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sur 1030 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Le régal est à nouveau au rendez-vous car lire Jean Giono, c'est retrouver une simplicité et une beauté dans le style comme dans les décors et les personnages qu'il campe. Tant pis si je ne lis pas dans l'ordre La Trilogie de Pan (Colline, Un de Baumugnes, et Regain) puisque le troisième opus me tombait sous la main, je n'ai pas hésité et je ne l'ai pas regretté.

La description très vivante de ce village d'Aubignane, pas très loin de Manosque, quelque part du côté de Banon, rend vite nostalgique d'une période pas si lointaine mais, à la réflexion, que la vie y était dure ! D'ailleurs, le village se meurt. Gaubert, le vieux forgeron, s'en va chez « l'enfant ». le Panturle a perdu sa mère, « victime du mal » et la Mamèche qui a vu son homme enseveli au fond du puits qu'il creusait pour fournir de l'eau au village, est un peu folle…
Pourtant, le Panturle est encore jeune et plein de vie, à quarante ans. Aussi, la Mamèche promet de lui trouver une femme, avant de disparaître mystérieusement. Pendant ce temps, Giono nous présente Gédémus, un rémouleur. Il part de Sault avec une jeune femme, Arsule, connue auparavant sous le nom de Mademoiselle Irène. Comme par hasard, c'est elle qui tire la carriole… enfin, quand c'est son tour !
L'auteur nous gratifie alors de scènes magnifiques sur le plateau, en plein vent avec des apparitions bizarres jusqu'à ce qu'on se retrouve près d'Aubignane mais là, il ne faut plus rien dire afin de ne pas divulgâcher la fin de l'histoire, les moments les plus savoureux de lecture.
Son roman étant divisé en deux parties, la seconde est formidable d'espoir, c'est le Regain ! j'ai adoré ces scènes de travail dans les terres remises en culture, celles de la foire de Banon et les remarques concernant ce blé d'Inde imposé par certains conseillers agricoles bien intentionnés, blé qui ne supporte pas le climat sec et chaud de ce qu'on appelle aujourd'hui les Alpes de Haute-Provence. Je pense que ce qu'écrit Jean Giono entre les deux guerres mondiales devrait bien faire réfléchir aujourd'hui.
L'auteur gratifie même son lecteur d'un retour improbable d'un certain Gédémus et d'une fin très morale. Je le répète, lire Giono est un véritable délice car il raconte si bien, faisant revivre une époque où l'homme vivait en harmonie avec la nature, souffrait avec elle mais savait la respecter pour en obtenir la nourriture indispensable à sa subsistance.

Formules savoureuses, expressions d'autrefois donnant une langue ô combien moderne et chantante qui charme toujours le lecteur près d'un siècle plus tard, c'est Giono !
Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Ils quittent un à un le pays
pour s'en aller gagner leur vie
Loin de la terre où ils sont nés

chante le poète

Dans le petit hameau, Panturle est bien seul depuis que Gaubert le forgeron a rejoint ses enfants. La Mamèche lui a promis qu'elle lui trouverait une femme, car elle sait que le solitude est une souffrance, elle qui a perdu homme et enfant. Il faudra du temps pour que Panturle comprenne comment elle a tenu sa promesse.
Le courage et la détermination, ainsi que le désir de rendre la vie plaisante pour sa jeune femme conduisent Panturle à redonner vie au village, à la sueur de son front. de la femme et par la femme, la vie surgit : en lui offrant le pain issu de son travail, Panturle jette les bases d'un renouveau :

«  je vois que la terre d'Aubignane va repartir. L'envie de pain, la femme… Je connais ça, ça ne trompe pas. Ça va repartir de bel élan et ça redeviendra de la terre des hommes ».

Au coeur de la Provence , si les hommes vivent de peu, au rythme lent des ânes et des chevaux pour essayer de faire survivre les maisons et les terres peu à peu désertées, la nature elle, règne en maître. C'est un personnage en soi, au coeur de ce récit du terroir : vent et pluie sont plus vivants que les survivants d'une époque révolue :

« il y eu d'abord un grand peuplier qui s'est mis à leur parler. puis ça a été le ruisseau des Sauneries qui les a accompagnés bien gentiment en se frottant contre leur route, en sifflotant comme une couleuvre apprivoisée ».

