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sur 1449 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Ah ! Ecrire comme Giono ! Qui n'en a pas rêvé au moins une fois ? ... Simplicité, quiétude, bon sens, aisance, familiarité, naturel, tout cela recouvrant une complexité de pensée qui fascine et ouvre l'esprit à l'universel.

Paré de toutes ces qualités, "Un Roi Sans Divertissement" est l'un des grands romans de Giono, une réponse subtile et hautaine aux mesquineries et aux lâchetés de ce prétendu Comité national des écrivains qui, à la botte des communistes et de leurs proches, l'avaient interdit de publication alors qu'il ne s'était jamais compromis avec l'occupant nazi. "Ces haineux", comme les désigne Albert Paraz dans son merveilleux "Gala des Vaches", n'avaient comme raison précise de placer Giono à l'index, que la jalousie qu'ils éprouvaient envers le génie de l'écrivain. Avec son "Roi Sans Divertissement", Giono remet les pendules à l'heure et prouve à ces juges improvisés et dégoulinants de fausse vertu qu'ils ont bien tort d'imputer les horreurs du dernier conflit mondial à l'esprit prétendument maléfique de tel ou tel homme, à la lâcheté de tel ou tel peuple. A ses yeux d'anticonformiste fier de "marcher seul", à ses yeux d'humaniste, l'instinct qui a amené à commettre toutes ces monstruosités n'est pas un mais multiple car il pousse comme du chiendent dans le coeur de tout homme.

"Un Roi Sans Divertissement" traite en effet, et uniquement, de cet instinct qui sommeille, dit-on, tout au fond de notre cerveau reptilien : l'instinct de tuer, comme ça, pour le seul plaisir - une caractéristique exclusivement humaine.

Dans un paysage dont, malgré le fil des saisons qui passent, le lecteur ne retiendra que la neige - une neige épaisse, silencieuse et glacée, qui étouffe la terre et les hommes - un mystérieux inconnu, aussi insaisissable que la bise qui descend des montagnes, aligne un nombre de plus en plus grand de cadavres : hommes, femmes, enfants, tout lui est bon et rien ne l'apaise. Il faudra un hasard tout à fait inattendu, un villageois qui sort de chez lui un peu plus tôt que prévu, pour que le monstre soit identifié et finalement arrêté. Il s'agissait d'un habitant du bourg voisin. Langlois, le gendarme qui, l'hiver précédent, l'avait traqué sans relâche mais en vain, se charge de le ramener en prison. Mais, sur la route du retour, il l'abat froidement, déclarant à ses compagnons que c'était un accident et envoyant le jour-même sa démission à ses supérieurs.

Commence alors la partie la plus énigmatique mais aussi la plus subtile du roman, celle qui retrace le lent mais résolu cheminement de Langlois, cette personnalité en apparence solide et tout d'une pièce, vers cette vérité impitoyable : comme le tueur en série qu'il a abattu, lui aussi abrite en son coeur ce terrible instinct de mort. Pire : hormis tuer, rien ne l'intéresse, rien ne le calme - rien ne le réjouit. Pour échapper à ce démon intérieur qu'il est le seul à voir et à comprendre (ou pour échapper à l'ennui qu'il ressent ? ) , Langlois finit par se faire sauter la cervelle.

