Un auteur formidable que j'apprécie à chaque nouvelle lecture d'un de ses romans.
J'apprécie le souffle épique et tragique de ses histoires, son lyrisme aride et maîtrisé, son style sobre, et par-dessus tout cela, son regard plein d'humanité.
C'est un court roman que cet «
Eldorado ». Les chapitres aussi sont courts mais percutants.
Je l'ai lu quasiment d'une seule traite. Et j'ai été saisi par la puissance de ce récit.
Il raconte deux histoires parallèles, qui auront une brève et surprenante jonction, chargée de sens. Et la maîtrise de
Laurent Gaudé, que j'ai déjà appréciée dans d'autres romans, comme
Écoutez nos défaites, fait qu'il n'y a aucune difficulté à suivre ces deux récits.
L'
Eldorado, c'est le rêve de l'Europe et de toutes ses richesses qui anime ces migrantes et migrants, et qui, pour ce rêve, risquent leur vie; mais qui sont aussi les victimes de la cupidité, de la traîtrise des passeurs et des marchands de chair humaine qui les dirigent.
Dans ce livre, et tel que je l'ai ressenti, l'
Eldorado, c'est peut-être aussi la recherche de quelque chose d'encore plus précieux, le sens de sa vie, la quête de sa dignité d'être humain.
L'un des histoires est celle du commandant Salvatore Piracci qui, depuis 20 ans, fait partie des marins italiens qui contrôlent les navires susceptibles de transporter des migrants illégaux, marins qui sont amenés très souvent à porter secours à celles et ceux dont le navire a, par exemple, été abandonné par les passeurs, ou qui se retrouvent à dériver dans des embarcations de fortune.
C'est une femme, dont le tout jeune enfant est mort de déshydratation sur un bateau abandonné et qu'elle a été contrainte d'accepter qu'il soit jeté à la mer, qui sera celle qui lui fera prendre conscience de l'absurdité et de l'inhumanité de son travail. La rencontrant deux ans plus tard, elle lui demandera de lui fournir une arme pour tuer l'un des chefs de l'organisation mafieuse qui pratique cette traite d'êtres humains.
A partir de là, les doutes et les remords de cet homme le conduiront à un long parcours initiatique, bouleversant et désespéré, qu'il vous faut découvrir, je n'en dis pas plus.
L'autre récit est le périple de Soleiman, jeune homme de vingt-cinq ans qui projette de quitter son pays, sans doute l'Egypte, avec son grand frère Jamal, pour rejoindre l'Europe en passant par la Libye.
Un voyage que Jamal ne pourra entreprendre pour cause de maladie, un voyage fait d'innombrables souffrances, de violence et de traîtrise des passeurs, mais fait aussi de l'amitié d'un autre migrant plus âgé, Boubakar, qui soutiendra Soleiman. Un périple qui lui fera rencontrer Salvatore Piracci comme une sorte d'envoyé divin.
Ces deux récits, l'un vers l'espoir d'une vie meilleure, l'autre vers la vérité de l'être, sont d'une force incroyable. Je retrouve à nouveau chez
Laurent Gaudé l'art de donner à ces histoires très dures la dimension mythique d'une tragédie grecque, en évitant absolument la sentimentalité, la bien-pensance.
Bref, une fois de plus, coup de coeur pour la rude beauté d'un autre roman de
Laurent Gaudé.