La mythologie transparait à travers les thèmes abordés : ce n'est pas un hasard si les trois romans Colline, Un de Beaumugnes et Regain sont rassemblés sous l'égide de Pan.

La lecture peut être déroutante car le vocabulaire est d'un autre temps, le temps d'un savoir-faire disparu. Ne pas s'y attarder, c'est ce qui donne une tonalité authentique au récit.

C'est un chant d'amour pour la terre et une quête désespérée d'un ancrage en ce temps où l'obsolescence programmée n'était perceptible qu'à l'échelle d'une génération, créant un illusoire sentiment de permanence.

Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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♬ Ils quittent un à un le pays
Pour s'en aller gagner leur vie, loin de la terre où ils sont nés ♬

Regain est ce court roman de Jean Giono qui vient conclure la trilogie de Pan. Je vous ai déjà chroniqué les deux premiers volets, Colline et Un de Baumugnes. Les trois récits peuvent se lire dans un autre ordre que celui proposé par cette trilogie et indépendamment les uns des autres. Ce sont trois histoires différentes, avec des personnages que l'on ne retrouve pas d'un récit à l'autre, sauf un seul : la nature dans ce décor à la fois éblouissant et rude de Provence...
Et puis, avec le recul de ces trois lectures, j'aperçois la beauté d'une fresque paysanne qui se dessine, magnifique et sensuelle, où la terre se désire et se livre dans les gémissements du vent et l'équilibre instable du ciel.
À force, les gens de là-bas ont fini par être façonnés par la nature, par lui ressembler. Ainsi, je ne suis pas prêt d'oublier Panturle qui ressemble à un morceau de bois et lorsqu'il ouvre les bras béants, il devient un arbre. Dire que sa mère n'était pas plus grande qu'une sauterelle !
Je ne suis pas prêt d'oublier non plus la vieille Mamèche. Elle sait qu'il faut une femme pour Panturle afin qu'il reste ici... Elle ne s'en ira pas avant... Un jour, elle s'efface et disparaît derrière le paysage comme par enchantement, elle devient une feuille morte qui glisse sous la porte, au moment de transmettre la suite de l'histoire. C'est une passeuse...
Ni Arsule, ni le vieux Gaubert, ni L'amoureux, ni Alphonsine, ni Gédémus...
Je crois les revoir défiler devant moi une dernière fois au moment où je referme ce livre qui clôt La trilogie de Pan. Je voudrais les emporter dans mes souvenirs.
Ce sont des personnages pétris d'amour et de fraternité, taiseux, secrets, suspendus à leurs destins.
Même ceux qui n'ont pas la bonté naturelle en eux se laissent parfois assaillir par la grâce d'un instant, le chant d'une fontaine, le feu dans l'âtre, un geste qui comprend et apaise...
On sent que les personnages sont habités par quelque chose de plus grand qu'eux.
Et puis, surtout, on y retrouve aussi le style inimitable de Giono : mystique, solaire, animal.
Regain, c'est une terre qu'on croyait ancienne, éteinte, peu à peu oubliée des femmes et des hommes, comme ce village qui s'appelle Aubignane, qui se vide et qui se meurt.
Ici, le tranchant d'un plateau cisaille le paysage en deux, avec des maisons qui se tiennent désormais presque au bord d'un vide sidéral, celui de l'oubli...
C'est un pays renfrogné, qui s'endort, balayé par des vents parfois enragés.
Savez-vous que la terre s'endort si des gestes doux et ancestraux finissent par s'éloigner d'elle ? Elle a besoin qu'on lui parle, qu'on la remue tranquillement, pas outrageusement...
Parfois il faut un peu de vie pour combattre la fatalité.
Regain, c'est une terre qui attend qu'on la délivre de l'oubli et du silence des landes.
Aubignane attendait peut-être ce peu de vie pour retenir ces pierres au bord du vide, écarter le genêt, affuter le soc d'une charrue... Aubignane attendait peut-être quelqu'un comme Panturle... ou d'autres encore...
Regain, c'est une joie qui dévale plus forte qu'un ruisseau.
Ce sont des chevaux qui tournent brusquement leurs têtes étonnées vers ces lointaines formes éblouissantes qui apparaissent dans le paysage, un vert pâturage hallucinant qui s'allume comme un brasier et enflamme le printemps. Comme j'ai aimé cette image ! Je ne connais que Giono capable de décrire un tel instant sidérant...
C'est une chanson serrée dans les lèvres de Panturle, entassée dans sa gorge et qui ne demande qu'à s'envoler...
Ce récit a quelque chose de magique et de mystérieux, d'attachant aussi, il y a une odeur de genêts, de pain chaud, de désir qu'on étreint dans la lumière de Provence.
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Je suis une nouvelle fois tombé amoureux fou de cette écriture qui vous enlace et vous agace les sens, c'est "ce vent, page 48, qui entre dans son corsage comme chez lui. Il lui coule entre les seins, il lui descend sur le ventre comme une main ; il lui coule entre les cuisses ; il lui baigne toutes les cuisses, il la rafraîchit comme un bain. Elle a les reins, les hanches mouillées de vent."