Giono ne donne jamais le point de vue intime de l'ancien gendarme. Il se contente de faire raconter les faits par les villageois qui, depuis sa première apparition dans leur hameau, ont appris à l'apprécier et se sont même liés avec lui. Et leur vision, simple, qui ne s'embarrasse pas d'analyses freudiennes avant la lettre mais tient compte du sens aigu qu'ils ont de l'Homme et de sa place au sein d'une Nature qui, elle aussi, est capable de tuer, constitue le prisme idéal. Attention cependant : "Un Roi Sans Divertissement" demande beaucoup à son lecteur. Celui qui s'y intéresserait seulement pour découvrir le récit, forcément captivant, de la traque d'un meurtrier multirécidiviste, celui-là risque d'être très, très, très déçu et de passer à côté de l'un des romans les plus puissants et les plus complexes de la littérature française du XXème siècle. ;o)
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Il m'a fallu du temps et de la peine pour entrer dans "Un roi sans divertissement", perturbé que j'étais par l'habitude du premier Giono, somptueux et mythologique, amant de la terre et de l'être, mais aussi par la référence pascalienne, que j'ai recherchée longtemps en vain dans le roman avant de la trouver et de comprendre qu'elle l'irrigue tout entier, sans jamais se faire voir. Comme "La condition humaine", ce roman de Giono donne chair et force à l'une des plus profondes intuitions tragiques de Pascal, mais à la façon d'un roman policier raconté sur un ton décalé, plein de digressions et de portraits savoureux de personnages. Loin d'être un roman philosophique, ce "Roi sans divertissement" montre que l'assassin, l'enquêteur et les victimes partagent avec le lecteur une connaissance et une expérience intimes de l'humain et de sa blessure essentielle. C'est ce partage d'expérience profond qui rend l'élucidation des crimes possible, mais aussi la lecture du roman et la participation du lecteur. Alors, comment lire ce roman ? Pas comme je l'ai fait : que le lecteur oublie les informations du titre, les critiques, les quatrièmes de couverture et autres, pour ne lire que le texte. Cela suffira à son bonheur, autrement dit, à son divertissement. .
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"Un roi sans divertissement "est un roman fort , puissant et dense .Il a été écrit en 1946 mais il ne fut publié qu 'en 1947 car l 'Union des Écrivains français sous la férule des communistes l 'a interdit en laissant entendre que l 'auteur a collaboré avec les nazis durant l 'occupation de la France durant la Deuxième Guerre mondiale .L ' Histoire l ' a innocenté car Jean Giono certes n 'était pas un maquisard ni un Résistant mais il est resté loin de toute compromission avec les nazis . Lire les romans de cet auteur est toujours un vrai plaisir car il a des qualités qui font qu 'on respecte et on estime ce grand écrivain .C 'est un pacifiste qui est contre la guerre et toutes les guerres quelques soient les raisons avancées pour les justifier . C 'est un anticonformiste et un Humaniste C'était un homme de bonne volonté .Il est un grand ami de la Nature dans toutes ses manifestations et il fait tout pour la défendre .Un écologiste .Il est très attaché à son terroir qu 'il décrit bien dans ses livres .
Un roi sans divertissent est un roman où le principal protagoniste est l 'officier de gendarmerie Langlois .Ce dernier est envoyé avec un groupe de six agents pour élucider les mystérieuses disparitions d 'hommes , de femmes et d 'enfants dans un bourg du Dauphiné .Le tueur en série a sévi dans le village durant des années mais les gendarmes n 'arrivent pas à mettre la main sur lui .Mais c 'est par un heureux hasard qu 'il fut remarqué
par un habitant du village .L 'assassin est remis aux gendarmes qui l 'arrêtent .Le commandent Langlois est chargé de le ramener au siège de la gendarmerie mais au
cours voyage , l 'officier sort son arme de service et l 'abat.
L 'officier qui n 'arrive pas à s 'expliquer son geste se fait exploser sa tête mais avant il a donné sa démission .
Deux graves drames ! Comment expliquer qu 'une personne puisse passer à l 'acte de flinguer des innocents? l''auteur nous donne aucune explication sur ces actes démentiels .
Peut-on l 'expliquer par l 'ennui ?
La conclusion on la laisse au philosophe Passcal qui dans
Les Pensées écrivait :"Qu 'on laisse un roi tout seul sans compagnie , penser à lui à loisir ; et l 'on verra qu 'un roi
sans divertissement est un homme plein de misères ".











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Moi qui pensais lire avec Les âmes fortes un roman particulier de Jean Giono, je découvre avec Un roi sans divertissement que je me suis trompée sur toute la ligne. Les déconstructions narrative et stylistique, mimant à la perfection l'oralité des histoires racontées au coin du feu, nous mènent cette fois dans un village du Vercors, qui assiste, à partir de l'hiver 1843, à des disparitions hivernales. Disparitions qui trouveront leur explication avec l'arrivée de Langlois, capitaine de gendarmerie venu d'abord pour enquêter, qui deviendra ensuite, jusqu'à la fin, le personnage principal, que l'on suivra par l'intermédiaire de divers villageois.

