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EAN : 9782757889350
160 pages
Points (14/01/2022)
3.84/5   87 notes
Résumé :
Une chronique de la vie de Black Manoo, un Ivoirien arrivé à Paris dans les années 1990, entre drogue, musique, amitiés et rencontres amoureuses.
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Critiques, Analyses et Avis (38) Voir plus Ajouter une critique
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Black Manoo, c'est comme un combat de boxe dans lequel s'affrontent la tendresse à l'état brut et la violence dans tous ses états.
Un crochet du gauche et v'lan j'en prend plein la figure devant le drame des sans-papiers et de la précarité de la vie sans existence officielle.
Puis un coup de poing du droit qui me balance presque avec douceur la beauté de l'amitié, de la fidélité et de la bienveillance de personnes insoupçonnées qui me font penser que l'humanité est si belle.
Et bam'... Alors que je m'étais laissé attendrir, voilà un nouveau coup qui me rappelle que la vie d'un toxico est téléguidée par la peur du manque.
Paf !... Et encore un autre coup qui dénonce la manipulation des jeunes engagés malgré eux pour défendre militairement des causes absurdes.
Bim ! Tiens, prends-ça, Croquignolle ! Toi qui n'a même jamais imaginé ce que devait être la vie d'un immigré ivoirien sans papiers posé entre Stalingrad et Belleville
Aïe... Me voilà sonnée... Je peine à reprendre mes esprits.

Mais c'est sans compter l'énergie vitale de l'humour de Gauz qui vient me revigorer et me remettre debout pour continuer jusqu'au bout cette lecture qui m'a prise aux tripes.

Gauz, par son écriture "coup de poing" comme des punchlines indispensables m'a fait sortir de ma zone de confort, m'a tendu mes gants de boxe pour que je puisse affronter à ses côtés les hasards d'une vie pas toujours heureuse mais si empreinte de tendresse.

Alors au final, qui gagne ???

Le lecteur !!!
Celui qui a eu la chance de pouvoir se plonger dans ce livre décapant, original, dépaysant, passionnant et foncièrement doux !
Même si mon voyage aux côtés de Black Manoo s'arrête là, je ne regarderai plus jamais les "Tlenteulos", La Porte de la Chapelle et les bières Tiger de la même manière.

Un grand merci aux Editions Points et à Babelio pour cette découverte inoubliable !
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Une femme floue fait l'avion par terre. Traduction : une femme pas très jolie est complètement ivre. J'ai toujours adoré la manière dont les Africains réinventent la langue française. de ces trouvailles, Black Manoo est truffé. Les agents de la RATP sont appelés les « Cetelem » parce qu'ils sont verts. Les putes chinoises qui font des passes à 30 euros sont des « tlenteulos ». On cuisine le poulet bicyclette (poulet élevé à l'air libre et non en cage) de toutes les manières mais la spécialité de Black Manoo reste le cou-cravate (cou de poulet avec une patte dedans…)
Black Manoo est une figure de la communauté africaine de Paris, là où les Ghanéens se moquent des Nigérians et réciproquement mais pourvu qu'un blanc passe par là, et la fierté noire calme les esprits batailleurs. C'est bien de se mélanger, de ne pas trop se regarder le nombril. Black Manoo leur a dit : « faut pas trop rester entre vous, sinon vous devenez cons ». Black Manoo vent de la drogue, ouvre un restaurant, fait le jardinier, pardon le paysagiste (parce que les métiers « ier », ça pue la misère). Bref, il se débrouille. Il y a les femmes qu'il séduit et celles qu'il entretient. Des femmes qui en bavent après des grossesses à répétition (« Ses années de nécessité ont enterré toute légèreté, habillé l'urgence en modèle ») mais qui ne perdent jamais leur sourire. Elles portent la culotte et le squat à bout de bras boudinés.
Entre combines et maraboutages, la vie de Black Manoo, le gentleman de Cocody, se termine dans la douleur parce que la morphine n'a pas d'effet sur les camés. le crabe l'emporte. Les lettres d'adieu à ses amis sont émouvantes, comme un dernier rappel de ces acteurs hauts en couleurs qui font la chair et le ciment de ce roman foutraque.
Bilan : 🌹
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D'Abidjan à Belleville, captures d'instants d'un invisible …

En Afrique francophone, c'est une vérité de la Palice, la Côte d'Ivoire est une terre de vibrations musicales, comme le sont à n'en point douter la plupart des pays de cette région d'Afrique. La Côte d'Ivoire a ceci de particulier qu'elle a su au fil du temps s'imposer comme un laboratoire de sonorités qui ont si bien su s'exporter depuis plusieurs décennies.

