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EAN : 9782905964618
189 pages
Ombres (25/11/1998)
3.85/5   42 notes
Résumé :
Quelques accords furent plaqués de manière à commander l'attention et éveiller la curiosité de l'âme.
Guy regarda vers le piano, et peu à peu s'ébaucha dans une vapeur lumineuse l'ombre charmante d'une jeune fille. L'image était d'abord si transparente, que les objets placés derrière elle se dessinaient à travers les contours, comme on voit le fond d'un lac à travers une eau limpide. Sans prendre aucune matérialité, elle se condensa ensuite suffisamment pour ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Spirite est une longue nouvelle écrite dans un style ronflant, baroque et finalement lourd, comme on en rencontre parfois dans la littérature du XIXème siècle.
Un dandy parisien, Guy de Malivert, est soudain abordé par un esprit, alias Spirite, " l'âme " d'une pauvre vierge éperdument amoureuse dudit Guy et qui s'est laissée mourir car croyant son idole amoureux d'une autre.
La pauvre petite était un canon de beauté mais s'est retirée dans un couvent sans même avoir jamais connu ni l'amour ni les plaisirs de la vie.
Elle revient donc en esprit conquérir son hidalgo pour lui faire connaître son merveilleux paradis.
Bref, du cul-cul à souhaits, de bons gros clichés du romantisme et du gothique à la pelle. À oublier assez vite à moins d'aimer vraiment les violons qui couinent ou d'avoir quatorze ans et toute sa naïveté (en outre comme l'a si bien énoncé Montherlant dans La Reine Morte : « Je hais le vice et le crime. Mais, en regard de la naïveté, je crois que je préfère encore le vice et le crime. »).
En somme, une fois encore, vous me direz : " Ceci n'est que votre avis, c'est-à-dire, pas grand-chose ". Et vous aurez raison...
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Plusieurs présages semblent conseiller à Guy de Malivert de se détourner de Mme d'Ymbercourt.
Bien qu'elle soit d'une beauté conforme aux standards, d'une réputation intacte et d'une fortune considérable, bien que leur entourage commun les perçoit comme officieusement mariés, aucune passion n'anime le coeur impassible de Guy envers elle.

Ce jeune homme beau, élégant et riche dédaigne les mondanités et ne privilégie que son confort et sa tranquillité ; reclus dans une paisible et inoffensive misanthropie, il flâne et laisse l'oisiveté inspirer sa vie.

Guy fréquente néanmoins assidument les salons de Mme d'Ymbercourt, comme par une sorte d'obligation ou de contrainte naturelle, mené par la force de ses mauvaises habitudes ; il y participe sans réelle conviction, tout en restant trop attaché à la bienséance pour décliner les invitations.

Cependant, un soir, il compose avec une étonnante spontanéité une lettre à Mme d'Ymbercourt, où il exprime clairement sa lassitude des jeux de salons et représentations fades.
Il est d'une telle franchise dans ses propos, d'un tel aplomb qu'il lui paraît improbable d'en être l'auteur : quelque chose de supérieur lui aurait dicté ces mots et bien qu'il rétracte l'envoi de sa lettre, il en reste boulversé.

D'ailleurs, chaque fois qu'il pénétrait chez Mme d'Ymbercourt, il percevait systématiquement des soupirs et des avertissements brefs d'origine mystérieuse.

L'un de ses amis eut même une attitude étonnante de prophète, l'avertissant plus explicitement : il ne devrait pas s'engager en amour, du moins, pas dans ce monde terrestre, et patienter pour un signe venant de l'extra-monde « Les esprits ont l'oeil sur vous, » lui dit-il.

Déboussolé, se recentrant chez lui, Guy contemplait d'un air distrait son miroir, comme pour mieux sonder ses propres énigmes lorsqu'il fut soudainement intrigué par une seconde silhouette qui se dessinait.
Une forme féminine éthérée apparut dont les contours se précisaient progressivement : était-ce le fruit de son délire, d'une imagination déséquilibrée ?