Clôturant la trilogie de Pan, Jean Giono nous livre avec Regain, à travers des fresques magnifiques, ce délice de langage, une sensualité vibrante, un récit qui vous prend aux tripes, un monde qui nous invite à redécouvrir la terre, comme à flâner dans l'herbe sous le murmure du vent.

"C'est, d'abord, un coup de vent aigu et un pleur de ce vent au fond du bois ; le gémissement du ciel, puis une chouette qui s'abat en criant dans l'herbe.
Voilà l'aube. Page 81."

L'ayant lu à mon adolescence, je l'ai repris à l'occasion d'une virée autour de Manosque, j'ai retrouvé l'ambiance chaude et parfumée des collines de Haute-Provence, de ce pays balayé par les vents, doux ou ardents qui vous distillent une musique à vous donner des frissons.


Regain comme renouveau, comme une renaissance, comme une métamorphose, comme les herbes qui repoussent après la première coupe, plus puissante alors, celle qui va s'épanouir tout le printemps.

Le regain n'est pas seulement une image il est l'essence même de la trilogie de Pan.

Dans ce roman, nous percevons dans la première partie tout un passé qui s'éteint, un passé très lourd, où les hommes ont fini par baisser les bras devant une nature rebelle âpre sauvage, balayée par des vents qui dessèchent les âmes et assèchent les ruisseaux.


Mais la magie de ce roman, est de nous prendre à témoin, nous conter comment revivifier cette terre, la rendre de nouveau nourricière, imaginant une autre façon d'être et de vivre en harmonie avec cette nature, en la respectant, en la faisant s'épanouir.

On a parlé ironiquement d'un retour à la terre, ce n'est pas un retour, c'est la suite et le point d'orgue des deux premiers romans de la trilogie de Pan, réinventer la vie. le destin de Panturle et d' Arsule sera de créer un art de vivre en communauté, restaurer un ordre immuable, revivifier la façon d'être avec les éléments naturels qui les entourent, le rythme de la terre vivante et perceptible par tous nos sens.

Dans "Colline" les 12 personnages et le simplet sombrent dans la peur et l'affrontement, dans leur perception d'une nature hostile qui va tout emporter, comme l'affirme Janet le personnage central des Bastides Blanches, inlassablement il prédit la fureur de la nature, le déchaînement des éléments. le vieux Janet devenu invalide, les yeux fixés sur le calendrier, annonce les futures catastrophes

Dans le deuxième roman, "Un de Baumugnes", c'est l'écoute qui devient le fil conducteur de l'intrigue, l'écoute d'Albin, son chant intérieur qui le ronge, l'écoute du vent comme une plainte que seuls les amours savent dévorer. L'écoute des bruits de la Douloire, comme celui de la flûte de Pan, va produire l'effet le plus extraordinaire, devant Pancrace le vieux va s'effondrer pour laisser place à ce quelque chose que l'on pourrait appeler la compréhension ou l'acceptation.


Après la fronde et la peur, après l'acceptation de l'autre après l'acceptation de la nature parfois rebelle, parfois prophète, que faire ? Sinon planter la vie, tailler la terre et semer les graines.


