Troisième volet de la trilogie de Pan, après - Colline - et - Un de Baumugnes -, -
Regain - boucle de manière apothéotique la boucle de cette ode au dieu Pan, à la nature et à l'un de ses hôtes les plus rebelles : l'homme.
Si - Colline - ouvrait le ban en pointant du doigt les antagonismes entre l'une et l'autre, -
Regain - vient le fermer en montrant et en démontrant leur rapport fusionnel, matriciel, leur interdépendance existentielle, leur "ombilicalité" originelle que n'autorise aucune scission si ce n'est celle de la perdition.
Conte, hymne écologique avant l'heure de la globalisation, de l'extinction des espèces, du rabougrissement de notre écosystème, du réchauffement climatique, -
Regain - est un chef-d'oeuvre visionnaire, -
Les Quatre Saisons - orchestrées et dirigées par un Vivaldi provençal qui, en guise de baguette, a une plume qui dirige de main de Maître un orchestre dont les mots résonnent comme des notes de musique harmonieusement poétiques.
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Regain -, c'est dans cette trilogie la symbiose achevée, l'accord parfait, l'art magnifié dans le génie de la "simplicité".
Aubignane est un hameau "fantôme" du côté des hauteurs de Manosque, dans le haut pays provençal, que hantent encore trois êtres esseulés.
Pantourle ( mot composé à partir de Pan... et de Lure chef-lieu local ), un célibataire quadragénaire qui vit de chasse, un peu à la manière des premiers hommes et qui n'a pour seule compagne ( présence ) que sa chèvre Caroline.
La Mamèche, une veuve italienne installée là après la mort accidentelle de son mari et celle de son enfant. Par mort accidentelle, il faut entendre que celle de l'époux est liée au creusement d'un puits ( domestication de la nature ), celle de l'enfant au mâchouillement de la ciguë ( règle de la nature enfreinte ).
Et puis il reste encore Gaubert le vieil octogénaire, forgeron charron ( " qui faisait les meilleures charrues "), sur le point de quitter Aubignane pour aller terminer ses vieux jours auprès de son fils, sa bru et leurs enfants... entouré...
Si le hameau a été déserté par les hommes, c'est parce qu'il leur a semblé que la terre nourricière ne leur donnait plus les moyens de survivre et que la nature leur était par conséquent devenue hostile.
Panturle et la Mamèche restent seuls dans ce qui semble être " le milieu de nulle part ".
Dans un petit village, plus en bas, il y a le vieux Gédémus, un rémouleur qui a acquis pour rien les services d'Arsule une fille de "rien"...
Le printemps est arrivé.
Ils prennent la route pour aller faire leur saison.
À Aubignane, Panturle et Caroline sont travaillés par le réveil de la sève, le retour du printemps, l'appel de la vie.
"Cette force folle que le printemps a mise au creux de ses reins et qui bout, là, comme une eau toujours sur le feu..."
La Mamèche, petite ombre noire, décide d'aller chercher une femme pour Panturle...
Arsule tire la bricole sur les chemins " et pour ça, elle s'est penchée en avant. le vent entre dans son corsage comme chez lui. Il lui coule entre les seins, il lui descend sur le ventre comme une main ; il lui coule entre les cuisses ; il lui baigne toutes les cuisses, il la rafraîchit comme un bain. Elle a les reins et les hanches mouillés de vent. Elle le sent sur elle, frais, oui, mais tiède aussi et comme plein de fleurs, et tout en chatouilles, comme si on la fouettait avec des poignées de foin ; ce qui se fait pour les fenaisons, et ça agace les femmes, oh ! oui, et les hommes le savent bien.
Et tout d'un coup, elle se met à penser aux hommes. C'est ce vent aussi qui fait l'homme, depuis un moment."
Le cheminement de l'équipage est perturbé par une "présence", qu'ils sentent plus qu'ils ne la voient. Une ombre noire qui les inquiète et qui va modifier leur itinéraire, jusqu'à les amener à Aubignane...
Voulez-vous connaître la suite ?