Il l'ignorait, mais se sentait captivé, happé et déjà envoûté par cette entité qu'il nomma « Spirite ».

Poussé par la curiosité d'un homme qui n'a plus rien à perdre, l'appel de cet « extra-monde » lui paraissait infiniment plus fascinant que le monde visible, qu'importe même que cet inconnu soit périlleux pourvu qu'il puisse se détacher de sa somnolente routine qui ne l'inspire plus.

Submergé par toute cette soudaine volupté ésotérique, Guy cherche à apaiser ses émotions tumultueuses en allant parcourir le bois de Boulogne en hiver, contemplant depuis son fiacre transformé en traineau le « bal masqué de la glace », le ballet des patineurs.
Mais où qu'il soit, il ne cesse d'être tourmenté par Spirite, qui elle aussi se promène dans un fiacre élégant conduit par un cocher. Reconnaissant vaguement ses traits, il se lance dans une course effrénée pour la rattraper, mais l'attelage de la mystérieuse dame s'estompe soudainement, laissant Guy suspendu entre la confusion et l'émerveillement.

Mme d'Ymbercourt, également présente dans le parc, s'est sentie trahie et blessée après avoir observé cette folle poursuite sur la neige.
Spirite s'est malicieusement débarrassée de son ennemie terrestre ; elle peut dorénavant se confier sereinement : elle expose ses mémoires à Guy qui retranscrit ses pensées par la plume dans une lettre.

Spirite, une jeune fille d'une beauté innocente et en quête d'un idéal romantique, avait souvent croisé le regard de Guy ; elle l'admirait depuis son enfance, se délectait de ses écrits, de ses aventures lointaines et de tout ce qui se disait sur lui.
Elle le voyait fréquemment, bien que toujours de façon éphémère, que ce soit au théâtre, au bois de Boulogne ou à l'opéra.
Leur interaction demeurait pourtant trop lointaine et jamais elle n'était reconnue : Guy, absorbé et nonchalant, préférait les discussions avec ses amis plutôt qu'aller valser avec des inconnues.

L'étrange chagrin qu'éprouve Spirite face à cet homme fatalement inaccessible, avec qui elle n'a jamais échangé un seul mot, ne fait que s'approfondir… Chaque tentative infructueuse la laisse plus frustrée, la menant ainsi à se sentir entièrement abandonnée, isolée et incomprise.

Après une éducation au couvent, Spirite, à 18 ans, s'était lancée avec engouement dans l'aventure des bals et salons parisiens, mais n'y avait rencontré qu'une profonde déception envers l'être qu'elle désirait.
Ainsi, faute de reconnaissance dans la sphère parisienne, le retour au bercail par une dévotion s'imposait à elle comme unique refuge.

Elle se cloître ainsi spontanément dans un austère couvent, dépouillé de toute singularité et de vie, où son sacrifice et son renoncement à toutes voluptés terrestres sont symbolisés par une scène où des soeurs lui coupent les cheveux.

Résignée et affaiblie par la rigueur de la vie claustrale, Spirite se rapproche avec curiosité de la mort qu'elle perçoit comme une simple transition, une renaissance d'espoirs nouveaux vers l'au-delà.

Désormais débarrassée de sa carcasse terrestre et infiniment libre, Spirite, sous sa forme métaphysique, explore les confins de l'univers avant d'épier la Terre pour sonder les profondeurs de l'âme de Guy.
Constatant qu'il n'aimait personne, elle voulut se l'accaparer depuis l'au-delà : d'abord par des signes perturbants, ensuite par une apparition, et enfin par une présence constante.

Obnubilé et émerveillé par cette femme qui a tout sacrifié pour lui, Guy renie peu à peu son monde et voue son âme à la sienne.