Demain un enfant, le blé, et le bon pain seront portés par la présence de Pan , appelé parfois vent de printemps, pour investir complètement la nature, la joie entrouverte faire jaillir le regain l'émerveillement d'un couple de paysans.
Panturle l'exprime par ces mots, « je l'ai revue je l'ai comprise, cette quête mystérieuse de l'enfant ; ce besoin qui me faisait regarder en face le coin du ciel d'où naissait le vent ».
Ou encore, "je l'ai comprise cette terreur, et pourquoi dans la colline, j'arrêtais mon pas, je regardais peureusement derrière mon épaule pour saisir l'étrange présence, et seul, le large dos de Lure montait au fond de l'horizon."


Éblouissement des gens de la terre semble peut-être puéril pour ceux qui s'imaginent encore, que la nature est belle et docile. C'est un tombereau de clichés pourraient dire certains, qui ne s'en privent pas, mais qui n'ont jamais, travaillé la terre, comme un paysan. Est-ce un cliché, d'exprimer page137, "celui de s'attendrir devant le premier tranchant de l'araire, quand la terre s'est mise à fumer. C'était comme un feu qu'on découvrait là-dessous."


Dans les pas de Giono, Serge Joncour a créé avec Chien-Loup une véritable symphonie autour de la découverte du bonheur de côtoyer un village déserté, très haut sur les collines, à Orcières, et d'affirmer que ces lieux encore préservés, invite à des relations harmonieuses, mais aussi à instaurer entre les hommes des relations fondées sur le respect de la parole donnée.


Giono appellera cela, la civilisation paysanne. Face à la barbarie des temps modernes la civilisation paysanne a encore des valeurs à partager, mais pour cela, il est impératif de ne plus parler de cliché.
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Le petit village d'Aubignagne se meurt. Les uns après les autres les villageois l'abandonnent laissant leurs maisons s'écrouler et les éléments reprendre leurs droits. Aujourd'hui c'est Gaubert, le forgeron, qui remballe son enclume, plus de toc … toc … toc, le coeur du village s'en va vivre chez son fils. Reste que la mamèche, quatre-vingts ans au compteur et Panturle qui est encore dans la force de l'âge. La mamèche lui promet une femme puis elle disparait.
Gédemus est rémouleur, Arsule l'accompagne et tire la meule. Ils font halte à Aubignagne et frappent à la porte de "Panturle" qui ne répondra pas. C'est en voulant les suivre qu'il tombera dans un ruisseau, et lorsqu'il revient à lui, Arsule et à ses côtés. Ensemble ils commenceront tout doucement à faire revivre ce petit village.
Sur le thème de la désertification, Jean Gionio nous livre un récit plein de poésie avec des paroles qui chantent la vie d'un autre temps. Beaucoup de dialogues nourrissent notre imaginaire, surtout celle de faire revivre Fernandel et Oranne Demazis, me rappelle plus le troisième. Une histoire simple avec des gens simples, mais c'est le talent de conteur qui fait de ce livre une oeuvre incomparable, nous plongeant dans une Provence baigné de soleil ou je crois même avoir entendu quelques cigales.
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Me voici dans la relecture de Regain de Jean Giono. C'est le dernier tome de la trilogie de Pan, je ne sais pas si je lirai ensuite les autres.
C'est La Provence, destination de mon mois de mai, qui m'a remis Giono et mes lectures adolescentes en mémoire. Mon souvenir en classe de quatrième est une lecture de révélation, fulgurante et résonnante. La rédaction qui avait sanctionnée la fin de la lecture était à la hauteur de ce coup de coeur, de cette flèche, de cette envolée lyrique et extatique.
Relire Regain, est pour moi aujourd'hui quelques dizaines d'années plus tard prendre le pouls de ce qui faisait frémir mes quatorze ans. Ma lecture est sur écran géant: je me regarde lire, je relis, je savoure, je recopie, je note ; incroyable, je retrouve le rythme d'une élève studieuse qui sait qu'elle devra rendre copie.
Je suis éblouie, fascinée devant tant de poésie, les métaphores pleuvent et soufflent pour annoncer le Regain de la terre et des hommes.

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Le regain, c'est à la fois cette herbe qui repousse après la première fauchaison mais c'est aussi le synonyme de retour, le retour de ce que l'on croyait être perdu.