Des noms comme Pierre Amédée, Ernesto Djédjé pour les plus anciens et Bailly Spinto pour de fringants quinquagénaires ou sexagénaires sont évocateurs d'une époque qui vit éclore des chansons d'une pureté rare dans un contexte de relative aisance économique d'un pays attractif pour toute la sous-région de l'Afrique de l'Ouest. La prépondérance de la musique dans le narratif de ce pays n'ira pas s'amenuisant au fil du temps, et ce même au plus fort des périodes troubles de crise économique et d'instabilité politique.

A contrario, les ivoiriens ont toujours retrouvé dans la musique une sorte d'exutoire, de défouloir ou une forme de réceptacle de toutes leurs revendications : dans les années 90 le refrain Agnangnan scandé par le groupe de musique urbaine R.A.S., le Zouglou de paroliers comme Didier Bilé, à la fin de la décennie 90 ou au début des années 2000 avec le pied-de-nez que firent à la bien-pensance musicale les contorsions lascives des rythmes originellement traditionnelles connues dans leur évolution sous le vocable de Mapouka qui mirent en transe les jeunesses africaines à cette époque. Puis vint le célèbre mouvement coupé décalé qui faisait le panégyrique du dandy abidjanais et de la petite débrouille fort ostentatoire. La musique a toujours fait écho à l'histoire très mouvementée du pays.

Au milieu des années 80, un chanteur , Gun Morgan, défraie la chronique par son jeu de scène, l'introduction des sons Funky dans ses chansons et la mise en scène de sa famille, sa femme, son fils et sa fille, qui tourneront le clip de sa chanson phare « Kôkôti Kouadio » parés aux effigies des couleurs nationales Orange, Blanc, vert.

Le héros du roman de Gauz, Black Manoo, de son vrai nom, Emmanuel Pan, puisque l'auteur s'inspire de la vie d'un personnage réel, est un nostalgisant perpétuel qui d'ailleurs fera commerce de la nostalgie dans un des chapitres du texte. Il décide de partir pour retrouver son idole, Gun Morgan, en France, à Belleville. C'est un peu comme un camerounais qui, rongé par la nostalgie de la flamboyance des titres comme things like this de Gilly Ndoumbe ou Eyaye du groupe Esa, interprété par l'inimitable voix de Stéphane Dayas, déciderait de partir, de faire un saut dans le temps pour revivre le chatoiement sublime des mélodies d'antan.

L'histoire du roman commence un peu après la Coupe du Monde de 1998 en France au moment où Black Manoo débarquera en France. Enfin, après sept tentatives soldées par de cuisants échecs, sous une fausse identité, « François-Joseph Clozel, entrepreneur en visite au Salon du BTP, Porte de Versailles » muni d'un visa un court séjour qui sera vite réexpédié au pays pour un recyclage. « Comme convenu avec le canonnier, Black Manoo rend le passeport. le faux document s'en retournera à Abidjan habiller quelqu'un d'autre en rouge, autant de fois que nécessaire pendant ses trois mois de validité. » Il faut dire qu'ici l'économie circulatoire des visas d'entrées sur le territoire européen connaît son heure de gloire.

A son arrivée à l'aeroport Charles de Gaulles, « l'aéroport du grand blanc de Brazzaville », Black Manoo embarque dans un taxi conduit par un Haïtien, direction Belleville, le quartier Parisien qui a été le terreau de belles intrigues de Céline ou Romain Gary (détail qui a son importance). Il déchantera très vite et devra se faire une raison. Pas de trace de son idole.