Sous l'influence envoûtante de Spirite, chaque instant s'embellit, est magnifié : Guy, noyé dans une ferme solitude féérique, entreprend un long voyage en Grèce, se perd dans la contemplation méditative de chaque site ; ses regards plein de rêveries, animés par un amour extatique et une curiosité insatiable pour les mystères que recèlent les panoramas terrestres.

Surpris et tué par des bandits lors de son périple, il décède, mais sa mort se transforme en libération spectaculaire.
Son essence métaphysique, d'une blancheur éblouissante, se détache de son corps, et cette apparition soudaine effraie les bandits ainsi que le guide qui accompagnait Guy.
Dans une acceptation sereine de cette mort inattendue, Guy s'unit immédiatement avec l'âme de Spirite, leurs essences se mêlant en une harmonie parfaite :

« Au centre d'une effervescence de lumière qui semblait partir du fond de l'infini, deux points d'une intensité de splendeur plus grande encore, pareils à des diamants dans de la flamme, scintillaient, palpitaient et s'approchaient, prenant l'apparence de Malivert et de Spirite.
Ils volaient l'un près de l'autre, dans une joie céleste et radieuse, se caressant du bout de leurs ailes, se lutinant avec de divines agaceries. »

Toutes les descriptions sont précisément peintes avec grâce, romantisme et harmonie : de la sphère parisienne, des boulevards parisiens et du Bois de Boulogne enneigés, aux apparitions mystiques de l'extra-monde, jusqu'aux subtiles sensations de l'au-delà lui-même.

Le monde réel et imaginaire finissent par se confondre : Guy voit ainsi notamment le Parthénon sous sa splendeur originelle, avant de s'élancer définitivement vers l'au-delà sans le vouloir mais en accueillant cette transition d'une joie sereine.

J'ai beaucoup apprécié ce roman dangereux et envoutant : un danger séduisant, une tentation nous aspirant vers des sphères inconnues, à nous déraciner lentement et inconsciemment au risque de mourir nous même, lecteurs, comme le personnage principal.

