Un mot et une carte en couverture résument la thèse d'Antoine Glaser. La Françafrique est morte ; vice l'Africafrance ! Entre le colonisateur et le colonisé le rapport de domination s'est inversé. le temps n'est plus où la France tirait les ficelles en Afrique. Désormais, comme le précise le sous-titre de ce court essai, les dirigeants africains sont devenus « les maîtres du jeu ». Et une réalité géographique simple suffit à illustrer ce rapport de forces inversé : l'Afrique et ses 30 millions de km² (sans parler de son milliard d'habitants et de sa croissance à 5 %) pèse désormais plus lourd que la minuscule France.
le spécialiste de la Françafrique qui, avec son collègue
Stephen Smith, a décrypté dans de nombreux ouvrages la politique africaine de la France, illustre cette thèse percutante à travers dix chapitres consacrés chacun à l'un des pays du pré carré : Gabon,
Côte d'Ivoire, Congo, Tchad … le procédé, un brin paresseux, n'est pas sans défaut. Il a certes le mérite de la lisibilité. Dix chapitres, dix pays, c'est autant d'anecdotes égrainées, qui étaient jusqu'alors réservées aux lecteurs des pages confidentielles de "La lettre du continent" dont Antoine Glaser fut le rédacteur en chef pendant trois décennies. On y apprend comment le Niger négocie à la hausse le prix de l'uranium qu'il livre à la France, comment Idriss Déby a su se rendre indispensable au règlement de la crise malienne ou à quel point Ali Bongo mène envers la France une politique différente de celle de son père.
En revanche cette présentation a le défaut de laisser de côté des pays aussi importants que le Mali, la République centrafricaine, les Comores ou Madagascar sur lesquels il y aurait eu beaucoup à dire. Plus grave : en racontant une succession de relations bilatérales, avec leurs aléas et leurs nuances, Antoine Glaser fragilise sa thèse. Un exemple : la relation contrariée entre la France et
Abdoulaye Wade. En voulant faire adouber son fils par la France, le président sénégalais a reproduit sans succès des comportements d'un autre âge où la légitimité d'un chef d'État africain était censée dériver du soutien que Paris lui accordait.
Antoine Glaser a raison de souligner l'évolution de la relation franco-africaine. La donne a changé, avec la mondialisation, l'irruption de nouveaux acteurs sur le continent africain (la Chine mais aussi le Brésil, la Turquie, les pétromonarchies du Golfe …), la croissance et la paix restaurées sur le continent. Mais cette évolution ne saurait se résumer au renversement d'un rapport de domination. Pas plus qu'hier la France ne tirait les ficelles en Afrique (A. Glaser rappelle lui-même dans son introduction que les premiers chefs d'Etat africains n'étaient ni des « pantins » ni des « béni-oui-oui » (p. 12)), la France aujourd'hui n'est pas devenue l'obligée de l'Afrique.
L'évolution est d'une nature différente : la relation hier si forte entre la France et l'Afrique s'est distendue. L'Afrique s'est ouverte à de nouveaux partenaires. La France s'en est désintéressée – comme en a fait le constat lucide le Sénat dans un récent rapport . Ne fantasmons pas un rapport de domination qui n'a jamais existé, ni dans un sens ni dans un autre. Mais faisons le constat amer d'un divorce par consentement mutuel.