Bonjour, tu connais Gun Morgan, roi de l'afro-funk, soul man de France … s'il te plaît ?
Il appuie sa demande d'un hochement de tête synchronisé sur un glissement de jambes en fredonnant « Ayééé, kokoti kouadjo, blonin ! », le refrain du premier tube de Gun Morgan. Ce 15 août caniculaire, Black Manoo danse et chante, avec sa valise à roulettes en pied de micro, devant tout ce qui a une paire d'yeux et d'oreilles. Rien sur Gun Morgan. La fatigue et la chaleur finissent par s'inviter au découragement la « bête » se reveille à ce moment-là.

Le contraste est saisissant. Black Manoo avait auparavant séjourné en Russie, espérant y obtenir une bourse, l'expérience russe s'avèrera désastreuse. de retour au pays, c'est dans la drogue qu'il retrouvera une forme de « salut ».

A Belleville, il est accueilli par un ancien junkie, redoutable dealers des fumoirs d'Abidjan, « Lass Kader, dit Lass-six-six, spécialiste du couteau à six vitesses pour le recouvrement de dettes. » reconverti en assistant social qui vient maintenant en aide aux personnes dépendantes pour leur permettre de décrocher. C'est lui qui l'hébergera au Squat du Danger, rue David d'Angers. Dans le squat le Danger, Black Manoo y promènera le lecteur avec une envoutante subtilité, lui faisant sentir les odeurs, lui permettant d'entrer en osmose avec une atmosphère chaleureuse amicale découvrant au passage de personnages fort attachants. On fera la connaissance des « dangereux noirs » :

Babou est installé dans le plus grand appartement du palier noir avec Sana et ses trois enfants. le jour où il s'est présenté à Black Manoo, il s'est lui-même défini comme un spécialiste de la réconciliation post-partum … Chaque fois qu'ils se sont séparés à cris et à corps, Sana était enceinte … de quelqu'un d'autre. Mais Babou se remettait avec elle dès l'accouchement.

Mais il y' a aussi dans le squat Danger, les dangereux blancs, « Dominique est sur le palier blanc dans un appartement aussi grand que celui de Babou. Il vit seul », un gauchiste obsédé par l'écriture d'articles.

Au Danger, Dominique méprise ses voisins du bas qui ne participent jamais aux manifs, « ces immigrés noirs qui vont finir fachos comme les immigrés du sud, les bâtards !

Le temps de sa désintoxication, c'est au foyer SONACOTRA qu'il prendra régulièrement ses repas, le célèbre Mafé, qui lui aussi a une histoire :

Estampillé plat africain par excellence, le mafé a une histoire française. A la fin de la guerre, un Strasbourgeois s'imagine faire fortune avec la pâte d'arachides. Il se fournit au Sénégal et la baptise Dakatine en contractant Dakar et tartine. Il la rêvait reine des goûters d'enfants sévèrement marqués par la malnutrition des années de guerre et les tickets de rationnement. Un fiasco ! les têtes blondes la dédaignent. Une femme oubliée de l'histoire la prépare en sauce et le mafé est né. Les palais noirs apprécient. Il devient plat national d'au moins trois pays d'Afrique où l'on croit que Dakatine est un mot Wolof.

Il rencontrera l'amour, ou du moins ce qui en fait office auprès de Karoll, mère célibataire de 5 enfants, dont les deux premiers qui lui donneront sa première carte de séjour sont issus d'une relation avec un dealer zaïrois, « l'homme purge sa peine quand elle obtient sa première carte de séjour, renouvelable chaque année. Trois gosses et une deuxième carte plus tard on lui trouve un logement décent dans une cité rue des Couronnes. Il lui faut sept ans et cinq accouchements pour obtenir un titre de dix ans, soit 730 jours par enfant né français. ». Avec le pactole d'une prime d'assurance, Karoll décide d'investir dans un restaurant africain : « En France, les cuisines du continent se résument à ce groupe nominal. le Cameroun est à 4000 kilomètres du Sénégal sur les cartes géographiques, mais le Ndolè de Douala et le Tchèp de Dakar sont voisins sur les cartes de menus ». Finalement Black Manoo persuadera Karoll de se lancer dans le commerce des produits exotiques, magasin à l'avant elle vend les bananes, les piments et les tilapias, et lui derrière, au fond, il fera « danser les gens sur le zouglou du pays : une guinguette ». C'est la naissance d' Ivoir exotic devant, avec une porte qui donne au fond sur le « Sans issue »