C'est une sorte d'autobiographie spirituelle où Gautier nous confie sa lassitude quant aux voluptés terrestres, sa soif de l'inconnu et de l'au-delà, ainsi que sa quête d'un amour pur qu'il regrette de ne pas avoir lui-même rencontré.
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"Spirite", ou "Spirit" à l'origine, est l'histoire d'un amour d'outre-tombe comme Gautier en a tant écrit. Ce thème se rencontre souvent dans ses contes marqués par le Romantisme : deux amants parviennent à s'aimer par-delà des obstacles infranchissables du temps et de la mort. Si la trame du récit de cette longue nouvelle n'étonnera pas un lecteur de Gautier, les splendeurs du style, en revanche, arrêteront son attention. D'une part, le texte est plus long que celui d'Arria Marcella, par exemple, ou de La Morte Amoureuse : l'art verbal prodigieux de Gautier trouve plus d'espace pour se faire admirer. On est plus près de la poésie descriptive que de la prose narrative, et les pages de Gautier pourraient se diviser facilement en morceaux, comme des poèmes en prose de son contemporain, admirateur et quasi-disciple Baudelaire. Son style ne paraîtra "ronflant" qu'à des lecteurs habitués aux misères de la prose française d'aujourd'hui, où la pauvreté, l'ignorance linguistique, voire le ressentiment contre la beauté de la langue, passent pour de la sobriété. Un tel lecteur, déshabitué du luxe littéraire et de la jouissance des images, risque de prendre ces qualités pour de l'emphase. Malgré tout ce qui les sépare, on rappellera la dédicace des Fleurs du Mal à Théophile Gautier : "Au poète impeccable, au parfait magicien ès lettres françaises, à mon très cher et très vénéré maître et ami Théophile Gautier, ... je dédie ces fleurs maladives".
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En deux mots : fantastique et romantisme. Personnellement, je trouve l'écriture de Théophile Gautier sensationnelle. Dans ''Spirite'', un de ses romans peu connu, elle atteint parfois des sommets d'ingéniosité et de poésie. Il y fait une impressionnante description de l'au-delà. C'est une histoire assez simple et tranquille, n'allez pas y chercher beaucoup d'action. Mais quel talent, j'admire !
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Théophile Gautier (1811-1872) est un poète, romancier, peintre et critique d'art. Partisan du romantisme, populaire par ses romans historiques (Capitaine Fracasse), il devient l'un des théoriciens de « l'art pour l'art » et l'un des maîtres de l'école parnassienne qui défendait cette thèse. Spirite est un roman fantastique, d'abord publié en feuilleton en 1865 puis en volume en 1866.
Guy de Malivert est un jeune homme aisé, célibataire mais très sage. Les salons et la bonne société parisienne l'ont marié par avance à la comtesse Cécile d'Ymbercourt, une jeune veuve « assez belle, assez riche, assez à la mode » et celle-ci sensible au charme de Guy tout en ayant eu écho de la rumeur attend en vain une demande officielle. Las, si notre Guy aime se rendre à ses invitations, il n'en est pas amoureux. Un soir se décidant à lui écrire un billet d'excuse pour ne pas venir la voir, sa main prise de fourmillements, écrit un texte qu'il découvre au fil de sa plume tandis qu'un soupir souffle à son oreille. Un membre de son club, le baron de Féroë, « homme à la mode, il vivait d'une façon mystérieuse », va à demi-mots, conseiller Malivert, lui rappelant souvent « que les esprits ont l'oeil sur vous ».
Roman d'amour mais d'un amour étrange puisque Guy est la « victime » d'une passion folle nourrie pour lui par une très jeune fille décédée et décidée. Par ses manoeuvres elle tente d'éloigner la comtesse d'Ymbercourt des pensées du jeune homme et de se rapprocher pour se faire aimer, du jeune homme.
Comme vous ne lirez pas ce livre j'en révèle l'épilogue (il est encore temps de partir… ?) : la morte va parvenir à ses fins et Guy en être très amoureux mais comment unir un vivant et un esprit ? le suicide, envisagé, ne réglerait pas le problème, au contraire. Finalement, une rencontre malheureuse et mortelle avec des brigands lors d'un voyage en Grèce va apporter la délivrance à Guy, les tourtereaux « heureux à jamais ; leurs âmes réunies forment un ange d'amour. »
Dans le genre c'est pas mal, de belles phrases longues en bouche, seul bémol hélas, la jeune morte devra s'identifier auprès de Guy, expliquer d'où elle tient son amour pour lui et sa propre vie d'humaine, et ce sont de trop longues pages qui n'en finissent plus, le problème avec les romans d'alors ayant débuté par être des feuilletons.
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Guy de Malivert put enfin voir, délimitée par la bordure de la glace comme un portrait par son cadre, une tête de jeune femme, ou plutôt de jeune fille, d’une beauté dont la beauté mortelle n’est que l’ombre.

Une pâleur rosée légèrement colorait cette tête où les ombres et les lumières étaient à peine sensibles, et qui n’avait pas besoin, comme les figures terrestres, de ce contraste pour se modeler, n’étant pas soumise au jour qui nous éclaire.
Ses cheveux, d’une teinte d’auréole, estompaient comme une fumée d’or le contour de son front.
Dans ses yeux à demi baissés nageaient des prunelles d’un bleu nocturne, d’une douceur infinie, et rappelant ces places du ciel qu’au crépuscule envahissent les violettes du soir.
Son nez fin et mince était d’une idéale délicatesse ; un sourire à la Léonard de Vinci, avec plus de tendresse et moins d’ironie, faisait prendre aux lèvres des sinuosités adorables : le col flexible, un peu ployé sur la tête, s’inclinait en avant et se perdait dans une demi-teinte argentée qui eût pu servir de lumière à une autre figure.