Cette histoire, qui commence dans la noirceur d'une manière paradoxale, puisqu'elle décrit dans le même temps, avec une magnifique poésie, la beauté du silence et de la blancheur hivernaux, se termine aussi dans la noirceur, bien que les évènements, et Langlois, aient taché d'en sortir. Noirceur qui symbolise, avec beaucoup de force, le divertissement humain, ou plutôt le manque de divertissement humain, Pascal et ses pensées bien sûr en exergue de cette histoire, et de ce roman, qui nous décrit, au bout du compte, avec une incroyable lucidité, la banalité du Mal.

C'est une deuxième lecture réussie de Giono, romancier que j'aurai donc découvert sur le tard, et que j'aimerais avoir découvert plus tôt, finalement.
Lien : https://lartetletreblog.com/..
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Un roi sans divertissement a été décrit ici de nombreuses fois : les deux parties, avant et après la traque du meurtrier ; les principaux épisodes de la deuxième partie : le retour de Langlois comme commandant de louveterie, les ornements sacerdotaux, la chasse au loup, la visite à la brodeuse etc. Le roman est conté par différents témoins successifs qui peuvent manifester leurs sentiments, comme le fait Saucisse. Elle a pour Langlois cet attachement anxieux et compréhensif qu'ont souvent les femmes pour les hommes dans les romans de Giono ; les hommes de Giono, leur étrange désarroi et les dangers qu'ils courent sans cesse.

Le récit est une sorte de fable métaphysique dont on connaît a posteriori le sens : la quête désespérée du divertissement pour combler l'inaptitude à vivre, la capacité - inhérente - à enchanter le monde momentanément, la nécessité tragique de recommencer sans cesse. A l'opposé, l'activité mécanique de la brodeuse, par exemple, suppose une suite de jours gris qui se ressemblent : certes, un roi sans divertissement est un homme plein de misère ; mais cette misère, seul un roi comme Langlois peut la ressentir.