La parenthèse ivoir exotic est également le prétexte pour faire connaissance avec de nombreux autres personnages parmi lesquels, Bernard Bressac alias Solo-des-grands-B, « le vieux blanc », le dernier des bougnats comme autrefois étaient appelés les Auvergnats qui posaient leurs valises à Paris. Il leur loue Ivoir exotic 321 € par mois, charges comprises. Une réelle complicité naîtra entre les deux. Pendant la grande canicule de 2003, Black Manoo lui montera des bouteilles d'eau, ce qui lui rappellera ses ancêtres qui faisaient exactement la même tâche dans tout paris et vivaient en communauté :

Mes grands-parents comprenaient à peine le français. Ils n'étaient même pas fichus de prononcer « charbonnier » correctement. Ils disaient « charbougnat » ! c'est pour ça qu'on nous surnomme les « bougnats » ! On était des immigrés comme vous, mais en pire. On ne venait pas de loin, mais on était plus étrangers que vous, on avait beaucoup moins d'instruction que n'importe lequel d'entre vous.

Avec Solo-des-grands-B, il revisite l'évolution de leur quartier qui a vu arriver les « Tlenteulos », les prostituées chinoises qui ont en commun la posture droite et impassible. Leurs surnoms, elles le doivent au prix de la passe, 30€. L'ambiance qui règne à Ivoir Exotic où « on ne vend ni à manger ni à boire », mais de la nostalgie, est la plus illustrative de l'univers du Squat le Danger : on y croise « Mamadou le dormeur » qui tous les matins fait l'ouverture et prend une Heineken en guise de café, « Désirée la banqueteuse » qui n'a rien à voir avec la banque mais qui est toujours assise sur la banquette, Moussa « le brouteur perpétue une escroquerie héritée des Zaïrois », Achillone la camère, « une camerounaise à carrure de boxeur et voix de stentor » …

Tout le long du récit, Black Manoo plantera le décor dans chaque chapitre avec un personnage dont le profil révèle un des pans qui participe de la diversité de ce lieu. de chapitres, il y'en a, en tout cinquante-deux. Chaque chapitre tenant sur deux pages et pouvant être lu séparément même si les chapitre se tiennent tous par le fil rouge que représente Black Manoo. le texte nous dévoile toute l'importance que Gauz attache à la structure, au rythme et au style dans la construction de son récit. Pas étonnant chez un auteur qui prit la décision de devenir écrivain après avoir lu la même semaine le Soleil des Indépendances d'Ahmadou Kourouma et Voyage au bout de la nuit de Céline. Les phrases sont courtes, la formule est corrosive, percutante et en même temps pertinemment dicible. Comme dans ses précédents romans, debout-payé et Camarade Papa Gauz fait encore montre d'une créativité linguistique bouleversante. La langue de Gauz est une sorte d'intralingua intercédant entre le registre courant et les codes linguistiques urbains pratiqués dans les rues abidjanaises, Doualaises ou parisiennes. C'est une langue pleine d'ironies qui aborde des sujets autrement plus graves avec sarcasme. C'est une langue colorée dotée d'une puissance olfactive qui nous rappelle la truculence, l'exubérance et la verbosité forte imagée de Verre cassée missionné par l'Escargot entêté propriétaire du bar le crédit a voyagé dans Verre cassé d'Alain Mabanckou de rédiger les chroniques sur les faits et gestes de sa clientèle.

le texte de Gauz est une ode à l'amitié, à la solidarité et à l'espoir. Toujours avec humour et une fascinante ironie l'auteur aborde avec subtilité, dans une posture non militante et peu vindicative la question du racisme et du communautarisme, ramant à contrecourant de l'anti-communautarisme pour faire un plaidoyer pro domo du communautarisme qui n'a pas que des aspects négatifs et a toujours été le mode de vie des primo arrivants à Paris comme les auvergnats qu'on appelait bougnats. le texte s'inscrit dans un métissage culturel subi mais assumé, nous offrant là la description réelle des combats somme toute naturels des personnes qui se côtoient dans les routes des cités urbaines sans se mélanger. Dans ce texte accueillants et accueillis se croisent, se mélangent se côtoient.