Cette faible esquisse, faite nécessairement avec des paroles créées pour rendre les choses de notre monde, ne saurait donner qu’une idée bien vague de l’apparition que Guy de Malivert contemplait dans le miroir de Venise. La voyait-il de l’œil charnel ou de l’œil de l’âme ?
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La tache lumineuse du miroir commençait à se dessiner d’une façon plus distincte et à se teindre de couleurs légères, immatérielles pour ainsi dire, et qui auraient fait paraître terreux les tons de la plus fraîche palette. C’était plutôt l’idée d’une couleur que la couleur elle-même, une vapeur traversée de lumière et si délicatement nuancée que tous les mots humains ne sauraient la rendre. Guy regardait toujours, en proie à l’émotion la plus anxieusement nerveuse. L’image se condensait de plus en plus sans atteindre pourtant la précision grossière de la réalité, et Guy de Malivert put enfin voir, délimitée par la bordure de la glace comme un portrait par son cadre, une tête de jeune femme, ou plutôt de jeune fille, d’une beauté dont la beauté mortelle n’est que l’ombre.

Une pâleur rosée légèrement colorait cette tête où les ombres et les lumières étaient à peine sensibles, et qui n’avait pas besoin, comme les figures terrestres, de ce contraste pour se modeler, n’étant pas soumise au jour qui nous éclaire. Ses cheveux, d’une teinte d’auréole, estompaient comme une fumée d’or le contour de son front. Dans ses yeux à demi baissés nageaient des prunelles d’un bleu nocturne, d’une douceur infinie, et rappelant ces places du ciel qu’au crépuscule envahissent les violettes du soir.

C’était donc la forme sous laquelle désirait se montrer Spirite, car Guy de Malivert, ne sachant comment se désigner à lui-même l’apparition entrevue dans la glace, l’avait baptisée ainsi en attendant qu’il sût quelle désignation lui convenait mieux. Il lui sembla bientôt que l’image se décolorait et s’évanouissait dans les profondeurs du miroir ; elle n’y paraissait plus que comme la vapeur légère d’un souffle, et puis cette vapeur même s’effaça. La fin de l’apparition fut marquée par le reflet subit d’un cadre doré suspendu sur la muraille opposée ; le miroir avait repris sa propriété réflective.

Le baron de Féroë avait raison, c’est une chose formidable que de franchir vivant les barrières de la vie et de s’aventurer, corps opaque, parmi les ombres, sans avoir à la main le rameau d’or qui commande aux fantômes.

(...)

Puis vint la scène la plus redoutée et la plus lugubre de ce drame religieux : le moment où l’on coupe les cheveux à la nouvelle sœur, vanité désormais inutile. Cela rappelle la toilette du condamné. Seulement la victime est innocente ou tout au moins purifiée par le repentir. Quoique j’eusse bien sincèrement et du fond du cœur fait le sacrifice de toute attache humaine, une blancheur de mort couvrit mon visage lorsque l’acier des ciseaux grinça dans ma longue chevelure blonde étalée que soutenait une religieuse. Les boucles d’or tombaient à flocons épais sur les dalles de la sacristie où l’on m’avait emmenée, et je les regardais d’un œil fixe pleuvoir autour de moi. J’étais atterrée et pénétrée d’une secrète horreur. Le froid du métal, en m’effleurant la nuque, me faisait tressaillir nerveusement comme au contact d’une hache. Mes dents claquaient, et la prière que j’essayais de dire ne pouvait parvenir à mes lèvres. Des sueurs glaciales comme celles de l’agonie baignaient mes tempes. Ma vue se troublait, et la lampe suspendue devant l’autel de la Vierge me semblait s’éteindre dans un brouillard. Mes genoux se dérobèrent sous moi, et je n’eus que le temps de dire, en étendant les bras comme pour me raccrocher au vide : « Je me meurs. »

