C'est un roman pas très parlant ; et pourtant il s'en passe des choses dans ces pages. On est au XIXe siècle, à la fin du règne de Louis-Philippe.
Langlois, capitaine qui, en matière de chasse, préfère se « déranger vingt fois pour rien plutôt que de rater la fois qui compte ». Parce que le « gibier » qu'il traque dans ces montagnes tue tantôt des hommes et des femmes, tantôt du bétail. Des traques qui prennent une dimension surnaturelle dans ces paysages accidentés et sauvages, et qui s'achèvent brutalement.
Tout est raconté par des témoins, ce qui confère au récit une vraisemblance impressionnante, augmentée par des dialogues concis, abrupts parfois, mais non moins savoureux :
« ––Mais, qu'est-ce que ça sera à la fin, quoi : des bas, un chandail ?
––Non, lui dis-je, rien. Ce n'est rien, j'aligne des points les uns à côté des autres, puis des points les uns sur les autres. Pour occuper les doigts. Ça sera un cache-nez, ou une écharpe, ou une couverture, selon que j'aurai plus ou moins longtemps besoin d'occuper mes doigts. Je ne fais pas de projets à l'avance. »
Pour un peu, on se croirait autour d'une table à écouter des histoires authentiques d'antan., racontés par les uns et les autres. Ces histoires, ce sont des chroniques qui tournent autour du « roi » Langlois, homme taiseux qui impose le respect par sa seule présence, inquiète et rassure tout à la fois ; imprévisible bien sûr. Depuis une certaine affaire une manière de proie dangereuse, Langlois s'est même renfermé : « Pour dire comment il était, il y a deux mots : l'un monacal et l'autre militaire. »
Langlois, par-dessus tout, veut tuer l'ennui. Et gare s'il n'y parvient pas car il est prêt à tout… «
Giono a lu Pascal : « Qu'on laisse un roi tout seul sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans l'esprit, sans compagnies, penser à lui tout à loisir, et l'on verra qu'
un roi sans divertissement est un homme plein de misères. »
Ainsi, dans un enchevêtrement de personnages – dont Saucisse, qui a eu son comptant de malheurs et de hontes du côté de Grenoble ; mais il faut bien vivre –, se déploie un récit taciturne qui colle à l'état d'esprit de l'auteur alors.
En effet, accusé d'avoir écrit dans un journal collaborationniste,
Giono est arrêté à la fin du mois d'août 1944. Il sera incarcéré un temps sur ordre du Comité de Libération de Manosque.
Giono se vengera littérairement dans
le Hussard sur le toit, en refilant à la ville un choléra du tonnerre !
En attendant, inscrit sur la liste noire du Comité national des Écrivains, il est libéré en 1945 et n'est pas d'humeur joyeuse. Il faut dire que
Giono avait goûté à la guerre – notamment à Verdun – et il était devenu un pacifiste acharné, quitte à accueillir la Collaboration, à laquelle il n'a pas participé comme l'a fait un
Drieu La Rochelle par exemple.
Quoi qu'il en soit, ce Roi sans divertissement, plein de silences – on ne nous dite pas tout –, d'amertume et de violence à peine contenue, est une oeuvre exceptionnelle…