Pour terminer cet article, je voudrais vous inviter à un voyage musical en Côte d'ivoire qui assurément facilitera la rencontre avec l'univers de Gauz par-delà les canaux des mots et du texte. Outre Kôkôti Kouadio de Gun Morgan repris dans le livre, je vous recommande surtout Sokokpeu de Amédée Pierre.

Bonne lecture

Kah' Tchou
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Lu dans le cadre du Prix du Meilleur Roman Points. Merci !

Voici le premier roman de Gauz que je découvre après avoir entendu beaucoup de bien de ces précédents romans, «debout-payé» et «Camarade-papa».

Black-Manoo, c'est le surnom d'Emmanuel, Ivoirien qui débarque avec un faux visa à Paris dans les années 90. Il est tout d'abord charmé par les jolis noms des quartiers où il échoue (Porte des Lilas, Belleville…) mais va vite déchanter.

On suit les galères de cet immigré au costume rouge flamboyant mais pauvre, jeune homme accro à la drogue qui vit de squat en squat et qui recherche activement, du moins au début, un musicien de son pays, Gun Morgan.

Ce roman est une invitation au voyage même si on ne quitte pas la France. Dans une langue poétique et singulière, Gauz nous en met plein la vue et plein les sens, avec ses saveurs de piments et de mafé et ses personnages haut en couleurs vivant de petites magouilles. Des camés, des bougnats, des dealers, des putes à « tlentelos », des mères de famille nombreuse et même un aumônier, tous ont une histoire attachante, souvent sordide, que l'on découvre au fil de très courts chapitres qui s'enchaînent comme autant de chroniques du bitume.

Dans ce roman, on s'amuse et on sourit, on apprend des choses, on s'indigne et on pleure aussi un peu.

La fin, touchante, apporte un nouvel éclairage à ce court texte, que l'on aurait presque envie de relire une fois la dernière page tournée.

Une heureuse découverte. Une écriture riche et réjouissante.