Mes forces décroissaient visiblement, et ces remèdes qu’on apportait à mon mal pouvaient diminuer ma souffrance, mais non me guérir. Je ne le souhaitais pas d’ailleurs, car j’avais par delà cette vie un espoir longtemps caressé, et dont la réalisation possible m’inspirait une sorte de curiosité d’outre-tombe. Mon passage de ce monde dans l’autre se fit de la manière la plus douce. Tous les liens de l’esprit et de la matière étaient brisés, excepté un fil plus ténu mille fois que ces fils de la Vierge qui flottent dans les airs par les beaux jours d’automne, et qui seul retenait mon âme, prête à ouvrir ses ailes au souffle de l’infini. Des alternatives de lumière et d’ombre, pareilles à ces lueurs intermittentes que jette une veilleuse avant d’expirer, palpitaient devant mes yeux déjà troubles. Les prières que les sœurs agenouillées murmuraient auprès de moi et auxquelles je m’efforçais de me joindre mentalement ne m’arrivaient que comme des bourdonnements confus, des rumeurs vagues et lointaines. Mes sens amortis ne percevaient plus rien de la terre, et ma pensée, abandonnant mon cerveau, voltigeait incertaine, dans un rêve bizarre, entre le monde matériel et le monde immatériel, n’appartenant plus à l’un et n’étant pas encore à l’autre, pendant que machinalement mes doigts pâles comme de l’ivoire froissaient et ramenaient les plis du drap. Enfin mon agonie commença et on m’étendit à terre, un sac de cendre sous la tête, pour mourir dans l’humble attitude qui convient à une pauvre servante de Dieu rendant sa poussière à la poussière. L’air me manquait de plus en plus ; j’étouffais ; un sentiment d’angoisse extraordinaire me serrait la poitrine : l’instinct de la nature luttait encore contre la destruction : mais bientôt cette lutte inutile cessa, et dans un faible soupir mon âme s’exhala de mes lèvres.

Des mots humains ne peuvent rendre la sensation d’une âme qui, délivrée de sa prison corporelle, passe de cette vie dans l’autre, du temps dans l’éternité et du fini dans l’infini. Mon corps immobile et déjà revêtu de cette blancheur mate, livrée de la mort, gisait sur sa couche funèbre, entouré des religieuses en prière, et j’en étais aussi détachée que le papillon peut l’être de la chrysalide, coque vide, dépouille informe qu’il abandonne pour ouvrir ses jeunes ailes à la lumière inconnue et soudainement révélée. À une intermittence d’ombre profonde avait succédé un éblouissement de splendeurs, un élargissement d’horizons, une disparition de toute limite et de tout obstacle, qui m’enivraient d’une joie indicible. Des explosions de sens nouveaux me faisaient comprendre les mystères impénétrables à la pensée et aux organes terrestres. Débarrassée de cette argile soumise aux lois de la pesanteur, qui m’alourdissait naguère encore, je m’élançais avec une alacrité folle dans l’insondable éther. Les distances n’existaient plus pour moi, et mon simple désir me rendait présente où je voulais être. Je traçais de grands cercles d’un vol plus rapide que la lumière à travers l’azur vague des espaces, comme pour prendre possession de l’immensité, me croisant avec des essaims d’âmes et d’esprits.

Une lumière fourmillante, brillant comme une poussière diamantée, formait l’atmosphère ; chaque grain de cette poussière étincelante, comme je m’en aperçus bientôt, était une âme. Il s’y dessinait des courants, des remous, des ondulations, des moires comme dans cette poudre impalpable qu’on étend sur les tables d’harmonie pour étudier les vibrations sonores, et tous ces mouvements causaient dans la splendeur des recrudescences d’éclat. Les nombres que les mathématiques peuvent fournir au calcul se plongeant dans les profondeurs de l’infini ne sauraient, avec leurs millions de zéros ajoutant leur énorme puissance au chiffre initial, donner une idée même approximative de l’effrayante multitude d’âmes qui composent cette lumière différente de la lumière matérielle autant que le jour diffère de la nuit.