Langlois comprend le meurtrier initial et sa recherche de beauté et de couleur puis nous le comprenons à notre tour. Le sang sur la neige, les brefs scintillements d'or dans l'ombre qu'on entrevoit dans Un Roi, je m'en suis souvenue quand j'ai lu Eloge de l'ombre de Tanizaki : l'ombre chez la brodeuse et l'or que Saucisse voit par la porte entr'ouverte, les flammes des torches dans la nuit au moment de la chasse au loup, les fils d'or des chasubles dans la pénombre de l'Eglise. C'est le regard amoureux de Langlois qui nous conduit à la merveille ; ce moment par exemple où il s'accroche à la grille de la sacristie pour voir les chasubles et où il est tout entier à son désir : « Ils sont tous là ? » / « Il n'y en a pas d'autres ? » / « Montre-moi un peu mieux celui-là » / « Sors-moi les ostensoirs ».
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Les années de guerre ont dévié la trajectoire de Jean Giono : l'écrivain-poète, chantre des plateaux de la Haute-Provence, le célébrateur de la communion entre l'Homme et la nature, l'auteur de la « Trilogie de Pan » et du « Chant du monde » (entre autres), cet homme-là a été rudement touché par les attaques dont il a été l'objet pendant l'Occupation et la Libération. Son pacifisme, le retour à la terre qu'il prônait (et que Vichy récupérait à son compte) ont amené à son encontre un ostracisme littéraire qui l'interdira de publication. C'est dans cet état d'esprit qu'il se résout à une écriture plus alimentaire : les « chroniques » (c'est le nom qu'il donne à ce type de romans) indiquent une orientation nouvelle, avec moins de lyrisme et moins de poésie, mais plus d'ironie et un humour teinté d'amertume, voire de dérision. le nom « chroniques » est révélateur : il fait directement référence aux « Chroniques italiennes » De Stendhal (Stendhal, un des dieux de son panthéon). La première de ces chroniques est « Un roi sans divertissement », la deuxième « Noé » que suivront « Les Ames fortes », « Les Grands chemins », « le Moulin de Pologne » etc. en attendant le cycle du « Hussard ».
« Un roi sans divertissement » trouve donc un intérêt majeur dans sa place dans le parcours littéraire de Giono. Ce n'est pas le seul : ce roman est singulier également par son sujet, et par la façon dont il est traité : dans les années 1843-1848, dans la région de Trièves (où se déroulait déjà l'action des « Batailles dans la montagne », un gendarme, Langlois, traque un tueur en série (un sérial killer, en français moderne), puis revient dans le pays, envisage même de se marier, mais, obsédé par la vue du sang, ne pourra échapper à son destin. Giono, même nouvelle manière, reste Giono : toujours aussi fluide et limpide, apte à nous faire deviner sous l'immaculé de la neige, la noirceur des caractères, (et leur désarroi), une humanité sans fard, aussi cruelle que la nature dont elle fait partie.
Pourquoi ce titre ? « Un roi sans divertissement » fait référence à une des « Pensées » de Pascal : « … de sorte que s'il (le roi) est sans ce qu'on appelle divertissement, il est malheureux, et plus malheureux que le moindre de ses sujets qui joue et qui se divertit ». Il faut donc se divertir, non pas pour être heureux, mais pour ne pas être malheureux. Langlois, par ce qu'il a vécu et par ce qu'il vit encore (une obsession de nature psychotique) ne peut qu'être malheureux, et donc privé de divertissement. Mais on peut pousser l'analyse plus loin : le divertissement est également tout ce qui permet de ne pas penser à la mort. Et Langlois est bien dans ce cas de figure : la mort l'habite depuis qu'il a tué le tueur, et lui interdit donc tout divertissement. « Un roi sans divertissement » est un roman où la mort rôde. Pas sur le mode fantastique, mais sur le mode personnel, intime, et là encore, en communion avec cette nature secrète, mystérieuse, sourdement hostile.
La lecture de ce roman n'est pas des plus facile : la multiplication des narrateurs, celle des personnages, les allers-retours entre le présent et le passé, la complexité du thème, tout cela peut rebuter le lecteur ou la lectrice, surtout s'il (ou elle) a encore en tête la luminosité et la simplicité biblique de « Colline », « Un de Baumugnes » et « Regain ». Il y a sans doute une autre façon de lire Giono : c'est simplement s'installer dans la barque de ce batelier pas comme les autres, lui faire confiance et se laisser aller au fil de l'eau, les images feront le reste.

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Quel plaisir de retrouver Giono après tant d'années et de retrouver son style qui donne toute sa beauté à ses paysages, sa nature et ses habitants rudes par la force des choses, cachant dans leur coeur une sentimentalité que, pour rien au monde, ils n'oseraient afficher. Avec Giono, on veut voir et sentir sous sa semelle les cailloux des chemins se perdant aux venelles des crêtes, se faire égratigner par les branches, ressentir la râpe des vêtements sur sa peau blanche de sueur. Lire du Giono, ça se vit, ça se sent, ça se ressent donc …
Et on commence par un narrateur végétal, un hêtre magnifique, qui pourrait être le roi de ces contrées, non ? Vallons, clairières, futaies sont observées et inspectées par ce roi majestueux. Cela donne envie d'aller faire un tour dehors. Combien de kilomètres jusque Manosque ?
Mais le récit se poursuit avec des meurtres mystérieux, sans corps. Un roi dément à l'oeuvre ?
Puis arrive le justicier, Langlois. Et le narrateur passe du végétal à la Saucisse (vous aurez noté la majuscule qui a toute son importance). le récit se focalise dorénavant sur Langlois, au point que le meurtrier se fait exclure par une exécution des plus sommaires qui m'a laissé un certain temps dans l'expectative. Sonnez les cloches, voici le roi, notre roi, car il est tel et chacun le reconnait pour tel de la plus humble servante à l'impressionnant et ventripotent procureur du roi. Chacun le courtise et espère de lui parfois juste un salut, une approbation, un hochement de tête.
Pour un final en apothéose, à tout faire péter car comme le dit si bien Pascal dans ses Pensées, retenez le bien : « un roi sans divertissement est un homme plein de misères. »
Maintenant j'ai bien envie de voir l'adaptation éponyme au cinéma à laquelle Giono a collaboré et où il aurait donné sa voix à l'assassin …
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C'est un roman pas très parlant ; et pourtant il s'en passe des choses dans ces pages. On est au XIXe siècle, à la fin du règne de Louis-Philippe.
Langlois, capitaine qui, en matière de chasse, préfère se « déranger vingt fois pour rien plutôt que de rater la fois qui compte ». Parce que le « gibier » qu'il traque dans ces montagnes tue tantôt des hommes et des femmes, tantôt du bétail. Des traques qui prennent une dimension surnaturelle dans ces paysages accidentés et sauvages, et qui s'achèvent brutalement.
Tout est raconté par des témoins, ce qui confère au récit une vraisemblance impressionnante, augmentée par des dialogues concis, abrupts parfois, mais non moins savoureux :
« ––Mais, qu'est-ce que ça sera à la fin, quoi : des bas, un chandail ?
––Non, lui dis-je, rien. Ce n'est rien, j'aligne des points les uns à côté des autres, puis des points les uns sur les autres. Pour occuper les doigts. Ça sera un cache-nez, ou une écharpe, ou une couverture, selon que j'aurai plus ou moins longtemps besoin d'occuper mes doigts. Je ne fais pas de projets à l'avance. »