Dans ce troisième volet de la Trilogie de Pan, Jean Giono nous chante à nouveau un merveilleux hymne à la terre.
Panturle, un vieux garçon, se retrouve seul à Aubignane. Viendra alors une femme, Arsule, pour que la terre renaisse et soit fécondée à nouveau.
Giono dévoile ici avec lyrisme, simplicité, modernité et à recours de métaphores le mythe grec des origines.
On retrouve dans ce roman tout l'attachement de Giono pour la terre et la vie paysanne. Il s'agit bien là d'un retour aux sources, d'un renvoi à nos racines profondes, d'une sorte de rappel à l'ordre qui nous dirait : «  Souviens-toi d'où tu viens, n'oublie pas cette terre qui te nourrit, n'oublie pas celle qui est notre Mère à tous. » Mais ce n'est pas un retour à la vie primitive qui est prôné ici. Bien au contraire. Panturle et Arsule, au contact l'un de l'autre, vont simplement retrouver le chemin de la Civilisation : la nécessité du feu, le besoin de propreté, l'envie de pain d'où découlera la culture de la terre et pour finir, le besoin de procréer. Et tout cela, en harmonie avec la nature. Giono nous invite là à une réflexion écologique sur le rapport des hommes avec leur environnement et c'est une bien douce leçon de vie...

La Trilogie de Pan se termine là. On comprend bien à la lecture de ces trois romans la référence au dieu Pan, divinité de la Nature, dieu des bergers et des troupeaux. D'ailleurs, Giono n'a pas choisi au hasard le nom du personnage de Panturle. Il fait référence à la montagne toujours présente dans son oeuvre, la Lure, montagne de Haute-Provence et bien évidemment au dieu Pan.

Je viens d'achever cette trilogie mais ma (re)découverte de Giono ne s'arrêtera pas là car j'ai soif de son oeuvre !
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Puissant.

Une chute d'eau, une chute de reins. Une différence ? Aucune. La nature prend corps et je vois ruisseler cette demi-lune, fusion parfaite des éléments. Quand Giono écrit « le dernier doigt du soleil lâche le pin » c'est cette terre humaine qui tire le rideau, et je sais que je ne suis qu'un élément de ce grand tout. Grasses ou pauvres, la terre et moi sommes tout pareil, unis dans la vie. La nature s'abandonne ou reprend ses droits et je dois respecter ses choix, ceux de ma soeur, nous sommes de la même filiation. Elle et moi marchons ensemble depuis l'aube jusqu'au couchant, nulle différence entre le ruisseau et la femme, entre le buisson et l'homme…

« Panturle a pris sa vraie figure d'hiver. le poil de ses joues s'est allongé, s'est emmêlé comme l'habit des moutons. C'est un buisson » et la Mamèche « était debout comme un tronc d'arbre. »

…au rythme des saisons nous respirons, et nous aimons. L'appel du vent attrape les corps qui savent l'écouter, et parfois ça crie tellement que vous n'entendez plus rien. Pantelant vous avancez vers les semences.

Terreau fertile, si vous l'apprivoisez, vibrant au rythme des saisons et du vent, vous y serez heureux mais « il faut que ça vienne de toi d'abord, si on veut que ça tienne. » Alors « la terre vous hausse sans faire semblant. » Elle vous porte, vous grandit, vous apporte ce qui manque, et ne demande rien en retour, pas même de louange. On ne remercie pas ses amis, « t'as qu'à faire ça si tu veux qu'on se fâche » comme on dit à la ferme de l'Amoureux.

