres, des découvertes que je n'aurais pu faire nulle part »…

1998-2000 « C'est là que le cauchemar a commencé »

Une recherche en sociologie sur le mouvement armé kurde, « J'ai choisi ce sujet parce qu'il y avait une guerre en Turquie, et qu'il était anormal que les sociologues ne pensent pas le pourquoi de cette guerre, comment ça se passe, pourquoi les gens prennent les armes, quelles sont les causes sociales, quelles sont les ressources de ces mobilisations, les répertoires d'action sur lesquels ils s'appuient », l'histoire de l'Etat-nation en Turquie, « Il faut commencer par le génocide des Arméniens de 1915 pour comprendre la construction de l'Etat-nation turc », l'Anatolie, 11 juillet 1998 l'arrestation par des policiers en civil, les jours de torture (Un long tunnel sans fond, sans forme, sans fin), les yeux bandés, la nudité, les souffrances et les cris, « Moi, j'ai résisté par hasard », accusée d'attentat terroriste, les soins des femmes prisonnières politiques, « Si tu veux vraiment survivre en prison, il faut que tu oublies ton procès », ne pas devenir l'ombre d'un·e humain·e, la sociologie pour analyser les blessures de la société, l'écriture d'un livre sur l'antimilitarisme, « la violence crée la violence, et nous, nous voulons nous aimer », la sortie de prison, la fragilité, « Je suis fatiguée de devoir sans cesse déménager et recommencer »…

2001-2009 « le sentiment que tout est possible »

Le procès (il y a aura les multiples appels, le refus de l'Etat d'accepter les annulations de condamnation, un long acharnement contre l'autrice), des enfants des rues à la sortie de prison, la diffamation, la construction étatique de femmes « émancipées » et les autres « modèles » de la gauche sans féminisme, « le féminisme a déconstruit le regard étato-centrique. Il a élargi le champs de la science politique, en disant que le privé est politique », Amargi, « les liens invisibles entre les différentes sphères et la manière dont ces liens font système », l'esprit créatif et l'invention des manières d'attirer l'attention, les différentes formes de violences, l'imbrication des rapports sociaux, les mouvements LGBTI, la non homogénéité et l'historicité de la catégorie « femme », le refus de hiérarchiser les dominations et les luttes, le « féminisme acrobatique », s'apprendre à travers le conflit, la philosophie et la politique de liberté, transformer la ville et transformer la vie, une coopérative, Istanbul en mégapole, « C'est un monde fait d'individus capturés nus, moulés dans des identités inventées, isolés, aliénés, rejetés et pourtant intolérants », le déni du génocide arménien, Hrant Dink, un nouvel antimilitarisme, « Je n'ai pas de priorité en termes de luttes, mais je choisis avec qui et comment je veux lutter ». Je souligne les pages sur les engagements, le choix de la non-violence, « il faut aussi apprendre à créer autre chose »…

De 2009 à aujourd'hui « Créer d'autres pays au-dessus des frontières »

Il faut partir sans attendre, Berlin, l'exil, la perte des repères, les langues, le jardin de l'Exil, « Cette petite expérience de vertige et de nausée illustre assez bien la psychologie de l'exil », l'écriture d'un roman contre la prison invisible, Strasbourg, Lyon, le partage amoureux et mon Fou, la revue Silence, « l'union du féminisme, de la non-violence et de l'écologie sociale », l'oeil ouvert, les danses avec les manières de dire les choses, Nice, vivre et s'engager, des espaces de pensées autonomes, le GRAF, les dynamiques collectives inédites, continuer à ouvrir des chemins…

Comme l'a si bien écrit Mahmoud Darwich « Nous souffrons d'un mal incurable : l'espoir ».

Le titre de la postface, « la bonheur est possible », dit bien cette chaleur de l'engagement, des mots, des partages de Pinar Selek. Il faut réfléchir sur les racines sociales de la tristesse du monde, réfléchir et agir et imaginer « en choeur », penser au rhinocéros…

« Dans ces chemins de l'espoir, on fait des rencontres magiques, on tisse des amitiés profondes, on apprend à partager, à aimer, à voyager »
Lien : https://entreleslignesentrel..
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Dialogues dévorés en deux jours, comme pour rattraper le temps perdu, comme pour m'excuser de n'avoir pas pris connaissance des combats menés par Pinar Selek, surnommée affectueusement « L'insolente » .

Insolente, cette sociologue et écrivaine turque l'est dans sa façon de bouger les lignes de la société. Mais elle l'est encore davantage aux yeux des gouvernements turcs qui se succèdent.

Tour à tour acquittée, puis recherchée par l'état turc, elle est accusée de terrorisme en lien avec le PKK depuis plus de 20 ans.

Pourtant, elle n'a fait que donner sa voix, son temps, son énergie à tous ceux que la société écrase ou domine : homosexuels, femmes, enfants des rues, prostitués…

Torturée, emprisonnée puis contrainte à l'exil, elle a décidé d'être utile partout où elle se trouvait. Une manière de ne pas s'enfoncer dans le rôle piégeux de l'exilé.e.