Lisez -
Regain - !
L'intrication homme nature est superbement exploitée tout au long de l'oeuvre de
Giono.
En lisant son livre, on ne peut qu'être admiratif de cette fusion littéraire recréée par l'auteur.
Chez
Giono, l'homme est apparenté à la nature et la nature à l'homme.
" Les filles ont des yeux comme des bleuets"..." Arsule a de grands yeux de pâquerette".
" le Panturle est un homme énorme. On dirait un morceau de bois qui marche. Au gros de l'été, quand il se fait un couvre-nuque avec des feuilles de figuier, qu'il a les mains pleines d'herbe et qu'il se redresse, les bras écartés, pour regarder la terre, c'est un arbre."
" Un homme gros comme ça, ça avait une mère comme une sauterelle."
"On ne voit qu'une épaule de colline toute velue et le vent en rebrousse les poils."
" Lorsque Arsule tire la bricole... elle est attelée..."
"La nuit entasse ses étoiles comme du grain."
"L'ombre marche sur la terre comme une bête... l'ombre marche sur des pattes souples comme une bête. La voilà froide et lourde sur les épaules. Pas de bruit. Elle va son voyage. Elle passe. Voilà."
" le silence est craquant comme une pastèque".
Et puis tout au long de l'histoire, il y a l'omniprésence du vent, ce vent qui est l'exhalaison verbale de Pan, son souffle et ce qu'il souffle dans l'oreille et dans le coeur des hommes.
"À la guette du renard, Panturle a rencontré le vent, le beau vent tout en plein, bien gras et libre, plus le vent de peu qui s'amuse à la balle, mais le beau vent, large d'épaules qui bouscule tout le pays. À le voir comme ça, Panturle s'est dit : " Celui-là, c'est un monsieur"."
J'ai dit plus avant que
Giono outre ses talents de conteur, son verbe éminemment poétique, était un visionnaire écolo.
Il n'est qu'à se référer à ce passage où les paysans qui se rendent à la foire de Banon désespèrent de leur mauvaise récolte de blé.
" On est pareil partout... on a voulu faire du blé d'Inde : c'était nouveau encore ça, et tu vois maintenant... C'est à cause de la mode... Si on avait fait du blé de notre race, du blé habitué à la fantaisie de notre terre et de notre saison, il aurait peut-être résisté... Mais si tu vas chercher les choses de l'autre côté de la terre, mais si tu écoutes ces beaux messieurs avec les livres : Mettez de ci, mettez de ça ; ah ! ne faites pas ça." En galère, voilà ce qui t'arrive !"
Il oppose également la nature domptée à la nature restée libre.
À la foire de Banon, Panturle et Arsule venus vendre leur belle récolte de blé, se retrouvent avec de l'argent plein les poches. Il y a la fête, les attractions, le bruit... Alors ils se contentent de n'acheter que l'essentiel et s'éloignent du superflu et de cette dissonance pour se hâter de retrouver "le bruit" de la nature qui est la seule vraie fête à leurs yeux... et à leurs oreilles.
Tout ceci écrit il n'y a pas loin d'un siècle !...
Avec - Colline -, le premier volet de la trilogie s'ouvrait sur la grande colère de Pan.
Avec -
Regain -, elle se referme sur une harmonie retrouvée entre l'homme et la terre... " Une terre de bonne volonté."
En guise de conclusion, les mots d'
Anne-Marie Marina-Mediavilla.
" Est-il concevable que l'Ordre universel soit fait pour l'Homme, et si l'univers n'a pas l'homme pour finalité, pourquoi les hommes pensent-ils avoir le droit, voire le devoir d'imposer au monde l'ordre humain, la volonté humaine ? L'espèce humaine peut-elle impunément faire servir les autres espèces vivantes, la Terre elle-même, à la satisfaction de ses seuls besoins ?
L'espèce humaine doit-elle condamner les autres espèces au servage ou à la disparition ?
Il faut lire et relire -
Regain -.
Il faut lire et relire - La trilogie de Pan -.
Il faut lire et relire
Jean Giono.