Aux âmes ayant déjà passé par les épreuves de la vie, depuis la création de notre monde et celle des autres univers, se joignaient les âmes en expectative, les âmes vierges, qui attendaient leur tour de s’incarner dans un corps, sur une planète d’un système quelconque. Il y en avait assez pour peupler pendant des milliards d’années tous ces univers, expiration de Dieu, qu’il doit résorber en ramenant à lui son souffle quand l’ennui de son œuvre le prendra. Ces âmes, quoique dissemblables d’essence et d’aspect, selon le monde qu’elles devaient habiter, malgré l’infinie variété de leurs types, rappelaient toutes le type divin, et étaient faites à l’image de leur créateur. Elles avaient pour monade constitutive l’étincelle céleste.

Avec un harmonieux ronflement, puissant comme le tonnerre et doux comme la flûte, notre monde, entraîné par son astre central, circulait lentement dans l’espace, et j’embrassais d’un seul regard les planètes, depuis Mercure jusqu’à Neptune, décrivant leurs ellipses, accompagnées de leurs satellites. Une intuition rapide me révélait les noms dont les nomme le ciel. Je connaissais leur structure, leur pensée, leur but ; aucun secret de leur vie prodigieuse ne m’était caché. Je lisais à livre ouvert dans ce poème de Dieu qui a pour lettres des soleils.
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La voie lactée ruisselait sur le ciel, fleuve de soleils en fusion.
Les étoiles que je voyais sous leur forme et leur grandeur véritables, dans leur énormité dont l’imagination de l’homme ne saurait se faire aucune idée, scintillaient avec des flamboiements immenses et farouches ; derrière celles-là et entre leurs interstices, à des profondeurs de plus en plus vertigineuses, j’en apercevais d’autres et d’autres encore, de sorte que le fond du firmament n’apparaissait nulle part et que j’aurais pu me croire enfermée au centre d’une prodigieuse sphère toute constellée d’astres à l’intérieur.

Leurs lumières blanches, jaunes, bleues, vertes, rouges, atteignaient des intensités et des éclats à faire paraître noire la clarté de notre soleil, mais que les yeux de mon âme supportaient sans peine.

J’allais, je venais, montant, descendant, parcourant en une seconde des millions de lieues à travers des lueurs d’aurores, des reflets d’iris, des irradiations d’or et d’argent, des phosphorescences diamantées, des élancements stellaires, dans toutes les magnificences, toutes les béatitudes et tous les ravissements de la lumière divine.

J’entendais la musique des sphères dont un écho parvint à l’oreille de Pythagore ; les nombres mystérieux, pivots de l’univers, en marquaient le rythme.

Avec un harmonieux ronflement, puissant comme le tonnerre et doux comme la flûte, notre monde, entraîné par son astre central, circulait lentement dans l’espace, et j’embrassais d’un seul regard les planètes, depuis Mercure jusqu’à Neptune, décrivant leurs ellipses, accompagnées de leurs satellites.

Une intuition rapide me révélait les noms dont les nomme le ciel.
Je connaissais leur structure, leur pensée, leur but ; aucun secret de leur vie prodigieuse ne m’était caché.
Je lisais à livre ouvert dans ce poème de Dieu qui a pour lettres des soleils.

Que ne m’est-il permis de vous en expliquer quelques pages ! Mais vous vivez encore parmi les ténèbres inférieures, et vos yeux s’aveugleraient à ces clartés fulgurantes.
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Des mots humains ne peuvent rendre la sensation d'une âme qui, délivrée de sa prison corporelle, passe de cette vie dans l'autre, du temps dans l'éternité et du fini dans l'infini. Mon corps immobile et déjà revêtu de cette blancheur mate, livrée de la mort, gisait sur sa couche funèbre, entouré des religieuses en prière, et j'en étais aussi détachée que le papillon peut l'être de la chrysalide, coque vide, dépouille informe qu'il abandonne pour ouvrir ses jeunes ailes à la lumière inconnue et soudainement révélée. A une intermittence d'ombre profonde avait succédé un éblouissement de splendeurs, un élargissement d'horizons, une disparition de toute limite et de tout obstacle, qui m'enivraient d'une joie indicible.
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Il déjeuna bien et délicatement, en homme qui veut réparer une veille fatigante, et il causa gaiement avec des compagnons joyeux, la fine fleur de l’esprit et du scepticisme parisien, et qui avaient adopté pour devise la maxime grecque : « Souviens-toi de ne pas croire. »