Pour elle, tous ses combats n'en sont en réalité qu'un seul. Ainsi, féminisme et écologie se rejoignent particulièrement (pour ne citer que ces deux-là) « Dans le système patriarcal, tous les êtres dominés sont assimilés à la nature et tout ce qui se rapporte à la nature se dote de caractéristiques féminines ».

Engagée dans l'université française, malgré un attrait plus prononcé pour les pratiques de terrain, elle écrit aujourd'hui ses analyses en français et ses récits en turc. Car, comme elle l'évoque si poétiquement « la langue de la science et celle de la littérature sont séparées » / « Mon coeur n'a pas appris à parler français ».

Aujourd'hui encore, plus que jamais, Pinar Selek a besoin de visibilité, que lui offrent les comités, les associations ou la revue Silence, alliée dans ce projet d'entretien.

En lisant ces dialogues, vous ouvrirez de nombreuses portes : la première sur une femme incroyable, la seconde sur un labyrinthe de voix et d'associations portant la voix des opprimé.es en France et partout dans le monde.

Lien : https://litteralfr.webnode.f..
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Je viens de terminer "la maison du Bosphore" de la même auteure - livre qui m'a énormément plu - et j'ai enchaîné sur la lecture de ces dialogues particulièrement "nourrissants". Pinar Selek est une belle personne et c'est vraiment passionnant de découvrir quelle a été son existence jusqu'à présent : sa soif de vivre, sa passion pour soutenir les minorités opprimées, sa recherche inconditionnelle de la justice, son courage face à la répression sauvage dont elle a été victime dans son pays d'origine, la Turquie. Pinar Selek ne se présente pas comme une victime et passe fort peu de temps à évoquer les tourments incessants qui ont marqué sa vie militante. Certes elle évoque les tourments de l'exil, mais ne s'apitoie aucunement sur son sort. Elle préfère parler de toutes celles et tous ceux qui l'ont aidée. En lisant ces pages on ressent une énergie formidable, et l'envie de suivre modestement ses traces. Son combat contre le nationalisme, le militarisme et la toute puissance du patriarcat est remarquable. Ne vous contentez pas de lire ses romans, parcourez aussi cette biographie, remarquable travail de Guillaume Gamblin.
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Quelle femme: sociologue, auteure, féministe, antimilitariste, engagée, humaniste... un sacré parcours de vie. Si ce livre se lit comme un roman, nous sommes loin de la fiction. A lire et à lire aussi les romans de Pinar Selek.
Lien : https://www.conseilslittéraire..
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Je me suis trouvée au milieu de la mer avec le gouvernail dans la main et la voile dans l'autre, et j'ai vécu une révélation. J'ai compris que quand je vais dans une direction avec un moteur, j'y vais facilement en orientant le bateau. Avec des rames, j'y vais avec difficulté mais je peux suivre facilement le cap. Mais si je suis sur un voilier, je ne peux pas suivre ma direction toute seule. Je dois tenir compte du vent.
C'est la même chose pour une transformation sociale : si tu veux transformer la société, tu dois faire avec le mouvement de la société. Comment puis-je aller dans ma direction lorsque le vent souffle dans une autre direction ? Je dois faire des mathématiques, calculer le bon angle pour ma voile. Si je calcule bien l'angle, le vent qui souffle dans la direction opposée peut m'amener dans la direction que je veux. Je peux utiliser la force contraire du vent.
Ce monsieur m'avait appris cela lorsque j'étais enfant. (l'insolente, page 139)
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La civilisation ne fonctionne-t-elle pas avec un postulat de rationalité qui lui donnerait la légitimité de remettre en "ordre" tout ce qui serait chaotique, marginal et extérieur à elle-même? La domination de l'Occident sur l'Orient, l'esclavage des Noir.es, l'intervention dans les cultures dites "primitives", le contrôle de la folie, la contrainte à l'hétérosexualité, l'exclusion des enfants de toutes sortes de décisions, l'exploitation des pauvres, tout cela ne se nourrit-il pas de cette idéologie ? Alors pourquoi tracer des limites sur les priorités ?
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Vous allez voir, je suis un tout petit point dans un grand tableau, avec tous ses contrastes, qui abrite des mondes différents et des dynamiques contradictoires
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Concentré sur l’injustice dont il fait l’objet, le groupe opprimé légitime ses propres actes. Quiconque adopte une identité de victime se projette dans un statut d’innocent pour l’éternité.
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J’ai choisi ce sujet parce qu’il y avait une guerre en Turquie, et qu’il était anormal que les sociologues ne pensent pas le pourquoi de cette guerre, comment ça se passe, pourquoi les gens prennent les armes, quelles sont les causes sociales, quelles sont les ressources de ces mobilisations, les répertoires d’action sur lesquels ils s’appuient
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