Je recommande !
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Magistral, un cerf-volant en plein ciel, « Black Manoo » est l'un des plus beaux livres au monde. Ce récit est une boussole, un parchemin, une nécessité. La vie est ici. Tremblante, colorée, vive, attentionnée. L'écriture est une invitation, une danse endiablée, envoûtante. Olympienne, vivifiante, humble, magnanime, elle vaut tous les outils du monde pour oeuvrer en humanité. « Pas besoin d ‘aller sur la mer de la Tranquillité pour prononcer une pareille phrase. » « Roissy est sur la lune, et Air France une compagnie spatiale pour tout Africain. » La trame est magie. Formidable, les courants s'attirent et gonflent les pages de tendresse, s'abreuvent des regards loyaux. Black Manoo est un junkie abidjanais qui arrive en France. Direction Belleville, par porte de Bagnolet ou par porte de la Chapelle ? le récit rayonne, échappe ses crayons de couleur. Nous sommes dans cette symbiose cosmopolite, urbaine, sociologique, universelle. Dans cet habitus comble de combines, d'entraides, et de sincérité. Ce récit bouillonne de l'intérieur. « Black Manoo marche dans ses rêves. Les rues désertes de l'aube exacerbent l'onirique. Chaque pas, il les plante dans le pavé pour en entendre l'écho. » Vous entendez n'est-ce-pas, cette assurance, ce diapason en osmose avec la contemporanéité, chaque minute est rassasiée de désirs, de rires, de surprises, et d'espérance. Citadin, il râcle au cutter le profond des écorces. Black Manoo enchante ce récit. Il incite à l'ouverture, à l'admirable hospitalité qui est la pierre angulaire de la fraternité. Black Manoo est aussi un cri qui déchire la nuit en mille morceaux par une révolte sourde. Un homme debout qui résiste aux courants d'air, qui cherche sa voie dans le somptueux de ses amis de coeur, des hôtes des villes, des squats et des galères, qui assemble les différences même les invisibles. « Pour un sans-papiers, le défaut de titre de transport est le pire crime. » « Et survivre, c'est au-dessus de la vie. » Voyez comme la plume de Gauz respire et attire à elle le lecteur qui voudrait apprendre par coeur ce grand récit. Il y a au profond de ce récit d'ébène et de gloire, l'énergie pour résister. Les armes pour affronter ses propres démons. Les cartographies des coeurs et des espaces. Les bruits des pas, les silences, ce qui reste dans le rare d'un crépuscule qui se renouvelle en soi. Ce récit mappemonde, arc-en-ciel, musique, est salvateur. Plus que ce bout du monde insaisissable il est la puissance de l'instant et le plus bel escompte hyperbolique du futur. Les rencontres sont des chapelles, de celles qui accueillent. Il y a les langages sources. Les couleurs et les formidables courages, le berceau de l'humanité. Apprenez par coeur la page 141, « Gus Morgan » Les réponses sont ici. Posées pierres après pierres. Respectueuses, « Dans les branches d'un arbre au milieu d'un jardin de fleurs traversé par un ruisseau d'encre noire : Gus Morgan. » Et, plus encore vous comprendrez que « Black Manoo » est une accolade N° 58. Merci Monsieur Gauz pour vos mots. Black Manoo est mon ami pour toujours. « Black Manoo » est sur la place des Grands. Publié par les majeures Editions le Nouvel Attila.
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Citations et extraits (48) Voir plus Ajouter une citation
« Refusé » dans un passeport a la même signification que la fleur de lys déposée au fer rouge sur l’épaule de l’esclave des Caraïbes au temps du code noir de Colbert : nègre fuyard ! Couper une jambe en cas de récidive ! À chaque refus de visa, il ne faut pas seulement changer de stratégie, il faut aussi changer de passeport, donc de nom. Après sept tentatives donc sept identités différentes, le Black Manoo qui obtient le visa Schengen s’appelle François-Joseph Clozel, entrepreneur en visite au salon du BTP, porte de Versailles. Il est invité par Jean Lefebvre ; l’ancienne entreprise coloniale, pas le comédien. Le consulat est moins méfiant avec ses partenaires historiques. Le berner par l’orgueil est séduisant. Page 5, un timbre argenté clame Affaires, entrées multiples, durée 3 mois. Mais la photo dans son passeport lui ressemble autant qu’une otarie à un rhinocéros. En plus, le document lui donne le double de son âge.
– Je ne passerai jamais avec ça !