Pour un peu, on se croirait autour d'une table à écouter des histoires authentiques d'antan., racontés par les uns et les autres. Ces histoires, ce sont des chroniques qui tournent autour du « roi » Langlois, homme taiseux qui impose le respect par sa seule présence, inquiète et rassure tout à la fois ; imprévisible bien sûr. Depuis une certaine affaire une manière de proie dangereuse, Langlois s'est même renfermé : « Pour dire comment il était, il y a deux mots : l'un monacal et l'autre militaire. »
Langlois, par-dessus tout, veut tuer l'ennui. Et gare s'il n'y parvient pas car il est prêt à tout… «
Giono a lu Pascal : « Qu'on laisse un roi tout seul sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans l'esprit, sans compagnies, penser à lui tout à loisir, et l'on verra qu'un roi sans divertissement est un homme plein de misères. »
Ainsi, dans un enchevêtrement de personnages – dont Saucisse, qui a eu son comptant de malheurs et de hontes du côté de Grenoble ; mais il faut bien vivre –, se déploie un récit taciturne qui colle à l'état d'esprit de l'auteur alors.
En effet, accusé d'avoir écrit dans un journal collaborationniste, Giono est arrêté à la fin du mois d'août 1944. Il sera incarcéré un temps sur ordre du Comité de Libération de Manosque. Giono se vengera littérairement dans le Hussard sur le toit, en refilant à la ville un choléra du tonnerre !
En attendant, inscrit sur la liste noire du Comité national des Écrivains, il est libéré en 1945 et n'est pas d'humeur joyeuse. Il faut dire que Giono avait goûté à la guerre – notamment à Verdun – et il était devenu un pacifiste acharné, quitte à accueillir la Collaboration, à laquelle il n'a pas participé comme l'a fait un Drieu La Rochelle par exemple.
Quoi qu'il en soit, ce Roi sans divertissement, plein de silences – on ne nous dite pas tout –, d'amertume et de violence à peine contenue, est une oeuvre exceptionnelle…

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Ce Giono d'après-guerre s'affranchit du lyrisme prodigieux de Colline et du Chant du monde. Comme dans le Hussard sur le toit, il raconte une histoire, mais ce n'est pas une histoire flamboyante. le titre janséniste annonce un tueur en série, une justice expéditive, la contrition du justicier quand il retrouve la veuve, et son suicide quand il trouve en lui-même la fascination du sang.