J'ai autant aimé ce roman que Colline, les deux me bouleversent de leur force tellurique, je sens encore la glaise me coller aux semelles après la pluie, ce regain qui vient du fond de ma campagne ne me lâchera jamais. Je sais que c'est une chance, pour moi, d'avoir lu ces romans aujourd'hui. Jeune, je n'aurais pas autant apprécié ce qui m'a construit, parce que c'est dur la terre tant que vous ne l'avez pas comprise. C'est avec l'âge que je sais ma provenance et que je suis plus à même de ressentir les sentiments profonds de l'amour qui se cache dans des doigts qui se frôlent et s'entortillent ou la dureté de la solitude des vieux. Quand l'émotion n'est plus ce diamant brut, écorchant, mais est entrée dans une ère de calme compréhension. Mais je n'oublie pas que je suis arrivée ici grâce à toute cette terre qui ne m'a jamais lâchée, qui m'a ancrée les pieds dans le sol pour avancer, ma campagne.
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Après Colline et Un de Baumugnes, j'achève avec Regain la fameuse Trilogie de Pan. Comme un brave lecteur discipliné, j'ai donc lu les trois volumes dans l'ordre chronologique de leur écriture, bien qu'aucun élément de récit ne relie entre elles leurs histoires respectives.
L'écriture de Giono est toujours d'une intensité extraordinaire. Sans reprendre ce que j'ai pu dire à propos de Colline ou de Baumugnes, je reste confondu par la puissance de cette langue qui provoque encore le saisissement de son lecteur, alors même qu'on lit cela à un siècle de distance :
« Une fois, c'était à l'époque des olives, on a entendu dans le bas du vallon comme une voix du temps des loups. Et ça nous a tous séchés de peur sur nos échelles. »
« Une voix du temps des loups »... Comment dire autant en si peu de mots, et avec des mots aussi simples ? Et c'est ainsi à chaque page. Un véritable enchantement.
Dans Regain, Giono poursuit sa personnification de la nature. Un feu d'olivier sous le chaudron y est par exemple comme un poulain : « ça danse en beauté sans penser au travail ». Sur ce point, la continuité des trois romans est assez évidente, même si les intentions prêtées à la nature n'y sont pas les mêmes.
Le ton nouveau de Regain vient peut-être de son ode à la sensualité, plutôt discrète dans les deux précédents romans mais très présente ici. Alors bien sûr, en des temps tels que les nôtres, voués à l'érotico-chic aseptisé et à l'épilation intégrale, la sensualité de Giono peut sans doute paraître dépaysante :
« Cette émotion de sa chair, ce travail du sang, ça vient de revenir, à croire que c'est une malédiction. Ses seins sont encore comme des bourgeons d'arbre. Elle tire sur son corsage parce que le corsage frotte le bout de ses seins et que ça l'énerve. Elle renifle pour mieux sentir l'odeur de Gédémus qui sue. Elle sue, elle aussi ; elle se penche vers ses aisselles pour sentir son odeur à elle. »
Si le texte est aussi fait d'odeurs, Giono ne cache jamais qu'elles peuvent être fortes (surtout à propos de Panturle, à vrai dire...). Elles expriment une sorte de rapport de vérité à la nature, et c'est d'ailleurs tout le roman qui propose un questionnement sur l'équilibre à trouver entre nature et culture (d'où les pages truculentes sur l'établissement de Panturle et Arsule en jeune ménage, sur Panturle découvrant l'hygiène, les draps blancs ou les vertus du rangement domestique). Ni l'un ni l'autre ne sont paysans au départ : elle est une fille perdue de la ville tandis que lui est un coureur des bois. Mais s'ils ne sont pas paysans, ils le deviennent par une sorte d'évidence, sinon de révélation. Et c'est le blé de Panturle qui ramène la vie dans le village abandonné, en suscitant après lui de nouvelles vocations.
Au moment où Giono écrit son roman, c'est évidemment tout le contraire qui a lieu : les villages se vident et l'exode rural est déjà devenu une réalité indéniable. Je ne crois vraiment pas que l'écrivain ait jamais caché un discours politique derrière le retour à la terre de ses personnages. Juste la tristesse, peut-être, de voir se mourir ces hameaux de Haute-Provence qu'il aimait passionnément.
Et l'envie de les ressusciter au moins par la plume.
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Des trois derniers habitants d'Aubignane, il ne reste que Panturle, un homme dans la force de l'âge. Gaubert, trop vieux pour vivre aussi isolé, est parti chez son fils et la Mamèche a disparu. Pourtant, elle avait promis à Panturle de lui trouver une femme.
Arsule est arrivé à Sault comme chanteuse. Ça s'est mal passé, elle a été « recueilli » par Gédémus le rémouleur qui lui fait traîner sa voiture.
Deux âmes en peine qui vont se rencontrer et faire revivre Aubignane, un des plus beaux textes que je n'ai jamais lu.
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