Black Manoo est défaitiste. Mais le canonnier n’est pas un vulgaire passeur, un salaud qui se nourrit seulement de l’espérance des autres. Le canonnier sait lever les doutes, raffermir les convictions. Il est un menteur en scène qui transforme la plus infime probabilité en immense espoir. On l’appelle canonnier parce qu’il envoie le boulet loin au-dessus de la défense consulaire. Il est un auxiliaire indispensable des dispositifs migratoires vers l’Occident. Il rappelle que la voie méditerranée, dramatique et spectaculaire, reste une exception. Le principal bleu par lequel débarquent la majorité des migrants est celui de la gomme brûlante des trains d’atterrissage sur le bitume des pistes d’aéroports. Par milliers, les consulats de France délivrent chaque jour des visas affaires, tourisme ou diplomatiques dans des pays où on gagne moins d’un dollar par jour. Ces documents sont vrais, ce sont leurs histoires qui mentent : celles que fabrique le canonnier.
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MOON WALK
« Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’Humanité. » Pas besoin d’aller sur la mer de la Tranquillité pour prononcer pareille phrase. Roissy est sur la lune, et Air France une compagnie spatiale pour tout Africain. Quand l’Airbus s’arrime à un satellite du terminal 2E, la first class ouvre la procession d’astronautes. Couloirs de verre et d’aluminium. Les tapis roulants hâtent le pas. Puis les chemins se séparent : à droite, les passeports européens ; à gauche, le reste du monde. La zone internationale s’arrête à la ligne jaune, la France commence après. Gun Morgan a prévenu, si ce n’est pour voyager, il ne met jamais les pieds dans un aéroport.
Les taxis à la sortie du hall arrivées appartiennent majoritairement à la tribu des Toyota Hybride. Mi-essence mi-électrique, ils roulent au pétrole et au nucléaire. Hybridation des consommations, hybridation des pollutions. Black Manoo tend au chauffeur le papier avec l’adresse.
– Pour Belleville, vous préférez par porte de Bagnolet ou par porte de la Chapelle ?
Ce chauffeur a la couleur et les traits d’un oncle, sauf que son accent, plein d’ « r » rabotés, évente les alizés. Martiniquais ? Guadeloupéen ? Black Manoo ne peut pas savoir. Pas plus que celle des portes à choisir. Mais première leçon en jungle urbaine, ne jamais paraître ni surpris ni décontenancé. Ce sera « Porte de la Chapelle… s’il te plaît », plus solennelle à la prononciation. Routes, ponts, chemins de fer entortillés sur l’horizon urbain. Régiments de panneaux signalétiques en rangs le long des routes ou en escadrilles au-dessus. À peine aperçu, un support écrit disparaît, et il faut déjà lire le suivant. L’un d’eux se répète souvent, alors le regard l’accroche. « A1, Paris par porte de la Chapelle. » Le client est roi, l’Hybride suit ses voies.
Le chauffeur parle. Beaucoup. Tous les taxis du monde font pareil. Au démarrage : tirades météorologiques ; pour l’accélération : lourdeur des taxes ; au virage : résultats sportifs, football, bien sûr ; au moment du freinage : questions.
– Vous venez d’où ?
En entendant « Côte d’Ivoire », changement de régime, vitesse supérieure. Moteur et logorrhée s’emballent. Abidjan, il en a souvent entendu parler à Port-au-Prince. L’homme est haïtien, donc ouragans plutôt qu’alizés. Il se présente, « Pierre Étienne ». Vraiment haïtien. Il n’y a qu’eux pour avoir des prénoms déguisés en noms, voire en surnoms. Comme Gary Victor, Hermione Léonard, James Noël… Entre les noms sur les panneaux et ceux des Haïtiens, des autos, des routes…, Black Manoo flotte dans un espace sidérant.
Le chauffeur poursuit son monologue et sa trajectoire. Une superstructure à gauche : le Stade de France. La coupe du monde est fraîche dans les mémoires, Pierre Étienne éclabousse le pare-brise de postillons jaillis des contrôles et des passements de jambe d’un joueur chauve en maillot bleu. Les essuie-glaces balayent d’approbation. Complicité homme-machine ou capteurs ultra-sensibles.
Porte de la Chapelle apparaît au bout d’un tunnel. Direction Est. L’Haïtien faufile la voiture sur le périphérique, ceinture noire en forme de haricot autour de Paris. Embouteillage. L’Hybride passe du diesel à l’électricité, de la raffinerie à la centrale nucléaire. Pare-chocs contre pare-chocs, les files de voitures sont quatre serpents de métal côte à côte. Ils glissent lentement, très lentement. Apesanteur sur macadam.