Les figures sont la Nature imprévisible et des personnages masculins, que l'auteur présente moralement et sacrifie comme des pions. On voit le désert extraordinairement blanc jusqu'aux lisières extraordinairement noires des bois, sous lesquels il peut y avoir n'importe quoi, qui peut faire n'importe quoi. le soir tombe. Se lève un tout petit vent qu'on n'entend pas (p 26). de la neige, du silence, du noir des ramures et même de lointaines odeurs anisées d'écorces humides qu'il était tout étonné de comprendre, lui venaient d'étranges enseignements qu'il était obligé d'interpréter tout de suite et d'utiliser sur-le-champ (p 72). Pour dire comment il était, il y a deux mots : l'un monacal et l'autre militaire. le premier, c'est austère. Il était comme ces moines qui sont obligés de faire effort pour s'arracher d'où ils sont et venir où vous êtes […]. le second mot […] c'est cassant. Il était cassant comme ceux qui ne sont vraiment pas obligés de vous expliquer le pourquoi et le comment, et ont autre chose à faire qu'à attendre que vous ayez compris (p 91).

Giono nous égare pour nous garder réceptifs. Symbole puissant de l'arbre, où s'ouvre le roman, mais c'est une puissance maléfique. Distorsion du temps : le locuteur est d'abord singulier et contemporain, il traduit en kilomètres les distances en lieues de 1843 ; puis il se démultiplie (nous n'en menions pas trop large, p 114) ; puis il parle en 1863 (20 ans après, qui est à peu près de l'époque où j'arrive, p 145) ; il est enfin remplacé par Saucisse, le personnage féminin qui parle après la mort du justicier. La longue traque du tueur (homo homini lupus), puis celle du grand loup (« le Monsieur ») s'achèvent abruptement et à l'identique : Langlois lui avait tiré deux coups de pistolet dans le ventre ; des deux mains, en même temps (p 86). Langlois lui tira deux coups de pistolet dans le ventre ; des deux mains, en même temps (p 144). Par égard pour ceux qui n'ont pas lu le roman, je tais la fin abrupte de Langlois.

Tout aussi complexe et changeante, la tonalité du récit. L'urgence dans les scènes de peur. La sécurité trompeuse des fermes bouclées, des animaux familiers. le doute et le fatalisme après la violence : À quoi se raccrocher quand il n'y a plus l'habitude ? (p 126). Dans la marche du monde, il y a pas mal de choses qui ne vont pas toutes seules : tout, pourrait-on dire. On aime bien savoir pourquoi (p 156). Les digressions du(des) conteur(s), soit pour la séduction du récit (le cheval de Langlois), soit pour l'authenticité des détails (les généalogies, les noms de lieux, les repères du marcheur). Enfin le dialogue théâtral des personnages féminins, Saucisse et Madame Tim, en contrepoint de la réserve des hommes. Impeccable maitrise.
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Comment vous parler d'Un Roi sans divertissement, un livre que je porte en moi depuis mes années de faculté!
Commencer peut-être par parler du titre qui renvoie à une pensée de Pascal qui dit qu'un roi sans divertissement est un homme plein de misère. Dans une perspective chrétienne, le philosophe constate que l'homme est incapable de vivre seul face à son humaine condition, il a donc besoin de se "détourner de", de se "divertir", ce que Pascal condamne.
Or, Giono nous montre cela: on est près de Grenoble dans un petit village qui s'appelle Chichiliane: "Qu'est-ce qu'on irait faire à Chichiliane?" dit un des personnages. Rien à faire à Chichiliane. On s'ennuie.
L'hiver, il fait nuit à trois heures dans les montagnes. Des gens disparaissent, on ne les retrouve pas!
Où sont-ils passés? Volatilisés!
Deuxième hiver, ça recommence. Tout le monde se met à paniquer... alors, on envoie Langlois, le policier, qui arrive à cheval. Les villageois le regardent. Au moins, ça les divertit!
Langlois observe et discute avec Saucisse au Café de la Route, de tout, de rien, de la vie...
Et puis, Langlois comprend, il comprend parfaitement les motivations de l'assassin, il les comprend tellement bien qu'il va sentir en lui la même envie, celle de tuer, pour se divertir...
Vous l'avez compris, ce texte plein de non-dits, de sous-entendus est complètement essentiel: il parle de l'homme, de la condition humaine. Il correspond à la deuxième manière de Giono, celle des "chroniques" que je vous invite à découvrir: le Grand Chemin, le s Ames Fortes. Giono ne s'intéresse plus à la nature mais aux hommes. Il a assisté à de nombreux procès et a beaucoup appris sur l'âme humaine...

Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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