Pourtant, aux plaisanteries par trop vives, Guy souriait d’un air un peu contraint. Il ne s’abandonnait pas avec une pleine franchise aux paradoxes d’incrédulité et aux fanfaronnades de cynisme.

La phrase du baron de Féroë : « Les esprits ont l’œil sur vous, » lui revenait involontairement, et il lui semblait qu’il y avait derrière lui un témoin d’une nature mystérieuse.
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Videos de Théophile Gautier (25) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Théophile Gautier
En 1834, Balzac imagine et commande une canne somptueuse à l'orfèvre parisien le Cointe. La « pomme » en or, finement ciselée des armoiries des Balzac d'Entraigues, qui n'ont aucun lien avec l'écrivain, est ornée d'une constellation de turquoises, offertes par sa bien-aimée Mme Hanska. Cette canne est excessive en tout, et très vite, elle fait sensation parmi journalistes et caricaturistes. C'est la signature excentrique de l'écrivain, la preuve visible et provocante de son énergie et de sa liberté, imposant sa prestance au milieu de la société des écrivains. Pour Charlotte Constant et Delphine de Girardin, amies De Balzac, la canne est investie d'un pouvoir magique…
Pour en savoir plus, rdv sur le site Les Essentiels de la BnF : https://c.bnf.fr/TRC
Crédits de la vidéo :
Direction éditoriale Armelle Pasco, cheffe du service des Éditions multimédias, BnF
Direction scientifique Jean-Didier Wagneur
Scénario, recherche iconographique et suivi de production Sophie Guindon, chargée d'édition multimédia, BnF
Réalisation Vagabondir
Enregistrement, musique et sound design Mathias Bourre et Andrea Perugini, Opixido
Voix Geert van Herwijnen
Crédits iconographiques Collections de la BnF
© Bibliothèque nationale de France
Images extérieures :
Projet d'éventail : l'apothéose De Balzac Grandville, dessinateur, entre 1835 et 1836 Maison de Balzac, BAL 1990.1 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
La canne De Balzac Orfèvre le Cointe, 1834 Maison de Balzac, BAL 186 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Sortie des ouvrières de la maison Paquin, rue de la Paix Béraud Jean (1849-1936) Localisation : Paris, musée Carnavalet, P1662 Photo © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz
La pâtisserie Gloppe, avenue des Champs-Elysées Béraud Jean (1849-1936) Localisation : Paris, musée Carnavalet, P1733 Photo © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz
Balzac à la canne Illustration pour Courtine, Balzac à table, Paris, Robert Laffont, 1976 Maison de Balzac, B2290 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Balzac, croquis d'après nature Théophile Gautier, 1830 Maison de Balzac, BAL 333 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Portrait-charge de Balzac Jean Pierre Dantan, sculpteur, 1835 Maison de Balzac, BAL 972 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Honoré de Balzac Jean-Théodore Maurisset, graveur, 1839 Maison de Balzac, BAL 252 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Balzac en canne Jean-Théodore Maurisset, graveur, 1839 Maison de Balzac, BAL 253 CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Comtesse Charlotte von Hardenberg Johann Heinrich Schroeder (Boris Wilnitsky) Droits réservés
Delphine Gay (Portrait de Delphine de Girardin) Louis Hersent, 1824 Musée de l'Histoire de France © Palais de Versailles, RF 481
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