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« Black Manouche, quand on s’est rencontrés la première fois, ce qui m’a frappé, c’est surtout que tu es apparu les deux mains chargées de bouteilles d’eau. Il ne te manquait que le joug au-dessus de l’épaule et tu ressemblais à mon Auvergnat de grand-père. Il était porteur d’eau. Il montait et descendait des seaux chez les riches. Les sacs de charbon aussi. On a les mollets solides chez nous, l’habitude des pentes abruptes de nos volcans. Je m’appelle Bressac comme le village où je suis né. Il y avait du savoir-faire en charbon domestique, mon gaillard. On livrait dans tout Paris. En fin de journée, on était noirs comme vous. Notre réseau d’appro et de distri, c’était les seules relations du bled. On vivait entre nous. Le quartier était un mille-feuilles de gens pauvres venus de France, Belgique, Arménie, Pologne, Italie, Espagne, Maghreb et que sais-je encore. Chacun son business, chacun son réseau. Ça ne posait de problèmes à personne. Ils me font rire les politiques d’aujourd’hui, avec leurs fantasmes d’intégration. C’est quoi l’étalon du Français ? Le Berrichon ? Le Jurassien ? Le Creusois ? Comment on peut rêver de fabriquer un homme qui n’a jamais existé ? Mes grand-parents comprenaient à peine le français. Ils n’étaient même pas fichus de prononcer “charbonnier” correctement. Ils disaient “charbougna” ! C’est pour ça qu’on nous surnomme les “bougnats” ! On était des immigrés comme vous, mais en pire. On ne venait pas de loin, mais on était plus étrangers que vous, on avait beaucoup moins d’instruction que n’importe lequel d’entre vous. Black Manouche, tu es arrivé ici plus cultivé qu’un gars du xvie arrondissement. Même dans ton horrible costard rouge ah ah ah ! »
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Chaussures, chaussettes, pantalon, chemise, costume, cravate, chapeau, avec en coquetterie finale le mouchoir glissé dans la poche haute du gilet... Tout est rouge. Le jour du départ, Black Manoo s'habille comme l'a exigé Marabout-Bakar. "Féticheur multiguérisseur, spécialiste en fortune, porte-monnaie magique, retour de l'être aimé, élections locales et nationales, football international, concours d'entrée à la fonction publique, visas Schengen, US Green card lotery ?" Ajouter une dizaine de maladies infectieuses réputées incurables comme l'ulcère de Buruli ou le sida, quelques cancers et on se dit que le talent premier de Marabout-Bakar est la mise en page. Toutes ces spécialités se bousculent autour du dessin anatomique d'un oeil sur une carte de visite standard 85 x 55 mm.
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Marie-George et Sidik forment un redoutable tandem de gauchistes qui n’hésitent pas à prêcher les vertus du service public dont elles sont des ayatollahs. Elles le défendent en préparant les médicaments de la chimiothérapie. Le protocole est long et scrupuleux. Black Manoo a le temps de les écouter mono-dialoguer. Elles parlent comme une seule personne.
— L’hôpital, c’est un autre pays. Il a été créé par le régime général. Nous on l’appelle Union des Républiques Sociales Soignantes, URSS !
Elles rient à l’unisson et s’embrassent au milieu d’un nuage de la Marlboro de Marie-George.
— Les gens qui rêvent de révolution, de grand soir et tout, ils savent pas qu’elle est déjà là.
— À la fin de la guerre, ils ont rassemblé toutes les caisses en une seule, avec un taux de cotisation unique pour tous et gérée par des ouvriers et des travailleurs. Révolutionnaire !
— Les directeurs des caisses sont élus par les travailleurs. L’équivalent d’un budget d’État aux mains d’une démocratie locale, sans actions, crédits, profits, etc. Révolutionnaire !
— Quand on verse une allocation à une famille, ce n’est pas du tout de la solidarité ou de la pitié pour les pauvres. Tout vient des cotisations, donc du travail. Les prestations sociales sont des salaires déconnectés des patrons, des actionnaires et de tout le bordel des capitalistes. Ça les rend dingues !
Rires, embrassades, Marlboro.
— Avant, les pauvres mouraient dans des hôpitaux où les médecins se faisaient la main pour soigner les riches dans les cliniques.
— Le régime général a renversé la situation. Tout le système de santé s’en nourrit, même les cliniques privées. Désormais, pauvre ou milliardaire, on guérit ensemble ou on meurt ensemble. Révolutionnaire !
— Croizat, le gars qui a créé ça, quand il est mort, y’avait un million d’ouvriers pour l’accompagner au Père-Lachaise.
— On n’avait jamais vu ça depuis la mort de Hugo. Ré-volu-tion-naire !
Arrive le moment de la piqûre. Black Manoo s’agite.
— Si vous avez autant peur des piqûres, comment vous faisiez avec l’héroïne ?
— Je la fumais madame.
— Vous ne fumerez pas cette seringue. Arrêtez de gigoter, ne me faites pas rater mon geste. Ce n’est pas parce que c’est gratuit que ça ne coûte rien. N’abusez pas du régime général.
Argument massue. Black Manoo place soigneusement ses fesses en offrande au service public en se disant : « Ce pays doit deux grandes choses au PCF : le régime général et le Moukou. »
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CHOCOLAT, DROGUES DURES, COLONIALISME ET LUTTE DES CLASSES (AVEC ARMAND GAUZ)
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